
Ils ne pouvoient en conféquence y cont'raâer un
mariage légitime : ils étoient privés de la puiffance
paternelle fur leurs enfans, du droit de patronage
lur leurs efclaves, .du privilège de la prefcription
8c de celui de la milice. Ils ne pouvoient ni donner
ni recevoir par teftament : lorfqu’ils venoient à mourir,
leur fucceflion appartint d’abord aux hôtes qui
les avoient reçus • dans leurs maifons : & elle fut
.dans la fuite déférée au fifc, comme bien vacant.
Ces mêmes peuples, confidérant qu’ils pouvoient
recevoir des fecours & des confeils d’étrangers remplis
de talens & de qualités éminentes 8c fupérieu-
res, fe déterminèrent peti-à-peu à donner le droit
de bourgeoise à ceux qu’ils jugeaient devoir être
utiles à la république. Mais à Athènes1 & à Rome,
on obfervoit avec rigueur plufieurs formalités pour
cette admifîion. On examinoit devant le peuple les
vertus 8c les mérites de "ceux qui follicitoient le droit
de citoyen. On étoit fort févère dans cette information
, mais particuliérement les Romains qui pu-
niffoient du dernier fupplice ceux qui avoient obtenu
le droit de bourgeoifie fur un faux expofé : ce
qu’ils appelloient crimen peregrinitatis.
Du droit d’aubaine fuïvant l’ancien droit françois.
A l’exemple des peuples anciens, le droit <faubaine
s’eft introduit dans la France 8c dans toutes les contrées
de l’Europe.
Quelques auteurs prétendent qu’il eut lieu pour
la première fois parmi nous vers le milieu du douzième
fiècle, en haine des Anglois, d’où ils pen-
ient qu’il a été appellé alkinatus, à caufe que l’ifle
d’Angleterre portoit le nom d’Albion. Par repréfailles,
Edouard III fit défenfes aux François d’habiter
l’Angleterre, fous peine de la vie.
Quoi qu’il en fort de cette étymologie particulière,
il paroît plus probable que le mot aubain eft
dérivé des mot,s latins alibi natus, né ailleurs.
On diftinguoit, dans ces temps éloignés, deux
efpèces d’aubains. La première étoit compofée de
ceux qui quittaient le dioeèfe ou la châtellenie où
ils étoient nés, pour aller s’établir . ailleurs : la fécondé
, de ceux qui, nés en pays étranger, venoient
fixer leur demeure dans le royaume. On appelloit
ces derniers mécrus ou méconnus, comme ne pouvant
être crus fur leur origine.
Quant aux aubains de la première efpèce, s’ils
ne reconrioiffoient pas un feigneur dans l’an & jour,
ils payoient l’amende au baron dans la châtellenie
duquel ils avoient établi leur domicile ; 8c, s’ils décé-
doient fans laitier au baron quatre deniers, tous leurs
meubles, après leur décès, lui étoient acquis : c’efi
la difpofition textuelle du chapitre 87 du premier
livre des Etablijfemens de S. Louis.
« Se aucuns hons étrange vient efter en aucune
» châtellenie de aucun baron, 8c il ne faffe feigneur
v dedans l’an 8c jour, il en fera exploitable au ba-
» ron : & fe avanture étoit qu’il mourut, & n’eut
v commandé à rendre quatre deniers au baron, tuit
v. il meubles feroient au baron ».
Quant à l’autre efpèce d’aubains, favoir, ceux
nés en pays étrangers, qui venoient s’établir dans
le royaume , ils étoient traités très-durement par
les feigneurs dans les terres defquels ils venoient
s établir ; 8c, dans plufieurs provinces du royaume,
U étoit d’ufage que les feigneurs les réduififfent à
l’état de feras ou main-mortables de corps.
Nos rois ayant affranchi de la fervitude de corps
non-feulement les habitans de leur domaine, mais
encore ceux des grandes villes, ils firent ceffer,
par rapport aux étrangers, un ufage aufîi contraire
à l’humanité , au droit des gens, & à l’intérêt même
du royaume ; ils prirent les aubains fous leur avoue-
rie ou prote&ion royale. Dès qu’un aubain avoit reconnu
le ro i, ou lui avoit fait aveu , il confervoit
fa franchife, & étoit à l’abri des entreprifes & des
violences des feigneurs particuliers : l’ufage même
s’établit fuccefîivement en plufieurs lieux, que les
aubains ne pourroient fe faire d’autre feigneur que
le roi feul : & cet ufage eft prouvé par le chapitre
31 du premier livre des Etablijfemens de S .
