
Quoi qu’il en foit , leur profeflion n’en eft pas
moins intéreffante pour la fociété , fur-tout en France
, où le fouverain fe fait gloire de tout régir par
des loix pofitives. Ces loix , aujourd’hui fi prodi-
gieufement multipliées, rendent peut-être le mi-
niftère des avocats plus recommandable que jamais.
Il ne fuffit pas de tenir ces loix en dépôt dans des
volumes ; fi elles ne font connues & enfeignées,
elles ne produifent aucun fruit. Il faut donc qu’il
y ait des hommes affez courageux, pour en faire
le fujet de leurs méditations , & devenir par-là
comme une loi vivante pour ceux qui-, incapables
de s’occuper d’une étude pareille , cherchent
néanmoins à fe conduire fuivant les principes du
gouvernement & les devoirs de la fociété.
Ce font ceux qui , dans le fein de la retraite,
féparés du monde & de fes plaifirs, fe dévouent
à une étude fi pénible , que nous appelions jurif-
confultes, pour les diftinguer plus particuliérement.
de ceux qui font appellés au barreau pour y difcu-
ter les droits de leurs parties , & qu’on nomme
avocats plaidans. Ce n’eft pas que la profeflion ,
dans toute fon étendue , ne foit commune aux uns
& aux autres ; mais il eft affez ordinaire quelle le
partage entre la confultation la plaidoirie , fuivant
le goût & le talent particulier de ceux qui
l’embraffent. Souvent l’avocat plaidant & Y avocat
confultaût travaillent de concerr pour le même
but ; l’un fournit les armes , & l’autre en fait ufage.
L ’honneur du triomphe devroit ce femble fe partager
; mais le public ne voit que l’athlète qui fe
montre au palais ; les acclamations font pour lui ^
& le jurifconfulte n’a d’autre avantage que de pouvoir
s’applaudir en filence d’avoir ordonné le combat
, en prefcrivant la marche qui devoit conduire
au fuceès.
Au refte, foit qu’on fe rende utile par le con-
fe iî, par la plume ou par la parole, la profefiion ,
en elle-même , n’en eft pas moins digne de la plus
grande recommandation. De-toutes les connoiffan-
ces humaines, la fcience des loix importe infiniment
à l’ordre politique. 11 eft bien moins nécef-
faire qu’on ait de grands hiftoriens, de grands peintres
, de grands phyficiens , que de grands jurif-
confuîtes. Ceux-ci , en fe rendant les dépofitaires
du code de nos devoirs, nous enfeignent ce qui
eft jufte & ce qui ne l’eft pas; ce qui eft permis
& ce qui eft défendu ; ils nous montrent ce que
nous nous devons à nous-mêmes ; ce que nous
devons à autrui, au prince , à la patrie, à la religion.
Qualités de Vavocat. Pour fe rendre digne d’uri
titre fi diftingué, il faut des talens & des qualités
qui n’appartiennent point au commun des hommes.
Il faut avoir été comme préparé , dès fes premières
années, à une étude qui exige un grand nombre
d’autres connoiffances préliminaires ; la plus
effentielle eft celle de l’efprit & du coeur humain.
Il faut connoitre les hommes, être au fait de leurs
vertus , de leurs vices , de leurs foibleffes , être
doué de la plus grande intelligence, du plus grand
difcernement, & fur - tout d’une grande jufteffe,
pour faire l’application des règles & des principes
aux cas particuliers. Outre les qualités de l’efprit ,
il faut encore celles du coeur ; un fàcrifice généreux
de fes plaifirs , de fa liberté ; un courage propre
à furmônter les obftacles qui peuvent fe pré-
lenter ; un zèle ardent à venir au fecours de l’innocent
& du malheureux ; une noble franchife
pour ne parler jamais que le langage de la vérité,
& fur-tout un défintéreffement à toute épreuve ,
pour que rien ne puiffe altérer la grandeur d’ame
qui doit principalement caraclérifer le jurifconfulte.
La difcrétion eft encore une qualité effentielle
dans Yavocat. Dépofitaire de la confiance de fes
clients & de leurs fecrets, fouvent les plus impor-
tans , il trahiroit indignement fon miniftère , s’il
abufoit de cette confiance, pour en faire fon profit
particulier. La difcrétion que fon état exige eft
fi grande , qu’il n’eft pas même obligé de révéler,
comme témoin, ce qu’il ne fait que comme avocat
, à moins qu’il ne foit queftion d’une affaire
qui intéreffe effentiellement le fouverain & l’état,
ou que fon client ne lui ait montré frauduleufe-
ment de la confiance, pour écarter fon témoignage.
