
(ont fournis ou font cenfés s’être fournis à fon gouvernement.
L’une de ces conditions eft que, n’ayant
de pouvoir & d'autorité fur eux que par leur choix
& de leur confentement, il- ne peut jamais employer
cette autorité pour cafter l’aâe ou le contrat par lequel
elle lui a été déférée : il agiroit dès-lors contre
lui-même, puifque fon autorité ne peut fubfifter que
par le titré qui l’a établie. Qui annulle l’un, détruit
l’autre. Le prince ne peut donc pas difpofer de fon
pouvoir & de fes fujets fans le confentement de la
nation, & Indépendamment du choix marqué dans
le contrat de foumiffion. S’il en ufoit autrement,
tout feroit nul, & les loix le releVeroient des pro-
mefles & des fermens qu’il auroit pu faire, comme-
un mineur qui auroit agi fans connoiflance de caufe,
puifqu’il auroit prétendu difpofer de ce qu’il n’avoit
qu’en dépôt & avec claufe de fubftitution, de la
même manière que s’il l’avoit eu en toute propriété
& fans aucune condition.
D ’ailleurs le gouvernement, quoique héréditaire
dans une famille, & mis entre les mains d’un feul,
n’eft pas un bien particulier^ mais un bien public,
qui, par conféquent, ne peut jamais être enlevé
au peuple à qui feul il appartient eflentiellement, & ■
en pleine propriété. Aufli eft-ce toujours lui qui'en
fait le bail : il intervient toujours dans le contrat
qui en adjuge l’exercice. Ce n’eft pas l’état qui appartient
au prince, c’eft le prince qui appartient à
l’état : mais il appartient au prince de gouverner dans
l’état, parce que l’état l’a choifipoupcela; qu’il s’eft
engagé envers les peuples à l’adminiftration des affaires
, & que ceux-ci, de leur côté, fe font en- •
gagés de lui obéir, conformément aux loix. Celui
qui porte la couronne, peut bien s’en décharger ab-
folument, s’il le veut : mais il ne peut la remettre
fur la tête d’un autre fans le confentement de la
nation qui l’a mife fur la fienne. En un mot, la
couronne, le gouvernement & Yautorité publique
font des biens' dont le corps de la nation eft propriétaire
, & dont les princes font les ufufruitiers
les minières & les dépofitaires. Quoique chefs de
l ’état, ils n’en font pas moins membres, à la vérité,
les premiers. , les plus vénérables & les plus
puiflans, pouvant tout pour gouverner, mais ne
pouvant rien légitimement pour changer le gouvernement
établi, ni pour mettre un autre chef à leur
p'sice. Le fceptre de Louis X V pafle néceftairement
à fon fils aîné, & il n’y a aucune puiflànce qui puiffe
s’y oppofer : ni celle de la nation, parce que c’èft
la condition du contrat; ni celle de fon père par
la même raifon.
Le dépôt de Y autorité n’eft: quelquefois que pour
un temptf limité, comme dans la république romaine.
Il eft quelquefois pour la vie d’un homme feul,
comme en Pologne^ quelquefois pour tout le temps
que fubfiftera une famille, Comme en Angleterre ;
quelquefois pour le temps que fubfiftera une famille
par les mâles feulement, comme en France.
Ce dépôt eff quelquefois confié à un certain
ordre dans la fociéte; quelquefois à plufieurs
choifis de tous les ordres, & quelquefois à nia
feul.
Les conditions de ce paâe font différehtes dans
les différens états. Mais par-tout la riatiqn eft en
droit de maintenir , envers & contre tous, le con-,
trat qu’elle a fait; aucune puiflancë ne peut le changer
: & quand il n’a plus lieu, elle rentre dans le
le droit & dans la pleine liberté d’en pafler un nouveau
avec qui, & comme il lui plaît : c’eft ce qui
arriveroit en France, fi, par le plus grand des malheurs,
la famille entière régnante venoit à s’éteindre
jufques dans fes moindres rejettons ; alors le fceptre,
& la couronne retourneroient à la nation.
Il femble qu’il n’y ait que des efclaves dont l’ef-
prit feroit aufli borné que le coeur feroit bas, qui
puflent penfer autrement. Ces fortes de gens ne font
nés ni pour la. gloire du princ.e, ni pour l’avantage
de la foeiete : ils n’ont ni vertu ni grandeur d’aine. La
crainte & 1-intérêt font les reftorts de leur conduite.
La nature ne les produit que pour fervir de luftre
aux hommes vertueux ; & la providence s’en fert
pour former les puiflances tyranniques, dont elle
châtie pour l’drdinaire les peuples & les fouverains
qui offenfent Dieu ; ceux-ci en ufurpant, ceux-la en
accordant trop à l’iiomme de ce pouvoir fuprêmè
que le créateur s’eft réfervé fur la créature.
