
fon aïeule Antonie reçut tous les honneurs qu’on
avoit déférés à Livie ; il alîocia a fon confulat fon
oncle Tibere, qui jufqu’alors n’étoit point forti de
l’ordre des chevaliers ; fon frere Tibere, qu’il adopta
, fut déclaré prince de la jeuneffe, 8c il voulut
qu’on jurât au nom de fes foeurs, comme on avoit
coutume de jurer au nom des Céfars: tous les exiles
furent rappellés, 8c les prifon’s furent ouvertes; il
défendit même de faire des recherches fur la mort
de fa mere 8c de fes freres, pour n’avoir ni témoins,
ni délateurs à punir. La licence des moeurs fut ré?
primée; les courtifannes-8c leurs complices furent
bannis de Rome. Un nouvel ordre fut établi dans la
perception des impôts 8c dans la régie des finances ;
les peuples foulagés ne furent plus la proie des exacteurs.
L’ordre des chevaliers reprit fon ancien éclat,
8c l’on nota d’infamie ceux qui tomboient dans les
plus légères fautes. Le droit d’élire par fuffrages fut
rendu au peuple. C e fut par la reconnoifiance de tant
de bienfaits, qu’il fut ordonné de confacrer tous les
ans un bouclier d’or au Capitole, où le fénat, fuivi
des prêtres 8c de la jeuneffë romaine, de voit fe rendre
en chantant des hymnes en l’honneur du bienfaiteur
de la patrie. Caligula libéral jufqu’à la profufion,
fit diftribuer à chaque citoyen trois cents fefterces ;
il donna de magnifiques banquets aux fénateurs 8c
aux chevaliers, qu’il gratifia d’une robe de pourpre ;
leurs femmes 8c leurs enfans, qui a voient été invités
aux feftins, reçurent des jarretières 8c des rubans
d’un grand prix : les fpe&acles, interrompus fous T ibere
, fufent renouvellés avec plus de dépenfe, 8c
les premiers magiftrats eurent ordre d’y aflifter, pour
en régler la police. Ces profufions étoient juftifiées
par la politique : c’étoit le moyen de fe concilier le
coeur d’un peuple qui fe croyoit fortuné quand il
avoit des jeux 8c des fpeélacles. Le temple d’Augufte
8c le théâtre de Pompée, qui avoient été commencés
fous le régné de Tibere, furent achevés fous celui
de Caligula.
Ce prince fi juftement chéri, fe dépouilla tout-à-
coup de la douceur de fon caraftere pour fh méta-
morphofer en bête farouche, qui ne refpiroit que le
fang humain. Son orgueil altier fe plut à humilier les
rois : il fut tenté de prendre lui-même le diadème ;
mais il lui parut plus glorieux de s’arroger les honneurs
de la divinité, dont il prit les attributs. Il fit
apporter de Grece la ftatue de Jupitèr olympien ,
dont il fit ôter la tête pour y placer la fienne, 8c il
exigea qu’on l’honorât fons le nom de Jupiter Laùal.
On lui drefla des autels, où des viétimaires immo-
loient des poules de Numidie, des faifans 8c d’autres
oifeaux recherchés : les prêtres confacrés à fon culte
étoient magnifiquement payés. La crainte 8c l’efpé-
rance multiplièrent fes adorateurs : il fe vanta d’entretenir
un commercé particulier avec Jupiter, qui
defcendoit fouvent du ciel pour le vifiter. Un homme
affez imbécile pour fe croire un dieu, devoit
rougir d’avoir pour aïeul Agrippa, qui, né de parens
obfcurs, avoit été l’artifan de fa grandeur. Ce fut
pour défavouer fon origine, qu’il déshonora la mémoire
d’Augufte, en difant que fa mere étoit le fruit
du commerce inceftueux de cet empereur avec fa fille
Julie. Le même orgueil lui fit méprifer fon aïeule Livie
, fous prétexte que fon aïeul avoit été magiftrat
de Funde. Les chagrins qu’il lui caufa, abrégèrent
fa v ie , êc il fut foupçonné de l’avoir empoifonnée.
Ce foupçon fut autorifé par le refus qu’il fit de rendre
à fa mémoire les honneurs que le fénat lui avoit
déférés, 8c par le meurtre de fon frere Tibere 8c de
Sillanus fon beau-pere. Il n’y eut point de crime qui
n’infeftât fon coeur : fes inceftes avec fes foeurs furent
publics, 8c fur-tout avec Drufile, qu’il arracha du lit
de fon époux pour affouvir fa brutalité. Etant tombé
malade, il la défigna fon héritière A l’empire. Toutes
les femmes célébrés par leur beauté, allumèrent fes
feux impudiques : il enleva Livie Horiftele le jour
même de fies noces, 8c il quitta le banquet nuptial en
annonçant qu’il alloit coucher avec elle. Il s’en dégoûta
trois mois apres, 8c ayant fu qu’elle revoyoit
fon premier époux, il prononça l’arrêt de leur mort.
