
Chrißophe les tréfors qu’il lui offroit, y ajouta des
préfens magnifiques, lui jura une amitié inviolable ,
& retourna en Norwege , laiflant Chrißophc 6c les
Danois dans cet étonnement délicieux que caufent
les belles aftions. J ...
Il fembloit que la retraite de Haquin dût renver-
fer les projets ambitieux de l’archevêque ; niais l’appui
que lui prêtoient les comtes de Holftein, lui
infpira tant de fierté, qu’il rejetta meme la médiation
du régent de Suede que Chrißophc avoit lâchement
acceptée pour négocier avec fon fujet. Il ola
défendre aux évêques d’affifter au couronnement du
jeune Eric, qu’on préparoit : aucun d’eux en effet
n’ofa pofer le diadème fur fa tête. Chrißophc fe vit
contraint de recourir à la trahifon, reffource des
princes foibles. Il corrompit un frere de l’archévê-
que qui fe faifit de fa perfonne , 6c l’enferma dans
une fortereffe : d’autres prélats fubirent le meme
châtiment ; mais deux autres échappés aux pourfuitës
du régent, du fond de leur retraite lancèrent les
foudres de l’églife , animèrent la cour de Rome contre
Chrißophe, 6c fouleverent quelques vaffaux ;
enfin, ce prince dont tant de malheurs avoient par
dégrés abâtardi le courage, eut la foibleffe d’en appellerait
pape, & de le prendre pour juge entre les
évêques & lui.
Cependant Haquin, & Birger, régent de Suede ^
expofés comme Chrißophe aux ufurpations des prélats
& aux outrages de la cour de Rome, fentirent
que fa caufe étoit la caufe commune des rois, déjà -
ils accouroient pour le venger ; mais le bruit de fa
mort les arrêta en 1159. Des auteurs çontempo-1
rains & qui vivoient à la cour de Chrifiophè, prétendent
qu’un prêtre nommé Arnefaß l’empoifonna
dans une hoftie. La mort de Henri, empereur, fem-
ble donner quelque vraifemblance à cet exécrable
attentat. Il fut empoifonné de la même maniéré en
3 313 5 Par Bernardin, frere prêcheur. Pontifice ne-
quaquam dolente , dit l’auteur de la Chronique des
Slaves.
Les prélats traitaient Chrißophe d’ufurpateur ,lls
obje&oient que malgré l’incertitude des loix fur l’ordre
delà fucceffion, la nation avoit juré dans une
affemblée des états, de remettre le fceptre'dans les
mainsdu fils aîné d’Abel. Mais dans une autre affem-
blée, Valdemar & fes freres avoient renoncé à tous
leurs droits fur le trône, 6c depuis cette époque,
Chrißophe ne les avoit plus troublés dans la poffeflion
de leurs appanages. Il montra beaucoup de fermeté
contre les pfemiers coups de la fortune ; mais on conçoit
peu d’eftime pour un roi qui brave fes égaux,
& tremble devant des prêtres. Eric V fon fils, lui
fuccéda. ( M. d e Sa c y . )
C hristophe II, (Hiß . de Danemarck. ) roi de
Danemarck, fils d’Eric VII 6c frere d’Eric VIII.
C ’étoit un prince inquiet, turbulent, ambitieux,
plus féroce que brave, plus fourbe que politique,
afpirant au trône, moins pour gouverner l’état que
pour n’avoir point d’égaux, hafardant les promfeffes
dans la néceflité comme les méchans prodiguent les
voeux dans le péril, cdmptant la vie des hommës
pour rien 6c la fienne pour peu de chofe ; il eût fait
moins de maux fans doute à fa patrie , f i , placé fur le
trône par fa naiffance 6c par le fuffrage de la nation,
il n’eût point rencontré de rivaux. Il étoit en bas-
â g e , ainfi qu’Eric V I , lorfqu’Eric V fut affaffiné.
Chrißophe au couronnement de fon frere en 1286 ,
laifla déjà appercevoir le germe de cette haine qui
caufa tant de malheurs dans la fuite ; elle éclatoit
jufques dans les jeux de l’enfance, il fe plaifoit à
empoifonner tous les plaifirs de fon frere , à lui disputer
le pas dans les cérémonies, ou s’il le lui cédoit,
cet hommage ironique étoit plus infultant que la révolte
même ; enfin quand Eric parvenu à fa majorite
eut prit les rênes du gouvernement, Chrijlophe
ne diffimula plus fes deffeins. La haine qu’il portoit
au roi avoit déjà développé fes talens pour les intrigués.
