
que chez les Juifs, les Egyptiens, les Grecs & les
Romains, l’affaffin étoit puni de mort; ils s’auto-
rifent de ce que le même ufage fubfifte parmi les
nations modernes policées. Us ajoutent qu’effeéti-
Vement il paroît jufte de priver de la vie celui qui1
l’a ôtée à ion femblable ; qu’en attentant aux jours
des autres , l’affaffin renonce à tout droit fur les
Tiens ; que d’ailleurs XaffaJJînat étant l’un des plus
grands crimes qui troublent l’ordre de la fociété,
il eft convenable de le punir par la plus févère des
peines connues.
Les réponfes ne font peut-être pas moins faciles
que fatisraifantes.
Et d’abord, il ne faut pas croire que cet accord
des peuples foit auffi unanime qu’on le fuppofe :
& quand il le feroit, il ne feroit pas tout-à-fait
capable de perfuader l’ami de l’humanité, qui veut
trouver en tout, non des exemples , mais ces grandes
maximes de raifon & de juftice, fans quoi lé
refte n’eft rien.
Lorfqu’Homère nous repréfente fur le bouclier
d’Achille, deux citoyens qui compofent au fujet
d’un ajfajjînat, n’eft-ce pas nous apprendre que l’af-
faffin n’étoit pas toujours puni de mort chez les
Grecs ? Les loix athéniennes dè Meurfius en offrent
d’autres preuves. Il établit fur des autorités fans
nombre, que l’on fecontentoit de bannir les affaffins,
du milieu de la fociété ; on leur refufoùrFentrée
des temples, des bains publics, des affemblées, des
maifons particulières ; il étoit défendu de communiquer
avec eux ,, de leur, donner de l’eau & du
feu ; on confifquoit même tous leurs biens ; mais
on refpeâoit leur vie. La fociété leur refufoit tout
ce qui étoit en fon pouvoir ; elle eût craint d’entreprendre
fur les droits de l’Etre fuprême en tranchant
les jours qu’il leur avoit donnés.
On ne puniffoit XaJJ'aJJînat chez les Germains,
qu’en dépouillant l’afTafim d’une partie de fon bien
en faveur des parens du défunt : luitur enirn homi-
cidiurn, dit Tacite, certo armentorum ac pecorum numéro
recipitque fatisfatliotiem univerfa domus.
L ’HiJloire générale des voyages nous parle de plu-
fieurs peuples, qui ne purifient X ajfajjînat, qu’en
abandonnant le meurtrier à la famille du défunt,
& le lui livrant pour s’en fervir comme d’un efclave
& d’une bête de fomme.
D ’autres ne le condamnent, comme les Germains,
qu’à des amendes pécuniaires.
Nos aïeux n’en ufoient pas autrement : rien n’eft
fi connu que les compofitions ordonnées par les
loix des Saliens, des Bourguignons, des Ripuaires y
où la vie d’un Franc eft taxée à 200 fols, celle
d’un Romain à 100, ainfi des autres.
Peut-être ces compofitions qui nous paroiflent
ridicules parce qu’elles diffèrent de nos ufâges ,
ïi’étoient-elles pas défavouées par la juftice & par
la raifon ? Qui ne fait en effet que l’afifaffiné ne fe
lève pas du tombeau, lorfque l’affaftin y defeend ?
Pourquoi donc l’y précipiter ? A quel propos enlever
un fécond fujet à la fociété ? Eft-ce pour la
confolêr'dii premier que le meurtre lui a ravi ? C e
font deux hommes qu’elle perd au lieu d’un. Peu;
importe que ce foit le glaive de la lo i, ou le poignard
de l’affaflin, qui les lui ôte. L’effet eft le
même pour elle. Elle eft privée de deux hommes,,
& la famille du défunt n’en retire aucun avantagea
Car après tout, quelles lo ix , en livrant un aflàffin
à la mort, pourront ramener à une époufe & à des
enfans, le père .& l’époux que le crime a égorgés ?
la mort du meurtrier 11’aura jamais cet effet. Us
n’en pleureront pas moins l’objet de leur affeétion;
ils n’en regretteront pas moins les fècours qu’ils
recevoient de lui. Nos peines capitales ne leur.ren-
dront rien en retour. Les compofitions au moins
favoient les dédommager en partie. Depuis que l’or
& l’argent font devenus le figne d’échange de tous
les biens, il eft certain que cet or & cet argent peuvent
rendre à des enfans & à une époufe les fecours
qu’ils recevoient du travail d’un père & d’un époux..
