
plus avant, & donna le nom de Canada au pays
qu’il découvrit : on prétend que les Espagnols y
ctoient entrés, & que n’y ayant point trouvé de
mines, ils fe retirèrent, en prononçant avec mépris
ces mois Aca nada, que les fauvages répétèrent à la
vue des François, Quelle que foit l’étymologie de
ce mot, Jacques Cartier pourfuivit la route, elTuya
des périls multipliés, d’où il vit périr la plupart de
lies compagnons, 8c revint en France. C e ne futjqu’en
1607 que M. de Monty remonta le fleuve de Saint-
Laurent ; fécondé par MM. de Champlain 8c de
Pontgravé, il jçtta les fondemens de Québec : on
négocia aveç les fauvages par la médiation des Jé-
fuites, dont on fe fervit avec fuccès auprès de ces
nations riifées 8c perfides. Les Iroquois , loin d’accéder
au traité, s’avancèrent à main armée ; Champlain
marcha contre eu x , les battit, 8c ne dut fa
première victoire qu’à l’ effroi que jettoit parmi les
fauvages le bruit des armes à feu ; infenfiblement ils
s’y accoutumèrent, 8c dans le fécond combat la victoire
fut long-te ms balancée ; dans la troifieme aâion
ils refterent vainqueurs, & s’étant faifis des fufds
des morts, ils en devinèrent l’ufage, & .combattirent
dans la fuite à armes égales contre les François.
Ceux-ci eurent bientôt fur les bras des ennemis plus
dangereux ; les Anglois les alfaillirent avec une flotte
nombreufe ; il fallut fe foumettre aux loix du plus
fo r t , mais par le traité de Saint-Germain, le Canada
fut reftitué à la France en 1631. Champlain qui en
fut établi gouverneur, fit de nouvelles découvertes,;
donna fon nom à un lac, contint les Iroquois par la
terreur de fes, armes, les Hurons par fa politique ;
força çèux-ci à recevoir des millionnaires, agrandit
& fortifia Québec, & mourut en 1636, honoré des
regrets de fa colonie. Mont-Magni qui lui fuccéda ,
la trouva languiflante & prête à fe détruire elle-
même ; fa compagnie commerçante, qui faifoit la
traite des pelleteries, ne lui envoyoit aucun feeours.
Ün nouvel établifl'ement à Sylleri divifa les forces
des colons,par lçs forces auxiliaires qu’il fallut prêter
aux Hurons contre les Iroquois. Ce fut dans une de
ces expéditions, qu’un de leurs chefs, voyant fes
compatriotes, prêts à fuir lâchement, les ranima par
cette courte harangue. : Mes. amis, fi vous voulez
vous retirer fans combattre, attendez du moins
que le foleil foit defçendu derrière les montagnes, 8c
ne fouffrez pas qu’il éclaire votre honte : le fuccès
ne répondit point à l’ardeur de ce magnanime vieillard.
Les Iroquois vaincus épuiferent toute leur politique
pour détacher les François de l’alliance des
Hurons , &; les attirer dans leur parti. Le noble refus
de Mont-Magni infpira à nos alliés une confiance
qu’ils n’avoient point encore connue. La nécelfité
d’arrêter les Iroquois avant qu’ils fuffent entrés fur
les terres de la, colonie , 8c de protéger les progrès
de l’agriculture,, excita quelques particuliers à s’établir
dans l’île de Mont-Réal : beaucoup au-deflùs
on y bâpt un fort, on.y traça une ville , 8c cet-éta-
bliffement mérita bientôt le nom de colonie•. Les
Iroquois s’attachèrent, d’abord à en fapper les fon-
‘demens ; lès Hplfandois de Man-hatte, jaloux de
nos prolpérités., qui n’étoient qu’apparentes , prêtèrent
des armes.à.ces:fauvages., Sciesinftruifirent
dans l ’art de la guerre. Malgré ces fecours, ils furent
contraints, de demander la, pajx.Mont-Magni la leur
auroit accordée, mais, il, fut rappellé peu de tems
après. L a cour paroiffoit adopter le fyftême de ne
pas laiffer long-tems dans ces contrées, l’autorité
fuprême dans les mêmes.mains. Les troubles que le
commandeur de Poinci avoit excitésaux Antilles,
ne juftifioient que tr.op cette politique circonfpeâe,
tel étoit.l’état du Canada en 1648.