Des courtifans intéreffés à fomenter les divi-
fionsde la famille royale , monftres aimables dont la
jeuneflfe des princes eft toujours afliégée, avoient
nourri par leurs perfides confeils l’ambition 6c le
dépit du jeune Chrijlophe. Son premier afte d’indé^
pendance fut de fermer au roi la porte de Callun-
boùrg, ville de fon appanage. Eric s’en plaignit, 6c
Chrijlophe fit périr l’officier qui avoit exécute fes ordres
au mépris de ceux du roi ; exemple terrible qui
apprend aux courtifans qu’en fe prêtant aux inju- -
ftices de leurs maîtres, ils ont pçur ennemis 6c celui
qu’ils offenfent 6c celui qu’ils fervent. Eric pàya les
exeufes politiques de fon frere en lui donnant l’Ef-
thonie pour fix ans , 6c la Hallande méridionale à
perpétuité. Ces bienfaits donnoient au roi un nouvel
empire fur fon frere , 6c cet empire augmentait
la haine de.Chrijlophe. Celui-ci flatta les mécontens,
donna à ceux qui ne l’étoient pas des prétextes pour
le devenir, & fit à fon frere autant d’ennemis de tous
les fujets qu’il lui avoit fi généreufement cédés. Eric
révoqua à regret fes donations. Chrijlophe faifit cette
occafiôndefatisfairefon inimitié. Il s’enfuit en Suede
en 1308 : les deux freres remplirent le nord de ma-
nifeftçs femés de plaintes ameres ; mais celles d ’Eric
étoient fondées fur des faits que la nation n’ignoroit
pas, 6c celles du prince fugitif n’étoient que des reproches
vagues qui ne décéloient que fa fureur. Les
trois ducs de Suede, Eric, Valdemar 6c Birger, étoient
trop occupés àfe nuire les uns aux autres pour épou-
fer deS querelles étrangères ; ils fe firent médiateurs
. entre les deux freres , Eric oublia les torts de Chrijlophe
, 6c lui rendit la Hallande méridionale. Chri-
; (loplie difparut une fécondé fois, fe retira en Poméranie,
6c forma contre fon frere une ligue de plu-
fieurs princes. La guerre s’alluma avant même d’être
déclarée. Chrijlophe fécondé par fes puiflans alliés,
entra dans le Danemarck & ravagea plus ou moins
les provinces, à proportion du zele plus ou moins
aû if qu’elles avoient témoigné pour fon frere. Ce
rebelle imprudent'oublioit qu’il pouvoit régner un
jour. En traitant ainfi les Danois, il juftifioit leurs
révoltes futures, puifqu’il leur apprenoit que la fidélité
qu’ils confervoient à leur fouverain étoit un
crime à fes yeux. Les Scaniens effuyerent plus de
maux que le refte de la nation, parce qu’ils avoient
montré plus d’attachement pour Eric. Chrijlophe laifla
aufli enFionie des monumens de fa fureur & du pa-
triotifme de cette province. Les richeffes renfermées
dans la ville de Swendbourg devinrent la proie du
foldat. Ainfi Chrifophe , par un délire inconcevable,
livroit aux étrangers les richeffes d’un paysfur lequel
il prétendoit régner. Il régna en effet, & la mort
de fon frere mit le comble à fes voeux le 13 novembre
1319»
Il ne fut pas reconnu fans obftacle ; & pour ne
point parler de la cabale du duc de Slewigh, prétendant
au trône, 6c de quelques autres chefs, le
parti le plus cônfidérable qu’il y eût Contré lui en
Danemarck, étoit celui qu’il avoit formé lui-meme
par toutes les hoftilifés qu’il avôit commifes. Les
Danois fentoient bien que c’était choifir pour maître
leur plus grand ennemi ; mais ils prévo'yôient aufli
qu’ert né le couronnant pas, ils alloient perpétuer
une guerre qui avoit déjà ébranlé l’état jufques dans
fes foiidéïïiëns. Ils reçurent donc Chrijlophe comme
le fléau le "moins funèfte que .le ciel pût leu!1, envoyer
; mais en le recevant^, itè tâchèrent de lui lier
les mains, 6c lui impôférent les loix les plus dures.
