
Reflexions
générales.
de ce puissant moyen de réforme. Nulle part en effet on n’a vu l’action de
cette force qui touche, qui améliore et qui console; car de simples et
froides formalités ne sont point et ne sauroient être un moyen suffisant
d’instruction. Là où une conviction profonde doit être la hase de ia
doctrine qu’on veut enseigner, la contrainte qu’opère la force est bien
insignifiante et bien vaine 1 Au reste, il faut convenir qu’une réforme
générale eût été très-difficile à concilier avec O le défaut de classification
des condamnés, et i’on doit s’étonner peut-être que des abus plus nombreux
n’aient pas surgi du sein même de la population singulière qui
nous occupe. Cest ainsi que les collusions remarquées parmi ies convicts
n’ont jamais eu précisément pour objet un refus de travail,
mais seulement une diminution dans la durée de l’ouvrage, et le désir de
se soustraire ainsi à une partie de la peine à laquelle ils sont condamnés.
II est arrivé souvent que les inspecteurs ou surveilians d’ouvriers,
étant convicts eux-mêmes, se sont laissé corrompre, et ont favorisé
par ià une fainéantise criminelle. Ce dernier abus ayant été observé
surtout parmi ies ouvriers du gouvernement, ii est à croire que l’introduction
récente des surveilians libres y mettra un terme.
La réforme des convicts répandus dans la campagne a été un peu plus
favorisée ; et quoiqu’on ait rencontré de grands bandits parmi eux, leur
dissémination même, et l’isolement qui en est devenu la conséquence,
ont concouru à l’épurement de leurs moeurs; néanmoins, on doit le reconnoître,
ia vie champêtre toute seule est insuffisante pour amener des
scélérats à résipiscence.
La liberté de la presse, depuis l’instant où elle a été permise à Port-
Jackson , est venue semer parmi ies habitans de nouveaux fermens de désunion
et de discorde. Par cette voie, les calomnies les pius atroces, les
haines les plus envenimées ont répandu sans mesure leurs poisons, et
l’exaspération a été au comble.
Le parti que l’on prit, presque dès l’origine, de transporter dans des établissemens
spéciaux de hante pénalité les coupables les plus turbulens
et les plus redoutables, joint à ia juste rigueur avec laquelle on a sévi
contre les relaps, produisit un effet salutaire, en ce sens qu’il fut plus facile
de conduire et de diriger la masse des convicts; aussi n’a-t-on pu
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t , i i 9 5
voir sans quelque surprise la quantité extrêmement limitée de soldats cjui
ont été nécessaires pour contenir, jusqu’à ce jour, un nombre fort considérable
de condamnés.
Colonie
(îe
Port-Jackson.
Réflexions
générales.
Digression sur Macquarie. — Chaque gouverneur a donné à son administration
le cachet particulierde son caractère. Le général Macquarie eut
le projet de favoriser l’épuration de la population par ies distinctions
accordées à ceux des libérés qui s’en montreroient le plus dignes; en un
mot, de réchauffer les sentimens d’honneur et de vertu chez les individus
qui en posséderoient encore ie germe. Cette conduite, dont on n’a pas, ce
me semble, assez apprécié les motifs, a été, pour ce digne gouverneur,
une source de chagrins et de difficultés administratives. Des hommes, fort
respectables d’aiileurs et éclairés, mais d’une délicatesse très-chatouilleuse,
lui ont reproché de vouloir, en quelque sorte, assimiler moralement les
individus déshonorés à ceux qui s’étoient toujours montrés purs et attachés
à leurs devoirs.
Mais ce qui choqua surtout, ce fut de voir qu’il accueiiloit familièrement
chez lui, et que parfois même il recevoit à sa table, M. Redfern, chirurgien
instruit et bien né, qui, condamné à mort par suite d’un délit politique,
avoit vu sa peine commuée en celle de la déportation. Cependant
les moeurs de M. Redfern étoient généralement reconnues pour irréprochables,
et les colons ies plus difficiles ne pouvoient trouver en lui qu’uii
homme honnête, mais malheureux.
En I 802 la susceptibilité des habitans étoit bien moins grande; le gouverneur
King recevoit alors en effet chez lui, avec tous les égards dus à
un galant homme, et sans même paroître en cela choquer qui que ce fût,
M. Déliassés, ancien officier d’artillerie, condamné à la déportation pat-
suite d’un duel où son adversaire avoit succombé. Je ne veux assurément
pas faire ici l’apologie des rebelles ni des duellistes, mais tout le monde,
je pense, établira une différence énorme, sous ie rapport moral, entre les
convicts de cette classe, et un faussaire ou un voleur de grand chemin.
Les attaques dont M. Macquarie devint l’objet, dans la circonstance
dont il s’agit, me conduisent naturellement à parler des reproches qui
lui furent aussi adressés relativement à l’accumulation des convicts