Céfonie parut fixer fon inconftance ; elle n’avoit ni
jeuneffe m beaute, 8c meme elle etoitmere de trois
filles ; mais ces défauts étoient rachetés'par fes rafine-
mens 8c fes découvertes dans l’art de réveiller les
voluptés. Après avoir fait l’effai de fes cruautés fur
fa famille, il en exerça de nouvelles contre fes amis
qui l’avoient élevé à l’empire , 8c contre ceux qui
avoient été les complices de fes débauches : tous périrent
d’une mort violente. Il fit nourrir pendant
long-tems des bêtes fauvages, pour les faire combattre
dans les jeux qu’il donnoit au public. Cette
dépenfe fut retranchée, 8c au lieu de bêtes, il lui parut
moins ruineux de tirer des hommes des prifonS
pour lqs faire combattre à outrance. Un jour, on lui
préfenta la lifte des prifonniers accufës de crimes : il
ne fe donna pas la peine d’examiner les dépolirions,
Sc tous furent indiftm élément condamnés à la mort.
Un flatteur en levoyant malade,fit voeu de combattre
à outrance pour remercier les dieux de l’avoir rendu
aux Romains : Caligula, qui auroit dû le difpenfer de
ce voeu téméraire , en ordonna l’accompliffement,
& le flatteur y perdit la vie. Il fit maffacrér tant de
Gaulpis & de G recs, qu’il fe glorifia d’avoir fubjugué
par l’epée la Galio-Grece. Iî avoir pour maxime que'
celui quipouvoit tout, avoit droit de tout enfreindre
> & qu’il importent peu d’être h a ï, pourvu
que l’on fût craint. Cruel jufques dans l’ivrèffe dé
I amour, il ne baifoit jamais le cou dé fa’ fêmme &c
de fes concubines, fans leur dire : « ce joli cou fera
» coupe aufli-tôt que je le commanderai ». Ceux qui
ne commettent que des aftions criminelles j ont en
averfipn les écrivains qui les tranfinetfent à la p o t
térité ; e’eft pourquoi Caligula voulut faire briller
les ouvrâmes d’Homçre, de Virgile 8c de Tite-Live.
II voulut étendre plus loin cet attentat littéraire; 8c
fous prétexte que la raifon naturelle étoit fuffifante
pour diflinguer la vérité dumenfonge, le jufte de
l’injtifte, il ordonna de brûler tous les livres de Jurii-
prudence : fa volonté eût été Ja feule des loix. L’env
ie , qui dévore les âmes baffes, fit le tourment dé
fa v ie. Les premières familles de Rome furent privées
des diftinaions qui rappelaient la gloire de
leurs ancêtres : lesTorquatus ne portèrent plus la
chaîne d’o r , ni les Cincinnatus, la perruqu’e ; le nom
de grand fut ôté aux Pompée.
Caligula, dont toutes les pallions furent extrêm
es , n emprunta pas le voile de la décence pour
couvrir fes infamies. Ses amours monftrueux avec
Lepidus 8c Neftor-le-pantomime ne modérèrent
point fon goût pour les courtifannes, 8c fur-tout pour
Pyzallide, qui donnoit depuis long-tems dans Rome
des leçons de lubricité. Les dames les plus refpefiables
furent également expofées à fes outrages. Il les
invitoit à des feftins avec leurs maris, 8c après avoir
lancé fur chacune fes regards impudiques , il quit-
toit la falle du feftin, 8c envoyoit chercher celles qui
1 avoient le plus frappe. Dès qu’il avoit alfouvi fa
brutalité, il fe remettait à table, 8c fe félicitant
de fon triomphe, il infultqit à la viétime en pré-
fence de tous les convives. Il forçoit quelquefois
ces femmes, qu’il venoit de déshonorer, à envoyer
à leur mari des lettres de divorce qu’il avoit
foin de faire inférer fur les regiftres publics. Ce
fut fur-tout par fes profufions qu’il furpafla tout ce
qu’on avoit vu dans les fiecles écoulés. Il ne prenoit
le bain que dans des eaux de fenteur. On ne fervoit
fur fa table que des mets recherchés. Il fe plaifoit à
avaler des pierres précieufes qu’il réduifoit en
:poudre avec du vinaigré. Il faifoit fervir à chaque
•convive des pains.8c des viandes qui en effet érotent
des ryaflès d’or façonnées, en difant, il faut être
économe à moins qu’on ne foit Céfar.. Bifarre dans
tous fes goûts, il n’aimoit à exécuter;que ce qui
avoit paru .jufqu’alors hnpoflible. 11 fit conftruire des
galeres de bois de cedre qu’il enrichit de pierreries-,
8c de voiles de pourpre 8c de foie. On y trouvoit
toutes les commodités, 8c tout le luxe qu’on admire
dansles plus fomptueux palais, 8c même il y.fit planter
jufqu’à des vignes 8c des arbres fruitiers, dont
l ’ombrage garanti floit des ardeurs du foleil. Caligula
y donnoit des feftins 8c des concerts qui attiroient la
multitude fur le rivage-, lorfqu’ii ,fe rendoit à fes
maifons de campagne. Il aimoit à réprimer la mer
par des digues, à bâtir dans fon fein des palais,• à
percer des montagnes .& à les. applanir fans aucun
motif d’utilité. Ce fut par fes folles dépenfes qu’il
épuifa fes tréfors , q u i, à la mort de Tibe re, con-
tenoient foixante-fept millions d’argent monnoyé.
