
les parties.- Voici l’exemple d’une indifcrétion auffi
marquée qu’on puiffe en trouver da la part de deux
officiers de juftice en pareille occafion.
Le fieur Turle, bourgeois de la ville de Noir-
Moutier en Poitou, confulté par un particulier fur
le parti qu’il prendroit au fujet d’une nouvelle re-
connoiffance qu’on lui demandoit à la feigneurie de
l’endroit, dans un temps où fes titres,.pour foire
cette reconnoiflance, étoient incendiés, répondit,
qu’il falloit Simplement remontrer ce fait, & demander
qu’on lui donnât, .à fes frais, copie des titres
du feigneur, & qu’il feroit la reconnoiflance.
Le particulier répéta à Y audience ce que le fleur Turle
lui avoit diète ; Le juge fit en conséquence arrêter
à Initiant ce particulier , & les- huifiiers le condui-
firent au gouvernement.
Après Yaudience, le juge & le procureur fifcal
montèrent au gouvernement : ils y trouvèrent le
fleur Turle qui avoit donné le confeil au particulier;
le gouverneur prit fa canne & en frappa ce
bourgeois pour avoir donné ce confeil. La canne-
pafla enfuite au juge .qui en fit le même ufage, &
pour terminer la fcène, le fleur Turle fut conduit
en prifon.
Plainte du procédé en la . fénéchauflee de Poitiers.
Le gouverneur, le juge, le procureur-fifcal,
le greffier & un garde des eaux & forêts furent
enveloppés dans les charges & informations. Dér
cret contre les accufés : appel de leur part : arrêt :
du n mai 1740, qui fit défenfe de récidiver, fous
peine de punition corporelle , interdit le juge, le
procureur-fifcal & le greffier, de leurs fonctions
pour quatre ans, les condamna folidairement avec
le gouverneur à fix mille livres de dommages, intérêts
& aux dépens, avec permiffion au plaignant
de foire imprimer, publier & afficher l’arrêt, &c.
Il ne faudroit pourtant point prendre pour injure
la mercuriale qu’un juge feroit à une partie,
à un procureur, à un huiffier en pleine audience.
Il a droit de remontrer, lorfque l’occafion s’en
prélente ; il eft même de fon devoir de le foire,
& il efl à l’abri de tout reproche lorfqu’il le fait -
fons paffion.
4°. De la retenue & circonfpeftion recommandées
aux avocats. A l ’égard des avocats & de tous ceux •
qui ont droit de porter la parole h. Y audience, les
ordonnances veulent qu’ils foient particuliérement
réfervés envers les parties contre lefquelles ils
prêtent leurs miniftères. Le champ de Thémis ne
doit point être pour eux une arène de gladiateurs.
S i, avec le droit le plus légitime, on ne pouvoir
fe pjéfenter au temple de la juftice, fans y recevoir
des affronts qu’on n’auroit point mérités, on
aimeroit fouvent mieux renoncer à fes prétentions,
que de les exercer, en foutenant les excès de l’injure
& de la calomnie. S’il leur échappe donc.,
difoit en 1707 M. Portail, avocat-général, des
expreffions trop hardies ou trop peu ménagées, il
eft de la religion du magiftrat- à qui appartient la
police de Y audience, de venger la dignité de fon
tribunal, en les avertiflant de leur devoir, ou en
leur impofant fllence. Il ajoute cependant qu’au
milieu de ces règles de bienféance, il ne fout pas
toujours retenir dans une contrainte fervile, ce s
grands orateurs qu’une jufte indignation tranfporte
quelquefois. Il eft une noble hardiefle qui dans
l’occaflon^ fait partie de leur miniftère, fur-tout
lorfqu’il; s’agit de repoufler l’impofture & la calom-
nie, fans quoi ils feroient obligés de borner leurs
fondions à un récit froid & ftérile dans des caufes
où il fout de la chaleur & de l’âme pour en hâter
le fuccès. Mais ces circpnftances à part, on doit
ufer de là plus, grande modération. L’ordonnance
de Charles V I I , de l’an 1440, recommande la plus
grande retenue , & lorfque l’avocat y manque, il
eft dans le cas d’être pris à partie. Sur quoi nous
obferverons que s’il y a eu de fa part des expreffions
peu ménagées dans la chaleur de la plaidoi-
r ie , & qu alors la partie préfente n’en ait point
demandé fur le champ réparation, elle n’eft plus*
recevable lui foire de procès à ce fujet. C ’eft ce
qui a été décidé par arrêt du 14 février 1750, en
faveur dun avocat du fiège de Mayenne, contre
l’avocat fifcal de la juftice' d’AVerton.