L’obfervation des lo ix , la confervation de la liberté
& 1 amour de la patrie font les fources fécondes
de toutes grandes chofes '& de toutes belles
aéîions. Là fe trouvent le bonheur des peuples &
la. véritable- illuftrafion des princes qui les gouvernent.
Là lobéiflanee eft glorieufe, & le commandement
augufte. Au contraire, la flatterie, l’intérêt
particulier & l’efprit de fervitude font l’origine de
tous les maux qui accablent un état, & de toutes
les lâchetés qui le deshonorent. Là les fujets font
miférables, & les princes haïs ; là le monarque ne
s’eft jamais entendu proclamer le bien-aïniè ; la fou-
nûflion y eft honteufe, & la domination cruelle.
Si je ralfemble, fous un même point de vue, la
France & la Turquie, j’apperçois, d’un côté, une
fociete d’hommes que la raifon unit, que la verra
fait agir, & qu’un chef également fage &• glorieux
gouverne félon les loix de la jùftice ; de l’autre , un
troupeau d’animaux que l’habitude aflemble, que la
loi de là vergé fait marcher, & qu’un maître abfolu
mène félon fon caprice.
Mais, pour donner aux principes répandus dans
cet article toute Y autorité qu’ils peuvent recevoir ,
appuyons-les du témoignage d’un de nos plus grands
rois. Le difeours qu'il tint à l’ouverture de l’aflem-
blée des notables de 1596 , plein d’une fincérité que
les fouverains ne connoiflent guère, étoitbien digne
des fentimens qu’il y porta. « Perfuadé, dit M. de
” Sully, pag. 467, j/z-40. tom. 7, que les rois ont
î> deux fouverains, Dieu & la lo i, que la juftice
” doit préfider fur le trône, & que la douceur doit
» être aflife à côté d’elle; que Dieu étant le vrai
” propriétaire de tous les royaumes , & les rois n’en
» étant que les adminiftrateurs, ils doivent repréw
fenter aux peuples celui dont ils tiennent la place ;
1 qu’ils ne régneront comme lui,, qu’autant, qu’ils
„ régneront en pères; que, dans les états monar-
„ chiques héréditaires , i) y a une erreur qu’on peut
„ appeller aufti héréditaire, c’eft que le fouverain eft
„ maître de la vie & des biens dé tous fes fujets;
„ que, moyennant ces quatre mots, tel eft notre
„ plaijîr, il eft difpenfé de manifefter les raifons
„ de fa conduite , ou même d’en avoir ; que, quand
„ cela feroit, il 11’y a point d’imprudence pareille
„ à celle de fe faire haïr de ceux auxquels on eft
„ obligé de confier à chaque inftant fa v ie , & que
„ c’eft tomber dans ce malheur, que d’emporter
„ tout de vive force. Ce grand homme , perfuadé,
„ dis-je , de ces principes que tout l’artifice du cour-
y, tifan ne bannira jamais du coeur de ceux qui lui
„ reflembleront, déclara que, pour éviter tout air
,, de violence & de contrainte, il n’avoit pas voulu
» que l’aflemblée fe fît par des députés nommés par
„ 1^ fouverain, & toujours aveuglément affervis à
y, toutes fes volontés ; mais que fon intention étoit
« qu’on y admît librement toutes fortes de perfon-
« nés, de quelque état & condition qu’elles puf-
», fent être., afin que les gens de (avoir & de mé-
» rite enflent le moyen d’y propofer fans crainte
s» ce qu’ils croiroient nécenaire pour le bien public;
» qu’il ne prétendoit encore, en ce moment, leur
» prefçrire aucunes bornes; qu’il leur enjoignoit
» feulement de ne pas abufer de cette periniflion
« pour l’abaiflement de Y autorité royale qui eft le
« principal nerf de l’état ; de rétablir l’union entre
n fes membres; de foulager les peuples; de dé-•
» charger le tréfor royal c(e quantité de dettes aux-
» quelles il fe voyoit fujet fans les avoir conrrac-
» tées; de modérer avec la même juftice les peasy
fions exceflives, fans faire tort aux néceflaires,
» afin d’établir pour l’avenir un fonds fuffifant & clair
.j) pour l’entretien des gens de guerre. Il ajouta qu’il
» n’auroit aucune peine à fe foumettre à des moyens
» qu’il n’auroit point imaginés lui-même, d’abord
» qu’il fentiroit qu’ils avoient été di&és par un ef-
» prit d’équité & de défintéreflement'; qu’on ne le
« verroit point chercher,. dans fon âge , dans fon
s> expérience & dans fes qualités perlonnelles, un
» prétexte bien moins- frivole que celui dont les
» princes ont coutume de fe fervir pour éluder les
» réglemens ; qu’il montreroit au contraire par fon
» exemple, qu’ils ne regardent pas moins les rois
j> pour les faire obferver, que les fujets, pour s’y
» foumettre. Si je faifois gloire, continua-t-il, de
j> pajfer pour un excellent orateur, jaurais apporté ici
» plus de belles paroles que de bonne volonté : mais
» mon ambition a quelque chofe de plus haut que de
J» bien parler. Tafpire au glorieux titre de libérateur
» 6» de reftaurateur de la France. Je ne vous ai donc
» point appellés, comme faifoient mes prédécefleurs,
» pour vous obliger d’approuver aveuglément mes vo-
» lontés : je vous ai fait ajfembler pour recevoir vos
» con fe ils, • pour les croire', pour les fuivre ; en un
» mot 9 pour me mettre en tutèle entre vos mains. C’eft
» une envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes
” grifes & aux victorieux , comme moi : mais l ’amour
» que je porte à mes fujets, (r l ’extrême defir que j ’ai
» de conferver mon état, me font tout trouver facile
w &■ tout honorable.
