
En général, toute perfonne capable d’efter en jugement
peut être accufée & pourfuivie criminellement
pour raifon du crime quelle a commis; on
peut accufer non-feulement les auteurs d un crime,
mais encore leurs complices , & même ceux qui
les ont favorifés , foit en leur prêtant fecours > {oit
en leur fourniffant des armes ou autres moyens,
foit en les payant, les louant ou les confeillant pour
le faire commettre. * ,
Au refte, il fera très-facile de connoitre les personnes
qui peuvent être accufèes, en fàifant rénumération
de celles qui ne peuvent l’être.
i° . On ne peut valablement accufer une fécondé
fois, pour le même crime, ceux qui ont été abfous
par une fentence juridique, fuivant la maxime non
bis in idem. Voye^ ABSOLUTION, Sebl. I.
a°. Ceux qui ont fubi la peine due à leurs crimes ,
ne peuvent plus être accufés pour le meme crime.
Cette règle dépend encore de la maxime non bis in
idem. En effet, fi celui qui a été renvoyé abfous
ne peut plus être accufé du même crime, a plus forte
railon celui qui a été puni pour raifon d un crime,
ne doit pas être accufé de nouveau, & puni .pour le
même crime, quand même la peine qu’il auroit fubie,
feroit moindre que celle que le crime meritoit.
3°. Le père & la mère ne peuvent être accufés
par leurs enfans , non plus que les enfans^ par leurs
père & mère, parce qu’ils ne font tous qu une feule
& même perfonne : ce qui neanmoins ne doit s entendre
que des crimes que les uns ou les autres ont
commis envers des étrangers , ou des vols qu’ils
peuvent s’être faits mutuellement, a raifon defquels
ils ne doivent pas former leur accufation au criminel
, mais agir feulement a fins civiles. Mais s il
s’agiffôit d'excès commis les uns envers les autres,
& d’attentats à leur v ie , leur plainte feroit reçue.,
& fur-tout celle des père & mère qui auraient
cté battus ou outragés par leurs enfans.
4°. Les fous , les infenfés, les pupilles ne peuvent
être accufés criminellement, parce que dénués
de jugement & de raifon, ils font incapables de dol,
par conféquent ils ne peuvent etre punis , meme
pour les plus grands crimes, fi ce n eft pour attentat
contre la perfonne-du fouverain; exception abfurde,
mais que l’intérêt public autorife.
Mais fi les fous ou les infenfés ont des intervalles
dans leur folie, & qu’ils aient commis quelque
crime dans les momens lucides de leur raifon
, ils doivent être punis,parce qu’alors ils font
capables de connoître ce qu’ils font. On décidé de
même par rapport aux enfans qui approchent de 1 âge
de puberté ; on les confidère comme capables de
dol & de malice, fur-tout lorfqu’ils ont la force
de commettre le mal, & que , par les circonftan-
ces qui ont accompagné le crime , le jüge peut
s’affurer qu’ils l’ont commis volontairement : c’eft
par ce motif, qu’un arrêt du parlement de Dijon
fit procéder , par information , contre un enfant
de douze à treize ans , qui avoit rompu Le bras a
un autre d’un coup de pierre.
5®. La pfèfcription étant acquife en France ', pouf
raifon des crimes, par le laps de vingt ans ,'ceux
qui l’ont acquife ne peuvent être accufés du même
crime , à l’exception de ceux de lèze-majefté au
premier chef & de duel. Ce dernier, fuivant l’art.
3 5 de l’édit de 1679- > ne Peut preferire même par
trente ans, à moins qu’il n’y ait eu ni exécution,
ni condamnation , ni plainte.
Ce que nous difons ic i, que les crimes fe pref-
crivent par vingt ans , doit s’entendre lorfqu’il n’y
a point eu de plainte, ou qu’après la plainte, l’information
, même le décret de prife de corps , le
crime eft refté impourfuivi pendant vingt ans , par
la négligence de la partie civile ou du miniftère
public ; mais s’il y a eu une fentence de condamnation
exécutée par effigie , la prefeription de vingt
ans n’a plus lieu , parce que cette exécution figurative
proroge l’a&ion pour trente ans.