Louis.
Ce chapitre fait à la vérité connoître qu’il y avoit
encore alors, dans le royaume, des provinces où
il en étoit ufé différemment : & l’on voit qu’au commencement
du quatorzième fiècle, plufieurs feigneurs
en France étoient en poffefiion de recueillir
la fucceflion des non-régnicoles décédés dans leurs
terres : c’efi ce qui efl juflifié par l’article premier
d’une ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1301.
Cet article porte que « les colleéleurs établis par
» le roi dans les affaires des mains-mortes, des au-
» bains 8c des bâtards, n’exploiteront point les biens
» des bâtards ni des autres décédans dans les terres
» des barons & des autres fujets du roi qui ont
» toute manière de juftice, qu’auparavant il 11’ait
» été conftaté par une enquête qui fera faite par un
» homme capable que le roi aura député à ce, &
» lequel y aura appellé les parties, les colleéfeurs
» 8c le feigneur du lieu, que le roi efl: en bonne
» pofleflion de percevoir 8c d’avoir les biens de
» tels bâtards 8c aubains décédans dans lefdites ter-
» res &c. ».
L’autorité royale rentra fucceflxvement & par dé-
grés dans tous les droits dont,- pendant l’anarchie
féodale , les feigneurs s’étoient mis en pofleflion :
Charles V I , dans les lettres-patentes du 5 feptembre
1386, adreffées à des commiflaires qu’il avoit établis
pour la vifitation des domaines, dit « qu’il efl
» notoire & a apparu à fon confeil, par les char-
» très, ordonnances, regiffres, atftes & jugemens,
» déclarations 8c ufages anciens, qu’en fon comté
» de Champagne, lui appartiennent de fon droit
» tous les biens, meubles 8c immeubles des au-
» bains, en quelque juftice que ces aubains foient
y> demeurans 8c décèdent, 8c en quelque lieu que
v leurs biens foient fitués ».
Comme la Champagne étoit un pays où la fer-
yitude de corps avoit lieu, ces lettres-patentes font
un monument que les vrais principes commcnçoient
à reprendre leur empire ; 8c il demeura bientôt après
pour confiant que le droit d’aubaine étoit un droit
royal, 8c dont l’effet ne pouvoit ceffer que parles
lettres de naturalité que nul autre que le fouverain
ne pouvoit accorder.
Pour ce qui eft du droit $ aubaine. dit Loifeau,
il eft jufte de l’attribuer au roi feur : « ce n’eft
» point qu’il y ait vacance ou déshérence abfolue
» en l’étranger qui ordinairement a fes parens auffi
» bien que le naturel François ; ce n’eft pas mêmé
»> que fes parens foient empêchés de lui fuccéder
V par le droit de nature ou des gens, mais, par la
» loi- particulière du royaume, qui prive l’étranger
» d’être héritier, 8c de laitier héritiers en France ;
» loi qui regarde la police générale de l’état, 8c,
» partant, appartient au roi feul, comme faite pour
» l’augmentation du royaume, non pour accroître
» 8c avantager les feigneurs particuliers v.
Le droit a*aubaine eft effentiellement inhérent à
la couronne, 8c ne peut être communiqué; les
principes qui le régiffent, font les mêmes pour toutes
les provinces du royaume ; ainfi les difpofitions particulières
des coutumes, ou qui excluent ce droit,
ou qui ne l’admettent que par rapport aux biens de
certaines perfonnes, ou qui, l’admettant indiftinc-
tement, l’attribuent aux feigneurs particuliers, ou
avec un titre , ou même fans titre , ne font d’aucune
confidération ni d’aucun poids fur cette matière :
la nature de ce droit répugne aux conféquences que
l’on voudroit tirer de ces différentes difpofitions :
d’ailleurs, c’eft une maxime, ainfi que le remarque
Loifeau, « que les coutumes des lieux ne peuvent
ôter les droits du roi auquel elles ne peuvent pré-
» judicier, n’obligeant pas même le peuple in vim
» Jlatuti, fed tantum in vim pafti, à caufe du confen-
» tentent volontaire qu’il prête ; c’eft pourquoi les
» ' officiers du ro i, 8c notamment fon procureur ,
» afîiftent à la rédaction d’icelles, 8c pour la fo-
5> lemnité de l’aéle principalement 8c pour la ma*
» nutention de fes droits, mais non pas pour pré-
» judicier au roi par fa (impie* préfence , attendu
» qu’il ne le pourroit pas par un confentement-^
» exprès ».
