
I I I . Le plan particulier d’une campagne confifte
à établir les opérations de chaque armée, foit qu’elles
foient deftinées à agir de concert ou féparément.
Cet article eft du reffort des généraux qui doivent
commander. Ils communiquent ordinairement par
des mémoires leurs idées, leurs vue s, leurs deffeins
; 6c ce n’eft qu’après qu’ils ont été examinés &
approuvés par le prince, 6c qu’ils ont reçu fes inf-
truélions & fes ordres, qu’ils fe difpofent à les mettre
à exécution.
Pour bien régler le plan particulier d’une campagne
, il eft important de cônnoître avec toute l’exactitude
poflible , la fituation, l’état 6c la nature de
la frontière, 6c du pays où l’on doit faire la
guerre.
Un général nommé pour agir offenfiyement, 6c à
qui on demande préalablement le plan de la campagne
, commence par confidéref la frontière de l’ennemi.
Si c’eft une ligne de places fortes , il indique
çelle qu’il eft le plus important d’attaquer, 6c en
déduit les raifons : il expofe les différens mouvemens
qu’il fera , pour prévenir l’ennerjii en campagne , &■
lui donner le change fur la place qu’il devra attaquer;
la maniéré dont il fera l’inveftiffement de cette place:
il défigne les poftes qu’il occupera , les endroits où il
établira fes magafins : il développe la conduite qu’il
tiendra pendant le fiege; foit qu’il ait une armée d’ob-
fervation , ou qu’il ne foit pas en état d’en avoir une , •
pour s’oppofer auxdiverfes tentatives que pourra faire
l ’ennemi. En unmot,il n’oublie aucun desmoyens
qu’il emploiera pour venir à bout de fon entreprife
le plus promptement & le plus sûrement qu’il lui fera
poflible : il fait voir en même tems comment il afsu-
rera fes convois & fes derrières, ainfx que la communication
6c la correfpondance de fa propre frontière.
En fuppofant la fin de cette première opération,
il dit quelles font les places qu’il faut en-fuite affliger
: il obferve s’il ne feroit pas plus convenable de
les bloquer, & de chercher à combattre l’ennemi,
pour l’éloigner 6c le mettre hors d’état de pouvoir
empêcher la prife de ces places : il le fuppofe dans
une pofition avantageufe ; 6c il détaille fa marche
& les difpofitions qu’il fera faire à fon armée , pour
le joindre & l’attaquer avec fuccés. Si l’ennemi eft
obligé de fe retirer, de quelque façon que ce fo it , il
fait remarquer les plaines, les défilés, les rivières
qu’il aura à pafler dans fa retraite, 6c comment il
pourra le furprendre ou l’attaquer en quelqu’endroit
& le mettre en'déroute.
Si la frontière de l’ennemi n’a que peu ou point de
places ; que ce foit une chaîne de montagnes , dont
les gorges foient retranchées , ou une grande riviere
dont les partages foient gardés , le général fait voir
les mouvemens & les manoeuvres qu’il emploiera
pour divifer l’attention de l’ennemi, partager fes forces
, 6c tâcher de pénétrer ou de pafler en quel-
qu’endroit , foit par furprife , foit par un combat
avantageux.
Enfin, de quelque nature que foit la frontière &
le pays qu’il eft chargé d’attaquer, il préfente tout
ce qu’il croit de mieux à faire pour s’ en rendre maître
& s’y maintenir : il varie fes deffeins de plufieurs
maniérés, afin que, quoi qu’il puifle arriver, il ne refte
point dans l’inaôion, ni dans l’embarras. Mais comme
il ne faut pas toujours compter fur des fucçès,
en fuppofant qu’il ne réufliffe pas, il eft effentiel
qu’il prévoie comment, dans tous les cas fâcheux
qui pourront lui arriver , il fe tirera d’affaire.
Celui qu’on choifit pour faire une campagne de
défenfive , doit plus qu’aucun autre avoir une'con-
noiffance. profonde de la froîuiere & du pays où il
eft deftiné à opérer. 11 eft néceflaire qu’il ait vu l’une
& l’autre, 6c qu’il les poffede parfaitement/pour
pouvoir bien méditer & bien établir le plan de fes
opérations. Si la frontière qu’il aura à défendre eft
de la première efpece, «il envifage quelle eft la place
qu il faut couvrir de préférence aux autres. Pour cet
effet, il choifit une pofition d’où il puifle remplir fon
objet. Il fuppofe enfuite que d’une maniéré ou d’une
autre, l’ennemi parviendra à invertir cette place : en
démontrant comment il établira fa circonvallation.,
de quel,côté il formera fon attaque , les poftes qu’il
occupera pour couvrir fes opérations , il fait remarquer
l’endroit par lequel il pourra l’attaquer avec le
plus d’avantage pour fecourir les afliégés, & d e quelle
maniéré il procédera à l’exécution de ce deffein.