ACCUSÉ , f. m. ( Jurifprudence criminelle. ) On
donne ce nom à toute perfonne qui eft déférée
aux vengeurs des lo ix , comme ayant enfreint ces
mêmes. loix. Ainfi l’on peut être criminel, fans
être accufé; l’on peut de même être accufé, fans
être criminel. Mais cette dernière confidéradon,
qui doit faire trembler tout homme chargé de
juger fon femblable, lui impofe du moins l’obligation
indifpenfable de traiter Yaccufé avec toutes
fortes d’égards, tant qu’il n’eft qu'accufé ou prévenu
; fans q uoi, il feroit dangereux qu’il ne fît
Supporter à l’innocent des peines qui. ne font dues
qu’au coupable. Peut-on fe flatter que la procédure
criminelle fuive toujours cette règle ; dont l’humanité
lui crie de ne s’écarter jamais ?
Qu l'accufé eft préfent, ou il eft fugitif. Au dernier
cas , la pourfuite fe fait contre lui par contumace.
Si au contraire l'accufé n’a pas pris la fuite.,
l’ufage , le croiroit-on , dans un pays où l’on fe
pique de douceur, de fenfibilité , d’amour pour fes
femblables ? l’ufage eft de le jetter dans une prifo
n d e le charger de fers , de lui interdire toute
communication avec des confeils , d’entendre en
fecret des témoins dont on lui cache jufqu’au nom,
de renvoyer à la fin de l’inftraétion du procès ,
l’examen des faits qu’il allègue pour fa défenfe ;
de traiter, en un mot, à fon infu, de fa fortune,
de là v ie , de fon honneur , & même de l’honneur
de fà famille.
Lorïque le juge a de la forte accumulé les dépo-
fitions & les preuves, il examine ce qui en réfulte.
S’il n’y voit rien qui charge l'accufé , alors il le
renvoie quitte & abfous ; fouvent même il lui ré»
ferve fes dommages & intérêts , contre Tabulateur.
Mais s’il fort des dépofitions , d’affez puiflans
indices pour faire préfumer légalement que l'accufé
eft coupable, alors le juge ordonne que les témoins
feront ouis de nouveau fur les faits qu’ils ont attef-
tés , & qu’ils feront préfentés au prévenu ; c’eft
ce qui s’appelle régler la procédure à l'extraordinaire%
Dès ce moment, il y a préfomption légale que Yao-,
eufé eft criminel,
C ’eft aufli dès ce moment feul que la juftice eft
pardonnable d’agir avec rigueur contre lui. Mais
jufques-là pourquoi le traiter avec févérite .Pourquoi
le précipiter dans un cachot, où il eft confondu
avec les plus vils des humains . Pourquoi
l’arracher à fes biens , à fon domicile , a fes amis,
à une époufe, à des enfans qui ont befoin de fes
fecours ? c’eft-à-dire , pourquoi le punir d avance par
rendrait le plus fenfible de notre être î Quelque
folemnelle que foit enfuite la réparation, fi cet ac-
cafi eft déclaré innocent, elle ne lui rendra jamais
ce qu’une rigueur précipitée^ lui a ravi. Par confe-
quent cette rigueur ne parait pas jufte.
Pour être excufable , il faudrait quelle fut
néceffaire ; il faudrait conféquemment qu’il n’y eût
pas d’autre moyen d’aflùrer la punition du crime,
fuppofé que le prévenu fût criminel. Mais comment
faifoit-on dans Athènes , où les plus grands
criminels même jouiffoient d’une liberté pleine &
entière pendant tout le temps que duroit l’inftruc-
tion de leur procès ? Comment faifoit-on à Rome,
où nul accufé ne ceffoit d’être libre , que lorfqu’il
étoit convaincu & condamné ? Comment fait-on en
Angleterre , où la loi habeas corpus défend tout à
la fois de tenir un citoyen en prifon au-delà de
vingt-quatre heures fans l’interroger ,& veut qua-
près cet intervalle on le relâche fous caution, juf-
qu’à ce que fon procès lui foit fait ?
L’impératrice de Ruffie, dans cette belle inftruc-
tion que la raifon femble avoir diétée pour le bonheur
de l’humanité, & qui devroit être le manuel
des légiflateurs & des juges , a dit , art. 157 *
u C ’eft une différence d’arrêter quelqu’un 011 de
v le mettre en prifon......Il ne faut pas que le même
» lieu ferve à mettre en fûreté un homme accufé
ii d’un crime avec quelque vraifemblance , & un
» homme qui en eft convaincu , &c. »
Il feroit donc à defirer qu’il y eût , pour les
prévenus , un lieu de détention ou de fûreté qui
ne fût point la prifon ; je voudrais qu’au lieu d’y
rencontrer la mifere & le déshonneur , ils y trou-
vaffent prefque les mêmes commodités que dans
leurs domiciles; qu’ils n’y perdiffent rien de l’efti-
me publique ; qu’on ne les y retînt , qu’autant de
temps qu’il en faut pour conftater leur crime ou
vérifier leur innocence : peut-être même devroit-
on les laifler vaquer à leurs fondions, s’ils four-
niffoient caution de fe repréfenter lorfque la juftice
les réclamerait. Il eft .à propos de réferver la
, punition, & la prifon en eft une, pour les feuls
criminels.
