
Si Famé décède fans enfans, ou devient incapable
après avoir été faifi du droit d'aînejfe t c’ eft une
fucceffion collatérale à partager entre les autres en-
fans en même temps que la direéfe, mais füivant
les règles particulières & propres à chacune de ces
fuccemons.
La coutume de Melun contient à cet égard une
difpofition fingulière ; elle attribue le droit d'aînejfe
au puîné, lorfque l’aîné décède fans enfans avant
le partage.
En général, les filles nè font point admifes au
droit d'aînejfe, & partagent également, à moins que
les coutumes, comme celles de Tours & d’Angou-
mois, n’aient des difpofitions contraires. C ’eft une
conféquence de ce que le droit d'aînejfe n’ayant
été introduit que pour conferver la fplendeur des
familles, & en tranfmettre la mémoire à la pofté-
rité avec plus d’éclat, il ne fauroit produire fes effets
dans la perfonne des filles dont le nom fe perd
lorfqu’elles le marient.
On conçoit bien que ce qu’on vient de dire ne
concerne pas la fille de l’aîné, lorfqu’il s’agit de partager
la fucceffion de fon aïeul : elle reprélente alors
fon père, & elle en exerce les droits.
Eft-il au pouvoir du père de déroger au droit d'aî-
nejfe, & d'en empêcher Veffet ? Il faut à cet égard con-
fidérer fi 'la difpofition du père concerne le droit
d’aînejfe en lui-même, ou les biens qui en font l’objet.
Dans le premier cas, c’eft-à-dire fi le père dif-
pofe du droit d'aînejfe en lui-même, fa difpofition
eft abfolument nulle, de quelque manière quelle foit
conçue, ce droit eft un bienfait de la lo i , auquel le
père ne peut valablement porter aucune atteinte.
Si le père difpofe, non du droit eh lui - même,
mais des objets deftinés a former le préciput, il faut
encore diftinguer fi la difpofition eft en faveur de
fes enfans puînés ou d’un étranger. Le père peut
difpofer de fes fiefs à titre onéreux ou gratuit en
faveur d’un étranger, parce que l’efprit de la loi
n’a point été d’anéantir le droit de propriété , ni de
prononcer contre le propriétaire l’interdiâion d’a-
-liéner, pour fàvorifer le droit d'aînejfe: mais le père
n’eft pas le maître de difpofer de ces objets en faveur
de fes enfans puînés; lorfquecela eft arrivé,
les magiftrats n’ont guère manqué d’annuller la difpofition.
C ’eft ainfi que, par arrêt du 14 avril 1654,
il a été jugé qu’un père qui avoit deux enfans, un
fils & une fille, & pour principal bien la feigneu-
rie d’Hédouville, n’avoit pu valablement donner
à fa fille une dot de 40 mille livres, qu’elle foute-
noit lui devoir être payée, fur cette terre , en con-
féquence de fa renonciation à la fucceflion , parce
que le fils aîné fit voir que cette donation abforboit
la plus grande partie de la valeur de la terre, &
anéantiffoit les effets du droit d'aînejfe établi par la
coumme, & qui lui étoit acquis dès. le moment de
fa naiffance.
Par un autre arrêt du 9 avril 1.726, rendu entre
M. Deftouy, confeiller au grand-confeil, & le
^narquis de Curzai, le parlement de Paris a jugé que
le droit d’aînejfe de M. Deftouy dans la fucceflion
de la marquife de l’Hôpital fa mère , n’avoit dû
recevoir aucune atteinte par la donation entre-vifs
qu’elle avoit faite au marquis de Curzai fon fils
puîné, & que M. Deftouy pouvoit prendre fon droit
d'aînejfe fur les biens compris dans cette donation.
Remarquons ici que, quoique nous ayons dit que
le père pouvoit donner fes fiefs à un étranger, &
priver ainfi fon fils aîné des avantages que la loi
lui accorde, ce n’eft toutefois pas une opinion uni-
verfellement reçue : le Brun, Argou & Guyot y
font oppofés , mais les raifons qui dérivent du droit
de propriété, & l’autorité de Dumoulin , de Bro-
deau , de le Camus, de Ricard & de plufieurs
autres, qui ont embraffé l’opinion que nous avons
établie, méritent la préférence.
Par une fuite de ce que nous avons dit, que le
père ne pouvoit difpofer de fes fiefs en faveur de
fes enfans puînés, il ne peut de même ordonner,
au préjudice de l’aîné, qu’il en fera fait un partage
égal. Cela a été ainfi jugé par arrêt du 14 août
1566 ; la cour, en confirmant la fentence du
prévôt de Paris du 2 novembré 1559-, ordonna
que, fans avoir égard au partage fait par Jean d’Orléans
père, les biens de fa fucceffionferoientpartagés
& divifés entre fes enfans félon la coutume
de Paris, & qu’en conféquence la moitié du fief des
oncles appartiendroit à l’aîné.
