
tlansla retraite,les vérités utiles à Taccroiffement de la
félicité publique; alors on parvient à fe perfuader
qu’il eft de la prudence de tolérer les abus, & l’on érige
bientôt l’indolence ou l’incapacité en maxime politique.
Eft-ce ainfi que penfèrent & qu’agirent ces
princes & ces minières, dont les noms confacrés
dans l’hiftoire font aujourd’hui en vénération parmi
nous ? Charlemagne , S. Louis, Louis X II, Henri
IV*. & Louis X IV, l’Hôpital, Sulli, Colbert, au milieu
des guerres étrangères, des troubles domefti-
ques, des embarras du gouvernement, ont trouvé
le temps de s’appliquer à la réforme des abus , &
font parvenus à les déraciner. Pourquoi donc fom-
jnes-nous aujourd’hui plus timides ? Pourquoi cette
indifférence pour le bien ? A quoi fervent les lumières
de notre fiècle ? Languirons-nous dans un
fommeil léthargique, tandis que la plupart des nations
qui nous environnent, perfectionnent leurs
loix & l’éducation nationale, renoncent à leurs
préjugés, réforment leur police, renverfèntles éta-
bliffemens qu’avoient confacrés l’erreur & la barbarie
de nos ancêtres ? Hommes d’état, ouvrez les
faites du monde, examinez les caufes de la chute
des empires, & vous tremblerez d’expofer vos
concitoyens, & peut-être même vos enfans à être
un jour enfevelis fous les ruines d’un édifice que
vous avez craint ou dédaigné de réparer..
On ne doit pas s’attendre à trouver ici l’énumération
des abus en tout genre, qui fe font gliffés
dans nos institutions politiques & civiles, nous les
remarquerons fous chacun des mots auxquels ils
ont rapport.
Nous nous bornons à traiter fous le mot ABUS ,
l’acception particulière qu’on en fait en droit, pour
défigner l’abus de la jurifdiCtion eccléfiafiique, &
les contraventions aux faints canons, aux loix &
ordonnances du royaume, qui donnent lieu à Y appel
comme d’abus.
De l’appel comme fabus. JJ abus, dans cette acception
particulière, n’eft autre chofe qu’un ufage illicite
de la puiflànce & de la jurifdi&ion eccléfiafiique.
Règles pour connoître s’il y a abus. U abus peut fe
commettre de trois manières principales: i°. parle
défaut de pouvoir; 2°. par l’excès d’un pouvoir légitime:
3 P. en procédant d’une manière irrégulière
& contraire aux règles de l’ordre judiciaire.
Le pape, les prélats, les fupérieurs du clergé régulier
4- féculier, les officiaux & autres, commettent
abus par défaut de pouvoir, lorsqu’ils entreprennent
, foit fur la jurifdiétion laïque, foit
fur la jurifdiélion des autres fupérieurs eccléfiafti-
ques: ils commettent abus dans l’exercice de leur
pouvoir légitime, lorfqu’ils excèdent les bornes
d’une jufte modération, ou qu’ils fe fervent de leur
autorité pour vexer les fujets du roi : enfin, ils
commettent encore abus lorfque dans leurs juge-
mens ils dolent les formes prefcrites par les canons
ou par les ordonnances du royaume.
L ’article 79 des libertés de l’églife gallicane indique
quatre fovjrces principales, dans lefquelles
Y abus confifte eflentiellement ; favoir : 1®. dans la
contravention aux canons reçus dans le royaume.:
2°. dans la contravention aux concordats, édits &
déclarations des rois, & aux arrêts des cours fcu-
veraines : 30. dans les attentats contre les droits,
franchifes, libertés & privilèges de l’égiifè gallicane
: 40. dans les entreprifes de la jurifdiélion ec-
cléfiaftique fur la jurifdiélion temporelle, foit en
prenant par le juge d’églife, connoiflance des caufes
qui ne font pas de fa compétence, foit en excédant
les bornes de fon pouvoir.
Premiers moyens employés contre l’abus de la jurife
diElion eccléfiafiique. Dès le moment que les princes
féculiers ont embraffé la foi catholique, & ont
permis le libre exercice de la religion, on a eu
recours à leur autorité, pour faire réformer les ju-
gemens & autres aétes de la jurifdiélion eccléfiafti-
que, lorfque les pafteurs de l’églife ont abufé de
leur autorité, foit en prenant connoiflance des a ffaires
qui n’étoient pas de leur compétence, foit en
violant les canons & la difcipline eccléfiafiique.
