
Cette inffitution, qui femble, au premier coup
d’oeil-, un encouragement au crime, dont il aflùre
l ’impunité, fut infpirée par la religion & la politique.
Les fondateurs des villes fe fervirent de ce moyen
pour augmenter le nombre de leurs habitans : c’eft
ainfi que Cadmus peupla Thèbes en Béotie ; fon
exemple fut fuivi par Théfée 8c Romulus. Les premiers
légiflateurs, pour afîùrer la Habilité du droit
dY afyle & en faire refpeâer la fainteté, firent accroire
aux peuples que les dieux eux-mêmes avoient consacré
ces lieux faints, & qu’ils en étoient les protecteurs.
Les Ephéfiens prétendoient que leur temple
avoit reçu ce privilège d’Apollon & de Diane.
Les Égyptiens aflùroient que Y afyle de Canope étoit
une inftitution d’Hercule. Smyrne fàifoit remonter
à Neptune & à Diane la fauvegarde de fon temple.
Les afyles fe multiplièrent dans tous les pays,
& fur-tout dans la Grèce. Ce pieux ufage dégénéra
bientôt en abus, & l’on vit dans plufieurs endroits
un fimple autel placé dans le milieu d’un carrefour
, devenir, par la fuperftition des peuples ,
un lieu faint & un afyle inviolable.
Des hommes fouillés des plus noirs forfaits trouvèrent
leur fureté dans le temple de Pallas à Sparte.
Il fuffifoit d’avoir pénétré dans Yafyle de Calidon
en Etolie, pour obtenir la remife de toutes fes dettes.
Tacite obferve que dans toute la Grèce, les temples
étoient remplis de débiteurs infolvables,quife
moquoient de leurs créanciers, 8c d’efclaves info-
lens 8c rebelles, qui y bravoient la colère de leurs
maîtres. Les magiftrats ne pouvoient venir à bout
d’y exercer la police, parce que le peuple y révé-
roit les crimes des hommes , comme le culte des
dieux.
I On trouve néanmoins, dans l’hiftoire ancienne,
quelques exemples de célèbres coupables, arrachés
des afyles où ils s’étoient réfugiés ; d’autres qu’on
y laiffoit mourir de faim, foit en empêchant de leur
porter des vivres, foit en murant l’enceinte de leur
afyM î moyen qu’employèrent les éphores contre
Paufanias. Mais la fuperftition 8c le faux zèle des
peuples imputa toujours à la violation de la fainteté
des afyles, les calamités publiques qui furvenoient,
8c qu’on regardoit comme la punition infligée par
la divinité.. C ’eft à ces prétendus facrilèges qu’on
attribua la mort cruelle du cenfeur Fulvius, la maladie
honteufe de Siîla, le tremblement de terre
qui renverfa une partie de Lacédémone, 8c plufieurs
autres fléaux publics.
On ne peut nier que l’inftitution des afyles n’eût
produit de grands avantages, fi l'on avoit fu en
prévenir les abus. L ’humanité les autorife contre
la févérité de la lo i, qui fe trouve quelquefois ex-
cefliye ou yicieufe. C ’eft aufli un moyen d’échapper
aux premiers mouvemens d’un defpote en courroux
; de rappeller à une famille offenfée que Dieu
daigne pardonner lui-même ceux qui l’outragent ;
de préparer des réconciliations, 8c de procurer à la
partie lézée des dédommagemens plus avantageux
que celui d’un fupplice ftértle. On peut même-
ajouter que dans plufieurs circonftances la juftice
demande elle-même qu’on lui. enlève les yiéfimes,
qu’elle feroit forcée d’immoler.
La loi .de Môïfe avoit établi un certain nombre
de villes auxquelles elle attribua le droit d'afyle. Les
meurtriers, les aflaffins de guet-à-pens en étoient
exclus, 8c ils ne pouvoient s’en fervir pour éviter
les châtimens dus à leurs crimes : mais les homicides
involontaires y trouvoient un abri contre les
persécutions 8c la vengeance de la famille qu’ils
avoient offenfée, 8c le pardon d’un délit involontaire.
Ils etoient obligés d’y refter jufqu’au moment
de là mort du grand-prêtre, 8c ce n’çtoit qu’alors
qu’ils pouvoient rentrer dans lefein de leur famille.