La queftion a encore été décidée de même par
d’autres arrêts du parlement de Paris, des 22 décembre
1570, 14 mars 1600, 8 mars 16 12 , 26
mars 1620 , & 8 mars 1.638.
C ’eft d’après les mêmes principes, & parce qu’il
n’eft pas permis aux pères ni aux mères de changer
l’ordre établi dans leur fuccèffion, qu’ils ne peuvent
ftipuler ,en acquérant un fief, qu’il iera partagé
comme roture. Cependant cette jurifprudence
n’eft pas univerfelle, car la coutume d’Orléans au-
torife le père à ftipuler par le contrat d’acquifition, &
même à ordonner par un aéle poftérieur, que le fief
par lui acquis fera partagé également entre fes enfans.
Il y a auffi un arrêt du parlement de Paris du 18
mars1749, qui, fur le fondement de l’article 133
de la coutume d’Artois, portant que chacun peut
vendre, engager, donner ou aliéner fes biens, fiefs,
terres, & généralement difpofer par difpofition tef-
tam en taire ou autres, de tous acquêts & conquêts ,
a. jugé que le fieur & la dame Côffin, domiciliés
& décédés à Hefdin , avoient pu valablement ftipuler
dans les contrats d’acquifition de plufieurs
fiefs, qu’ils feroient partagés par égales portions
entre leurs enfans, & en conféquence, faire par
leur teftament le partage de ces fiefs, au préjudice
du droit d'aînejfe de leur fils. L’arrêt a feulement
réfervé au fils aîné le droit de fe pourvoir pour
demander fa légitime, s’il prétendoit qu’elle fût
entamée par les difpofitions de fon père & de fa
mère. Le fils aîné, contre lequel cet arrêt a été ren-,
du, en citoit néanmoins trois autres rendus égale-
■' ment pour la coutume d’Artois le 30 juin 1702,
4 juillet 1735,&4août 1747, conformes à fes pré-
tentions. ’ . .
Au refte, fi un tiers donnoit un fief à un père
& à une mère, il pourroit ftipuler qu’il feroitpartagé
entre leurs enfans comme roture, parce cju il
peut impofer à fa libéralité telle condition qu il juge
à propos, & que même il eft le maître a en priver
entièrement l’aîné en faveur des puînés.
L'aîné peut-il renoncer à fon droit d aînejfe , & quel
eft l'effet dé cette renonciation ? Il y a deux cas ou. ,
l’aîné peut renoncer à fon droit d’aînejfe: le premier,
avant l’ouverture de la fucceffion qui y donne
lieu ; le fécond, lorfque cette fucceffion eft échue.
Si le fils aîné , avant le décès de fes père ou mère,
donnoit fon consentement à ■ des aéies par lefquels
il feroit dépouillé du droit A 'aînejfe , il pourroit ai-
fément s’en faire relever , parce que l’on préfume-
roit què le confentement n’auroit eu lieu que pour
empêcher le père de faire encore plus de préjudice au
fils.Plufieurs arrêts l’ont ainfi jugé , entre autres, un
du 14 août . 1584, rapporté par Louet.
| Charondas néanmoins eft d’avis contraire : n . dit
que le fils aîné étant majeur & n’ayant point d enfans,
peut valablement céder fon droit d'aînejfe^ à
quelqu’un de fes frères, du confentement du père
ou de la mère , de qui viennent les fiefs.
D ’autres penfént que fi l’aîné majeur confentoit,
dans le contrat de mariagé d’un puîné, que celui-ci
jouît du droit d'aînejfe, il ne pourroit fe faire relever
d’un pareil confentement ; mais cette opinion
eft contraire à la jurifprudence. L’arrêt du 14 avril
16 16 , rapporté par Auzanet, a déclare nulle la renonciation
au droitdé aînejfe faite par un aine prêtre ,
en faveur de fon frère puîné, dans le contrat dé
mariage de celui-ci, avec le confentement du père1
& de la mère.
La raifon de cette décifion eft que Ton ne peut
fuppofer que la renonciation^ de l’aîné ait été vo- ,
lontaire,’ parce que fi elle l’eût été, il eft à croire^
qu’il ne fe feroit pas pourvu pour la faire annuller.