S’il n’eft pas affez en forces pour rien tenter de fem-
blable , il expofe la conduite qu’il obfervera pour
harceler les aflîégeans, enlever leurs cpnvois , les
gêner pour leurs fubfiftances, leur couper leurs communications
; en un mot, tous les efforts qu’il fera
pour retarder, même empêcher, s’il eft poflible ,1a
prife de la place. Si, malgré tout ce qu’il fe propofe
défaire, l’ennemi yient à bout de fon entreprife , il
dit comment il fe portera pour couvrir les autres
places: s’il eft contraint de les abandonner à leurs
propres forces, en quelppint il fe placera pour ne
pas les perdre de vue , 6c les pouvoir protéger d’une
façon ou d’une autre ; & fi l’ennemi prend le parti
de les bloquer & de pénétrer dans le pays, quel fera
le porte affez avantageux qu’il occupera pour pouvoir
l’arrêter Ôc l’obliger à rifquer l’événement d’un combat
avant d’aller plus loin. Enfin , s’il eft forcé dans
fa pofition, comment, & où il fe retirera pour évii
ter quelque nouvel échec , & fe mettre à portée de
recevoir du fecours.
Si la frontière eft de la deuxieme efpece ; fi , comme
on l’a dit ci-devant, au lieu d’avoir une ligne de
places, elle eft barrée par une chaîne de montagne,
ou par quelque riviere çonfidérable, le général fait
voir les différens paflages qu’il eft le plus important
de garder; il détaille les mouvemens, & le s difpo*
fitions qu’il faudra qu’il ftiffe, pour prévenir l’ennemi
par-tout, rompre fes projets, & être toujours en
état de repauffer fes attaques. En fuppofant tout ce
que celui-ci pourra tenter , & en indiquant les
moyens qu’il emploiera.pour arrêter fes deffeins,
il dit de quelle maniéré il cherchera à l’attirer dans
quelque lieu refferré , où il pourra l’attaquer avec
avantage, & fans lui donner le tems de fe réconnoî-
tre. Il ajoute à cela tout ce qu’il fera pour tirer le
meilleur parti de fon armée, & caufer à l’ennemi le
plus de mal qu’il pourra. Dans tous les cas qu’il fuppofe
, il fait mention des lieux d’où il tirera fes convois
, 6c des précautions qu’il prendra pour évacuer
sûrement le pays qu’il fera forcé d’abandonner.
Quelqu’abregé que foit l’expofé qu’on vient de
vo ir , il fait affez fentir combien il faut de travail &
de tems pour fe mettre en état de former un pian
de campagne. Aufli n’appartient-il qu’aux généraux
du premier ordre de pouvoir régler à cet égard quelque
chofe de fixe 6c de sur : c’eft le fruit de la fcienca
militaire , d’une expérience confommée & réfléchie.
« Il ne faut pas toujours, dit le commentateur de
» Polybe , tome V , page 3 4 7 , régler l’état de la
» guerre fur le nombre 6c la qualité des forces que
» l’on veut oppofer à l’ennemi, qui fera peut-être
» plus fort. 11 y a certains pays où le plus foible
» peut paroître & agir contre le plus fort, où la ca-
» valerie eft de moindre fervice que l’infanterie,
» qui fouvent fupplée à l’autre par fa valeur. L’ha-
» bileté d’un général eft toujours plus avantageufe
» que la fupériorité du nombre, Sc les avantages
» d’un pays. Un Turenne réglé l’état de la guerre
» fur la grandeur de fes connoiffances, de fon cou-
» rage 6c de fa hardieffe. Un général qui neluiref-
» femble en rien, mal-habile, peu entreprenant,
» quelque-ftipérieur -qufil fo i t , craint toujours ; &
» n’eft jamais affez fort ».