Les Iroquois ne tardèrent pas-à violer letraitéde
paix : ils. rentrèrent dans le. pays des Hurons .le fer
& la torche à la main, brûlant les bourgades, a{-
fommant leis vieillards, jettant les enfans dani les
flammes , 8c traînant leurs femmes 8c leurs meres en
efclavage. Telle eit la première époque de la difper-
liondes Hurons. La plupart fe retirèrent dans l’île
de Saint-Jofeph. 0 autres furent recueillis par les
François ; 8c cette multitude généreulement nourrie
par les colons, caufa parmi eux unè difette affreufe :
le refle, ou chercha un afyle chez les nations voifi-
nes, ou mena dans les bois une vie errante, jufqu’à
ce que des tems plus heureux leur permiffent d’élever
d’autres cabanes fur les cendres des premières.
Ce qu’il y a de déplorable, c’eft que ces hommes ne
trouvèrent point de reffources.dansletir propre humanité.
Le particulier pouvoit être doux 8c fociâble *
mais la nation étoit féroce : voici un trait qui la ca-
ra&érife ; des François avoient demandé l’hofpitaüté
à un chef Huron, vieillard vénérable , l’oracle de fa
patrie : il fe nommoit Aouantoï. Le repas frugal qu’il
partageoit avec eux fut bientôt troublé par les hur-
lemens affreux de tous les fauvages. Un incendie ’
qui eaufoir ce défordre , avoit dévoré leurs frêles
cabanes. La flamme ne refpe&a que la maifon du
fagç 8c généreux Aouantoï. Cette efpece de prédilection,
dont le ciel fembloit honorer ce fauvage
anima dans ces coeurs défefpérés, tous les feux de
l’envie. Ils s’écrièrent qu’il devoit avoir part
comme eux, à la calamité commune ; ils lui firent un
crime de ton bonheur , & faififfant avec furie les
. débris encore- enflammés de leurs cabanes , ils les
jetterent fur la fienne. Tandis que la flamme en par-
couFoit avec rapidité tous les recoins , Aouantoï fe
précipite à travers la fumée 8c les ruines,. enleve les
vivres qui lui retient. Et pendant que le feu con-
fume les relies de*fa maifon, il apprête un ample
feftin, 8c fe tournant vers fes compatriotes : mes
freres , leur dit-il, il étoit jufte que je fuffe malheureux
comme vous. Je ne m’applaudiffois de voir mes
biens contervés que pour les partager avec vous 8c
avec ces François à qui j’ai donné l’hofpitalité. Maintenant
tout eft détruit, je ne reconnors le lieu où fut
ma maifon qu’aux cendres dont l'a terre eft couverte :
mais j’ai fauvé deux caiffes de bled d?Ind:e,' vous
avez faim, je vous en donne une, elle fuffira pour
vous nourrir aujourd’hui , je ferrerai l’autre pour
mes hôtes, pour ma famille & pour moi. r
Cependant la colonie efîuya des révoltions qui
ne pouvoient que l’affoibiir. Louis XIV. céda à une
nouvelle compagnie de commerçans le Canada qui
lui avait été remis p arle défilement de fa première.
Trois gouverneurs fe fuccéderent en peu d’années!
Chacun fuivit un fyftême différent, 8c tous ajoutèrent
aux maux dont la colonie étoit accablée : Plro-
quois venoit armé demander la paix, la-conclüoit
& recommençoit le&hoftilités- des qu’il étoit de retour
dans;fa; patrie : Alexandre de ProirviUe marquis
de T ra c i, marcha contre le canton d*Agnies le
plus redoutable de tous..Ilgagna des batailles, fit, des-
conquêtes,,& ne rendit pas-la colonie plusflbriflante.
L’Iroquois;, quoique vaincu, fe-félicitoiten fecret
de l ’imprudence; des François qui Vengageoient témérairement
dans des contrées inconnues r 8c qui
périffoient fou.vent avant d’arriver au terme de leur
expédition. IL'fùyoità deffein, abandonnoirfes bourgades
, 8c laiflbit à' Ja faim & à l’intempérie des climats
le foinide détruire fon ennemi. Il voyoit avec
le même, plaifir; les Hollândbis chaffés par les A'n-
glois. de; la nouvelle Belgique. Toutes ces guerres
meurtrières entroient dans fes vues politiques, &
djminuoient dü moins le nombre des Européens
dont il redoutoit le voifinage.
