
toutes les forces du Nord« La gouvernante des Pays-
Bas paroifloit feule fenfible aux malheurs de ce prince
; elle lui prêta trente vaiffeaux ; il mit à la voile ;
mais il fembloit deftiné à être le jouet des vents. Un
orage engloutit dix de fes vaiffeaux & difperfa le
refte, il fut trop heureux d’aborder dans le port de
Bahns : cependant il trouva un parti en N orvèg
e , & fit quelques conquêtes. Les Dalécarliens l’ap-
pelloient dans leur province ; mais la nature toujours
©bftinée à le perfécuter, lui oppofa. des neiges fur -
fon paflage ; il ne put y pénétrer, & crut s en de--
dommager par la prile d’Aggherus, mais il fut contraint
de lever le fiege de cette place.
Turéjohanfon s’étoit attaché à la mauvaife fortune
de ce prince, parce qu’il n’en pouvoit trouver
une meilleure. Odieux à Guftave, qui Taccufoit
d’avoir trahi fes intérêts, fa conduite donna les mêmes
foupçons à Chrijiiern. Les malheureux font toujours
défians. Bientôt on accufa Chrijiiern lui-même
de l’avoir fait affafliner. Si ce crime eft réel, ce fut
du moins le dernier qu’il commit ; abandonné par fes
foldats, il fe livra de lui-même aux généraux Danois ;
conduit à Copenhague par l’évêque d’Odenfée, il y
fut arrêté & renfermé dans le château Sunderbourg
l ’an 1531.
Sa prifon fut long-temps étroite & rigoureufe. La
nation ne l’y oublia point ; quelques provinces fe
fouleverent en fa faveur; on vit même fe former
une ligue de plufieurs princes voifins ; mais la prudence
de Cheiftiern III, qui avoit fuccédé à Frédéric
, fut diflîper tous ces orages. 11 força Chrijiiern à
renoncer à tous fes droits fur le Danemarck, la
Suede & tous fes anciens domaines ; alors il le fit
transférer à Callembourg;i,l lui laiffa dans cette retraite
une ombre de liberté, & vint même l’y voir.
Chrijiiern y mourut l’an 15*8 , âgé de 78 ans. Le
furnom de cruel qu’on lui donna eût été peut-être
un fupplice affez grand pour fes crimes, fi la mort
ne lui eut pas épargné l’horreur de s’entendre nommer
ainfi. ( M. d e S a c y . )
C hr istiern III, (fiijt. de Danemarck. ) roi de Danemarck.
Les états-généraux avoient promis à Frédéric
I de placer fa couronne fur la tête de l’ün de
de fes enfans, mais il leur avoit laiflé le choix de
fon fucceffeur dans fa famille, foit qu’il voulût par
cette conduite exciter les jeunes princes à fe rendre
tous dignes des fuffrages de la nation , foit qu’il n’o-
fât exiger qu’elle réglât fon penchant furie fien. Cette
difpofition fi fage en apparence , alluma la difcorde
dans la famille ro y a le& dans l’état. Le roi laiffoit
deux enfans de fon premier mariage, Chrijiiern ôi
Dorothée I , & du fécond trois fils & trois filles,
Jean, Adolphe & Frédéric, Elifabeth, Anne & D orothée
II. De tous ces princes, Chriftiern I I 2 étoit
feul dans l’âge de régner. Il avoit déjà gouverné
avec fageffe les duchés de Slewigh & de Holftein ;
on vantoit par-tout fa bienfaifance & fon courage ;
l’expérience avoit en lui devancé les années ; mais
il avoit protégé le luthéranifme qui commençoit à
faire des progrès rapides dans le royaume. Le clergé
fe déclara contre lui ; une partie des évêques fe
rangea du parti de Jean, enfant de huit ans ; l’autre
appelloit au trône Chriftiern II, tyran détrôné, qui
languifloit dans les. fçrs , & dont le coeur n’étoit
point changé même par la mauvaife fortune. Tels
lurent les concurrens qui partagèrent les luffrages
des états - généraux affemblés à Copenhague en
1533. La noblefle dont le crédit, à la faveur des
nouvelles opinions, commençoit à balancer celui
du clergé, formoit en faveur du duc Chrijiiern un
parti puiffant. L’éleélion avoit été différée jufqu’à
l’année fuivante , parce que la ville de Lubec qui af-
piroit à l’empire de la mer Baltique, & qui méditoit
la chute de Guftave, roi de Suede ,avoit afloçié à fes
deffeins anvbitieux plufieurs provinces du Danemarck.
