
lequel ils ont voulu que l'image de Dieu leur fut [
préfente & vifible fur la terre ; d’être encore attachés
à ces fentimens par un motif de reconnoiffance
de la tranquillité & des biens dont ils joui fient à
l’abri du nom royal ; fi jamais il leur arrivoit d’avoir
un roi injufte, ambitieux & violent, de n’oppofer au
malheur qu’un feul remède, celui de Pappaifer par
leur fourmilion , & de fléchir Dieu par leurs prières,
parce que ce remède eft le feul qui foit légitime,
en conféquence du contrat de foumiffion, juré au
prince régnant anciennement, 8c à fes defcendans
par les mâles, quels qu’ils puiffent être; & de con-
fidérer que tous ces motifs qu on croit avoir de ré-
fifter, ne fo n t, à les bien examiner, qu’autant de
prétextes d’infidélités fubtilement colorées ; qu’avec
cette conduite, on n’a jamais corrigé les princes,
ni aboli les impôts ; 8c qu’on a feulement ajouté aux
malheurs dont on fe plaignoit déjà, un nouveau
degré de mifère. Voilà les fondemens fur lefquels
les peuples & ceux qui les gouvernent, pourroient
établir leur bonheur réciproque.
Autorité des loix & des auteurs. On entend au-
palais par autorité, la citation que l’on fait dans une
plaidoirie, dans des mémoires ou dans des écritures,
de la difpofition des ordonnances, des édits, des
déclarations, des coutumes, des arrêts, des ufages
& de l’opinion des auteurs, pour appuyer les pro-
pofitions ou les demandes que Eôn établit;
De l’autorité de la-loi. Il n’en eft pas tout-à-fàit
de la fcience du droit comme de la plupart des autres
fciences humaines : le plus habile en jurisprudence
n’eft pas toujours celui qui raifonne le mieux. La
décifion des difterens points qui fe préfentent à dif-
cuter, eft fouvent fubordonnée à la volonté du lé-
giftateur dont les motifs ne font pas toujours connus.
Malgré que nous n’appercevions pas la fagefle de
fes ordonnances & de fes réglemens, nous ne fom-
mes pas moins obligés de nous y conformer ; la
loi peut même 'paroître dure, mais une fois écrite,
elle doit avoir lbn exécution : lex durayfed fcripta.
S ip a r c e que telle ou telle difpofition préfente peu
d’équité aux yeux d’un jurifconfulte, il éîoit fondé
à la rejetter, la fcience n’auroit prefque plus rien
de certain : tout deviendroit arbitraire. La raifon,
affranchie de Y autorité de la lo i, feroit le plus cruel
tyran de la fociété, ou, pour mieux dire, que deviendroit
la raifon elle-même ? Chacun voudroit la
maîtrifer fuivant fes pallions ; & , au lieu de la faire
fervir d’organe à l’équité, on en feroit l’inftrument
de fes injuftices & de fa mauvaife foi.
Quand la loi parle, la raifon doit donc fe taire.
Vautorité de la loi doit néceffairement l’emporter
fur la fagefle des particuliers. En fait de jurifpru-
dence chacun doit fe défier de fa propre raifon. On
s’imagine fouvent avoir plus de lumières que les
' grands hommes, qui ont préfidé à la formation de
la loi, & c’eft une erreur de l’amour-propre. Pendant
que la loi fubfifte, elle eft le flambeau qui
doit feul nous guider: toutes les autres lumières étrangères
ne peuvent que nuire à fa clarté & nous égarer.
La meilleure autorité que l’on puifle employer
dans fa caufe eft donc celle de la loi. Mais d’oii
vient que la loi ne plaît pas également dans tous
les temps, & qu’ainfi que la beauté, elle eft fujette
à vieillir ? Quand le fouverain l'établit, fon intention
eft certainement qu’elle fubfifte jufqu’à ce qu’il
lui plaife de la révoquer : cependant combien de
loix rt’àvons-nous pas qui n’ont jamais été révoquées
, & qui maintenant n’ont ni force , ni vigueur ?
L’âge, au lieu de les faire refpeéter, femble au
contraire les avoir rendues ridicules, au point qu’on
n’ofe meme pas les citer, & encore moins les produire.
Mais tel eft le fort dés chofes humaines,
que rien ne peut leur afliirer une exiftence durable.