Par ce trâité ,; les eccléfiâfiiq'ües rentroient dans leurs
privilèges, & en obtenoient de nouveaux : on affuroit
à la nobleffe une liberté qui reffembloit beaucoup à
l’indépendance ; on augmentât, la p.uiflance des-
grands par de nouveaux domaines ; enfin, dans cette
hégociation on n’oubfif que le peuple qu’on ,
dans l’oppreffion oii ilgémiffoit. Oiriftoplic , qui n’é-
toit point avare de fermens, jura d’obfervertous les
articles de ce traité. Mais la nation qui ne s’oublioit
pas elle-même , préfenta aufli les remontrances par
la voix des communes. Le nouveau roi promit d’alléger
le fardeau des impôts , de favorifer la circulation
du commerce, de veiller à l’adminiftration de
la juftice, d’encourager l’agriculture ; il promit enfin '
tout ce qu’un bon roi exécute fans rien promettre.
A ces conditions Chrijlophe fut proclamé à la diette
de Vibourg, ainfi que fon fils Eric , le 25 janvier
13 20; mais ils ne furent couronnés qu’au retour de
l’archevêque de Lunden qui étoit allé fe plaindre au
pape de ce qu’Eric lui avoit ôté file de Bornholm.
Chrijlophe la iu i reffitua, pour mettre h cour de
Rome 6c le clergé dans fes intérêts. La cérémonie fe
fit fans trouble, mais non pas fans une inquiétude
fecrette de la part des affiftans.
Chrijlophe qui fentoit que fon affermiffement fur
le trône, dépendoit plus des grands 6c des princes
voifins que du peuple, fe fortifia par deux puiffantes
alliances, l’une avec Louis * margrave de Brande-
bour», fils de l’empereur Louis de Bavière ; l’autre
avec Gérard j comte de Holftein. Il donna Rugen,
Barth, Grimm 6c Loyzits à Witiflas, duc de Poméranie
; 6c Roftoch à Henri, prince de Meklenbourg,
'à qui Eric Menved l ’avoit engagé ; car les rois de
Danemarck, lorfque leurs finances ne fuffifoient pas
aux befoins de l’état ou à leurs plaifirs, engageoient
pour quelques années une portion de leur domaine
à des hommes puiflans qui leur prêtoient des fommes
’confidérables, & jouiffoient des revenus des fei-
gnéuries aliénées jufqu’au terme fixé par la convention.
Mais lorfquê le prince étoit foible & le fujet
puiflant , la reftitution éprouvoit de grandes difficultés.
L’églife toujours zélée pour le bien de l’gtat,
montroit un empreffement généreux à prêter de l’argent
aux fois fur de pareils gages, & c’eft par cette
voie fur-tout qu'elle s’étoit tellement enrichie dans
le Danemarck, qu’ellè a pofledé très-lông-tems la
plus belle & la plus grande partie de ce royaume.
Tant de bienfaits répandus fans choix & avec pro-
fufion, tant de revenus dont 'Chrijlophe s’étoit p rivé,
le forcerefit à violer fa promeffe folemnelle & à
établir des impôts. Tant que le peuple feul en fut
chargé , il gémit en filence : le roi les étendit fur la
nobleffe, & elle en murmura ; enfin il voulut y
fqümettre l ’églife , & la révolte fut décidée. L’ar-
chévêque, de Lunden menaça Chrijlophe de le dépo-
fer. Celui-ci rentra à main armée dans les biens qu’il
avoit engagés ; c’étoit réparer une imprudence par
une autre. Bientôt tout le royaume fut en armes, la
Zélande en peu de tems devint un défert j la Scanie
un théâtre d’horreurs, le refte du royaume un champ
de bataille, & les Danois s’égorgeoient les uns les
. autres, poûr punir leur roi de leur avoir manqué de
parole.
Sur ces entrefaites, Eric, duc de Slewigh , paya
tribut à la nature ; il Iaiffoitfon duché à Valdemarfon
fils, enfant trop foible pour fe défendre lui-même, &
qui dans des circonftances ficritiques ne pouvoit pas
choifir un défenfeur qui ne fût fon ennemi. Chriflo-
phe fe déclara fon tuteur. Gérard de Rendsbourg prit
le même titre. Tous deux foutinrent à main armée
les prétentions qu’ils avoient à la tutelle, & ravagèrent
le patrimoine de Valdemar, fous prétexte de le
lui conlerver. On fent affez qiie, fi leur deffein eût
été d’adminiftrer avec fageffe les biens de leur pupille
, pour les lui rendre au terme de fa majorité, le
titre de tuteur n’auroit pas. allumé entr’eux une ja-
loufie aufli v ive, Chrijlophe inveftit Gottorp ; Gérard
parut, & lui préfenta la bataille. Le roi fut vaincu»
& voulut chercher un afyie au centre de fes états »
mais il n’y rencontra que des amis chancellans, là
riôbleffe armée contre lui * le clergé accumulant outrages
fur outrages , 6c le peuple, infiniment de fes
propres malheurs-, fervànt avec fureur les intérêts
des grands. On le déclara déchu de tout droit au
gouvernement: à cette révolution fuccéda une anarchie
plus funeftè cent fois que le defpotifme même;
& le peuple fe donna mille tyrànS, en dépofant un
roi.