Le duc qui cherchoit à fe faire de Guflaveun
proteûeurcontre Chriftiern I I , afliégeala ville de
Lubec, Ce fut pendant ce fiege que les états de Jut-
land, de Holftein & d e Fionie proclamèrent Chrif-
tiern III- U vint recevoir la couronne à Horfens. Il
promit de confacrer au bonheur & à la gloire de l’état
l'on repos, fes richeffes & fon fang ; de conferver les
privilèges de tous les ordres de l’état ; & de maintenir
avec autant de zele les poffeflions de fes fujets
que les fiennes ; il députa enfuite vers Guftave pour
l’engager dans fes intérêts ; tout concouroit à affurer
le faccès de cette négociation, la haine trop jufte
que Guftave portoit à Chriftiern II , fon perfécu*
teur , que Chriftophe, comte d’Oldenbourg, vou-
loit rétablir fur le trône , & fes reflentimens contre
la république de Lubec qui avoit juré fa perte. Guftave
arma en faveur de Chrijiiern I I I : la reine Marie ,
gouvernante des Pays-Bas, fit aufli de grands préparatifs
contre la ville de Lubec, dont le commerce ba-
lançoit celui de la Hollande. Cette ligue engagea le
comte d’Oldenbourg, la ville de Lubec & le clergé
de Danemarck à confirmer, par de nouveaux fer-
mens, celle qu’ils avoient formée contre ChrijiiernIII.
Le comte avoit déjà fournis la Zélande , il étoit entré
dans Rofchild fans coup férir, l’archevêque d’Up-
fal avoit reçu de fes mains l’évêché de cette ville ,
les portes de Copenhague lui avoient été ouvertes
apres un fiege peu meurtrier; fes bienfaits lui avoient
conquis la ville de Malmoe , & la Fionie trembloit
I fous fes loix ; les fuccès effrayèrent le nouveau roi ;
pour avoir un ennemi de moins à combattre, il ménagea
une treve entreda république de Lubec & les
habitans du Holftein ; la fortune changea, le Jut-
land fe fournit, Albourg fut emporté d’affaut , le
comte d’Oldenbourg , qui étoit trop fage pour ne.
pas fe défier de la rapidité de fes propres fuccès, demanda
une entrevue: elle fut fans effet,-parce que.
Chrijiiern I I I ne vouloit rien céder à Chriftiern I I ,
& que le comte ne vouloit laiffer à Chrijiiern l i t
que le Holftein & le Jutlaiid.
On n^ fongea donc plus qu’à pouffer la*guerre
avec plus de chaleur. Le parti de Chriftiern étoit peu
nombreux ; mais il étoit plutôt compofé d’amis attachés
à fa perfonne, que de partifans attachés à fa
fortune. Avec cette troupe d’élite, il fit dans la Fionie
une irruption fubite, tailla en pièces les troupes
du comte entre Middelfàrt & Odenfée : cette
viûoire ne lui coûta que la peine de paroître , &c
les habitans d’Odenfée lui rendirent hommage. Ces
fuccès rangèrent à fon parti la noblefle de Norvège ;
tranquilles fpeftateurs des troubles du Danemarck ,
les habitans de cette contrée attendoiënt que le fort
des armes leui»eût choifi un maître pour le choifir
eux-mêmes. Tandis qu’ils proclamoient Chrijiiern ///,
ce prince afliégeoit Copenhague ; il quitta le fiege
pour fe rendre à Stockholm prefque fans fuite , non
comme un roi qui va négocier avec fon égal, mais
comme un ami qui va embraffer fon ami. Les hifto-
riens Danois prétendent que Guftave, abufant de fa
confiance, voulut attenter à fa liberté, & queChrift
tiern lui échappa ; les Suédois foutiennent que Guftave
le combla de préfens, le reçut avec honneur ,
& l e renvoya de même. Si l’on confulte le cara&ere
de Guftave, pour prononcer entre ces deux relations
, celle des Suédois mérite la préférence. Quoi
qu’il en foit, Chrijiiern preffa le fiege de Copénha-
gue , engagea Ménard de Ham à fe jetter furies terres
de ,l’empereur qui méditoit la conquête des
trois royaumes, vengea l’affront fait à fes députés
par l’archevêque de Drontheim, qui s’étoit fait proclamer
roi-de Norvège au nom de l’élefteur Palatin,
I négocia avec la république de Lubec, fit fa paix avec
! eUe fans fe participation de Guftave, offrit une
dïïiniftie auxhabitans de Copenhague, & fut employer
fi à propos la politique, la clémence , les armes, les