Si l’aîné habile à Succéder renonce à l? fucceffion,
foit gratuitement, foit pour s’èn tenir au don
qui lui a été fait, il n'y a point de droit d'aînejfe
entre les puînés. C’eft ce qui réfulte des articles
27 & 310 de la coutume de Paris.1
Mais cette difpofition doit-elle avoir liéu dans
les coutumes muettes à cet égard ?
Cela ne peut être mis en queftion qu’autant que
la renonciation de l’aîné eft gratuite ; car autrement
on doit préfumer qu’il a eu la valeur de ce qui lui
appartenoit. Or le Brun', Livonière , Papôn, d’Ar-
gentré , Brodeau , Ricard , le Grand, penfent que ,
dans le cas d’une renonciation gratuite, le droit d’^
nejfe appartient au plus âgé des puînés. « C ’eft une
» maxime , en matière de fucceflion, dit le Brun,
5» que celui qui renonce eft eonfidéré comme
». n’ayant jamais exifté ; ce qui étant préfiippofé,
» il- faut dire que Taccroiffement fe failant régplié-
» rement à la mâffe de la fucceflion , &. le rerion-
1?'çant étaift réputé mort, le droit d’awejf* apparm
tient au fécond fils dans les coutumes qui n’ont
» point de difpofitions contraires ».
L’opinion de ces auteurs fe trouve fortifiée par
un ancien arrêt du 14 août 1567 , rapporté par
Papôn. H? 1 ,
Mais Dumoulin eft d’un avis tout oppofe : il établit
, comme principe général, que la renonciation
gratuite de l’aînéJ ne fait point paffer le droit d ai-
nejfe à fon cadet : il veut que ce droit accroiffe à
tous les cohéritiers. « L’aîné, dit-il, quoique ne pre-
» nant rien, n’en exifte pas moins, & nenêftpas
» moins l’aîné de la famille : il eft vrai qu’il ne
» jouira pas des droits utiles qu’il auroit pu prendre
» à ce titre dans la fucceffion de fon pere ; mais
» tous les droits honorifiques, tous ceux qui ne lui
» font pas déférés à titre fucceffif lui appartiennent
» de même que s’il n’avoit pas renonce» Nonobf-
» tant cette renonciation, c’eft en lui querefidela
» dignité de la famille, c’eft lui qui en eft le chef ;
7? enfin s’il y avoit dans la famille un fief fubftitue
37 au profit de l’aîné., ce feroit à lui feul que ce fief
37 appartiendroit ; en un mot, la renonciation a la
37 fucceffion ne peut le priver que des droits atta-
7i chés à la qualité d’héritier r or le titre;daine ne
77 lui eft point déféré par le droit héréditaire ; il le
77 confèrve, quoiqu’il ne foit pas héritier. Ce titre
77 n’eft donc pas dévolu au cadet : celui-ci ne peut
77 donc réclamer les. prérogatives attachées a cette
77' qualité ».
L’opinion de Dumoulin a été embraffee par Cho-,
pin, Tronçon , Dupleffis , Guiot, le Maiftre &
plufieurs autres ; & je la crois beaucoup mieux fondée.
que ia première. Au refte-, il eft tres-rare qu un
aîné retiôtice gratuitement & prédfément pour faire
l’avantage, de fes. puînés. Sa renonciation eft ôrdinai-
remer' l’effet de quelque don plus confidérable que
le préciput, & dans ce cas tous les auteurs font
d’accord que fa portion accroît à là fucceffion entière,
fans aucune prérogative pour le cadet.
Quelle eft la portion de V aîné réduit à fa légitime ?
Lorfqu’tin .père- réduit fon fils aîné', a fa légitimé ,
elle doit êtrey dans la coutume de Paris , de là totalité
du préciput, de la portion avantageufé dans les.
fiefs & ffancs-aleux nobles, & de la moitié de fa
' part d'ans les autres biens. Le préciput & la portion
avantageufe ne font fujets à aucune, diminution ,
parce .que, comme on l’a vu, ils appartiennent a
l’aîné en vertu d’une loi à laquelle le père ne peut
déroger. !
De même, fi un père laiffaht dans fa fucceflion
beaucoup de rotures , avoit donne le fief a lun de
; fes puînés, l’aîné pourroit, fans, fe reftreindreà fa
légitime, demander fon préciput, ainfi que fa portion
avantageufe dans le fief, & fa part entière des
rotures. On regarderoit en ce cas la donation comme
non avenue, relativement à l’aîné; & par rapport
à lui J l‘è 'fiéfi feroit'- cqnfidéré comme faifânt
encore .partie dé la'fucceffion.
■ Le puîné rhré poiifrôit même à ce fûjet prétendre J ancuhè récompenfe fur les rotures , parce que quand