
ÎÆ
Colonie
de
Port-Jackson.
Réflexions
générales.
§. IV.
Conséquences politiques.
Par la fondation de ses colonies australes, la Grande-Bretagne a jeté aux
extrémités du globe les bases d’un vaste empire, qui s’est élevé pour ainsi
dire à l’ombre du mystère, ou du moins sans paroître attirer beaucoup
les regards de la diplomatie européenne. Une possession cependant qui
confine aux mers de l’Inde, qui commande à tous les archipels répandus
sur la surface du Grand-Océan, et menace les plus riches États de l’Amérique
espagnole, valoit bien la peine, à ce qu’ii semble, d’être mise dans
la balance des intérêts poiitiques.
Toutefois la prise de possession d’un aussi vaste territoire a semblé une
opération toute simple , et n’a été contestée par personne, tandis que l’on
a vu mille fois les plus petites provinces du vieux continent, devenir le
prétexte de guerres longues et acharnées.
Après avoir acquis d’un trait de plume la propriété d’un pays presque
aussi grand que i’Europe, mais dont la population est foible, misérable
et insignifiante, les Anglais ont entrepris de se rendre maîtres des
îles qui pullulent dans le Grand-Océan, et qui appartiennent à des populations
intelligentes et aguerries. Ce n’est point cependant par ia force
qu’iis ont cherché à occuper les différens groupes de ia Polynésie; ils
ont préféré y faire régner leur influence par une voie conciliatrice, et
des missionnaires méthodistes ou anglicans, envoyés par eux, ont successivement
pénétré à la Nouvelle-Zélande, aux îles de la Société, aux îies
des Amis, aux Sandwich, etc., et s’y sont montrés, comme ils s’y montrent
encore, instrumens plus actifs de la politique, qui ies protège, que
du protestantisme, au triomphe duquel on ies croiroit exclusivement appelés.
Ces hommes persévérans répandent, avec la langue de la Grande-
Bretagne, les principes de sa religion, ie goût de ses arts, le besoin de ses
produits manufacturiers ; partout ils impriment la terreur de ses armes,
l’esprit de sa domination, ie penchant à ses habitudes sociales; en un mot,
ils conquièrent les habitans de ces îles à l’Angleterre, avec plus de succès
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qu’ils ne les soumettent au christianisme ; d’ailleurs, en s’avançant dans
i’intérieur des îles, ces missionnaires sont à portée d’en étudier les ressources
et d’y découvrir ies productions utiles d’un commerce qu’ils sont
souvent les premiers à exploiter.
Tandis que les peuplades polynésiennes sont ainsi préparées àrecevoir
tôt ou tard le joug de l’Angleterre, leurs princes, par des moyens analogues,
sont entraînés vers le même but. Habiles à étudier leurs différends ,
les Anglais savent mettre à profit leurs dissensions particulières, pour ies
opprimer les uns par les autres.
Tel est le plan dont i’exécution se poursuit avec une admirable constance,
pour consolider la puissance britannique au milieu de la Polynésie;
c’est le même dont les Hollandais se servirent jadis avec tant d’avantages
pour l’occupation du grand Archipel d’Asie, et à la sagesse duquel iis
ont dû, pendant tant d’années, la conservation de leur domination dans
ces parages, alors même que leur puissance s’écrouloit ailleurs de toute
part. Les Anglais aussi ont particulièrement suivi cette marche lorsqu’ils
ont voulu se rendre maîtres de l’Inde; et ils l’emploient encore fidèlement
partout où ils veulent établir ou consolider leur influence.
Les manufactures de ce peuple industrieux se sont tellement multipliées,
les produits en sont devenus si nombreux, si variés, qu’il n’est que trop
exact de dire qu’ils pourroient suffire aux consommations de l’Asie, de
l’Amérique et de la plus grande partie de i’Europe ; et que le bas prix auquel
ils les livrent, ies longs termes qu’ils accordent pour le paiement,
les font rechercher avec avidité sur tous les marchés. En vain ies gouver-
nemens essaient-ils de repousser ce commerce perfide, qui ruine les fabricans
indigènes, et rend tous les peuples tributaires de l’Angleterre , l’intérêt
des consommateurs se trouve en opposition trop directe avec les vues
sages des gouvernemens, pour que ia contrebande ne cherche pas à tromper
leurs agens ; et l’on ne sait malheureusement que trop combien les
succès de ce genre sont fréquens et faciles.
L ’affranchissement des colonies espagnoles de l’Amérique est un des
événemens, longtemps attendus par l’Angleterre, qui ont offert à son commerce
le débouché le plus vaste et le plus avantageux. Rien en effet n’étoit
plus propre à consolider le système de monopole et de domination
Réflexions
générales.