
Course
au Nouveau-
Fribourg.
roulés du haut des montagnes présentent la particularité d’être rudes et
disséqués à leur surface. Ici le schori et quelquefois le quartz ont disparu
les premiers, et le feldspath est demeuré seul en petits cubes détachés.
» Des schistes bleuâtres joints au granit, que je n’ai rencontrés qu’en
cajIJoux roulés dans ies torrens, indiquent probablement qu’on doit trouver
en place de ces premières roches, superposées aux secondes, comme il
arrive ordinairement. Dans quelques endroits, le granit décomposé forme
d’épaisses couches dune sorte de kaolin, très-blanc, qui, pour le blanchiment
de l’intérieur des navires, remplace parfaitement la chaux.
» Plus 011 parcourt les montagnes granitiques, plus on trouve leurs formes
coniques arrondies en pitons isolés et l’agrégation de leurs divers matériaux,
et plus aussi on est éloigné de vouloir leur assigner un système
de formation. Ceux qui l’attribuent à la voie humide sont bien loin d’être
satisfaisans : si l’on explique cette réunion subite de molécules hétérogènes,
rien ne dit pourquoi ces montagnes sont isolées à leur sommet,
et pourquoi elles tendent toutes à former ce que les navigateurs appellent
des pains de sucre.
» La végétation de ces contrées est celle des tropiques : ce sont des arbres
d’une grandeur immense et des fourrés qui, rendus impraticables par mille
lianes qui attachent les arbrisseaux les uns aux autres, empêchent de sordides
sentiers tracés. Au centre des montagnes, j’ai vu, sur les hauteurs,
des arbres en partie dépouillés de leurs feuilles comme dans la saison
d’hiver de nos contrées. Ceci tient à ce qu’ils croissent dans une région
d’autant plus froide qu’elle est plus élevée.
» Ce n étoit point alors le temps de la floraison des plantes; on voyoit
seulement dans les lieux ombragés, ies belles fleurs blanches et bleues
d’un rexia, les fleurs violettes des mélastomes, et les longs pistils renversés
du fucia.
» On rencontre frécjuemment dans ces montagnes un roseau remarquable
par ses longues tiges déliées et qui égale en hauteur les plus grands
arbres; ses noeuds sont ornés de touffes de feuilles vertes, qu’on nomme
capim, et qui servent de fourrage.
» Mais une des plantes les plus remarquables est le tilanisia, herbe parasite
très-déliée aussi, dont les fiiamens, qui se tiennent tous par leurs
LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . 13 79
extrémités, enveloppent les branches des plus gros arbres, étouffent ieurs
feuilles, en pompent les sucs, et finissent par faire mourir l’arbre lui-
même. L ’aspect sombre de ceue plante, pendante en longues chevelures
à l’extrémité des rameaux desséchés, produit un assez singulier contraste
au milieu de cette végétation riche et brillante.
» Quel spectacle imposant que ies paysages des montagnes du Brésil 1
Nous montions et nous descendions par des chemins difficiies et creusés
dans le roc, sur le penchant d’une montagne. Plus bas, sous nos pieds,
bouilionnoit, sur des massifs de granit, une rivière qui disparoissoit à la
première sinuosité; des arbres imrnenses pressés sur les bords en ombra-
geoient le cours, tandis que leurs cimes atteignoient jusqu’à la crête des
hauteurs. Au-dessus de nous, la montagne élevée en piton formoit un
cône de verdure que couronuoient de légères vapeurs.
» Quelquefois on voyoit le chemin du voyageur suspendu sur un abîme,
où se montroient des éhoulemens considérables; puis il s’abaissoit dans
des vallées profondes où coulent de petites rivières, que nous passions
en sautant d’une pierre à i’autre, ou bien sur un arbre tombé de vétusté,
formant comme nn pont naturel. Dans ces iieux ombragés par des arbres
d une grandeur extraordinaire, où ie soleil ne paroît qu’un instant, nous
étions pénétrés d’une humidité incommode , qui se montre de toutes
parts. Des plantes sans nombre croissent au bord des courans d’eau;
des mousses et des scolopendres gigantesques appendent aux rochers ou
enveloppent le tronc des palmiers. Les insectes qui fuient le grand jour
se plaisent dans ces lieux pleins de fraîcheur. Nous aimions à prendre du
repos sous ce feuillage paisibie, où le silence profond qui y règne ordinairement
n’étoit interrompu que par le bruit de nos pas ou celui de
quelques coups de fusil.
» Mais, au détourd’un sentier, ia rencontre d’un défriché changeoit tout
à coup pour nous la scène; les arbres que frappe ia cognée roulent dans
les vallées, en écrasant avec un fracas épouvantable tout ce qui s’oppose
à leur chute; les échos en prolongent à i’infini ie retentissement et se marient
au bruit rauque des torrens; ailleurs l’agitation du feuillage étonije
quelquefois le voyageur qui en ignore la cause, comme naguère dans
ces mêmes forêts, le cri du singe hurleur me causa d’abord de l’effroi.
Co urse
au N o u v e au
F ribou rg.