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S e c t i o n I I t
De l'ajfranchijjement des perfonnes & des biens, fuivant
le droit féodal.
Définition de cette efpèce d’affranchijfement, & fon
origine. Vajfranchijfement féodal eft l’exemption que
le roi ou un feigneur accorde à un fujet, à un vaffal,
à une terre, à une v ille , à une communauté, d’un
droit, d’une ferVitude, d’un impôt, d’une charge publique,
d’une prédation réelle ou perfonnelle.
En Angleterre, on prend le mot ajfranchijfement
dans un fens analogue à celui-ci, pour l ’aggrégatiôn
d’un particulier dans une fociété ou dans un corps
politique, au moyen de laquelle il 'acquiert certains
privilèges & certaines prérogatives. .
Ainfi on dit en Angleterre, qu’un homme eft
affranchi, quand il a obtenu des letttes de natura-
lifation , au mdÿeft defquelles il eft réputé régni-
cole, ou des patentes''qui le déclarent bourgeois de
Londres ou de quelque autre ville.
Nous avons remarqué que, chez dès Romains,
il y avoit une forte d’efclaves qui etoient attachés
à la culture d’un fonds particulier, & que , pour
cette raifon, ôn appellôit addiél&s' glebée, fervos adfi-
criptitios. Ils en faifoient partie & ils' étoient vendus
aVec la terre ; mais ils la ctiltivoient à leur volonté , à ,
la charge de fendre tous les ans a leurs maîtres une
certaine quantité de “bleds ou de fruits.
Le même-ufage fubfiftoit chez les Germains.
Les Francs'qui faifoient partie de cette nation, après
avoir conquis les Gaules, continuèrent d y avoir des
efclaves de la glèbe. Audi , fous les deux, premières
races de nos rois, la plupart des habitans de la campagne
étoient ferfs, c’eft-à-dire, attaches a certains
fonds dont iis ne pouvoient être féparés.
Le droit féodal, né fur la fin de la fécondé race, &
affermi au commencement de la troifième , ajouta
encore à la fervitude connue dans les temps antérieurs
: on diftingua deux efpèces de ferfs, les uns attachés
à la glèbe , les autres qu’on appellôit hommes
de poêle. Ceux-ci payoient au feigneur certains
droits, & faifoient pour lui des corvées; ceux-là,
-effentiellement attachés à la terre, lui donnoient
une partie des fruits qu’ils recueilloient ; ilsfeven-
doient avec la terre; ils ne pouvoient fe marier ni
changer de demeure ou de profeffion fans le con-
fentement du feigneur : ce qu’ils acquéraient, lui
appartenait. U y avoit donc alors deux efpèces de
fervitude, l’une conftituée fur les perfonnes, 1 autre
.fur les chofes ou biens des vaflàux.
1 Louis-le-Gros forma le projet de reprendre une
partie de l’autorité dont fes vaffaux s’étoient emparés,
& il ne trouva pas de moyen plus fur pour
augmenter fa puiffançe, & s’affurer de la confiance
& des forces du peuple, que d’affranchir les ferfs
•de fon domaine, & de les transformer en citoyens
dont il put s’aider pour contenir les grands feigneurs
dans- les bornes du devoir & de la foumiflion.
Son exemple fut fuivi par fes fucceffeurs : S.
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Louis confirma tous les affranchijjemens faits par eux,
& donna des loix pour les maintenir & les diriger
au bien de l’état oc des fujets : Louis H u t in e n
13 15 , rendit un édit célèbre par lequel il concéda
à tous fes ferfs la liberté moyennant finance, &
engagea tous les feigneurs à. faire la même chofe ;
il obligea même ceux qui ne vouloient pas affranchir
leurs ferfs., de lui payer une certaine fomme.
La plupart fuivirent l’exemple de np.s rois ; ils affranchirent
leurs ferfs à prix d’argent, ou à la charge
de quelques fervices.
Mais il eft encore refté des veftiges de cette e fpèce
de fervitude des perfonnes dans les provinces
régies par le droit romain; dans les coutumes de
Bourgogne, de Bourbonnois, de NivernÔis & au*
très , Ces ferfs y font appelles vilains, gens de corps
' & de poêle, gens de main - morte & -de morte - main ,
main-mortables, inortaillables, &ç. félon Fufage des
lieux qu’ils habitent.