careffes, les menaces, qne les habitans de la capitale
afliégée réfolurent enfin de lui ouvrir leurs portes en
1536 ; il y entra en triomphe, mais la joie que lui
caufoit cette révolution fut troublée par le fpe&à-
cle que lui êffroit cette ville malheureufe : la maladie
& la famine avoient moiflonné la fleur des citoyens;
les rues étaient jonchées de cadavres étendus
fans fépulture ,. parce qu’on manquoit de bras
pour les enterrer : les carrefours portaient encore
les marques fenglantes des combats que les bourgeois
& la garnifon s’étoient livrés ; des quartiers
entiers n’étoient que des monceaux de ruines dévorées
par les flammes : Chrijiiern ne voyoit fur fon
paflage que des fquelettes affamés, qui foulevoient
à peine leurs bras pour lui demander du pain. Le
roi fit diftribuer des vivres au peuplé, & des fecours
aux malades, pardonna au duc Albert de Meklen-
bourg, au comte Chriftophe d’Oldenbourg, au con-
ful de Munfter & à tous fes ennemis qui s’étoient
renfermés dans la capitale & l’a voient fi long-tems
défendue malgré les habitans même. Sa clémence
lui gagna tous les coeurs ; le clergé feul qui voyoit
fa décadénce affurée , par l’élévation de ce prince ,
lui oppofa encore une réfiftance qui prouvoit moins
fa force que fon défefpoir. Chrijiiern, du confente-
ment des états, fit dépofer, arrêter les évêques,
réunit leur bien au file, autorifa la prédication de
la religion évangélique, envoya une flotte dans le
Nord, conquit la Norwege fans effufion de fang,
& chaffa du Danemarck tous les moines catholiques.
Délivré des inquiétudes que le clergé lui avoit
données , il fe fit médiateur entre la Suede & la
ville de Lubec , affoupit par une treve les longs démêlés
de ces deux puiffances, fit à Brunfwick ;a vec
quelques princes Allemands, une alliance dont le
but était la deftru&ion de la religion catholique dans
le Nord ; rétablit ^académie de Copenhague, &
prit des voies fi fûres & fi douces pour mettre la
aerniere main à la révolution, qui étoit fon ouvrag
e , qu’en 1539 tout étoit paifible dans le Danemarck.
Le calme ne fit que s’affermir de plus en plus fous
fon régné. Le peuple s’accoutumoit fans effort à préférer
des erreurs douces aux vérités, dont là défenfe
lui aVoit coûté tant de fang ; on cefl'a de s’égorger pour
des dogmes; lesfeélesjie devinrent plus désarmées,
& les querelles théologiques, reléguées dans les écoles
, ne troublèrent plus le gouvernement. Chrijiiern
fut cependant alarmé des préparatifs de guerre que
formoit l’éleéteur Palatin ;ce prince s’avança en effet
vers le Holftein, mais il ne fit que paroître, & s’enfuit
devant des payfans qui oferent lui préfenter le combat.
L’empereur paroifloit vouloir venger l’affront
d’un prince fon allié & fon vaffal ; Charles-Quint
lepaiffoit encore fon ambition du projet chimérique
de . la monarchie univerfelle. L’intérêt de la religion
éteinte dans le Nord, les prétentions de l’électeur
qu’il devoit foutenir , lui offraient plus de prétextes
qu’il n’en demandoit pour conquérir trois couronnes.
Mais une flotte qui croifa dans les mers d’Allemagne
, l’alliance renouvellée entre la Suede &
le Danemarck, les différends de Chrijiiern & d e s
ducs de Poméranie terminés par les voies politiques,
line ligue bien cimentée avec les Hollandois à qui
on accorda la liberté de la navigation dans la mer
Baltique, là vue d’une armée nombreufe toujours
cantonnée.fur les frontières du Danemarck, tant
d’obftacles à vaincre effrayèrent l’empereur, il renoua
les négociations entamées, & la paix fut fignée
àSpire. La principale condition fut que Chri(liern I ÏI
n’accordaroit aucun fecours aux ennemis de fa
majefté impériale. On n’oublia pas le malheureux
Chriftiern II qui gémiffoit au fond d’une prifon. ôc
n’étoit plaint que de lui-même. Chrijiiern I I I eut une
entrevue avec lu i , & fit embellir le féjour dè Cal-
lembourg où ce prince détrôné paffa le refte de fa
vie dans l’obfcurité.