Si les hommes étoîent faits pour les loix, elles fubfif-
teroient autant que les hommes même ; mais ce
font les loix quifont faites pour.les hommes; elles
ne peuvent dès-lors durer qu’autant qu’elles leur
conviennent, & qu’elles s’accordent avec leurs
moeurs-aéhielles. En fait des moeurs des hommes,
il n’eft pas poflible de les tenir à l’abri du changement.
Les différentes connoiffances que l’on acquiert
changent en même temps, & la façon de penfer
8c la façon d’agir; il n’eft point au pouvoir du
fouverain d’empêcher ce changement. Jamais les
moeurs d’un fièclé n’ont été celles du fiècle qui l’a
précédé, ni de celui qui lui a fuccédé : cette révolution
, qui eft comme dans l’ordre des chofes, s’eft
remarquée dans tous les temps & chez toutes les
nations.
Ainfi des qu’une loi contrarie les moeurs aéhiel-
le s , elle éprouve un choc auquel elle ne peut ré-
fifter. Il femble que tou» les efprits tombent d’accord
pour ne la plus obferver ; le fouverain lui-
même fe voit comme forcé de .l’abandonner. C ’eft
aufli ce qui a fait dire à un homme d’efprit, qu’au
lieu de donner à chaque loi une fanftion irrévocable
, on ne devroit jamais la porter que pour un
temps ; parce qu’ordinairement une loi qui 0/ vécu
plus d’un fiècle, devient comme fujette à des infirmités
qui nécëflairçmçnt la font périr.
Quoi quUl en foit, il y a donc des loix qui, fans
être expreffément abrogées, ont perdu toute leur
autorité ; 8ç ces loix ne fauroient aujourd’hui fur-
mouter l’opinion contraire qui leur eft fubftituée,
Mais il ne fuffit pas de dire ou de croire, que
telle ou telle loi n’eft plus ufitée ; il faut que la
défuétude foit notoire oc qu’il foit exa&ement vrai
qu’elle n’eft plus en vigueur; fans quoi la loi doit-
exercer encore toute fon autorité.
Mais en fait de lo ix , une Angularité bien choquante
, c’eft que tel édit eft obfervé dans telle
partie du royaume, & rejefté dans telle autre. Ici
on obferve la loi en fon entier, là on n’en adopte
que certaines difpofitions. On ne fauroit croire
combien cette bifarrerie, qui femble tenir du caprice,
eft fatigante pour les jurifconfultes : cependant
ils font obligés de s’y conformer & d’en faire
une étude particulière. Bifarrerie qui rend encore
leur état plus intéreflant pour le public ; car tout
citoyen,
■ citoyen y qui, fans leur fecours, n’auroit que la loi
fous fes y eu x , fe tromperoit fouvent dans fes démarches
, lors même qu’il feroit le plus fcrupuleux
à fe conformer à fes difpofitions.
. De l'autorité de. la coutume. A l’égard des coutumes
, qui exiftent en fi grand nombre, & d’une
manière fi variée dans une grande partie du royaume,
elles ont autorité de loi par la fan&ion qu’y a donnée
le prince lors de leur rédaâion. Ces coutumes ne
paroiflent pas fi fufceptibles de changement que
les loix arbitraires du fouverain , &-la raifon en
eft Ample : ce font les habitans des provinces qui
en quelque façon fe les font données à eux-mêmes,
ils connoiffoient fans doute ce .qui leur convenoit,
& ce qui convient eft toujours de plus longue
durée que ce que l’on propofe aux peuples fans
les avoir confultés.' Ce n’eft pas que ces coutumes
n’aient été fufceptibles d’altération en quelques
points, mais ce font les inconvéniens qu’on n’avoit
point prévus qui fe font découverts par l’expérience
, 8c que l’on a cherché à corriger par un
ufage contraire. Il feroit à defirer qu’en procédant
à une nouvelle réda&ion de ces coutumes, on
tâchât de les rendre plus uniformes & plus certaines
, fur les articles qui s’obfervent encore. Il vau-
droit mieux fans doute, fi la chofe étoit poflible,
que comme il n’y a qu’un ro i, il n’y eût de même
qu’une loi. Mais enfin , en attendant ce qui pourra
s’exécuter un jour, il eft certain que l’opinion
particulière d’un homme privé, quelque bien rai-
-fonnée qu’elle puifle être, doit céder aux difpoii-
tions de la. loi municipale du pays. Il n’y a que les
points abrogés par un ufage contraire bien certain
qui n’ont plus d'autorité. C ’eft cet ufage lui-même
qui prend la place de la lo i, & auquel on eft obligé
de fe conformer.