De la manière dont la main - morte fe contrarie &
s'affranchit. Les droits que les feigneurs ont fur les
ferfs, diffèrent félon les pays : ils dépendent ou
de la coutume & de l’ufage de chaque endroit, ou
des titres des feigneurs. Nous les expliquerons en
détail fous chacune des dénominations qui leur font
propres ; nous nous contenterons de remarquer la
manière dont on peut être affujetti ou affranchi de
la main-morte.
La main-morte ou la condition ferve fe contracte
de trois manières : par la naiffance, par une convention
expreffe & par une convention tacite, lorf-
qu’une perfonne libre vient habiter dans un lieu
mortaillable.
Vafira/ichijfement de la main-morte fe fait par convention
ou par défaveu : par convention, lorfqne_
le feigneur affranchit volontairement fon ferf : par
défaveu, lorfque le~ferf quitte tous les biens mor-
taillables, & déclare qu’il entend être libre ; mais
quelques\çoutumes veulent, même en ce cas ,
qu’il abandonne une partie de fes meubles au feigneur;
& celle de Bourgogne exige l’abandon de la
totalité des meubles que le ferf peut pofleder dans
l’étendue de la feigneurie.
Le facerdoce ni les dignités civiles n’affranchif-
fent pas des charges de la main-morte; mais ils
exemptent des droits perfonnels qui aviliroient le
cârafrère dont le ferf main - mortable eft revêtu.
Àuffi , dans des temps antérieurs, le main-mortable
ne pouyoit-il être admis à la cléricature fans le eon-
fentement de fon feigneur.
Le roi peut néanmoins affranchir un ferfenl’qn-
nobliffant, ou en lui conférant un office qui donne
la nobleff^. Car le. titre de nobleffe efface la fervitude
avec laquelle il eft incompatible :, & le fei-
, gneur du ferf ainfi affranchi peut feulement demander
une indemnité.
La coutume du comté de Bourgogne veut que
l’homme franc affranchiffe fa femme maimmortable
au regard feulement des acquêts & des biens fitués
en lieu franc : mais ? fi elle décède fans hoirs, &
fana
fans qu’il y ait eu de féparation de biens entré éllé
& fon mari, le feigneur du lieu où elle eft née,
emporte fa dot matrimoniale avec fon trouffeau &
fes meubles.
Dans les coutumes de Nivernois & de V itri,
les gens de main-morte par naiffance. font appelles
gens depourfuite, parce que le feigneur peut les pour-
fuivre pour le- paiement de la taiUe qu’ils lui doivent
, en quelque lieu qu’ils habitent hors de fon domaine.
Suivant la coutume de Vitri, ce droit de pour-
fuite fe prefcrit par vingt ans, & le mort-taillable
jouit de la franchife & de la liberté, lorfque, pendant
cet efpaee de temps, le feigneur ne l’a pas réclamé.
Mais la fervitude réelle ne fe prefcrit pas
tant que le ferf poffède l’héritage fujet à la 1er-
vitude. t .
De tout temps , nos rois ont joui du droit d’affranchir,
par des lettres particulières, lés ferfs de
leurs vaffaux, & alors ces affranchis ceffoient d’appartenir
à leurs feigneurs, & devenoient bourgeois
du roi; mais le ferf étoit tenu de payer une indemnité
(à fon feigneur, qu’on eftimoit affez ordinairement
au tiers du bien de l’affranchi. Quelques
feigneurs fe font oppofés à ces affranchijfemens, mais
ils ont toujours été déboutés de leurs prétentions ;
& Y ajfranchijfement donné par le roi a été, maintenu
par les arrêts du parlement.
Vajfranchijfement d’un ferf, fait par fon feigneur
immédiat, ne peut avoir lieu fans le conformément.
du roi ou du feigneur fuzerain , par la raifon que
cet ajfranchijfement diminue le fief : Ce qui ne fe peut
„faire au préjudice du feigneur dominant. Anciennement
les ferfs ainfi affranchis paffoient au pouvoir
du roi ou du feigneur dominant.
Loifel, en fes Infiitutes coutumières , dit qu’il
eft dû au roi une finance pour chaque ajfranchijfement.
Laurière obferve qu’on né pouvoit l’obtenir
autrefois qu’en payant finance au feigneur dominant
& à tous les autres feigneurs fupérieurs, en remontant
jufqu’au roi; mais que, par humanité, on établit
dans la fuite qu’il ne ferait plus payé de finance
aux feigneurs médiats, & que le roi feul,
comme fouverain, pourrait en prétendre une.
