
les caufes j en matière criminelle , ètoient portées
devant le tribunal des Héliaftes, - juges ainii nommés
, parce qu’ils tenoient leurs affemblées dans un
lieu découvert. Iis s’affembloient fur la convocation
des Thefmothètes, au nombre de mille & quelquefois
de quinze cens , & donnoient leur fuffrage
de la manière fuivante. Il y àvoit une forte de
vaiffeau fur lequel étoit un tifiù d’ofisr , & par-
deffus deux urnes, l’une de cuivre & l’autre de
bois ; au couvercle de ces urnes étoit une fente
garnie d’un quairé long , qui, large par le h a u tfe
rétreciffoit par le bas, comme nous le voyons à
quelques troncs anciens dans les églifes: l’urne de
bois étoit celle où les juges jettoient les fuifrages
de la condamnation de l’accufé ; l’urne de cuivre
recevoit les fufFrages portés par Yabfolution. Avant
le jugement on diftribuoit, à chacun de ces ma-
giftrats , deux pièces de cuivre , l’une pleine &
l’autre percée : la première pour abfoudre , l’autre
pour condamner ; oc l’on décidoit à la pluralité des
pièces qui fe trouvoient dans l’une ou l’autre des
Ornes.
Notre jurifprudence s’eft éloignée de cette forme
fimple de prononcer fur le fort d’un accufè , que
Saint Louis avoit établie, ainfi que nous l’avons remarqué
, en parlant de la lettre A , au commencement
de cet ouvrage. Aujourd’hui le préfident d’un
tribunal, où l’on a inftruit le procès d’un accufè,
recueille les voix de tous les juges préfens ; & fi
ceux qui opinent pour la condamnation ne font
qu’égaux en nombre à. ceux qui opinent pour
Yabfolution, l’avis de ces derniers eft préféré , parce
qu’en matière criminelle on n’admet point de
partage , & qü’on a toujours penfé qu’il valoit
mieux abfoudre un coupable , que de condamner
wn innocent.
De la forme de Vabfolution dans notre procédure
attuclle. Nous connoiflbns trois manières de prononcer
fur le fort d’un accufè, dont le crime n’a
pas été prouvé. La première & la plus favorable
à l’accule, eft de le décharger abfolument de l’ac-
cufation : elle contient une véritable abfolutïon,
& l’accufé demeure integri flatûs, Il conferve tous
les droits qu’il avoit auparavant, enforte que s’il
étoit continué dans les ordres facrés, ou revêtu
d’un office, il en exerce les fondions avec la même
liberté & le même honneur que s’il n’avoit
jamais exifté contre lui un titré d’accufation.
La fécondé manière eft de mettre l’accufé hors
de cour & de procès : cette forme de prononcer
eft auffi une véritable abfolutïon, qui met l’accüfé
à l’abri de la cenfure de la juftice ; mais elle ne
renferme pas une juftificatiqn complette aux yeux
du public, ni même de la lo i , qui ne juftifie pas
l’aceüfé, mais qui fe contente de ne le pas condamner
: elle ne laifle aucune refîburce à l’accufé pour
prétendre contre fon aecufateur ou fon dénonciateur
, des dommages & intérêts, parce qu’elle emporte
avec elle des foupçons légitimes contre l’aecufév
La troifième manière eft de prononcer par un
plus amplement informé, dont nous avons fait deux
efpèces, l’un circonfcrit par un certain efpaCe de
temps, comme trois mois, fix mois , un an: l’autre
perpétuel & indéfini, c’eft-à-dire , fans aucun terme
fixe ; quelquefois on ordonne par le même jugement
, que l’accufé tiendra prifon ou, qu’il fera
élargi, à la caution juratoire de fe repréfenter..
Le plus amplement informé a lieu, lorfque les
faits ne font pas allez éclaircis, ni les preuves allez
fortes pour abfoudre ou pour condamner ; loin de
contenir une décharge de l’accufation , il laifle toujours
l’accufé in reatu, c’eft-à-dire, dans les liens
de la juftice , & dans le péril continuel d’être condamné
à une peine capitale, fi pendant le temps du
plus amplement informé il furvient de nouvelles
charges.
Examen de la nature du plus amplement informé.