Guidés par ces exemples, les chrétiens convertirent
en afyles les temples confacrés à Dieu ; mais
il en refulta bientôt les plus fiineftes abus. A l’ombre
des^ autels, on vit par-tout des brigands, des
concuflionnaires, des aflaffins , des féditieux &
des traîtres, braver impunément la juftice des fou-
verains.
Les empereurs qui fuccédèrent à Conftantin furent
obligés de reftraindre les privilèges des églifès
à cet égard. Mais leurs loix ni celles de Juftinien,
ne purent former des barrières aflez fortes pour arrêter
la puiflànce envahiflante du clergé féculier 8c
régulier.
Les évêques 8c les moines étendirent leurs immunités
au-delà des temples. Leurs vaftes domaines
devinrent des lieux de refuge. Ils plantèrent des
poteaux, au-delà defquels les magiftrats ne pouvoient
exercer leurs pouvoirs. Les couvens devinrent autant
de forterefîes, d’où le crime impuni fouloit aux
pieds les loix 8c les magiftrats.
Charlemagne porta quelques atteintes aux afyles ;
en défendant, par le chap. 8 de fes Capitulaires,
de donner aucune nourriture aux criminels réfugiés
dans les églifes. Mais cette défenfe ne produifit aucun
effet, 8c les fcélérats continuèrent, comme auparavant
, à jouir de l’impunité fous la fauve-garde
des autels.
Plufieurs conciles ouvrirent un afyle à toutes fortes
de criminels, 8c le leur aflùrèrent par les foudres de
1 excommunication lancée contre ceux qui ofoient les
en tirer. Le droit canonique n’en refufa même pas
aux voleurs de grands chemins , aux bandits qui
font de nuit des Courfes dans la campagne, 8c aux
autres voleurs publics. En 1365 , Guillaume Charpentier
, convaincu d’avoir affafîiné fa femme, fut
arrache de l’hôtel-dieu, 8c conduit en prifon. Il fe
plaignit au parlement de la violation de fon afyle 9
8c cette compagnie condamna à l’amende les fer-
gens qui l’avoient emprifonné ; elle ordonna qu’il
feroit rétabli dans fon afyle, 8c fon crime demeura
impuni.
Louis XII , le père du peuple, quoique confeillé
par un miniftre, décoré de la pourpre romaine, fup-
prima tous les afyles des églifes, des palais, des cou-
vens 8c des autres lieux privilégiés de fes états, 8c entre
autres, des églifes 8c couvens de S. Jàcques-de-la-
Boucherie, de S. Merry, de Notre-Dame, de l’Hôtel-
Dieu, de l’abbaye de S. Antoine, des carmes de
la place Maubert, 8c des grands Auguftins de
Paris.
François premier , par l’ordonnance de 1539, au-
torifa les juges à ne plus maintenir le droit a afyle
8c les franchifes des églifes 8c monaftères qui en
jouifloient encore. L’article 166 porte qu’il n’y aura
plus d'afyle dans aucun lieu pour ceux qui auront
été décrétés de prife-de-corps.
Les princes, inftruits de leurs droits, reflerrent
fous les jours cet odieux privilège des afyles ecclé-
fiaftiques. On en reftreint le nombre, 8c on en
borne l’ufage, même dans l’Italie, le pays de l’Europe
où ils étoient le plus multipliés.
Urbain V commença par réprimer la licence des
cardinaux qui donnoient retraite dans leurs maifons
à des fcélérats pourfuivis par la juftice. Le pape
Benoît X IV publia, en 1750, une conftitution dans
laquelle, fans déroger aux bulles de fes prédécef-
feurs en faveur des immunités ecciéfiaftiques, il
diftingüa les cas où les perfonnes coupables d’homicide
pourraient jouir des privilèges des afyles,
de ceux qui deyoient les en exclure..
Ce fage fouverain ordonne que les afyles ne donneront
une retraite aflùrée qu’à ceux qui, par accident,
fe trouvent engagés dans des affaires mal-
heureufes, 8c il défend d’y admettre les meurtriers,
les aflaffins de deffein prémédité : il veut, même que
ces derniers foient livrés au bras féculier.
. Cette même conftitution porte que, dans le cas où
quelqu’un feroit blefle, de manière que fa vie parût
être en danger, on doit transférer le coupable dans
les prifons publiques, jufqu’àce que l’état du blefle
ait décidé de fa vie ou de fa mort ; que s’il meurt,
le coupable foit puni : s’il fe rétablit, fon adver-
faire foit ramené dans fon afyle.