“ Ce difeours achevé, Henri fe leva & fortit
» ne laiflant que M. de Sully dans l’affemblée pour
» y communiquer les états, les mémoires & les
” papiers dont on pouvoit avoir befoin ».
On n’ofe propofer cette conduite pour'modèle,
parce qu il y a des occafions où les princes peuvent
avoir moins de déférence, fans toutefois s’écarter
des fentimens qui font que le fouverain, dans la
lpciete, fe regarde comme le père de famille, &
les fujets comme fes enfans, Le grand monarque
que nous venons de citer, nous fournira encore
1 exemple de cette forte de douceur mêlée de fer-
nieté, ii requife dans les occafions. où la.raifon
,it ** y i f f iement du côté du fouverain qu’il a droit
' “ oter à fes fujets la liberté du choix, & de ne
leur briffer que le parti de l’obéiffance. Ledit de
Nantes ayant été vérifié, après bien des difficultés
du parlement, du clergé & de l’univerfité, Henri
IV dit aux évêques : Fous m’a v e f exhorté de mon
devoir, je vous exhorte du vôtre. Fai fins bien à Venvi
les uns des autres. Mes prédécejfeurs vous ont donné
de -belles paroles; mais moi, avec ma jaquette, je vous
donnerai de bons effets : je verrai vos cahiers, & j ’y
répondrai le plus favorablement qu’il me fera pojjible.
Et il répondit au parlement qui étoit venu pour
lui Élire des remontrances : Vous me voyeq en mon
cabinet où je viens vous parler, non pas. en habit royal,
ni avec l’épée & la cappe, comme mes prédécejfeurs’,.
mais vêtu comme un.pere-de famille, en pourpoint, pour
parler familièrement à fes enfans. Ce que j ’ai à vous
dire, efl que je vous prie de vérifier l’édit que j ’ai accordé
'à-ceux de la religion. Ce que j ’en ai fa it , efl
pour le bien de la paix, je l’ai faite au-dehors, je la
veux fiire en-dedans de mon royaume. Après leur avoir
expofé les raifons qu’il avoit eues de faire ledit il
ajouta : Ceux qui empêchent que mon édit ne pajfe ,
veulent la guerre ; je la déclarerai demain à . ceux dé
l‘t religion ; mais je ne la ferai pas; je les y enverrai..
J'ai fait l’édit, je veux qu’il s’obferve. Ma volonté
devrait fervir de raifon; on ne la demande jamais au
prince , dans, un état obéiffant. Je fuis roi. Je vous parle
en roi. Je veux être obéi. Mém. de Sully, in - 4 0..
pag. 594, tom. I.
Voilà comment il convient à un monarque de
parler à fes fujets, quand il a évidemment la juftice
de fon côté : & pourquoi ne pourroit - il pas ce
que peut tout homme qui a l’équité de fon côté?
Quant aux fujets, la première loi que la religion ’
la raifon & la nature leur impofent, eft de refpeâer
eux-mêmes les conditions du contrat qu’ils ont fait
de ne jamais perdre de vue la' nature de leur gouvernement
; eh France, de ne point oublier que ,
tant que la, famille régnante fubfiftera par les . mâles*
rien ne les difpenfera jamais de l’obéiffance, d’ho-
norer & de craindre leur maître, comme celui par