Et même , comme il n’exifte jamais, avant la
condamnation , que des préfomptions du crime ;
comme Yaccufé peut encore prouver fon innocence,
il faudroit écarter des prifons & de Tinftruétion des
procès criminels , toute févérité que les circonftan-
ces ne rendroient pas néçeffaires. Par exemple, à
quoi bon les cachots, puifque la détention n’y eft
pas plus aflùrée que Sans toute autre chambre de
fa prifon ? Ou fi Ton veut abfolument qu’il y en
ait, eft-il befoirt d’y mettre les prifonmers aux fers ?
Ne fuffit-il pas aufli , n’eft-ce pas même trop de
les priver de la lumière , & de leur y faire refpi-
rer un air corrompu , &c ?
Il eft une chofe fur-tout qui fait peine aux âmes
fenfibles, c’eft qu’un accufé foit dénué de confeils ;
c’eft qu’on lui cache le nom & les dépofitions des
témoins qu’on a raffemblés contre lui. Il ne les
v o it, on ne lui fait part de ce qu’ils ont dit, qu’ai»
moment où ils lui font confrontés: moment qui n’efl:
jamais long , & où Yaccufé ne {auroit avoir toute
fa préfence d’efprit , parce que cette formalité lui
annonce que fon procès eft réglé à l’extraordinaire.
Terraflon , dans fon Hifoire de la jurifprudence
romaine, obferve qu’à Rome on donnoit à Yaccufé
jufqu’à quatre défenfeürs ; que les dépofitions fe
lifoient tout haut ; qu’on laiffoit au prévenu le temps
d’y répondre, & de fe concerter avec les hommes
généreux qui s’étoient chargés du foin de le juftifier.
Quel inconvénient trouveroit-on à fuivre parmi
nous cette procédure noble & franche qui refpi-
roit, comme on Ta fi bien dit, toute la magnanimité
romaine , tandis que la nôtre femble n’annoncer
que la timidité , la défiance , l’envie de fur-
prendre ? Pourquoi ne nommeroit-on pas tout de
fuite les témoins à Yaccufé, & ne lui donneroit-011
pas une copie de leurs dépofitions ? Pourquoi lui
îeroit-il défendu d’en conférer avec un confeil ?
L’article 8 du titre 14 de l’ordonnance de 1670
ne le permet pas, fi ce n’eft dans le cas du pécu-
lat , concuffion , banqueroute frauduleufe , &c.
ci Quoi ! s’écrie là-deflùs Tilluftre auteur du Com-
» mentaire fur le traité des délits & des peines, votre
» loi permet qu’un concufîionnaire , un banque-
» routier frauduleux ait recours au miniftère d’un
» avocat, & très-fouvent un homme d’honneur
» eft privé de ce fecours 1 S’il peut fe trouver une
» feule occafion où un innocent feroit juftifié par
a le miniftère d’un avocat , n’éft-il pas clair que
î> la loi qui l’en prive eft injufte » ?
Il faut le dire à la gloire des rédacteurs de’ l’ordonnance
: cet article 8 ne pafla point de toutes
lès voix. Le premier préfident de Lamoignon le
combattit avec une force qui auroit bien dû per-
fuader fes collègues. Les générations les plus reculées
ne liront qu’avec attendriffement les réflexions
fages qu’il fit contre cet article. « Il eft vrai, di-
» foit-il, que quelques criminels fe font échappés
w des mains de leurs juges & exemptés des pei-
» nés , par le moyen de leur confeil. Mais fi le
» confeil a fauvé quelques coupables , ne peut-il
j> pas arriver aufli que des innoCens périflent faute
n de confeil ?..... Or , il eft certain qu’entre tous
» les maux qui peuvent arriver dans la diftribution
v de la juftice , aucun n’eft comparable à celui de
» faire mourir un innocent ; il vaudrait mieux ab-
» foudre mille coupables, &c. » Voye^ le procès-
verbal de Tordonnance.
Je ne doute point que ces réflexions rie déter-
minaffent le légiflateur à donner un confeil aux accu-s