Voilà ce que l’or eft très-capable de repréfenter
voilà ce que le fang de l’afiaffin. ne repré Tentera-
jamais.
A Dieu ne plaife pourtant que nous-prétendions'
inviter la génération aétuelie à ranimer la jurifpru-
dence des compofitions, & à publier une taxe pour
la jambe, le bras, l’oeil, la vie d’un citoyen. Il y
avoit à cela des inconvéniens terribles : d’ailleurs
nos dommages & intérêts remplacent à quelques
égards ce que les compofitions avoient d’avantageux.
Tout ce que nous voulons montrer ici eft que cette
jurifprudence des compofitions , toute imparfaite
quelle pouvoit être, approchoit peut-être encore
plus du véritable but des châtimens, que nos peines
capitales. Rien ne détermine- néceffairement à
laiffer fubfifter celles-ci-, pas même pour XaJJ'aJJînat.
Dire que le meurtrier, en affaflinant fon femblable
, renonce à tous les droits qu’il peut avoir fur
fa propre v ie , c’eft ne rien dire du tout.
Premièrement, il eft faux qu’il y renonce , foit
explicitement, foit implicitement. Cela eft fi vrai,
que pour établir cette renonciation prétendue , il
eft néceffaire que vous faffiez un raisonnement qui
porte tout fur des fuppofitions. O r , il n’eft pas be-
foin de rien fuppofer dans les chofes qui ont la
vérité pour bafe.
Secondement, perfonne n’a droit fur fa propre
v ie , conféquemment l’affaflin ne peut renoncer à
ce droit ; nul ne fauroit céder, ni tranfmettre ce
qu’il n’a pas ; s’il le cédoit, il ne céderok rien.
Troifiémement, quand il pourroit y renoncer ,
refteroit a favoir, fi l’intérêt de la fociété demande
qu’elle profite de cette renonciation, & qu’elïe ôte
à l’affamn, une vie qu’il femble lui abandonner. Il
eft des jurifconfultes bien refpeéfables, qui ne le
penfent pas.
Ajoutons, pour terminer cet article, qu’en dérobant
l’afîaffin à la peine de mort, nous ne prétendons
pas le fouftraire au fupplice. Qu’on ne s’y
trompe pas, la mort n’en eft pas un; & c’eft pré-
cifément pour le livrer à la peine, à la douleur,
à l’infamie, à un travail dur & utile à la fociété,
que nous voudrions l’arracher à la mort. Un pendu,
un roué ne font bons à rien. Il feroit pourtant à
defirer que les fouffrances & les tourmens de ceux
qui ont nui à la fociété, fuffent bons à quelque
chofe. C ’eft la feule manière de dédommager cette
fociété, dont ils ont troublé l’ordre, & trahi les
intérêts. O r , voilà ce qu’on ne peut faire qu’en les
laiffant vivre. Leur fupplice devenu utile , ne fera
même que plus grand; l’imprefiion journalière qu’il
fera fur les aines, n’en acquerra que plus de force;
& les effets qui en réfulteront ne feront que plus
sûrs & plus durables.
Te l eft le langage que la douceur & l’humanité
ont infpiré à plufieurs philofophes; & fur-tout au
marquis de Beccaria, qui dans un écrit plein de
feu & d’entoufiafme , a foutenu que l’homme n’a-
voit dans aucun cas le pouvoir d’ôter la v ie , même
judiciairement, à fon femblable.
La Ruffie a déjà adopté fans inconvénient cette
jurifprudence , & l’augufte Catherine Alexiowona,
par une loi générale, a fait grâce de la vie- aux af-
faflins, aux meurtriers, & à tous les coupables de
ce genre, pour ne les livrer qu’à une peine utile
au gouvernement & à la fociété qu’ils ont outragée,
en les condamnant à la douleur, à la fatigue & à
l’horreur d’eux-mêmes, d’autant plus accablante,
que fa durée ne leur laide entrevoir qu’un avenir
plus affreux que les-fùpplices.
Notre code pénal eft certainement d’une rigueur
exceflive, & il eft réfervé à Louis X V I , qui dès
les premières années de fon règne , a ordonné l’abolition
de la torture, & de la peine de mojt contre
les déferteurs, de réformer l’in juftice & la barbarie
de nos loix criminelles. Mais devra-t-il fuivrè l’exemple
de la Ruffie ? Ce fyftême de légiflation- eft-il,
comme le difent les défenfeurs de l’humanité, le
feul conforme à la loi naturelle ? C’eft ce que nous
nous propofons d’examiner fous le mot Peine, où
nous expoferons ce qui nous paroîtra plus conforme
au droit naturel, & au maintien de la fociété ; nous
allons nous borner ici à faire connoître de quelle
manière XaJJ'aJJînat eft puni fuivant notre jurifprudence
aâuelle.