S. Athanafe , en 3 3 5 , s’adreffa à Conftantin pour
faire réformer le jugement qui avoit été rendu
contre lui dans le fynode de T y r , par dol, par
fraude & par artifice. Eufèbe, évêque de Dorilée,
préfenta en 451 une requête à l’Empereur Marcian
lur tout ce qui avoit été fait contre lui dans le faux
concile d’Ephèfe.
Dans ces premiers fiècles de l’églife, les entreprifes
des eccléfiaftiques fur la jurifdiélion temporelle
étoient rares, ils n’ont commencé à fe multiplier
qu’après la décadence de la maifon de Charlemagne
, lorfque les papes, oubliant qu’ils tenôient
leurs richeffes & leur puiflànce de la libéralité des
rois de France, cherchèrent peu-à-peu à les au-*
gmenter, même à leur préjudice, & au détriment
de toutes les puiflànces fèculières & légitimes.
Le premier moyen qui fut employé contre les
prétentions exorbitantes dé la cour de Rome, &
contre les entreprifes de tout le clergé , fut d’abord
le recours au prince, par l’appel de déni de juftice§
Ce recours fondé fur le droit de proteélion que les
fujets doivent attendre de leurs fouverains, & clairement
exprimé dans la loi 2. §. 18. c. de veteri
jure enucleando , a été admis par les loix de tous les
peuples, & il eft encore ufité dans tous les états
catholiques, où il fe pratiqué de différentes manières,
félon les différentes, circonftances : il produit
les mêmes effets que l’appel comme d'abus, quoiqu’il
n’en ait pas le nom.
On. imagina enfuite l’appel du pape & du S.
fiège, au pape & au S. fiège lui-même, comme
fit Philippe Âugufte, lors de l’interdit fulminé contre
fon royaume par Innocent III.
On fe fervit enfuite de l’appel au futur concile,'
ou de l’appel au pape mieux informé : c’eft ce que
fit Philippe-le-Bel, qui appella ad' concilium de fu~
turo congregandum, & ad verum, futurum )& legitU
mum pondficem, & ad tllutn, feu ad illos, ad quem ,
vel ad quo$ » de jure fuerit provocandtim : c’eft-à-dire p
<JU8
bue Cè prince dans fes démêles avec Boniface VIH,
pour fe mettre à l’abri de fes violences, interjetra
appel de fes bulles & décrets, tant de ceux quil
avoit prononcés, que de ceux qu’il donneront par
la fuite, au futur concile, au pape futur, vrai & légitimé
, & généralement à celui ou à ceux à qui il
pouvoir adrefler fon appel. Les grands, les prélats,
les univerfités, les couvens religieux, & génera-
iement tous les ordres de l’etat adhérèrent a cet
Nous trouvons, dans notre hiftoire, plufieurs exemples
de ces appels ; mais comme ils ne rempliffoient
pas exactement le but qu’on s’étoit propofé, celui
de maintenir & de conferver- la puiflànce temporelle
contre les entreprifes de la cour de Rome & du
clergé; que ces appels pouvoient être confidérés.
comme des appels Amples, qui régulièrement dévoient
faifir le juge fupérieur du fond du fujet contre
lequel on appelloit, ce qui auroit fournis à la jùrif-
diélion eccléfiafiique le jugement d’une conteftation
•qui ne pouvoit ni ne devoit être de fa compétence,
on joignit à l’appel au futur concile , des protefta-
tions de fe pourvoir au confeil du roi, ou dans
fes parlemens, pour y obtenir la ceflation des aétes,
dans lefquels on prétendoit y avoir abus.
Cette dernière voie acheminoit de bien près les.
appels comme d’abus , tels'que nous les voyons
aujourd’h ui, & elle produifoit le même effet.
Epoque de l’appel comme d’abus. Les auteurs font
divifés fur l’époque à laquelle on doit fixer l’iifage
des appels comme d’^zw : les uns ne la fixent qiie
fous le régné de François I , qui a employé ce mot
dans le fens que nous lui donnons, dans l'ordonnancé
de 1539 : Pafquier , dans fes Recherches de la
France,' en place l’ufage fous Louis XII. Mais fi on
fait attention aux arrêts rapportés par les freres;Pi-
thou, dans leur Recueil des preuves des libertés de
l ’églife gallicane, on trouvera1 le terme d’abus employé
dans les arrêts qui ont réformé ou arrêté les
entreprifes des eccléfiaftiques , depuis la fameufe
conférence, tenue fous Philippe de Valois, entre
les députés du clergé & Pierre de Cugnières-, avocat
général. Si dès-lors on n’a pas établi les appels
comme d’abus dans la forme dont nous nous
fervons, ils n’oiit pas tardé à être en ufage, & ils
n’ont pas ceffé depuis cette époque.