5 . Des délits commis à l audience. On juge, plus
fevérement les délits qui fe commettent à Y audience
, par des particuliers qui y viennent fous
pretexte de sinftruire ou de fatisfoire leur curio-
flté, que ceux qui fe commettent ailleurs. Les juges
qui tiennent Y audience, peuvent foire arrêter le
coupable furpris en flagrant délit, lui foire fon procès,
& le condamner avant de défemparer l’auditoire.
Quoique 1 inftruéfion des procès criminels ne
foît point dévolue au lieutenant civ il, dans les
fièges où il y a un lieutenant criminel, cependant
il peut foire en pareil cas, le procès au coupable
arrête ; ceci lui eft permis pour venger l’honneur
de fon tribunal, & pour rendre le châtiment plus
fenfible par un exemple prefque auffi prompt que
la faute même. I
Il fut volé le 29 août 1733 ? mouchoir à
une audience de la grand’chàmbre du parlement
de Paris. Ce vol excita du bruit; on fe faifit de '
la perfonne de 1 accufé. M. l’avocat général rendit
fur ie champ plainte du fait.- L ’aecufé fut interrogé ,
on entendit en dépofltion les afliftans qui s’étoîent
apperçus du vol.'Immédiatement après; on procéda
au récolement & à la confrontation : on délibéra
, & par arrêt du même jour, fans qu’on eut
quitté le fiège , le coupable fut condamné à la fié- ;
triflùre & a trçois- ans de galère ; la circohftance
du lieu où le délit avoit été commis, fut aggra-'
vante , fans quoi on fe fût vraifemblablemerlt
borné à la flétriflùre & à un banniflement. Il y a
d autres exemples dé punitions auffi promptes, prononcées
en pareil cas.
Des affaires qui ne fe portent pas à Vaudience. Nous
avons dit, au commencement de cet article, que
la juftice ne devoit être adminiftrée que dans Ten- >
droit confocré fpécialement à cet effet. Mais cette
reçoit • plufieurs exceptions, que nous allons
détailler.
i°. Des affaires appointées. Il eft un certain genre
d’affaires qui ne peuvent fe juger fur le champ., &
cjui demandent un examen particulier, ..telles font
celles qui préfentent des queftions difficiles fur des
points de droit, ou dans lefquelles il y a un grand
'nombre de pièces à éxamineri
’ ' Ces fortes d’affaires s’appointent ordinairement,
c’eft-à-dire quelles fe remettent entre les mains
d’un des juges, qui les examine feul en particulier ,
fait un extrait des pièces & des moyens refpeétifs,
forme fon rapport devant les autres juges, qui délibèrent
&. rendent entre eux un jugement.'' Voye^
A p po ih t em en t .
Ce jugement ne fe prononce pas publiquement,
cependant il doit être rendu à l’auditoire, ou dans
une chambré deftinée particuliérement au jugement
des affaires de rapport , qu’on appelle la. chambre
flîi confeil.
Il eft même. néceflaire qu’une affaire ait été plai-
dée publiquement, avant d’être appointée ; c’eft la
difpofition précife de l’ordonnance de 1667.
Lorfque au lieu de l’appointement, les juges fe
.contentent d’ordonner un délibéré , ils peuvent
examiner l’affaire dans un lieu différent de l’auditoire
v public ; mais le jugement fe prononce ou à
Yaudience dans laquelle orf a prononcé le délibéré,
ou à Y audience, fuivante.
a0. Des affaires criminelles. On diftingue dans
notre procédure a&uelle les affaires du grand &
du petit criminel : celles du grand criminel, qui
s’inftruifent par récolement & confrontation des
témoins, doivent fe juger , à la vérité, dans.l’auditoire
ou dans une chambre deftinée à cet effet;
mais le. jugement ne fe rend pas fous les yeux du
public : celles du petit criminel, où il ne peut y
avoir lieu à aucune peine affl.iâive ou infamante,
fe décident dans Y audience publique de la même
manière que les affaires civiles.