Nous ne connoiflons plus aujourd’hui en France
le droit d'afyle dont jouifloient .les églifes. Tout
accufé peut être arrêté jufques fur l’autel, fans qu’il
foit nécefiaire d’obtenir pour cet effet une permif-
fion de l’évêque.
Il «xifte néanmoins quelques endroits privilégiés,
tels que les maifons royales, les hôtels des am-
- bafladeurs , 8c le palais du- grand-prieur de Malte
à Paris , que l’on nomme le Temple.
■ Tous ceux qui fe réfugient dans une maifon royale,
quoiqu’ils foient pourfuivis pour crimes ou pour dettes,
ne peuvent y être arrêtés fans une permiffion
particulière du roi ou du gouverneur de la maifon, à
moins que l’ordre de fon emprifonnement n’ait été
donné par les maréchaux de vFrance ; leur ordre
peut être exécuté même dans la chambre du roi,8c
en fa préfence.
Nous avons dit à l’article Ambassadeurs , que
leurs hôtels jouifloient du droit dlafyle,8{. qu’on ne
pouvoit le violer fans manquer au droit des gens ;
mais ce même droit leur défend d’en abufer en y
recevant ceux qui font pourfuivis pour crimes ou
pour dettes. Voye^ Franchises.
La frarrchife du Temple eft telle, qu’on ne peut
y arrêter même un criminel, foit en vertu d’un
ordre du roi, foit en vertu d’un décret de prife-
de-corps. Mais aufli-tôt que le bailli du Temple eft
inftruit que celui qui s’y eft retiré eft coupable d’un
crime capital, il lui enjoint d’en fortir, ou il lui
fait fon procès. Cette franchife particulière eft fondée
fur la fouveraineté de l’ordre de Malte, que nos
rois ont bien voulu lui conferver dans l’endroit
deftiné au logement du premier officier qu’il a en
France.
Dans la ville de Cambrai, on ne peut arrêter pour
dettes civiles les payfans qui apportent leurs denrées
au marché les jeudis.
âsyle ( Droit des gens. ) Nous venons de con-
fidérer le mot afyle fous le point de vue des lieux
de fureté, accordés aux malheureux 8c aux criminels
dans chaque état : il nous refte à l’examiner fous
un nouvel afpeéf qui confifte dans le droit que tout
fouverain ou toute nation libre a de recevoir dans
fon territoire des, fujets d’une puiflànce étrangère,
qui fuient ou fa juftice ou fon courroux, d’empêcher
que cette puiflànce ne les fafle enlever, 8c de
ne pouvoir être contraint de les lui rendre, lorf-
qu’elle les réclame.
Ce droit eft fondé fur la nature même de la fou-
veraineté : 8c, par cette raifon, il ne peut être révoqué
en doute ; il eft également appuyé fur le principe
inconteftable que les effets du droit civil ne fe
communiquent qu’aux citoyens; mais que les effets
du droit naturel , tels que la jouiffance de la vie
8c de l’air, fe communiquent par-tout à l’étranger
comme au citoyen. On a dû même remarquer dans
le précédent article, que c’eft par l’ufage de ce droit,
que plufieurs fouyerains ont trouvé le moyen d'augmenter
le nombre de leurs fujets.
Nous ne croyons pas'devoir entrer dans un plus
grand détail pour en prouver l’exiftence : mais on
peutpropofer la queftion importante de favoir quel
ufage les fouverains en doivent faire vis-à-vis les
uns des autres, 8c fi l’on peut afligner des bornes
à l’exercice de cet aâe de fouveraineté ? -
On doit dire en général que le droit d'afyle étant
un attribut 8c une dépendance de la fouveraineté,
nul prince,'nul état ne peut limiter les cas où les
états voifins pourront donner afyle- à fes fujets, ni
les contraindre à y mettre des bornes. Exiger im-
périeufement qu’ils livrent les perfonnes réfugiées
chez eux, ce feroit faire fur leur territoire un aéte
de jurifdidion, 8c conféquemment leur contefter
le droit de fouveraineté.
Nous voyons aufli dans l’hiftoire, que les fouverains
, jaloux de leur jurifdi&ion, n’ont jamais livré
les particuliers retirés fur les terres de leur domination.
La république de Venife a conftamment fait de
fon territoire un refuge commun à tous les mifé-
rables : aucun traité, aucune alliance n’ont pu l’élob