Son avarice, égale à fia prodigalité, 'eut bientôt rempli
le vuide caufé par fes diffipations. Il contefta le
droit de bourgeoifie à plufieurs citoyens qu’il força
de le racheter. Il.luppofa des crimes pour s’enrichir
par des confifcations. Il annulla les teftamens pour fe
lubftituer aux légitimes héritiers. Il enlevoit aux particuliers
leurs plus riches meubles, alléguant que ce
lufce ne devoit fe tolérer que dans Céfar ; 8c lorfqu’il
les mettoit en vente,i c’étoit lui-même qui nommoit
les acheteurs, 8c qui fixoiï le prix. Il faifoit payer
jufqu’à l’honneur de manger à fa table. II mit des
impôts fur tout ce.qui avoit été refpeété jufqu’alors.
Le commeftible lui dut des droits: If.es porte-faix furent
taxés à lui rendre la huitième partie du produjt
de leur travail. Il établit des lieux de proftitution où
des courtifannes privilégiées lui payoientun impôt
journalier pour exercer librement leur commerce.
Les jeux de hafard furent permis , parce qu’il pouvoir
y friponner avec impunité. *
Trop affoupi dans les débauches pour être fenfi-
ble à la gloire , il fe vit dans la néceflïté de porter la
guerre en. Allemagne. 11 fit affembler les légions 8c
les auxiliaires : il marcha plutôt avec la pompe
triomphale qu’avec un appareil militaire. Il ufoit
quelquefois d’une fi grande précipitation, que les
prétoriens s’épuifoient pour le fiuivre, 8c tantôt fe
raifant porter dans une litiere par huit hommes, il
alloit avec la plus grande lenteur. Toutes les routes
étoient balayées 8c aarrofées pour éviter l’incommodité
de la poufîiere. Arrivé au camp , il nè .trouva
point d’ennemis à combattre , 8c il écrivit à Rome
dés lettres faftueufes fur fes exploits, avec ordre de
ne les remettre au fénat que dans le temple de Mars.
Il fuppléa aux dangers des dangers imaginaires. Il
fit p^fîer le Rhin à quelques avant-coureurs, qui
rapportèrent que l’ennemi alloit fondre fur les Romains
; aufli-tôt, fans en avertir l’armée , il fe jetta
dans Une forêt voifine avec quelques prétoriens. Il
y fit couper des arbres pour en faire des trophées à
fes compagnons, comme s’il eût réellement remporté
une viétoire. A fon retour au camp, il taxa de lâcheté
tous ceux qufee l’avoient pas fuivi. Il lança
un édit fort rigoureux contre les fénateurs qui, pendant
fa laborieufe expédition , fe livroient aux plai-
lirs de la table 8c du cirque. Cet infenfé, qui n’avoit
point d’ennemis, fit marcher fon armée en bataille
rangée jufqu’à l’Océan , où il ordonna aux foldats
de raffembler des coquilles qu’il qualifia des dépouilles
de l ’Océan , poiy les confacrer aux dieux du
Capitole. Alors il annonça fon départ aux foldats,
en leur difant : Partons chargés de richeffes 8c de
gloire. Quoiqu’il n’eût vaincu ni peuples ni rois, il
voulut jouir des honneurs du triomphe. Au lieu de
rois captifs, il fe fit fuivre|d’un grand nombre de
Tome II.