Chaque jour on changeoit à'Quebec le plan de
l’adminiftration.. La liberté du commerce y fut publiée
en 166j , & bientôt on reffentitles effets de
cette fage ordonnance : de nouveaux colons arrivèrent
de toutes parts : cette affluence mit le gouverneur
en état de rétablir la gloire des armes Fran-
çoifes. C ’étoit Danielde Bemide Courcelles. La paix
fut bientôt conclue, parce qu’elle fut le fruit des
vi&oires remportées fur les Iroquois, fouvent vaincus
8c toujours redoutables. Quand le calme fut rétabli
dans fa colonie, il n’adopta point la barbare
politique de fouffler la difeorde parmi fes ennemis,
& de les rendre les propres inftrumens de leur def-
tru&ion. Il termina les différends qui s’étoient élevés
parmi les cantons Iroquois , & le fuccès de fa négociation
fut d’apprendre aux fauvages à refpeûer
le nom François. Enfin parut Louis de Buade, marquis
de Frontenoie, qu’on peut appeller le fondateur
delà nouvelle France. Soldat, citoyen, général, magif-
trat & négociateur, il uniffoit les vertus de l’honnête
homme aux talens du grand capitaine. Son premier
foin fut d’affermir la paix conclue avec les Iroquois.
Il affeéta dans toutes les négociations un ton de fierté
inconnu à fes prédéceffeurs ; il parla en maître qui
diéloit des loix à un peuple libre, 8c il eut la gloire
d’en être écouté. 11 s’appliqua enfuite à faire fleurir
l’agriculture, 8c à faciliter la circulation dans le
commerce.
Ces occupations pacifiques ne le détournèrent pas
des foins de la guerre allumée entre l’Angleterre 8c
la France. Les troupes fe mirent en campagne fuivies
de quelques fauvages, 8c s’emparèrent de Cozlar
& de Cemenfelles. Cafquebé eut la même deftinée.,
Tous les forts yoifins ouvrirent leurs portes, &
fouferivirent aux conditions preferites par le vainqueur.
Les Anglois, réfolus de venger la honte de
tant de défaites, firent une armement confidérable.
Trente-quatre vo ile s , fous les ordres de l’amiral
Phibs, couvrirent le fleuve Saint-Laurent. Phibs fom-
ma le gouverneur de rendre Quebec à Guillaume II,
roi d’Angleterre. Je connois , répondit le comte de
Frontenoie, JacquesII, roi d’Angleterre; quant au
roi Guillaume, je ne le connois pas. Je fais feulement
que le prince d’Orange eft un ufurpateur ; mais
quel que foit le légitime pofleffeur de la couronne
Britannique, Quebec n’appartient ni à l’un ni à l’autre.
Louis XIV. en eft le maître, & je le lui conferve-
rai au péril de ma vie. Les Anglois débarqués tentèrent
des attaques infruélueufes , effuyerent des
forties meurtrières,furent vaincus dans trois combats,
remontèrent fur leurs vaiffeaux & difparurent. Ils
tournèrent leurs armes contre Moqt-Réal où le chevalier
de Calliere, émule de la gloire du marquis de
frontenoie, fit une défenfe fi opiniâtre, qu’il força le
ennemis à faire une retraite précipitée.
Tant de fuccès ne furent pas fans quelque mélange
de revers. Plufieurs partis François, trahis par un
courage imprudent, furent battus 8c difperfés. Ces
pertes, quoique légères , affoibliffoient la colonie ;
8c le comte de Frontenoie , qui cherchoit moins à
remporter des viéloires ftériles, qu’à mettre une barrière
entre les Anglois & lui, négocia avec les Iro-
quois pour leur faire accepter la neutralité, fous la
condition de ne point ouvrir aux Anglois de paffage
fur leurs terres : mais il n’obtint d’eux que des pro-
pofitions infidieufes, des promefles vagues 8c des trêves
enfreintes aufli-tôt que jurées. Frontenoie fe fortifia
de l’alliance de plufieurs nations voifines, 8c
fur-tout des anciens Hurons, dont une partie étoit
rentrée dans fes poffeflions. La guerre fe renouvella,
& la fortune favorifa alternativement les deux partis.
