
encore à fon gré ; une faculté pareille entraîneroit
les plus grands inconvéniens. Suppofons qu’il lui
ait pris l’envie de détruire fon moulin banal ou
de le laiffer tomber en ruine, les vaffaux, dès ce
moment, doivent avoir la liberté de conflruire
des moulins pour leur ufage particulier; car il faut
qu’ils puiffent faire moudre leurs grains : fi ces moulins
étant conftruits, le feigneur jugeoit à propos '
de rétablir le fien & de faire abattre ceux de fes
cenfitaires, pour jouir de fon droit de banalité, il
efl certain qu’il leur cauferoit un préjudice confi-
dérable. Tout ce qu’on pourroit tolérer en pareil
cas de plus favorable pour le feigneur, feroit de
lui permettre de reprendre fon droit, en indemnisant
fes vaffaux de ce qu’il auroit pu leur en coûter
pour la conftruélion d’un moulin particulier. A vec
une indemnité raifonnable, il n’y auroit aucune
difficulté à le laiffer rentrer dans un droit inhérent
à fa qualité de feigneur. Mais pour obtenir
cette indemnité dans le temps, nous croyons qu’avant
aucune conftruélion, les vaffaux feroient obligés
de mettre le feigneur en demeure par une fom-
mation , ou de leur conflruire un moulin, ou de
réparer celui qui exiftoit.
Dans les coutumes où la banalité efl attachée au
fief ou à la jufiice, peut-on aliéner cette banalité
lans aliéner en même temps la feigneurie ? On dit
que pour exercer une banalité, il faut-avoir droit
de commander, & que ce droit ne peut appartenir
qu’au feigneur fur'fes fujets. Cette raifon eft bien
foible ; mais il efl pourtant vrai de dire qu’il efl de
maxime reçue que la banalité ne peut fe féparer de
la feigneurie. L’article 48 de la coutume de Poitou
contient à ce fujet une difpofition précife, confirmée
en 1636 par arrêt du parlement de Paris.
M. l’évêque de Poitiers avoit arrenté la banalité
d’une feigneurie moyennant dix fetiers de bled.
Une fentence du juge des lieux avoit adopté cet
arrentement, mais la fentence l’infirma.
De Richebourg obferve dans fes notes fur l’article
311 de la coutume de la Marche ’où la banalité
efl un attribut du f ie f, que ce droit ne peut
être vendu féparément de la direéle : il cite à ce
fujet une fentence de la fénécbauffée de Guéret du
premier mars 1624, qui annulle la vente d’un droit
pareil, faite fans aliénation du fief; à la fuite de fa
note efl une mention de l’arrêt du parlement de
Paris qui a confirmé cette fentence le 6 feptembre
de l’année fuivante.
Lorfque la vente de la banalité s’efl faite fans
l’aliénation de la feigneurie , les habitans font-ils
tellement déchargés du droit que le feigneur ne
puiffe plus l’exercer ? On diflingue : fi la banalité j
étoit un attribut inhérent au fief par la force de la
coutume, le feigneur reprendroit fon droit fans la
moindre difficulté, ou.pour mieux dire, ilfuffiroit
qu’il fut toujours feigneur pour qu’il ne pût le perdre.
Mais fi la banalité n’étoit qu’un droit conventionnel,
Guyot, dans fon traité des fiefs, prétend qu’il en
feroit autrement, parce que le feigneur auroit fait
plus qu'il ne pouvoit faire. Cette raifon ne faurofï
nous décider pour fon fentiment. Une fouffe gjié-
nation en pareil cas, ne peut qu’intéreffer le vendeur
& l’acquéreur, & non les habitans auxquels
le contrat ne peut nuire ni profiter. Si un feigneur
perdoit la banalité pour avbir voulu faire plus qu’il
ne pouvoit en l’aliénant féparément de fa direéle,
il faudroit dire qu’il la perdroit également dans les
coutumes ou elle efl un attribut effentiel de la feigneurie
; c’eft cependant ce qu’on n’oferoit foutenir.
Quoique la banalité ne puiffe s’aliéner fans la
direéle , on convient pourtant que lorfqu’il s’agit
du partage d’un fief entre co-héritiers , on peut
mettre le moulin dans un lot & les vaffaux fujets.
a la banalité dans un autre lot. Celui qui a le moulin
peut s’en fervir pour fon ufage particulier; & celui
qui a pour lui les vaffaux'peut faire conflruire un
moulin & les y affujettir. Dans la coutume de Paris „
le droit de banalité qui dépend d’un fief appartient
à l’aîné des enfons en récompenfont les autres.