Tous ceux qui ont écrit fur les matières criminelle
s, à l’exception de M. Joufle dans fon traité de
la procédure criminelle , ont regardé lé plus amplement
informé indéfini, comme une peine plus
rigoureufe que les galères ; & ils ajoutent, que
dans le cas d’un partage d’opinion entre ces deux
peines, l’accufé fubiroit celle ' des galères , comme
la plus douce.
Nous penfons que cette opinion a été àdmife
légèrement, & qu’elle eft contraire aux principes.
Son examen -, ainft que tout ce qui a trait à la matière
du plus amplement informé, ferait traité plus
à propos fous ce mot. Mais comme nous touchons
peut-être au momènt de la rèformation du code &
de la procédure criminelle, nous croyons devoir
placer ici les raifons contraires aux lentimens des
criminaliftes, qui regardent le plus amplement informé
indéfini, comme une peine plus rigoureufe
que celle des galères, .
Nous convenons d’abord que dans le plus amplement
informé indéfini, ou pour parler le langagé
ordinaire , le plus amplement informé ufque quo , les
foupçons contre h’accufé font plus violens que
dans le plus ample informé à temps ; mais il n’en
réfulte pas moins , dans ces1 deux efpèces , que l’ac-
cufé n’eft pas convaincu, & que le juge ne peut
lui faire fubir le châtiment, que la loi ne prononce
que contre ceux qui font déclarés coupables.
Dans l’un comme dans l’autre, la religion du
juge n’eft pas fuffifamment éclairée : les préemptions
font affez fortes pour en induire que l’aceufé
peut être l’auteur du crime qu’on lui impute, mais
la preuve n’en eft pas fuffifamment acquife pour
l’en déclarer atteint & convaincu : l’un & l’autre
répondent donc au non liquet des Romains ; le juge
ne voit pas clairement fi l’accufé eft innocent ou
coupable ; il accorde à l’accufateur 8c à la partie
publique, un nouveau délai, pour fournir & amaf-
fer leurs preuves , & que ce délai foit fixé ou indéfini,
le jugement du plus ample informé ne
Contient rien autre chofe.
Il èft bien vrai que la fituation de l’accufé dans
le plus amplement informé ufque quo eft cruelle St
accablante , qu’elle le laifle fous le lien de la juftice,
dont il voit toujours le glaive fufpendu fur
fa tête : mais en peut-on conclure que, fi une partie
de fes juges le condamne aux galères, cet avis
doit pafler comme le plus doux, oc contenant une
peine plus légère ?
La fituation de l’accufé , renvoyé avec un
plus amplement informé, même indéfini,.ne nous
paroît pas différente de celle de l’accufé que le
juge, fur le vu des charges & informations, décrète
d’ajournement perfonnel, ou de prife de
corps: on peut leur appliquer les mêmes raifons
que les criminaliftes emploient pour regarder le
plus amplement informé, comme une peine plus
lêvère que celle des galères.
Le décret de prife de corps fur-tout, ne doit être
lancé par le juge, principalement s’il s’agit d’un
domicilié, que dans une accufàtion grave, & dont la
peine doit être affliétive ; par conféquent l’accufé,
décrété de prife de corps, ainfi que celui qui eft
renvoyé avec un plus amplement informé, eft dans
le cas de craindre une peine capitale : dirons-nous,
dans cette efpèce, qu’il feroit plus doux pour lui
d’avoir été condamné aux galères, parce que cette
peine aflùre la v ie , & que le décret le met dans,
le péril d’être condamne à mort ? Cette idée paraîtrait
révoltante :- le décret, nous dira-t-on, n’eft
introduit que pour empêcher la fuite de l’accufé ;
mais il feroit injufte de le condamner, parce que ,
dans l’événement de la p ro céd u re il peut arriver
qu’il foit juftifié des crimes qu’on lui impute; Eh
bien! que peut-on dire de différent dans le plus
amplement informé ufque quo ? Le juge croit avoir
des préfomptions affez fortes pour laitier l’accufé
in reatu; mais il ne le croit pas entièrement coupable
, & il peut arriver que dans la fuite il procure
des preuves de fon innocence; faudra-t-il donc,
pour le délivrer de la crainte de la mort , lui faire
ftibir une peine affliétive, parce qu’il y a eu partage
d’opinions parmi les juges ?