Frontenoie, impatient de fixer la v iâo ire , crut
que fa préfence infpireroit aux foldats plus de conf-
tance dans les fatigues , & que fon exemple les em-
brâferoit de cet enthoufiafme qui eft le préfage certain
des fuccès. Ce vieillard courbé fous le poids des
ans, 8c des infirmités qui en font le trifte appanage,
s engagea dans des pays entrecoupés de précipices $
8c hériffés de rochers où la nature avare refufoit
tout aux premiers befoins de l ’homme. Sa confiance
triompha de tous les obftacles ; il combattit tôujours
au premier rang, défit les Iroquois dans plufieurs
rencontres, & revint triomphant. Une conduite auflï
vigoureufe lui acquit un tel aicendant fur cette nation
perfide , qu’elle n’ofa plus infulter ni les François
ni leurs alliés. Frontenoie, qui n’ambitiônnoit'
des vidoires que pour terminer la guerre, crut toucher
à l’inftant d’une paix générale ; 8c pour y parvenir,
il convoqua une affemblée de toutes les nations.
Mais il n’eut pas la douce fatisfaôion de mettre
la derniere main à fon ouvrage : ce fut la feule
chofe qui manqua à fon bonheur & non pas à fa
gloire. Le chevalier de Calliere, qui lui fuccéda
recueillit le fruit de fes travaux politiques 8c guerriers.
Cë fut par un congrès général qu’il fignala les
premiers jours de fon gouvernement. On y vit arriver
plus de dix-huit cens députés des nations fepten*
trionales. Le traité fut conclu avec une pompe véritablement
fauvage. Comme on alloit terminer les
conférences, un des chefs s’avança 8c tint ce discours
qui décele le caraâere national : « Le grand
ouvrage eft achevé 8c la hache va relier cachée au
fem de la terre : l’arbre de la paix eft planté fur une
haute montagne, où toutes les nations pourront
contempler fes rameaux. Si quelqu’un de nous fent
renaître quelque defir de vengeance, il fixera les
yeux fur lui, & fentira aufli-tôt fa fureur s’éteindre >k
Se tournant enfuite vers le gouverneur, il lui dit:
« Mon pere, ton coeur eft fatisfait, & le mien eft auffi
rempli de joie ; car le coeur de ton fils ne fait qu’un
avec le tien. Périffe le miférable qui fe fentiroit encore
altéré du fang de fon propre frere. Nous fumons
tous dans le même calumet, un même foleil
nous éclaire, une même terre nous nourrit ; & mon
pere, tu as applani fa furface, il n’y a plus de barrière
qui nous lepare ; nousfommes tous ta famille.
Mes freres les Outaouacks ont été perfuadés que la
mort de plufieurs de nos Compagnons étoit l’effet de
tes fortfleges : ils m’ont député vers toi pour te fup-
plier d’écarter de to i, pendant leur retour, tous les
fléaux qu’ils difent que tu tiens dans tes mains. Pour
moi, qui fuis chrétien, je fais qu’il n’eft qu’un feul
maître de la vie des hommes, 8c ce maître eft Dieu.
Je ne te demande donc point la v ie , elle ne dépend
pas de toi : je te demande un don plus précieux
un don qui eft en ta puiflance ; c’eft ton coeur, ne
me le refufe pas. Hélas ! mon pere, ton fils te parle
pour la derniere fois. C’eft en te venant vifiter, que
j’ai gagné Ta maladie qui m’arrêtera fans doute en
chemin. Mais puifque je t’ai v u , je ne me plains pas.
Je parts, mes jambes peuvent à peine me porter. La
mort m’attend à quelques journées d’ici. Mes derniers
regards fe tourneront de ton côté : ils te chercheront,
& ne te trouveront pas; tandis qu’ils te
contemplent encore , embraffe ton fils, 8c fouviens-
toi de lui quelquefois. Adieu, mon pere ».
J’ai cru devoir rapporter ce difeours, pour donner
une idée de l’éloquence des fauvages : les expreflîons
les plus touchantes, 8c toujours ornées d’images,
leur font naturelles; Ils prodiguent les noms de
pere & de frere avec autant de facilité que les Européens
prodiguent le nom d’ami. Ononthier eft le
titre par lequel ils défigent les gouverneurs de
Quebec. Ce m ot, dans leur langue, ûgmûemon pere
donne-nous la paix. Le chevalier de Calliere ne négligea
rien pour rendre plus durable la paix qu’il
venoit de publier avec un pompeux appareil ; 8t
pour fe conformer auftyle figuré,de ces nations , il
leur avoit annoncé j dans leur langage , qu’il avoit
enfoui la hache, que lui feul connoiflbit le lieu où
elle étoit cachée, que lui feul auroit déformais la