Freminville prétend que la banalité feule n’eft
même pas fufceptible d’un bail emphytéotique à
longues années, attendu qu’un Jfeil de cette nature
emporte une efpèce d’aliénation; mais fon opinion
ne nous paroît foutenue d’aucun moyen folide.
Un bail emphytéotique efl à la vérité regardé comme
un contrat emportant aliénation : mais cette aliénation
n’efl pas incommutable ; elle ne porte d’ailleurs
que fur la propriété utile & non fur la propriété
direéle. Le feigneur refie toujours feigneur comme
auparavant; toute la différence d’un bail emphytéotique
à un bail ordinaire, efl que l’un efl pour un
temps plus confidérable que l’autre. D ’ailleurs il efl
à propos qu’un feigneur qui ne fe trouve pas en
faculté de foire rétablir un moulin ait la-facilité d’y
parvenir par un bail à longues années ; parce qu’or-
dinairement par un bail pareil le preneur efl chargé
des conflruélions & réparations néceffaires pour
rendre les chofes en bon état à fin du bail.
Lorfque le droit de banalité efl en commun entre
deux feigneurs, & qu’il furvient des réparations à
foire, l’un peut foire foire fommation à l’autre d’y
contribuer pour fa portion, & fur le refus de celui-
c i , le premier peut ordonner ces réparations, &
recevoir, à fon profit les revenus de la banalité/y
jufqu’à ce qu’il foit entièrement rembourfé de fes
avances, fans être tenu d’aucune reflitution de ce
que l’autre auroit pu gagner en contribuant plutôt
à ces mêmes réparations. C ’efl ce qui efl clairement
décidé par une ordonnance des établiffemens de
S. Louis. L’article 20 de la nouvelle coutume
d’Anjou paroît tiré de cette ordonnance : il renferme
à ce fujet les mêmes difpofitions.
Comme on met toutes les aélions qui ont trait à
des droits feigneuriaux dans la clafle des aélions
réelles , on tient pour maxime qu’elles ne pëlivent
point être portées devant les juges de privilèges ,
fur-tout depuis le fameux arrêt rendu le 25 avril
1746 , au rapport de M. Gilbert de Voifins, maître
des requêtes, contre MM* les ducs de Luynes &
de Chevreufe, qui vouloient faire ufage de commlt-
timus du grand fceau contre différens poffeffeurs
de fiefs qu’ils prétendoient dépendre d’eux à caufe
de leur comté de Noyers en Bourgogne. Cependant
quelques-uns des auteurs qui ont parlé des
banalités , peuvent induire en erreur pour avoir dit
qu’elles font perfonnelles fans s’expliquer davantage.
Mais pour foire mieux foifir ce qu’ils ont voulu
dire à ce fujet, nous obfervons. que les banalités
ne font perfonnelles que dans ce fens que ceux qui
ont leur domicile dans le diflriél de la banalité font
les feuls qui y foient fujets ; & que confidérées
comme foifant partie des droits feigneuriaux d’une
direéle , l’aélion à laquelle elles peuvent donner lieu
efl de la même nature que celles qui peuvent avoir
pour objet toutes fortes de droits feigneuriaux en
général. Auffi trouve-t-on dans Brillon un arrêt de
la chambre de l’édit de Rouen du 10 juin 1665,
qui a jugé qu’une inflance de banalité de moulin
étoit réelle, & qu’elle ne pouvoit être évoquée
aux requêtes du palais par le feigneur privilégié.
Fréminville ajoute que cette décifion eft de droit
commun.
Différentes efpéces de banalités. On remarque plu-
fieurs fortes de banalités: banalité de moiilin , de
four , de preffoir, de taureau , de verrat, de bou-~
cheries, & autres. Nous allons les parcourir.
Banalité de moulin. Nous avons dit au commencement
de cet article, qu’anciennement le roi feul
étoit en droit d’avoir des moulins banaux, mais
que les feigneurs par la fuite fe font arrogé le même
privilège.
Dans la Normandie, les perfonnes nobles ont
feules le droit de pofféder des moulins, fans rien
payer au roi : les roturiers qui en poffèdent font
affujettis au droit de franc-fief, conformément à deux
ârrêts du confeil, l’un du 22 juillet 1673 » & l’autre
du 24 juin 1721. Dans la" plupart des autres coutumes
, il eft permis aux roturiers d’avoir des moulins
fans payer aucune rétribution.