” 11 n’y a point de loi pofitive qui ait,affranchi de
l’obligation de demander le confentement du roi
pour accorder l’dffranchiffe'ment d’un ferf fon n’eft plus
dans l’ufage de le faire ; il fe trouve cenfé donné,
lorfque l’afre d’ajfranchijfement a-été joint à un aveu
& dénombrement fait au roi poftérieurement, &
que l’aveu a été reçu fans contradi&ion & fans blâme.
Mais fi, au lieu de rapporter dans l’aveu & dénombrement
l’aéfe iïajfranchijfement, on s’ètoit contenté
d’une énonciation vague qui n’auroit pu inftruire
fuffifammfnt les gens du roi ou le feigneur dominant
, du changement ou de la diminution du fief,
un tel aveu & dénombrement ne pourrait être op-
pofé comme ayant confirmé l’ajfranchijfement.
Il y a lieu de préfumer qu’il ne reftera bientôt plus
aucun veftige en France de la fervitude perfonnelle,
& que l’on oubliera dans les tribunaux les noms de
Jurifprudênce. Tome /.
main-morte y ferve condition, gens de pourfuite, &£...'
Les feigneurs, dans les terres defquels il en exifite
encore , imiteront fans doute la bienfaifance & l’humanité
du ro i, en profcriyant de leurs domaines
jufqu’au mot odieux de la fervitude, & en faifant.
participer tous fes fujets à la liberté à laquelle il
les appelle par fa déclaration de 17 77, portant abo--
lition de la fervitude dans tous fes domaines.
De Vajfranchijfement des biens par rapport aux charges
dues au domaine du roi. Nous avons vu plus haut que ,
parle droit féodal, non-feulement les perfonnes,
mais les biens même avoient été aflujettis à différentes
charges. Il n’y a pas de difficulté pour les
affranchijfemens des perfonnes, & l’on ne doute pas
que le roi ne puiffe affranchir fous fes ferfs, fans
qu’il foit permis à fes fucceffeurs de révoquer la
liberté ulie fois accordée, parce que cet affranchif-
fement n’eft que la reftitution d’un droit naturel inaliénable.
Mais doit-on appliquer le même principe
à Yajfranchijfement des charges impofées fur les biens ?
.Ces charges, impofitions ou redevances font une
partie effentielle & intégrante des domaines du roi,
qui, par leur nature, font inaliénables. C ’eft pour-,
quoi l’on foutient qu’en général, le roi lui-même
ne peut faire aucun affranchijfemens de droits féodaux
ou feigneuriaux dès biens du domaine, parce
qu’il n’eft qu’ufufruitier, & qu’il ne fauroit préjudicier
à fon fuccefleur à la couronne. Ainfi, lorfque
des circonftances particulières, telles que les
dépenfes néceffairesjpour foutenir une guerre ou
d’autres befoins preflans de l’état , ont donné lieu
à des affranchijfemens de cette nature, ils n’ont pu
être confidérés que comme des aliénations à faculté
perpétuelle de rachat.
Louis XIV , par fa déclaration du 28 janvier
16 5 1, accorda à ceux qui poffédoient des biens dans
la cenfive & mouvance du domaine, la faculté de,
les affranchir du paiement des lods & ventes., de
même que du quint, requint, relief, rachat & autres
droits cafuels, moyennant une finance qu’ils
paieraient pour l’indemnité du roi ; & , faute par.
les poffeffeurs de s’affranchir de ces droits, il fut
permis à toutes perfonnes de les acquérir.
Par l’édit du mois de novembre 1658, il fut dit
que les droits dont. on vient de parler, feroient
vendus & aliénés à titre d’inféodation.
Par l’édit du mois de mars 1693 » ^es ffofe, mai-*
fons, boutiques, boucheries, halles, moulins, fours,-
preffoirs & autres biens relevant du domaine, &
fitués dans les villes & bourgs fermés du royaume „
furent affranchis moyennant finance, & , à faculté
de rachat, des cenfives, rentes foncières, feigneu-
riales & autres, & , en général, de tout autre droit
& redevance annuelle en argent envers le domaine.
Par un autre édit du mois de feptembre de la même
année, le roi ordonna que Yaffrânchijfement porté par
l’édit du mois de mars précédent, aurait lieu à perpétuité
, non-feulement pour les biens fitués dans la
direfre de fa majefté, mais encore pour ceux qui'
feroient dans, la d^eéle des feigneurs particuliers ,
D d