Mais allons plus loin : la loi civile & naturelle
défendent aux juges d’infliger aucune peine, lorf-
qu’il ri’eft pas prouvé que l’aecufê foit coupable ;
& auffi dans tous les jugemens de condamnation ,
on commence par déclarer l’accufé atteint & convaincu
, & on ne prononce la peine déterminée
par la lo i, que pour la réparation du crime commis
par raccufé, & prouvé par les témoins.
Si l’on admet qu’en cas de partage d’opinion entre
un plus amplement informé ufque quo, & la
peine des galèfês, l’opinion de la peine des galères
doit fixer le jugement, comme moins rigoureufe;
on va directement contre l’intention & le
texte de la loi..
De deux chofes pmefj ou le crime dont l’accufé
eft prévenu, ne mérite que la peine des Galères ,
ou il exige une peine capitale. S’il n’eft dans le cas’
detre puni que par les galères, le jugement qui
le renvoie avec un plus amplement informé,même.
indéfini, eft plus doux que celui qui lui. inflige
la peine même, puifque dans le moment il
l’y fouffrait, & qu’à tout événement il ne peut pas
fubir une peine plus grave : d’où il fuit que, dans
cette fuppofition , le plus amplement informé, con-
fidéré même comme peine, eft plus doux que la
condamnation aux galères, & conformément à
l’ordonnance, cet avis doit former le jugement.
Le crime dont l’accufé eft prévenu, mérite-t-il
une peine capitale? Par quel motif le condamnerez
vous à fubir celle des galères ? Le juge ne peut
pas , fuivant la forme ordinaire , déclarer, dans ce.
jugement, que l’accufé eft atteint & convaincu du
.crime qu’on lui impute, & que pour réparation
il le condamne-aux galères. i°. Cette énonciation
feroit contre la vérité, puifque la moitié de fes
juges ne croit pas la preuve complette. 2®. La fen-
tence feroit injufte,. puifqu’elle ne prononcerait pas.
la peine décernée par la lo i, & que requiert ht.
vindicte publique. Dira-t-on que l’accufé eft violemment
foupçonné d’un crime qui le conduirait
à la mort, fi dans la fuite il étoit prouvé , & que
pour le délivrer de cette crainte, & pour le punira
s foupçons auxquels il a donné lieu, on a jugé
plus convenable de lui faire expier les préjugés
qu’on a conçus contre lui, par une condamnation
aux galeres à temps? Quel nom donnerions-nous,
à un pareil jugement ? Magiftrats & jurifconfultes „
eonfuîtez la raifon & la juftice ; écoutez votre propre
coeur, & prononcez enfuite. Vous conviendrez
fans doute, que le plus amplement informé-
ufque quo eft un abus ; qu’il eft injufte de laitier un
accufè pendant toute fa vie dans l’humiliation &:
dans la, crainte, fous le fimple prétexte qu’il peut- ■
être un jour déclaré coupable, & que nous de-
vrions, à l’exemple des Romains , fixer un terme ,
a l_expùati°n duquel Yabfolution foit acquifc de:
droit. C ’eft ce que nous tacherons de prouver ait
mot PLUS AMPLEMENT INFORMÉ. Voye^ INFORMÉ ,
(plus amplement.} Revenons aéhiellement aux principes
fur la matière de Yabfolution.
De l effet de l abfolutïon., L5abfolutïon prononcée
par un jugement définitif, & dont il ne peut y-
avoir d’appel, libère entièrement l’accufé, enforte:
qu’il ne peut plus être Recherché pour, îè même crime
, fous prétexte qu’il ferait fûrvenu de nouvelles
preuves : car- c’eft une maxime inviolable en
France, dit M. d’Aguetieau, tome ÏJr,pi i-Si3 qu’on ne-
fait pas une féconde fois le procès à un même accufè
pour le même crime , fuivant la règle non bis in idem.,
Mais il faut que Yabfolution ait été prononcée
par un jugement conforme aux loix, & fur une^
procedure régulière : en effet, la procédure étant’
nulle, lé jugement qui eft intervenu eft également-
nul, fuivant la maxime , quod'ipfb jure nullum efly.
nullos parït effèéhts, & ç’éft ce qui a* été" iuoé nat'
plufièurs -arrêts., *
La. règle non bis ih idem reçoit une féconde exception
, ■ lorfque Yabfolution a été'obtenue par coî—
lufion , c’eft-à-dire, lorfque fur une accufàtion d’uns
crime atroce qui emporte peine affliétive ^L’àc.cjjfèi