Pour être affujetti à un moulin banal, il faut que
ce moulin ne foit pas à la diftance de plus d’une
lieue du domicile du cenfitaire; c’eft-à-dire qu’il
n’y a que ceux qui demeurent dans la banlieue qui
puiffent être obligés d’y aller moudre. Les coutu-
mes ne font pas uniformes pour la fixation de cette
banlieue ; les unes, comme celles de T ours, de Poitou
& de Loudunois, la règlent à deux mille pas,
chacun de cinq pieds, à prendre de la huche du
moulin à la porte de la maifon du fujet, ce qui
foit 1666 toifes quatre pieds. Les coutumes d’Anjou
& du Maine la règlent à mille tours de roue de
quinze pieds de circonférence ; la coutume de Bre-
tage à 120 cordes de 120 pieds chacune ; le plus
grand nombre des autres coutumes ne la déterminent
pas, au moyen de quoi nous penfons que
dans les coutumes muettes à ce fujet, la banlieue
doit fe mefurer fuivant la lieue commune de la
province ou eft fituée la banalité, en obfervant, avec
«Boulay, fur l’article 13 de la coutume de Touraîne
\ que cette mefure doit fe foire par le chemin
le .plus fréquenté, quoiqu’il ne foit pas en droite
ligne.
Le feigneur eft obligé d’avoir fon moulin en bon
état ., fans quoi les fujets peuvent aller ailleurs
jufqu a ce qu’il foit rétabli : il eft pareillement
obligé de foire enforte que les chemins pour y
aborder foient pratiquables & fons danger pour
ceux qui font obligés d’y porter leur grains. Il fout
auffi que, dans les vingt-quatre heures, à compter
du moment que le fujet arrive au moulin , on
commence à moudre fes grains, autrement il lui
ëft libre de les conduire ailleurs. C ’eft l’ufoge
général , fi l’on en excepte quelque coutumes, en
très-petit nombre, qui exigent un délai plus confidérable
: telle eft la coutume de Bourbonnois,
qui veut que le fujet attende trente-fix heures au
lieu .de vingt-quatre.
• Une grande queftion qui ne paroît nulle part
clairement décidée, eft de favoir fi le meûnier eft
obligé d’aller chercher les grains des fujets pour
les foire moudre, lorfque les titres & la coutume
ne déterminent rien à cet égard. Guyot, en fon
traité des fiefs, penfe que ceux qui font fujets à la
banalité font obligés de porter ou d’envoyer leur»
grains au moulin , & il appuie fon opinion fur un
arrêt du premier août 1730, rendu au parlement
de Paris en faveur du feigneur de Juchy en Artois ,
contre le fleur Bidaut, curé de l’endroit. Mais cet
arrêt ne paroît pas avoir décidé nettement la queftion
: le fieur Bidaut fe croyoit difpenfé, en fa qualité
de curé, de faire porter les grains au moulin
comme les autres habitans ; il regardoit cette efpèce
de fervitude comme injurieufe à fon état, & l’arrêt
a jugé fimplement qu’il n’y avoit aucune différence
à faire à cet égard, entre lui & les autres
vaffaux.
Si nous confultons la plupart des coutumes, nous
voyons qu’il y eft dit ,* ou que les meûniers font
obligés d’aller chercher les grains des fujets , ou
que, fi ces meûniers vont quêter dans d’autres banalités,
leurs chevaux & leurs voitures font fujets
a confifcation ; ce qui femble indiquer qu’ils n’ont
des bêtes de fomme ou des voitures que pour le
fer vice des vaffaux.
D’un autre côté, l’on voit que ce font les meuniers
qui vont par-tout chercher les grains & qui
les rapportent en forme. On conçoit en même
temps que fi de fimples particuliers étoient obligés
d’avoir des bêtes de fomme pour conduire leurs
grains au moulin banal, l’affujettiffement leur feroit
trop- onéreux par la dépenfe que le foin' & la
nourriture de ces bêtes leur occafionneroient.
Dans l’incertitude, nous penfons avec Freminville
qu’on doit fe déterminer par l’ufage qui fe
pratique dans chaque banalité, & qu’on doit fur-
tout avoir égard au droit de mouture qui fe paie
au meunier : s’il eft modique, il paroît que le fujet
eft obligé de porter fes grains ; fi au contraire il
eft proportionné à la peine de les aller chercher,