On diroit en vain que les coutumes font impref-
eriptibles & qu’aucun ufage contraire n’y fauroit
donner atteinte , fous prétexte que tout ufage corn
-trairë à la coutume eft un ufage abufif : ce raifon-
nement feroit impuiffant pour renverfer les opinions
reçues : d’ailleurs il y auroit„ plus d’inconvéniens
à revènir à une ancienne pratique abrogée que de
fiiivre l’ufage aéluel.
Mais en fkit d’ufage, il ne fuflit pas de l’alléguer,
il faut qu’il exifte depuis un certain temps, qu’il
foit général & connu de tous ceux qui étudient
ou qui pratiquent la coutume. Lorfque la contefta-
tion eft pendante devant des juges qui ont leur
tribunal hors du territoire de cette coutume, 8c
qu’on fe difpute fur un ufage contraire , c’eft le
cas de fe le faire certifier par un a&e de notoriété des
juges 8c des praticiens de l’endroit. Cet aéte de
, notoriété devient enfuite un monument qui fixe
irrévocablement l’opinion commune 8c qui acquiert
force de loi.
De l'autorité des arrêts jugemens. Après les ordonnances
& les coutumes nous mettons au rang
des autorités les arrêts 8c les jugemçns. En fait d’arrêts,
il y en a qui ont force de lo i;'d ’autres qui
Jurisprudence. Tome /.,
ne font que de Amples préjugés; d’autres enfin qui
ne font que des décifions paflagères.
Les arrêts qui ont force de lo i , font ceux qui
font publiés en forme des réglemens. Comme ces
arrêts font rendus avec connoiffance de caufe, on
ne peut s’empêcher d’en fuivre les difpofitions. Cependant
lorfqu’ils n’ont été provoqués que par des
circonftances particulières, ils ne s’exécutent "plus
avec la même rigueur, quand ces circonftances ont
difparu. Il y en a même qui tombent quelquefois
dans une entière défuétude & dans l’oubli : mais
à moins qu’ils n’aient entièrement perdu leur vigueur
, par un défaut d’ufage depuis long-temps,
on doit toujours les refpeéter en s’y conformant.
A l’égard des arrêts rendus entre particuliers fur
différens points de droit conteftés, ce font ce qu’on
appelle des préjugés, parce qu’en les citant dans les
efpèces qui fe repréfentent, on les emploie pour
indiquer que la même queftion a été jugée de telle
façon auparavant. Ces préjugés n’ont pas abfolument
par eux-mêmes force de loi. Cependant, comme
il eft intéreflant'pour les citoyens que les décifions
dont ils font informés puiffent leur fervir de règle
dans leurs affaires, les cours ont l’attention de fuivre
la jurifprudence qu’elles ont une fois adoptée,
afin de tirer de l’arbitraire le plus de queftions qu’il
eft poflible. Ces préjugés ne font, à proprement
parler, propofables que fur des points de droit ou
de coutume clairement décidés ; 8c encore fàut-il,
pour qu’on ne puifle s’en écarter, que la même
queftion ait été ainfi jugée par plufieurs arrêts
confécutifs.
Quand une fois la jurifprudence eft fixée, elle
acquiert force de loi. Elle varie quelquefois; mais
c’eft lorfqu’elle entraîne des inconvéniens dont on
ne s’étoit point douté dans l’origine, ou qu’on parvient
à découvrir qu’une nouvelle jurifprudence
feroit plus fage & plus conforme à l’équité. A moins
de grands motifs pour la changer, elle doit demeurer
confiante, autrement les procès fe multiplie-
roient à l’infini.
Il eft pourtant à propos d’obferver qu’en matière
criminelle les préjugés ne font pas de la même
confédération , qu’en matière civile. Mille circonfi.
tances, qui fouvent ne font connues que des juges,
peuvent porter à prononcer différemment
lur le fort des accufés dans le même genre d’ac-
eufation.
Quant aux arrêts dont les décifions roulent fi.r
des faits particuliers, il eft reconnu qu’ils ne fort
loi que pour ceux qui les ont obtenus. En vain
les citeroit-on pour exemple ; parce que , comme
l’obferve très-bien le célèbre Dumoulin, le moindre
changement dans le fait, opère ur> changement
confidérable dans le droit. En un mot, c’eft de ces
fortes d’arrêts qu’on peut dire que c’eft fur la lo i,
& non fur les exemples qu’on doit fe régler; non
exemplis fed legibus judicandum.
Indépendamment de la jurifprudence générale
qui peut rèfulter des préjugés tirés des arrêts, il
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