De ce que le droit d’aubaine eft un droit inhérent à
la couronne , il s’enfuit qu’il eft domanial 8c inaliénable
; ainfi, i°. l ’exemption de ce droit, accordée
par le ro i, ne peut être utile que pendant fon règne :
il faut, à fon décès, en obtenir la confirmation
de fon fucceffeur; 20. ce droit n’eft pas ceffible,
8c ne peut paffer entre les mains d’un feigneur particulier
, foit par apanage , foit par engagement,
foit par échange. C’eft fur ce fondement que le parlement
de Paris, en 1706, en refufa la jouiflance
à M. le duc de Gefvres à qui il avoit été cédé par
le contrat d’engagement de la vicomté de Saint-
Sylvain : 8c, en 1 7 1 9 , au comte de Belleiflè à
qui les commiflaires du roi l’avoient cédé par le
contrat d’échange de Belleifle. Un ancien arrêt du
parlement de Touloufe, de 1595 , excepta le droit
uaubaine dans le comté de Lauragais, donné en
apanage à la reine Marguerite. Le parlement de
Paris s’oppofa de même à la ceflion de ce droit en
1726, oc fon oppofition ne fut levée qu’en conféquence
de lettres de juflion abfolue.
Les étrangers-, réfidans dans le royaume, y
étoient autrefois fujets à des droits particuliers dont
Bacquet prétend qu’il a trouvé les traces dans une
pièce des regiftres de la chambre des comptes, qui
eft en forme d’inftruélion, 8c dont il rapporte , de
la manière fuivante , l’intitulé.
« Ce font les droits 8c feigneuries appartenant
» au roi notre fire, au droit 8c à caufe du gou-
» vernement 8c adminiftration générale du royau-
» me, 8c par fouveraineté 8c ancien domaine, à
» caufe des mortes-mains 8c for-mariages par tout
» le royaume de France* En fpécial, en bailliage
» 8c reffort de Vermandois, lelquels doivent être
» cueillis, reçus, 8c fait venir ens par le collec-
» teur d’iceux 8c par fes lieutenans 8c fergens ; que ,
» pour ce faire, il doit commettre 8c ordonner
» comme il eft notoire audit bailliage ».
Cette pièce fournit à cet auteur la preuve :
i° . Que les aubains étoient tenus de payer aü
receveur du roi 12 deniers chaque année à la S.
Remi, pour droit appellé de chevage, à peine de
7 fous 6 deniers d’amende, lefquels 12 deniers 8c
amende fe comptoient en parifis ou tournois, félon
l’ufage fies lieux.
2°. Que , lorfque les aubains fe marioient à d’au-
‘ très perfonnes que celles de leur condition, fans
permiffion du roi, ils encouroient la peine de 60
fous d’amende ; mais, dans le cas même où ils avoient
obtenu cette permiffion, ils dévoient au roi le droit
de for-mariage, pour s’être alliés dans une famille
d’autre condition que la leur : ce droit étoit, dans
plufieurs lieux, de la moitié, 8c dans d’autres, du
tiers de leurs biens de toute efpèce, foit meubles
ou immeubles.
30. Q u e , s’ils fe marioient à des perfonnes de
leur condition, ils n’étoient fujets ni à l’amende de
60 fous, ni au droit de for-mariage, 8c dévoient
feulement le droit annuel de chevage.
Il paroîtroit réfulter de cette pièce citée par Bacquet,
que les droits qui y font énoncés, n’étoient
perçus qu’au profit du roi feul : il eft cependant
confiant que les feigneurs particuliers , fous prétexte
de leur juftice, fe les étoient attribués.
M. le Fevre de la Planche, dans fon Traité du
domaine, obferve que ces droits de chevage 8c de
for-mariage fe font évanouis avec les veftiges des
anciennes fervitudes : il cite l’article 16 de la coutume
de Châlons, qui décide que l’étranger peut
fe marier en France, fans encourir la peine de for-
mariage.
Mais fi ces droits anciens ont cefle, on a exigé ,
dans différentes circonftances, 8c félon les befoins
de l’état, différentes taxes des étrangers : la première
a eu lieu fous le règne de Henri III : ce
prince, par un édit du mois de feptembre 158 7 ,
ordonna que tous les marchands, banquiers 8c cour