
la même chofe qu'‘abeillage, dont nous avons parlé
plus haut. Voye^ A beillage.
ABOLITION, f. f. ( Droit public & criminel.') c’eft
en général l’a&ion par laquelle on détruit une chofe.
Dans le droit , le mot abolition peut fe confidé-
rer fous deux rapports ; i° . à l’égard des lo ix , des
coutumes & ufages ; 2°. à l’égard des crimes.
Abolition des loix, coutumes 6* ufages. A parler
ftri&ement , dans la véritable fignification des termes
, abolir fe dit plutôt des coutumes & ufages
que des loix , pour lefquelles on fe fert du mot
abroger. Le non-ufage fuffit pour l’abolition , mais
il faut tin a&e pofitif pour l’abrogation.
La coutume , dit Montaigne , eft reine & em-
périere du monde ; elle eft la loi vivante du peuple ;
elle donne le mouvement aux corps politiques ;
elle fait même quelquefois toute leur exiftence. Il
eft donc de l’intérêt d’un bon gouvernement de
fixer fes regards fur les coutumes générales & particulières
y afin 4e maintenir & de protéger celles
qui font utiles ; de laiffer tomber dans l’oubli celles
dont les inconvéniens furpaffent les avantages ;
& d’abolir celles gui font contraires à la nature ,
à la juftice , à la mreté, à la tranquillité , & aux
bonnes moeurs.
Il eft fou vent dangereux de Vouloir réformer
fur le champ les coutumes d’une nation : elles
tiennent aux préjugés , & le peuple ne change pas
aifément de manière 4e penfer, il eft même fou-
vent affez aveugle pour rejetter les avantages qu’on
veut lui procurer ; c’eft pourquoi Y abolition des coutumes
eft l’ouvrage du tems , de la perfuafion ,
de l’exemple & de l’autorité. Le tems qui dévore
tout, ne fait grâce ni aux opinions, ni aux préjugés
; c’eft lui qui a détruit un grand nombre cfufa-
ges barbares ou ridicules, utiles ou agréables, dont
rhiftoire conferve le fouvenir. La perfuafion peut
beaucoup ; & lorfque les grands, les magiftrats , &
fur-tout les gens de lettres fe réunifient pour donner
au peuple des inftru&ions , il ne tient pas long-
tems à fes erreurs. On obtient plus lurement fon
fuffrage, & on entraîne fon opinion , lorfqu’on joint
aux difcours la force de l’exemple. Le gouvernement
peut & doit ufer de fon autorité, pour détruire
une coutume contraire au bon ordre ; mais
alors il faut que Fa&e $ abolition foit parfaitement
motivé, car autrement le législateur rifque de manquer
le but qu’il fe propofe , & de compromettre
fon autorité. Nous en avons un exemple dan»*
le préjugé barbare qui force un homme à fe battre
, pour venger des propos indécens ou indifcrets
d’un étourdi ou d’un mauvais plaifant. La févérité
des ordonnances n’a pu le déraciner, on ne peut
efpérer d’en venir à bout que par la voie de la
perfuafion-, ou la voix plus puifiànte de l’exemple.
Puiflent les lumières , dont notre fiêcle fe
glorifie, defliller enfin les yeux de la noblefîe &
des militaires, & les convaincre qu’il eft plus grand
de pardonner que de fe venger ; que les Grecs &
les Romains, auxquels on ne peut refufer le titre
de braves &' de courageux , n’ont' jamais trempé
leurs mains que dans le fang des ennemis de leur
patrie î
Il eft certain que la puifiance légiflative n’eft
point infaillible ; qu’elle ne peut tout prévoir, ni
tout combiner ; qu’il eft des événemens dans l’avenir
qui échappent à l ’efprit le plus fage & le plus
pénétrant ; que lorfque les intérêts d’tin état fönt
changés , que des loix utiles font devenues nuifi-
bles par le changement des moeurs & des opinions,
il faut hâter la réforme, & abolir une loi
que les circonftances rendent inutiles ou défaVan-
tageufes : ce n?eft pas détruire , c’eft protéger l’état
& faire le bien général.