On peut juger, d’après-tout ce qii’on vient de dire:,
combien-il importe à un Foüverain d’employer pendant
la paix -fur fes frontières, ■ &-fur celles de fes
ennemis, des officiers capables,,,par leurs tdlens &
leur expérience , de faire la recOnnoiffance la plus
exafte.des .unes & des autres; de drefferides mémoires
& des plans fur l’état & les en virons des pla-
ces ; fur la ligne de communication de l’une à l’autre
de ces places,; fur les poftes les plus importans à-occuper
, & où-il feroit effentiel de prévenir l’ennemi
de quelqu’efpeçe que fût la guerreiqu’on auroit à
faire ; fur tous les-camps qu’on pourroit prendre ;fur
tô.utés les marches qu’on pourroit faire ; fur lesftib-
fiftances & les-fourrages que foumiroit le pays , ‘&c.
Ce fut fur de pareils mémoires que Louis XIV. régla
le plan de la glorieüfe campagne qu’il fit en 1672.
Voy. Usarticles C ONNO is San CE du Pay s 6*.Carte
Mil it a ir e , Suppl.
IV. La conduite d’une campagne eft la maniéré
d’exécuter le plan d’opérations qu’on a formé. Quelque
réfléchi que foit ce plan , il arrive , dans l’offen-
five comme dans la défenfive, une infinité de cir-
conftances qui le font néceffâirement varier, & qui
rendent les événemens fort incertains, mais principalement
quand on eft inférieur , 6c qu’on ne fàuroit,
jpour ainfi dire , agir que d’après les projets qu’on
fuppofe à l’ennemi, & fuivant les mouvemens qu’on
lui voit faire ; c’eft aufli pourquoi il eft plus difficile
dé former un plan-fixe de conduite & de l’exécutèr,
dans la deuxieme efpece de guerre, que dans la première
, fur-tout quand celle-ci. fe fait à la fuite de
quelque campagne heureufe. « La guerre, dit le che-
» valier de Folard, ne lüit pas toujours la route qu’on
» fe propofe ; des changemens peuvent arriver , &
>> un mouvement de l’ennemi auquel on ne s’attend
» pas, change fouvent tout un projet de campagne,
» & tout ce qu’on s’étoit réfolu de fuivre. Il faut
>> bien., continue cet auteur, prendre garde à c e c i,
» ou avoir plufieurs deffeins j plutôt que de s’arrê-
» ter à un fenl : car fouvent une offenfive, quelque
>> bien concertée qu’elle fo i t , par un mouvement
». fait mal-à-prqpoS j fe tourne malheureufement en
» défenfive, & il faut d’autres mouvemens pour
» revenir au premier projet. M. de Turenne enten-
» doit parfaitement l’art de réduire fon ennemi, au-
» paravant prêt fur l’offenfive à prendre la défenfive ;
» mais quelle profondeut de génie , d’expérience &
» de feience ne faut-il pas avoir } Souvent un mou-
» vement mal concerté 9 fans que l’ennemi y ait la
>» moindre part, nous réduit à cette extrémité ; une
» lettre interceptée, un fecrét divulgué, & quelque-
» fois un mot lâché mal- à-propos & fans réflexions,
» font echouer tout le plan d’une campagne. Un or-
» dre exécuté une heure pliis tard ou plutôt, ruine
» cent defièins entaffés les uns fur les autres, qui
» font unë fuite néceflaire du premier, & des mefu-
» res prifes& forméës dans le cabinet ; enfin un rien,
» vme bagatelle la plus fortuite, change la face des
» affaires : de forte que cela nous oblige à régler
» autrèment l’état de la guerre , & la maniéré de la
» faire & d’agir, contré le plan qu’on s’étoit formé ».
Commentaires fur Polybe j tom. y , pag. 2C)2.
Ce feroit ici le lieu de parler de toutes les marches
qu une armee peut faire j du choix des camps, de
leur établiffement, des combats & des batailles * des
raifons qu’on peut avoir de les donner ou de lés recevoir
, de la conduite qu’on doit obferver en pareil
ca s, &c en general de toutes les opérations de la
guerre; mais comme il ne s’agit point d’un traité fur
cette fcience ; que d’ailleurs on ne pourroit que ré-,
péter ce qui a été dit aux articles Marche , C amp ,
C ombat, Bataille , Encyclop. Se. à ceux qui y font
I 'relatifs:; tcIsqueiCONvoi, D éta ch emen t , Sur-
' prise., Ste g e., ^Re t r a it e , & c. & c. On fe conten-
S tera de donner lés maximes les plus générales pour
•bien conduire une cantpagne d’ôffenfive , & une
: 'Campagne de défenfive , fuivant le plan qu’on aura
dreflé de l’une ou de l’autre.
