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estimé que j’avois fait, je continuai de courir au Nord, en tirant un peu
vers l’Est, pour m’éloigner- davantage de terre.
« Qne de courage, que de sang-froid parmi les marins ! dit à ce sujet
Al. Gaudichaud; à l’instant où notre position paroissoit le plus désespérée,
pas un cri, pas une voi.x ne se fit entendre, et les ordres donnés
furent exécutés avec autant d’ordre et de silence qu’aux momens les plus
beaux et les pius favorables de notre navigation. Malgré le parti pris par
notre commandant, beaucoiqi de marins persistèrent à croire quenous courions
encore sur cette terre fantastique qu’iis croyoient apercevoir; l’expérience
seule put les détromper, et l’on conçoit combien cette nuit, si
pénible pour nous tous, dut être surtout affreuse poiir eux ! »
Pendant la journée du 8 février la mer continua d’êire très-rude, et la
brise, quoique moins forcée, souffla cependant encore avec assez de violence.
Nous continuâmes à courir dans la direction que nous avions suivie
pendant la nuit précédente. A midi on vit une baleine morte qui flottoit
à ia surface des eaux, avec le ventre en l’air et fort ballonné : une foule
d’oiseaux voltigeoient alentour. Vers le soir le vent diminua encore et
nous permit de porter un peu plus de voiles.
Un temps magnifique, un soleii brillant du plus v if éclat, semblèrent,
le 9, vouloir nous dédommager des fatigues des deux dernières journées.
J ’ordonnai de donner un coup de sonde, afin de fixer notre position sur
le banc de Patagonie où nous nous trouvions. On eut 73 brasses sur un
fond de sable gris et noir, mêlé de points brilians d’un éclat métallique.
Je fus ainsi confirmé dans l’opinion que nous étions trop éloignés de la
baie de Bon-.Succès pour chercher à retourner à ce mouillage, qui d’aiileurs,
à juger par aperçu, ne paroissoit pas devoir nous offrir une entière
sécurité pendant la durée des observations que nous avions à faire par
ces hautes latitudes. I! restoit donc à choisir entre une relâche sur ia côte
d’Amérique, et une aux îles Malouines : je me décidai pour cette dernière,
et dirigeai ma route en conséquence pour venir reconnoître l’île
Conti, qui est la plus orientale- du groupe.
Depuis que nous étions sur le banc de Patagonie la mer offroit toujours
à nos yeux une nuance d’un brun i erdâtre qu’elle n’avoit pas précédemment.
La beauté du ciel et de la mer continua pendant la journée
LIVRE VI. — De P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . 1229
du 10; et le soir on voyoit, jusqu’aux limites de l’horizon, une multitude
de baleines qui lançoient de l’eau à une hauteur prodigieuse; la vigie qui
les annonça crut d’abord que c’étoient des navires sous voiles.
« Le 1 2 , la corvette navigua pour ainsi dire à travers des bancs de
fucus pyriferus, toujours annoncés de loin par ia présence de nombreux
oiseaux posés dessus et voltigeant tout autour. Sans doute ils y sont attirés
par la foule à’ulvas gélatineuses qui s’y rencontrent, et par les fucus eux-
mêmes, dont ces animaux paroissent être très-friands; ou bien, ])eut-être
encore, par ies petits poissons, les pousse-pieds, les coquillages et autres
mollusques qui y sont fixés ou qui escortent ordinairement ces sortes de
corps, en suivant avec eux ies courans généraux ou ceux que les fréquens
coups de vent de ces réglons impriment aux flots.
» Ces fucus, toujours présens sur les côtes, d’où il est raisonnable
d’admettre qu’ils proviennent el où ils croissent à des profondeurs considérables,
acquièrent eu longueur une dimension extraordinaire; ils
sont ensuite portés au large à de fort grandes distances, puisque longtemps
avant d’apercevoir le Cap de Bonne-Espérance, le cap Horn, et
pendant le trajet de la Terre-de-Feu aux Malouines, ia mer nous en a
constamment offert une prodigieuse quantité.
» Arrachés du fond de l’abîme par des courans sous-marins ou par
i’effet de la lame, ces fucus viennent étaler aux yeux du naturaliste observateur
une foule de thalassiophytes, de polypiers , de flustres, de crusta-
cées, etc., qui, sans cette circonstance peut-être, seroient toujours restés
ignorés.
« N’est~on pas forcé de rendre hommage et des grâces à la Divinité,
qui partout se montre favorable aux désirs des plus privilégiées comme des
plus imprudentes de ses créatures; à l’homme toujours trop resserré dans
sa sphère, cpii veut tout voir, tout s’assujettir, et qui ose même quelquefois
porter ses regards indiscrets jusqu’aux oeuvres mystérieuses mais
toujours bienfaisantes de la Providence!
» Des plongeons, des manchots, etc., se montrèrent à nous par centaines.
Il étoit extrêmement curieux de voir les premiers sauter en l’air
pour plonger ensuite tous ensemble, reparoître bientôt pour plonger de
ouveau, sans qu’aucun d’eux soit en avance ou en retard dans ces sortes
Voyiigc de r Uranie, — Historiijue. T . II. j- j-y y p
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Février.