Gaulois, qui,.à prix d’argent,.prirent le nom 8c le
langage, des barbares qu’il prétendoit avoir fubju-
gués. Avant de quitter la Germanie, il forma le defi-
lein de pafler au fil de l’épée les légions qui s’étoient
autrefois révoltées, pour élever à 'l’empire fon pere
Germanieus. Il les fit refferrer dans une. enceinte
où après leur avoir parlé avec aigreur, il alloit donner
le lignai du carnage, lorfqu’il s’éleva un murmure
général qui lui fit craindre une révolte, fl
quitta avec précipitation fon armée, 8c prit le chemin
de Rome avec une fimple efeorte. Les députés
du fénat vinrent le féliciter fur fa route, 8c l’exhorte-
rent à préffer fon retour. O u i, leur dit- il,.je vais
m’y rendre avec cette épée pour le bien du peuple
8c des chevaliers. Le poids de fes vengeances tomba
fur le fénat qu’il dépouilla de toutes fes prérogatives.
Plufieurs conjurations fe formereht contre ce
monftre couronné. Chereas, tribun d’une cohorte
prétorienne , brigua l’honneur de lui porter les premiers
1 coups. C’étoit un vieux guerrier, q ui, dans
fa jeuneffe, s’étoit livré à toutes les voluptés. Il fe
trouva offenfé de ce qu’allant prendre l’ordre, l’empereur
lui donnoit toujours le mot de-Vénus ou de
Priape. Ce fut le 24 de janvier qu’il choifit pour exécuter
fon deffein. L’empereur fut long-tems incertain
s’il paroîtroiten public ; mais enfin il ne put réfifter à
la curiofité d’aflifter aux danfes 8c aux chants des
jeunes gens qualifiés.qu’il avoit fait venir d’Afie pour
fes plaifirs. Tandis qu’il leur parloit, Chereas le
faifit, 8c lui enfonça fon épée dans la gorge. Un autre
tribun nommé Satinas le frappa d’un autre Coup
dans l’eftomac. D’autres conjurés1 lui coupèrent les
parties honteufes : il expira en implorant vainement
du fecours. Son côrps fut emporté dans les jardins
Lamtens où il fut enfoui à demi brûlé. Il étoit âgé de
vingt-néuf ans , dont il en avoit régné trois 8c trois
mois 8c huit jours. Sa femme Cefonie fut tuée à fes
côtés par uncentenier, 8c fa fille fut ëcrafée contre
un mur. Dès qu’on eut répandu le bruit de fa mort,
les plus circonfpeéts n’oferent fe livrer à la joie-,
craignant que par un de fes artifices ordinaires, il
n’eût femé lui-même ce bruit pour dilèerner fes amis
d’avec les mal-intentionnés. Le fénat réfolut de s’a ffranchir
de la tyrannie , 8c de rentrer dans fes droits.
L’affemblée ne fut plus convoquée dans le palais Ju-
lia , monument de la fervitude ; on l ’indiqua au Capitole
où la mémoire fies Céfars fut abolie , 8c leurs
temples démolis. Caligula étoit grand 8c chargé d’embonpoint
, le front large, les yeux 8c les tempes enfoncés.
Son corps étoit couvert d’un poil épais 8c
rude. Tout en lui manifeftoit fes inclinations Sanguinaires.
Il étoit aufli foible de corps que d’efprit. On
prétend que Cefonie, pour s’en faire aimer,* lui
donna un breuvage qui troubla fa raifon. Quoiqu’il
fût d’un naturel timide , il n’avoit aucune crainte des
dieux. De tous les arts , il ne cultiva que l’éloquence
où il réuflit affez bien. Enorgueilli de ce talent, il
invitoit les chevaliers à venir l’entendre, 8c cette in vitation
étoit un ordre qu’on n’eût point enfreint impunément.
Il fe piquoit encore d’être adroit gladiateur
, 8c de bien conduire un charriot. II excelloit
dans la danfe 8c la mufique. Il fut aufli bifarre dans
fes habits que dans fes a étions. Il paroiffoit quelquefois
en public avec une barbe d’o r , tenant en maiii
la foudre Ou le trident, o u ïe Caducée; ÔC quelquefois
il prenoit les attributs de Vénus. Il portoit ordinairement
lesornemens de triomphateur 8c le corfe»
let d’ Alexandre qu’il avoit fait tirer du tombeau de
ce prince conquérant. Rome, accoutumée à trembler
fous fes tyrans, eut laiffe fes 'crimes impunis;
mais elle ne put lui pardonner la réfolution de trans*
férer le fiege de l’empire à Antioche ou à Alexandrie.
Quelques jours avant fa mort, on trouva dans fon
cabjnët des tablettes où étoient écrits les noms de