Cette opération ne peut être faite que par la
puifiance légiflative, car il n’appartient d’abolir une
lo i , qu’à celui qui a le droit de l’établir ; mais il
ne faut ufer de cette faculté', qu’avec les égards,
les ménagemens, les précautionç , & la folemnité
qu’exige la fainteté des loix. Le légiflateur doit
combiner dans fa fagefle le degré de bonté de la
loi qu’il veut introduire, avec les défavantages de
celle qu’il veut abolir ; les inconvéniens aâuels de
ce changement, avec le fruit qui doit en réfulter.
Cette comparaison eft délicate , elle exige une1
grande prudence , & une connoiflance parfaite des
lo ix , des moeurs , des préjugés , & des opinions
des peuples qu’on gouverne.
Un légiflateur doit fur-tout prendre garde de s’en
laiffer impofer par l’apparence d’un bien , qui peut
ne pas avoir dans la pratique toute la réalité que
la théorie lui fuppofe , Ou par la confidération de
l’avantage qui réfulte de certaines loix chez d’autres
nations.
Au refte , la puifiance légiflative fe trompera
rarement , lorfqu’elle s’appliquera à prefîentir la
difpofition des efprits, à décrediter inlenfiblement
l’ancienne loi & à faire defirer la nouvelle , &
qu’elle ne dédaignera pas de confulter non-feulement
les magiftrats les plus intègres, mais encore
les jurifconfultes éclairés, & les hommes qui pof-
sêdent les vrais principes de la philofophie &
l’hiftoire de leur nation. Voye^ les mots L o i
A brogation.
Abolition de crimes. abolition , en matière criminelle
, eft une grâce par laquelle le fouverain
éteint entièrement un crime, qui, félon les règles
ordinaires de la juftice & la rigueur des ordonnant
ces, étoit irrémifiible.
' Nous eonnoiffons en France deux fortes d'aboi
litiohs ; l’une générale, & l’autre privée.
Abolition générale. L1abolition générale eft une
amniftie , un pardon que le roi accorde à tine province
entière , à une ville , à une communauté ,
î pour des crimes commis contré l’autorité royale.
Cette grâce s’étend jufqu’à ceux qui font morts en
combattant contre l’autorité royale , de forte que
leur mémoire ni leurs enfans ne peuvent fournir
de leurs crimes ; elle n’a d’effet que pour les crimes
paffés , & non pour ceux qui feraient commis
dans !a fuite ; elle ne préjudicie pas à l’intérêt'
civil des perfonnes offenfées ; elle ne remet pas les
crimes particuliers qui ont été commis autrement
que dans le feu d’une émeute , d’une fédition, ou
dans les combats qu’une guerre civile occafionne ;
elle ne s’étend pas aufli aux crimes de leze-majefte,
aux affafiinats prémédités , & au crime de faux
commis par les juges dans les fondions de leur
Plufieurs auteurs prétendent même que Y abolition
générale ne doit pas avoir lieu en faveur de ceux
qui fe font rendus plufieurs fois coupables du même
crime ou qui l’ont commis dans l’efpéranee de
l’impunité. Vabolition générale n’a pas befoin de
contenir les noms de tous ceux à qui le pardon
eft accordé , elle n’eft pas fujette à l’entérinement ;
il fuffit que la loi qui l’accorde foit enregiftrée
& publiée , & dès cet inftant elle obtient une
pleine & entière exécution , qui met les coupables
à l’abri de toutes recherches.' Notre hiftoire
fournit plufieurs exemples $ abolition générale. Voyeç
A mnistie, •
Abolition privée. Vabolition privée eft celle que le
roi accorde Lun particulier, foit avant, foit après le
jugement, fur fa requête, pour un crime irrémifli-
ble de fa nature, & c’eft ce qui diftingue Y abolition,
des autres efpèces de grâces qu’on appelle rémijjion
& pardon. Car , quoique dans la plupart des difpoparoifle
confondre les lettres d’abolition, de pardon
& de rémiflion, il y a cependant entre elles une
très-grande différence, foit au fond, foit dans la forme.
Grâce, eft un mot générique, qui contient les
trois efpèces,.
Pardon, eft cette clémence dont ufe le prince
envers un homme quia participé à un crime , fans
en être ni l’auteur .ni le complice : par exemple,
celüi-là doit obtenir des lettres de pardon , qui s’eft
trouvé dans une querelle , où un homme a été
affafliné.