Chriftiern aurait goûté fur le trône un bonheur
fans mélange , fi le chagrin de voir la couronne de
Suede devenue héréditaire dans la famille de Guftave
, n’avoit pas empoifonné fes plaifirs. Par là l’union
de Calmar était détruite, & Chriftiern perdoit
toute efpérance de monter fur le trône de Suede.
Mais en perdant fes droits , ce prince n’abandonna
pas fes prétentions , & pour apprèndre à toute l’Europe
qu’il défavouôit la conduite des états généraux
de Suede, il arbora trois couronnes dans fon écu.
Guftave s’en plaignit & ne fut point écouté.
Les troubles d’Iflande, dernier effort de la religion
romaine expirante dans cette île , fe calmèrent
à la vue d’une flotte que Chriftiern y envoya. La
ville de Hambourg montra plus d’audace. Les droits
qu’elle exigeoit gênoient la navigation fur l’Elbe ;
Ckrijiiern demanda, pour les vailîeaux Danois , une
exemption de péage ; mais iorfqu’il vit qu’on ne
pouvoit l’obtenir que les armes à la main, il ne crut
pas que ce privilège dût s’acheter au prix du fang
des hommes. Loin d’envahir, à l’exemple de fes ancêtres
, les états de fes voifins, il rejetta l’hommage
de la ville de Revel ; les habitans afliégés par les
Mofcovites députèrent vers lui pour le prier de leur
donner des loix & des fecours, & de recevoir leur
ferment de fidélité. Chrijiiern répondit qu’accablé
d’infirmités, le fardeau du gouvernement que lé Ciel
lui avoit confié commençoit même à excédey fes forces,
que jfa foibleffe l’avoit contraint de remettre
fur la tête de fon fils Frédéric la couronne de Norv
è g e , & qu’il ne pouvoit accepter le don de leur
foi. Les députés (chofe finguliere ) s’en retournèrent
fans pouvoir trouver de maître. Chriftiern au milieu
des occupations pacifiques qui partageoient fes mo-
mens, defcendit tranquillement au tombeau au milieu
de fa famille éplorée & de fon peuple confterné.
Ce fut le premier Janvier 15 J 9 , que le Danemarck
perdit un de fes meilleurs princes. II fit lâ paix par
g oû t, & la guerre par néceflïté. Il négocioit avec
làgeffe & prefque fans rufe ; fon caraôere était Ample,
bon &c vrai; bravé, mais attachant peu de
prix à la bravoure , fa^gloire était de maintenir
les loix & de rendre fes peuples heureux. Il eft
vrai qu’il détruifit dans le Nord l’églife romaine ;
mais on ne peut en accufer que l’ambition de fes
rainiftres qui depuis tant de fiecles avoient envahi
la plus belle partie du D anemarck, qui tant de fois
fouleverent le peuple contre fes fouverains, fouffle-
rent dans toutes les prçvinces i’efprit de difcorde &
d’indépendance , balancèrent & fouvent renverfe-
rent l’autorité fuprême, & qui auraient fini par
exterminer les rois du Nord, fi ces rois ne les avoient
pas exterminés eux-mêmes. (Af. d e S a c y . )
CHRISTIERN IV , ( Hijioire de Danemarck. ) roi
de Danemarck. Il n’avoit que onze ans, lorfqu’il
fuccéda à Frédéric II. fon pere. Quatre régens prirent
en main les rênes du gouvernement, tandis que
des maîtres habiles veilloient à l’éducation du jeune
roi. Il étudia les langues des nations, leurs intérêts,
leurs moeurs ; on fit marcher d’un pas égal la culture
du corps & celle de l’efprit. Il devint léger, adroit,
robufte, & dans les exercices eflàça tous fes courti-
fans. Il fut couronné l’an 1596 ; commença à gouverner
par luirmême ; s’allia avec l’éleâeur de Brandebourg
, en époufant Anne-Catherine fa fille ; refufa
d’entrer dans- la guerre de la Hollande contre l’Efpa-
gne, & conferva fes états dans une paix profonde',
tandis qu’une partie de l’Europe étoit en feu. Il éluda