Maxime s générales pour une campagne tfoffenßve.
I. Le confeil, dit Montecuciilli, eft la bafe déâ
aélipns. Il faut tbtijoitrs délibérer avant d’agir.
Il eft du devoir, & du véritable intérêt du géné-
r a l, d appeller -à fon confeil les officiers les plù’s
éclairés 6c les plus capables, & d’y traiter librement
avec eux de l’état refp'éélif de -fes troupes &
de celles des ennemis, des marches qu’il devra faire
des camps qu il prendra, des difpofitions qu’il fera
pour une bataille , & de tout ce qu’il pourra entreprendre
, & de la maniéré de l’exécutër : il fautfur-
tout que ceux qui cortip'ofént-fort confeil foient fidèles
, incorruptibles ; -qu'é l’envie de lui plaire, ou Û
d’aütres, ne puiffe léûr faire trahir leurs fentimens ;
qu?ils n’aient abfolument d’autre but que le bien commun.
« Rien de plus dangereux que cés gens adroits
» 6c tranfeendans, qui ont dë$ affé£iions 6c des vues
» particulières, auxquelles ils facrifient l’utilité pu-
» blique en ramenant tout le confeil à leur à vis A;
L ’empereur Léon.
Il eft bon de cônfulter, avec un certain nombre
d’officiers choifisÿ tout ce qui fe ■ peut faire; mais
pour ce qu’on veut exécuter, il ne faut .prendre confeil
que de ceux qui ont lé plus d’expérience, qui
ont dans différentes occäfiöns montré de là capacité
6c de l’intélligence , ou plutôt que de foi-même.
« Le princé Eugene avoit coutume de dire, qu’un
» générai ayant envie de ne rien entreprèndre, n’a-
» voit qu’à tenir confeil de guerre. Gela eft d’autant
• » plus vrai, que les voix font ordinairement p'oiir
» la négative. Le fécret même, qui eft fi nécéffaife
» dans Ta guerre, n’y eft pas obférvë ».
« Un général à qui le foüverain a confié fes trou-
» pes , doit agir par lui-même ; & la confiance que
» le foüverain a mife dans le mérite de ce général ,
» l’autorife à faire tout d’après fes lumières».
« Cependant je fuis perfuadé qu’un général, à
» qui même un officier fubalterne donne un confeil,
» en doit profiter > puifqu’un vrai citoyen dôit s’ou-
» blier lui-même, & ne regarder qu’au bien de l’af-
» faire, ;fans s’embârraffër fi ce qui l’y mene pro-
» vient de lui Ou d’un autre, pourvu qu’il parvienne
» à fes fins ». Inflructiohs militaires du toi de PruJJc.
pour fes généraux, article X X V .
II. Les meilleurs deffeins étant ceux qui font ab-
folument ignorés de l’ennemi avant leur exécution ,
il eft effentiel d’obferver le plus grand feefèt fur
celui qui aura été arrêté dans lé confeil ; un mot,
un figne peut le faire entrevoir : fi l’on apprend que
Eennemi en ait eu vent , on doit lé changer, auflir
tôt.
Pour cacher fon deffein à l’ennemi, il faut fe précautionner
contre fes efpions, & fe diéfier deceu^
que l’on emploie dans fon aririée, qui fbùvént font
livrés aux deux partis ; ne louffrir ni vagàbonds ni
inconnus dâns le camp ; garder à vue les prifonniers ;
ne pas croire trop facilement les rapports des defer-
teurs; punir rigoureufeiiient ceux qui fe ifouvent
avoir dés correfpbndànèés avec l’ënriemi, ou qui
révèlent cè qui leur a été confié; en un mot, comme
le dit MontetëeuTli, réfoudre feul.
On peut encore j en pareil cas, employer lés feintes
j foit eh térilbignant de la foibleffé, de la crainte ,
foit en faifant mine d’attaquër quelque pofte , 6c en
fondant tout-à-côiip fur l’èndroit où l’on a formé
fon prbjet, « II ëft affez ordinaire, dit M. de Mai-
» ze ro y, de marquer un faux deffein, pour cacher