Cette forme de procéder au jugement des caufes
de grand criminel eft-elle conforme à l’exaéle juftice
? Eft-elle propre à procurer aux juges les lumièresnècëflàires
pour décider de la vie & de
l ’iionneur d’un accufé? Cette queftion vient d’être
traitée depuis peu par plufieurs. jurifconfultes, qui
•ont embrafle à cet égard diverfes opinions.
. M. Vermeil, dans fon Effet, fur les réformes à
ffïirç dans notre législation criminelle, veut: « qu’auffi-
v tôt que le procès criminel aura été réglé à l’ex-
v traordinaire , l’infiruètioh devienne publique ; que
v les témoins foient obligés de confirmer, de
» modifier ou rétraâer leur témoignage en pleine
» qiuWience ; que l’accufé, affifté de fon confeil,
» puiffe les reprocher, ou les réfuter publique-
» ment, après avoir entendu la leélure de leurs
V dépofitions >j.
M. Boucher d’Argis, confetller au châtelet de
Taris p dans- fes Obfervaùons fur les loix criminelles,
prétend-ail contraire : « que ce feroit expofer au
n mépris un homme qui peut être injuftement ac-
» eufe ; qu’un citoyen ne paroîtroit pas plutôt
jj devant ion juge, que fa captivité feroit publique,
» fon honneur anéanti & ion crédit ruiné ; que
jj la juftice feroit en danger de voir journellement
jj arracher de fes mains les coupables dont la fo-
jj ciété' attend la punition jj.
M. de la C roix, dans le chap. 21 de fes Réflexions
philofophiques. fur T origine de la civilifation, & fur
les moyens de remédier aux abus qu’elle entraîne,
prouve fons peine que les motifs indiqués par M.
Boucher d’Argis, ne font que des prétextes vains,
appuyés fur de fimples conjeélures & fur dés
craintes frivoles. Nous ajouterons même qù’ils
n’ont été fentis par M. Boucher , que par l’habitude
dans laquelle il a été de voir & de fui-
vre lui - même une pratique contraire ; car nous
ne pouvons pas nous diffimuler que les magiftrats
les plus intègres & les plus éclairés tiennent à
leurs ufages & à leurs préjugés; qu’ils ont de là
peine à contrafter de nouvelles habitudes, & qu’il
leur eft très-difficile de fubftituer une pratique nouvelle
à celle qu’eux & leurs prédécefleurs ont toujours
fuivie. Le procès-verbal de la conférence des
ordonnances de 1667 & de 1670, nous fournit
plufieurs preuves convainquantes de cette vérité.
M. de la Croix n’adOpte pas néanmoins en en*
tier le fentiment de M. Vermeil, il n’admet la publicité
des jugeméns criminels qu’après l’inftru&ion
entière du procès, & ce n’eft qu’après le récolement
& la confrontation, qu’il fouhaite qu’on né
fafle plus a l’accufé & à fon confeil un myftèré
de la procédure ; il excepte même de cet avantage
les aeeufés ' déjà repris de juftice, & punis antérieurement
d’une peine affliétive, les vagabonds,
les voleurs 8c aflaffins pris en flagrant délit, &
ceux qui dans leurs interrogatoires ont fait l’aveu
circonftancié de leurs crimes.
Mais il defire en même temps, qu’un accufé
ne foit décrété même d’ajournement perfonnel,
que fur l’avis de trois juges, Si qu’il ne foit interrogé
& confronté qu’en préfence d’un nombre de
juges, égal à celui qui eft néceflaire pour l’àbfoudre
ou le condamner.
Nous avons rapporté avec plaifir les opinions différentes
des jurifconfultes qui ont écrit pour foire
connoître les réformes qu’on defireroit dans la procédure
criminelle que nous fuivons. On ne peut
donner trop de louanges à ceux qui, frappés des
abus qu’ils ont fous les yeux, élèvent leur voix pour
les faire connoître -du légiüateur, & lui porter les
voeux des bons citoyens : mais c’eft à lui feul qu’il
appartient de pefer, dans fo fogefle, les inconvé-
niens d’une, loi ancienne, avec les avantages que
peuvent procurer les réformes qu’on lui demande»
Qu’il nous foit cependant permis d’expofer aux
magiftrats fupérieurs les réflexions que nous ont foit,
naître les fentimens oppofés dont nous venons dô