Quiconque ne fe fent point tous ces avantages,
ne doit pas s’ingérer dans l’êxcrcice d’une profef-
fion qui les demande fi effentiellement. Rien de
plus dangereux, pour la fociété , qu’un avocat mal
inftruit, & qui ne tend qu’à la fortuné. Son ignorance
& fon ambition feront toujours le fléau de
ceux qui auront affez peu de difcernement pour
s’adreffer à lui. Les talens & la probité doivent
être néceffairement fon partage habituel. Les talens,
fans la probité, font le plus funefte préfent qu’il ait
pu recevoir de la nature ; la probité, fans les talens,
ne fuffit pas non plus : avec la meilleure foi du monde
, on peutfaire fouvent des fautesirréparables. L’avocat
doit donc être, toutenfemble, & homme de bien
& homme éclairé : vir probus, dicendi peritus. Mais
fur-tout qu’il eût de la probité ; on peut ajouter
qu’elle aide beaucoup à l’intelligence' : l’efprit fe
porte facilement à l’équité , quand on en a dans
le coeur, l’amour les principes.
Etudes de l’avocat. C ’eft aufli parce qu’on fait
combien il eft important d’être inftruit & d’avoir
des moeurs', qu’avant de pouvoir s’ingérer dans les
fondions du jurifconfulte , on exige une étude ,
dans les facultés de droit, pendant un certain temps
déterminé par les réglemens , avec des certificats
de catholicité , pour s’affurer des talens & de la
conduite de ceux qui afpirent à la profeflion. Il
eft vrai que la fcience, que l’on acquiert aujourd’hui
dans ces écoles publiques, n’eft guère capable
de former un jurifconfulte ; mais enfin on peut
toujours juger, pendant ce temps-là, de l’aptitude
des fujets, & on y puife les premiers principes de
la jurifprudence : il n’y a.qu’une étude longue &
aflidue , qui puiffe faire un véritable homme de
loi. Il feroit peut-être à defirer qu’on pût, fur un
nouveau plan, réformer les études des univerfités,
ou
idu du moins qu’on n’accordât de degrés qu’à ceux
■ quê l’on jugeroit capables d’acquérir des connoiffances
; ce qu’il feroit aifé de reconnoître, avec un
peu de zèle & d’attention.
Serment de P avocat. Il fembleroit qu’avec les licences
qu’on rap'pôrte d’une faculté , on pût tout de
■ fuite, fans autres formalités, fe préfenter au barreau
& y exercer la profeflion ; mais on eft encore
obligé de faire ferment ^devant la cour où l’on fe
propofe de plaider , qu’on objervera les édits, les réglemens
, &c. Ce ferment, qui n’eft autre que celui
qui fe renouvelle tous les ans à la S. Martin , eft
d’un ancien ufage ; il fut introduit du temps de
Juftinien : on le réitéroit à chaque entrée de caufe ,
avec déclaration qu’on n’entendoit nullement favo-
rifer la fraude ni la calomnie. On le prêta enfuite
de trois mois en trois mois, puis chaque année ;
& on le continue ainfi, plutôt par habitude qu’au-
trement. Ce fèrment n’eft néceffaire que pour ceux
qui font appellés au barreau , pour difeuter, en pré-’
fence des. jugés, les droits de leurs cliens ; ceux
qui font licenciés en bonne forme , peuvent , de
plein droit, fans autre ferment que celui qu’ils ont
prêté dans la faculté, écrire & confeiller librement.
Lorfque ce ferment a été prêté dans une cour
Tupérieure-, on peut poftuler dans tous les lièges
du reffort, fans autre affirmation ; mais il ne s’étend
point d’une cour à une autre : ainfi , il faut un
nouveau • ferment , fi l’on change de reflbrt. On
fait cependant une exception pour le parlement de
Paris : l’opinion commune eft que , lorfqu’on a prêtés
ferment dans cette cour, qui eft effentiellement la
cour des pairs , on n’eft point obligé de le réitérer
dans les autres cours du royaume.