La rémijjion a lieu dans les cas de meurtres involontaires
, ou qui ont été commis en défendant fa
vie.S
ur la forme de ces lettres, la nature des tribunaux
à qui elles font adreflees, la manière de les
leur présenter, les formalités de l’entérinement ,
on peut confulter le titre 16 de l’ordonnance de
2670 , & les commentateurs qui en ont interprété
|es difpofitions,
U abolition eft différente ; elle fuppofe que le
crime exifte , & qu’il n’eft | pas de nature à être
remis. Le prince ufe alors de fon autorité fouve-
raine, & fait grâce au coupable. Si celui-ci eft
déjà jugé, les lettres d’abolition n’écartent que la
peine, l’infamie fubfifte. Elle ne fubfiffe pas au
contraire , fi les lettres A’abolition font obtenues
avant le jugement.
Les lettres de pardon & de rémijjion font, pour
ftinfi dire des lettres de juftice, puifqu’il n’y a pas
tin véritable délit commis par celui à qui „on les
Jurijprudence. Tome l.
accorde ainfi que nous le dirons plus amplement en
traitant les mots de Gr â c e , Pardon , 6* Rémission.
Les lettres dyabolition au contraire font de véritables
lettres de grâce,.dans lefquelles le fouverain eft
obligé d’ufer de la plénitude de fa puifiance pour
abolir la mémoire d’un crime irrémifiible, & dérober
le coupable au châtiment qu’il mérite.
Les lettres $ abolition s’obtiennent en la grande
chancellerie, font fcellées en forme de chartre ,
& en commandement ; lorfqu’elles concernent des
gentilshommes , elles font adreffées aux cours de
parlement ; fi elles ne regardent que des roturiers ,
l’adrefle en eft faite aux baillis & fénéchaux, reffor-
tiffans nuement aux cours fouveraines ; elles doivent
être préfentées dans les trois mois du jour de
l’obtention. Celui qui en eft porteur, eft obligé de
fe conftituer dans les prifons, il y demeure pendant
toute Pinftrudion de la procédure en entérinement
: c’eft lui-mênie, qui après avoir été conduit
delà prifonà l’audience, y préfente fes lettres
à genoux & tête nue : il en écoute la leéhire ;
dans cette pofture, il prête ferment que leur expofé
eft conforme à la vérité, après quoi on le reconduit
en prifonj d’où il ne fort qu’après l’entérinement
dè la grâce.
Il eft des crimes que les lettres dû abolition ne {auraient
dérober au châtiment : tels font les affafiinats
prémédités , le rapt de violence, les duels, &c.
L’article 4 de l’ordonnance criminelle en contient
la difpofition précife. Il ferait à defirer . que le
prince n’accordât jamais de lettres d'abolition. A
Dieu ne plaife qu’on veuille lui ôter le droit de
faire grâce , & au malheureux, l’efpérance de l’obtenir
! Mais les lettres d'abolition paroiflent s’éloigner
du but de toute bonne légitimation, qui veut que
le crime foit puni irrémifliblement fans exception
de perfonne , elles ont même quelque chofe qui
outrage l’humanité; car différentes en ceci des lettres
de pardon ou de rémijjion , elles ne s’accordent
qu’à de vrais criminels , & c’eft moins les circonftances
du fait', que la qualité du coupable, qui en
déterminent la conceflion 5 elles s’accorderont à
l’homme puifîant pour le même crime , qui conduirait
l’homme du peuple au gibet : c’eft un abus.
S’il falloit mettre une différence entre deux criminels
, ce devrait être pour aggraver la peine de
celui qui tient dans la foeiété un rang plus confi-
dérable, parce que fes fautes font d’un exemple
plus dangereux ; tel fut l’ufage confiant des anciens
peuples, tel eft encore celui des Chinois. Ce qu’on
pourrai! faire dans quelques cas rares , ce feroit
d’accorder de Amples lettres de commutation de
peines, à un criminel qui, par fes fervices perfon-
nels , ou ceux de fa famille, auroit mérité de
l’indulgence.
Nous avons dit que l’ordonnance exceptoit plufieurs
crimes atroces, pour lefquels on ne devoit
point accorder de lettres d’abolition ; on ne doit
cependant pas douter que le roi n’ait le pouvoir de
faire .grâce, & de donner la vie à qui il lui plaît,