Quelques criminaliftes diftinguent XaJJ'aJJînat du
meurtre de guet-à-pens. Mais je ne vois pas fur
quel fondement on peut appuyer cette diftinétion.
Ce font deux mots exa&ement fy nonymes, & depuis
long-temps on fe fert indifféremment des mots
fSaJJaJJinat ou de meurtre de guet-à-pens, pour défi-
gner le même crime. S. Louis, dans Tes Etablijfe-
mens, dit que meurtre eft, quand on tue quelqu'un
en Jon lit, ou en aucune autre manière, pourvu que
ce ne foit pas en mêlée. On lit dans Beaumanoir,
meurtre ejl, quand aucun tue ou fait tuer quelqu’un,
puis foleil couchant jufqiiau foleil levant, ou quand il
tue ou fait tuer en ajfurément ou en trêve.
Mais il y a une grande différence entre XaJfaJJînat
& le fimple meurtre. L’aJJ'aJJînat eft un homicide
commis de propos délibéré &. de deffein prémédité,
c’eft auffi le crime de ceux qui tuent, ou feulement
outragent & excèdent en trahïfon avec avantage.
Le meurtre fimple eft tout homicide commis fans
deffein prémédité , foit en défendant fa propre v ie ,
foit par un accident malheureux & imprévu, foit
en fe laiffant emporter par une violente colère dans
une rixe.
L’aJfaJJînat & le meurtre de guet-à-pens, font
ainfi que nous l’avons remarqué au commencement
de cet article, des crimes irrémiffibles, pour lef-
quels on rie peut pas obtenir des lettres d’abolition.
L ’ordonnance de 1670, conforme en cela à celle
de Blois, défend même aux juges d’y avoir aucun
égard.
llajfajjînat prémédité ou meurtre de guet-à-pens
eft un cas royal, quoi qu’en dife Loifeau. Cela eft
prouvé par une ordonnance de Philippe-Augufte,
rapportée par Chopin & par les coutumes de T ours
& de Loudunois, qui ont à ce fujet des difpofitions
expreffes. Une déclaration du 5 février 1 7 3 1 , en
réglant la compétence des prévôts des maréchaux,
a regardé ce crime comme un cas royal, & c’eft
auffi ce qu’a décidé le chancelier d’Agueffeau dans
la lettre qu’il écrivit le 17 janvier 1742 , au procureur
générai du parlement de Befànçon.
On trouve néanmoins plufieurs arrêts confirmatifs
de fentences rendues par des juges feigneuriaux
contre des accufés convaincus d'ajfajjînat prémédité.
Un entre autres, du 16 juin 1691, a confirmé
une fentence par laquelle le juge de Clamecy avoit
condamné à la roue deux particuliers convaincus
d’avoir commis le crime dont il s’agit.
Mais de ce que des juges feigneuriaux ont connu
du crime éXajfajjînat prémédité, il ne faut pas conclure
que ces jugés aient eu le droit d’en connoître
, ni que ce crime ne doive pas être mis au
nombre des cas royaux. U y a lieu de croire qu’en
confirmant les fentences dont on a parlé, le parlement
ne l’a fait que pour des. raifons particulières
tirées de l’intérêt public , & fur-tout parce qu’il
n’y avoit aucun conflit de jurifdiétion, ni perfonne
qui eût revendiqué les accufés.
Suivant l’édit du mois de juillet 1547, tout particulier,
foit noble ou roturier, qui commet un
ajfajjînat, doit être puni de la peine de mort fur la
roue, fans que cette peine puiffe être commuée.
Les filles & les femmes qui font coupables de
ce crime, ou qui aident à le commettre doivent,
être pendues, fi elles font roturières, & décapitées
fi elles font nobles.
Les complices, en matière d’ajfajjînat, doivent
être punis de la même manière que le principal
auteur du crime. On entend parle mot de complices
ceux qui favorifent ou encouragent l’affaffin, foit
avant faéiion, en lui donnant de l’argent, des armes,
des chevaux ou des hommes pour l’aider,
foit après faction , en lui procurant les moyens d’échapper
aux recherches de la juftice.
Ceux qui fe louent à prix d’argent ou autrement
pour tuer, excéder ou outrager quelqu’u n , & ceux
Qq<! 2.