La haine des rebelles s*étendit jufques fur le jeune
Sc innocent Eric q ui, en combattant pour fon pere,
ne faifoit que remplir fes devoirs de fujet & de fils.
Trahi par fes foldats, il futjetté dans un cachot.
Chrijlophe en le perdant-, perdit tout efpoir; il avoit
cru que les grâces de ce prince, fes vertus; fon courage
calmeroient làréyolte, & qu’il feroit médiateur
entre fon peuple & lui-. Il s’enfuit, va mendier des
fecours chez fes alliés> revient, & apprend que fon
ennemi Gérard de Rendsbourg vient d’être proclamé
généraliflînie & régent du royaume. Bientôt
il eft enfermé dans Vordinbourg par Gérard lui-
même , obtient la liberté de fe retirer en Allemagne,
defeend dans l’île de Falfter, y eft affiégé encore>
promet de fe confiner à Roftoch, fîc n’obferve pas
mieux cette fécondé capitulation que la première.
Les états fe crurent autorifés alors à mettre le feeptre
dans les mainsdu jeune Valdemar; il fut proclamé,
6c les grands qui dans cette affemblée diâoient tous
les fuffrages, ne les réunirent en fa faveur que parce
que fa foibleffe, favorable à leur ambition, leur laiffoit
Fefpoir de régner fous fon nom. Tous les feigneurs
dépoffédés rentrèrent auffi-tôt dans leurs domaines ÿ
mais, cette révolution même fit naître entr’eux des
différends dont Chrijlophe fut profiter. Il fit femer en
Danemarck des lettres pathétiques, oit il peignoir
fon repentir avec des traits fi touchans, qu’ils fai-
foient naître les mêmes remords dans les coeurs les
plus endurcis. Le peuple ouvroit les yeux 6c com-
mençoit à s’appercevoir que la proteâion fimulée
que les grands lui accordoient, étoit une oppreflion.
véritable. Il fe fait tout-à coup une révolution dans
les efprits : on croiroit même qu’il s’en eft fait une
dans le coeur de Chriflophe. Ce n’eft plus ce prince
terrible jufques dans fon infortune, fongeant à fe
venger lors même qu’il ne pouvoit fe défendre ; il
paroît à la, tête d’une petite armée, portant l’épée-
dans une main, dans l’autre une amniftie générale
pour fes ennemis. Cette clémence politique attire
6c le peuple toujours prompt à rentrer dans les bornes
du devoir comme à en fortir, & le clergé jaloux
de la puiflance des adminiftrateurs du royaume. Eric
eft arraché de fa prifon ; mais bientôt ceux même
qui l’avoient délivré s’aflurent de fa perfonne. Les
Danois font battus par Gérard près de Gottorp. Cependant
Chrijlophe foumet la Scanie fans effufion de
fang, & voit fon parti fe groffir de jour en jour. Le-
vertige qui fuit le bonheur lui fait oublier des ména-
gemens néceffaires dans fa fituation ; il fait arrêter un
évêque, le pape, d’après la conftitution de Vedel
( F. ci-dev. C hristophe I. ) , lance un interdit fur le
royaume»; njms le bruit des armes, le choc des cabales
, le flux 6c reflux des révolutions qui fe fuc-
çédoient fi rapidement, ne permettoient guere de
s’appercevoir des foudres du Vatican.
Cependant Chrijlophe engageoit de nouveaux domaines
à fes alliés, pour payer leurs fervices & con-
ferver leur amitié. Gérard fe vit abandonne de tous
fes partifans; il ne lui reftoit dans fa mauvaife fortune
, que la reffource de perfuader au peuple, que
n’ayant combattu que pour le bien public, le malheur
ayant rendu Chrijlophe plus digne du trône, 6c
la nation paroiffant l’y yoir remonter avec plaïfir ,