Liberté de. l’avocat. Le privilège le plus précieux,
attaché , à la profeflion de l’homme de loi , eft la
liberté qu’il a de l’exerCer quand il lui plaît & où
Il lui plaît. On ne peut pas lui faire une injonction
d’être- plus ou moins ftudieux, plus ou moins
lavant , & de porter fes lumières & fes talens plutôt
dans un pays que dans un autre : tout eft à
fbn choix, à fa liberté. Lavocat ne contrarie avec
perfonne , & perfonne ne contrarie avec lui. Com-
■ me on eft libre de recourir à fes confeils ou de
les rejetter, il eft maître aufli de les donner ou de
les refufer. S’il a quelque empire, cet empire n’eft
autre que celui que donnent les lumières , les talens
& la probité, fur l’efprit & le coeur des hommes;
les hommes,-à leur tour, n’ont fur lui d’autre
droit, que celui qui naît de l’intérêt qu’infpi- ’
l’eut aux âmes fenflbles & vertueufes le malheur
& l’oppreflion. Lorfqu’il fe préfente au barreau, il
y vient comme un homme libre, comme un homme
dont les juges attendent la préfence , pour leur
parler le langage de la juftice & de la vérité. Et
ce qui dénote particuliérement cette liberté, c’eft
la faculté qu’il a de leur parler le bonnet fur la
tete. C’eft ainfi que, chez les Romains, fe mon-
froient les hommes libres : le bonnet y étoit la marque
diftinétive de la liberté , dont on déçoroit ceux
Jurifprudence. Tome ƒ,
qui, par Paffranchiffement, fortoient de l’efclavage#
Cependant lorfqu’au palais Yavocat prend des conclurions
pour fa partie, ou qu’il fait le&urede quelques
pièces de procédure , il eft d’ufage qu’il foit
découvert, parce que, dans ces momens, il repréfente
le procureur & la partie, qui font alors, comme
des fupplians, aux pieds des juges ; mais auflî-
tôt que les conclufions font prifes , il a droit de
fe couvrir ; & au parlement de Paris, par un ufage
fans doute fort ancien , à peine Yavocat a-t-il fini
de conclure , que le préftdent lui dit : avocat, foyer
couvert, comme pour le prévenir qu’il a droit, dans
ce qu’il va dire, de parler avec franchife & liberté :
ufage qui fait autant d’honneur aux magiftrats, qui
reconnoiffent l’importance de la profeflion, qu’à
Yavocat qui l’exerce. Cette liberté , d’être Couvert
fubfifte encore dans les momens où il fait leéhire
des autorités qu’il emploie à l’appui de fon opinion
; c’eft toujours le langage des jtirifconfultes
qu’il parle alors, & toujours avec la liberté de le
faire valoir.
Quoiqu’il fe trouve des cas où les juges nomment
tel ou tel avocat, pour fervir de confeil ou
de défenfeur à telle ou telle partie, il ne faut pas
en conclure qu’on entende par-là gêner la liberté
de cet avocat, \\ eft toujours le maître d’accepter
ou de refufer ; mais s’il revenoit à fes collègues que
fon refus n eft fondé que fur une raifon d’intérêt
perfonne!, il n’en faudroit pas davantage pour le
faire rejetter de leur fein. Malgré la grande liberté
de leur profeflion, les avocats ont toujours pour
maxime que leur zèle & leur entier dévouement
font dus à ceux qui fe trouvent dans le cas d’en
avoir befoin.
Il s’eft pourtant trouvé des cas où les juges ont
enjoint à des avocats de plaider une caufe. Ceci
eft arrivé au parlement de Touloufe. Mais les juges ,
dans ces momens , ne faifoient pas attention à la
liberté inhérente à cette profeflion ; la feule idée
de contrainte eft trop révoltante , pour qu’on puiffe
s’arrêter long-temps à un préjugé pareil.
Honneurs auxquels l ’ayocat participe. Si Yavocat
n’exerce pas un état aufli diftingué que le magif-
trat, on lait néanmoins qu’il ne faut pas moins de
moeurs & de lumières à l’un qu’à l’autre. Les magiftrats
eux-mêmes favent rendre, à l’ordre des avocats
, toute \?i juftice qui lui eft due ; ils le regardent
comme le féminaire de la magiftràture. Anciennement,
avant que tout fut érigé en titre d’office
les avocats étoient les confeillers nés des tribunaux
auxquels ils étoient attachés. Et au fond., dans l’origine
,Mes premiers magiftrats furent ceux d’entre
les avocats qu’on choifit pour aflifter avec plus
d’affiduité aux audiences, aux aflifes , afin qu’il s’en
trouvât toujours un nombre fuffifant pour rendre
des arrêts ou des jugemens. Les autres avocats,
quand leurs occupations le leur permettoient, avoient
toujours le droit de fe préfenter & d’opiner. Dans
la fuite des temps,cette faculté d’opiner a été ref-
treinte aux anciens avocats, & ce droit qui eft