Aufrérius, qui écrivoit en 1480, au commencement
du règne de Charles V I I I , en fait mention
dans fon traité De poteflate feculari, reg.2. fait. 30.
Benediéli , confeiller au parlement de Touloufe,
fous Louis XII, attefte que les appels comme d'abus
étoient ufités de fon tems; & Poncher , évêque
de Paris, en parle dans fes Statuts fynodaux de 1503 ,
comme d’une chofe établie depuis long-temps. Nous
pourrions éntafler un grand nombre de preuves à
l’appui de cette opinion, qui fixe l’introduélion de
l’appel comme d’abus immédiatement après le règne
de Philippe de Valois; mais ce que nous en avons
dit doit fuffire, & nous nous contenterons de re-
, marquer ayec Pafquier , qu’il n’y a plus grand 6* fort
Jurifprudence. Topte I.
nerf de notre république, ni plus affurè rempart contre
les usurpations du clergé & de la cour de Rome.
La vérité nous empêche de diflimuler que le
clergé à fouvent fait tous fes efforts pour rendre
odieux les appels comme d’abus, & en obtenir la
fuppreflion : pour ne pas contredire tous les faits
qui démontrent que lui-même en différens temps
s’étoit fervi de la voie du recours au prince , pour
arrêter les vexations qu’ils éprouvoient , il s’efl:
efforcé de mettre une différence chimérique entre
ce recours au prince & l’appel comme d'abus : il
prétendoit que l’appel comme d’abus renverfoit l’ordre
judiciaire , & fervoit de prétexte aux-parlemens
pour attirer à eux la connoiflance de toutes les caufes
eccléfiaftiques.
Mais fes efforts ont toujours été inutiles , & fes
remontrances n’ont fait aucune impreflion ; pour
les faire ceffer, l’édit de 1695 , rendu fur l’exercice
de la jurifdiélion eccléfiafiique, a réglé, d’une maniéré
fatisfaifante, les cas où l’appel comme d’abus
peut être interjetté, &les effets qu’il doit produire-
On peut en confulter les articles6 , 1 1 , 1 8 ,2 0 ,
29, 36 , 37 & 79.
C ’eft d’ailleurs une erreur de croire que les parlemens
puiffent, fous le prétexte d'abus, attirer à
leur connoiflance toutes fortes de caufes : les ordonnances
ont défigné les cas où l’appel comme d’abus
doit avoir lieu, & elles défendent aux cours fou-
veraines de les admettre dans d’autres circonftances y
elles ont d’ailleurs pris les précautions convenables
pour que cette voie de droit.ne puiffe être facilement
employée pour favorifer l’injufticè ou l’op-
preflion.
Ce feroit encore une erreur plus groflièrc, de
s’imaginer, avec quelques auteurs’ , que l’appel
comme d’abus intervertit l’ordre des jurifdiélions,
en foumettant les affaires eccléfiaftiques à la décï-
fion des tribunaux féculiers. Cette voie de droit
opère tout le contraire : elle fert à diftinguer- les
bornes des deux puiffances , & à empêcher que
l’une n’ufurpe fur l’autre. Dans les appels comme
d’abus, les parlemens n’examinent que lé fait de
favoir fi le juge d’églife a vexé les fujets du r o i,
s’il a .violé les canons & les règles reçues dans le
royaume : après cet examen, il fe contente de- pro.-
noncer que le juge d’églife a abufé de fes pouvoirs,
& il renvoie la connoiflance du fond à un autre
tribunal eccléfiafiique. L’appel comme d’abus n’intervertit
donc peint i’ordre judiciaire, il ne prive pas
le clergé de'fa jurifdiétion , & il ne le fournet à
l’autorité des parlemens, que dans les cas où il eft
refponfable au roi de fa conduite.
L’appel comme d’abus a lieu contre les entreprifes des
juges féculiers. Il ne faut pas s’imaginer que l’appel
comme dabus n’ait, lieu que par rapport aux entreprifes
des juges eccléfiaftiques ; il y a également
abus, & on peut interjetter l’appel qualifié de Ce
nom, toutes les fois que le juge laïque entreprend
quelque chofe au préjudice de la jurifdiétion ec-
cléfiaftique. Rien n’empêche de fè pourvoir alors,