
pas faire conje&urer qu’ils ont eu réellement la
connoiflànce du détroit en queftion , & l’idée d’une
fuite de côtes que leurs fucceffeurs ont trop rabaif-
fé e , & qu’ils ont trop remplie de diverfes chofes à
l’aventure ?
Les cartes les plus anciennes que j’aie vues, &
qui font toutes latines, marquent cependant ce détroit
en Italien, Stretto di Anian ; ce qui me fait
foupçonner que le premier qui en a fait mention
eft quelque mathématicien d’Italie, ou après les découvertes
des deux Indes qu’on a fait à ce fujet des
cartes, encore aujourd’hui curieufes, &c. Benedetto
Scotto, G énois,d it, dans fondifcours de 1719
ce qui fuit :
« Cette partie occidentale du Canada, qu’il met
dans une de fes cartes près du cent quatre-vingtieme
degré, félon notre façon de compter , fut reconnue
par les Portugais en l’année 1520, à la hauteur de
îoixante dégrés , pour être habitée de gens raifon-
nables & humains, & remplie de quantité d’animaux
& de bons pâturages. Ils n’abandonnerent cette terre
qu’à caufe de la trop grande navigation qui contient
quatre mille cinq cens quatre-vingt-dix lieues , en y
venant par la mer des Indes , &c. Je crois devoir
ajouter que dans quelques-unes des plus anciennes
cartes, on repréfente les terres de l’Amérique fep-
tentrionale, comme une continuité de celles du nord-
eft de l’Afie, & elles y font jointes par un illhme
affez large, qui eft au nord du Japon ».
L’auteur des Confdérations géographiques (<z),
parle encore ailleurs d’une maniéré conforme fur
la' Californie.
« Il eft étonnant, d it- il, qu’on ait encore fi peu
de connoiffance de ce pa ys, quoique Fernand Cortès,
conquérant du Mexique, y ait fait, lui-même,
un voyage en 153 5 ,0c que depuis les Efpagnols
y en aient fait plufieurs autres qui n’ont abouti qu’à
en reconnoître les côtes, auxquelles ils ont donné des
noms avec beaucoup de diverfitérilsjugerentcepays,
dès 1584, être très-bon & fort habité: ils fe font
uniquement occupés à traverser la mer du fud pour'
leur commerce des Indes. Cependant il paroît que
quelques vaiffeaux , au moins dans les commence-
mens, ont pouffé au nord, & ont reconnu la fuite des
côtes du nord-oueft de l’Amérique jufqu’au détroit :
c’eft de quoi je vais donner un nouvelle preuve.
La e t , &c. fait une remarque, &c. en 1633. On
appelle, d i t - il, communément, Californie, tout ce
qu’il y a de terre au-devant de la nouvelle Efpagne
& Galice vers l’oueft , qui eft certes, de fort grande
étendue, 8c attouche les dernieres fins de l’Amérique
feptentrionale 8c le détroit d’Anian. Ce font des régions
fort amples 8c connues légèrement en leur plus
petite partie, 8c feulement auprès rivage: Wytfliet
difoit la même chofe.en 1598. Les Efpagnols affu-
roient dans leur relation de 1683, que félon telles
anciennes relations elle eft longue de dix - fept cents
lieues (&). La même remarque fe trouve pofitivement
fur plufieurs cartes dreffées depuis l’an 1620. Le fa-
vant P. Riccioli, en 16 61 , citoit d’autres relations qui
n’ayant apparemment pas égard à la finuofité des
cotes , 8cc. faifoient la Californie longuet de douze
cents lieues, depuis le cap Saint - Lucar jufqu’à celui
de Mendocino; ce cap étoit différent de celui que
nous connoiffons aujourd’hui fous ce même nom , 8c
qui n’eft qu’à quatorze dégrés environ , du cap Saint-
Lucas ; mais l’autre devoit être peu éloigné du port
où les Ruffes, commandés par M. Tfchirikow ont
abordé en 1741. Puifqu’on mettoit ce cap vers l’entrée
du détroit que l’on croyoit féparer l’Amérique
de l’Afie, &c. n
(a) Ibid,p. 64 , 6J à 7/.
v>) Efpagnoles à dix-fept lieues 8c demie au degré jiainfi paffé
.1940 grandes lieues de France.
Il réfulte de-là clairement qu’on doit ajouter foi
aux Cartes que nos anciens , ou les premiers géographes
modernes-', ont dreflees, parle récit de quelques
navigateurs Efpagnols ou Portugais, qui ont réellement
vu cette fuite des côtes.
La plus ancienne carte que j’aie trouvée jufqu’à
préfent, qui marque cette continuation de terres jufqu’au
détroit d’Anian , eft une carte Italienne de l’Amérique
feptentrionale, faite en 1566: mais les côtes
du nord-oueft de 1 Amérique y font tracées avec
moins de précifion que dans la Japonoife, &e.
J’ai déjà remarqué que la prolongation de la Californie
au nord-oueft jufqu’au véritable détroit d’Anian,
a été dans la fuite baiffé de huit à dix dégrés, 8c
qu’après cela, diverfes navigations ayant fait abandonner
cette prétendue pofition, l’on a perdu entièrement
giclée de la côte réelle que les Ruffes ont retrouvée
au nord de la grande mer.
M. Green accufe de fauffeté, mais fans preuve,'
la relation du voyage queCabrino fit en 1542, jufqu’au
quarante- quatrième degré.
Les prétentions Ruffiennes, &c. devroient engager
les Efpagnols à produire ce qu’ils ont de relations
concernant leurs voyages au nord de la Californie,
& jufqu au fameux détroit d’Anian qui réprend aUr
jourd’hui fes droits d’exiftence , &c.
A parler exaûement, la Californie ne s’étend au
nord qu’un peu au - delà du quarante-troifieme dégré;
& les pilotes les plus entendus, qui vont continuellement
du Mexique aux Philippines, ou de ces îles-
au Mexique, ont trouvé qu’elle n’étoit que de cinq
ou fix cents lieues depuis le cap Saint-Luear jufqu’au
cap Mendocin d’aujourd’hui. Quand on eut ainfi réduit
la Californie à fes juftes bornes, & qu’on eut
reconnu, fur-tout en 1603, par la navigation de
Sébaftien Bifcaien, 8c de Martin d’Aguillar, que la
mer retournoit en orient un peu au-delà du quarante-
troifieme degré, plufieurs Efpagnols firent de la Californie
un île.
/ Cependant il y avoit long - tems que les premiers
géographes modernes , d’après les navigations de
François d’Unoa, & Hernand de Alarçon dans la mer
Vermeille en 1539 & 1540, reprélentoient la Californie
telle que nous la connoiffons au jourd’hui, c’eft-
à-dire, comme une prefqu’îie (c). De Laet obferve
que dès l’an 1539 , il y a eu des Efpagnols qui s’é-
toient imaginés que c’étoit une île ; & il dit en 1633,
avoir vu de vieilles cartes qui la repréfentoient de
cette façon.
Les Hollandois ayant pris en 1620, fur un vaif-
feau Efpagnol, une carte de l’Amérique, oh la Californie
étoit figurée comme une île 8c la mer Vermeille
comme un détroit, on fuivit cette idée comme certaine
dans les cartes que l’on fit e.nfuite en Hollande
8c en Angleterre (<f); malgré cela , Janfon donne à
cette île, non fur la carte , mais par la note ajoutée ,
dix-fept cents lieues fur cinq cents de large.
O r , continue M. Buache , il eft impoffible de
concilier ces diftances avec la Californie, que Janfon
repréfèntoit en même tems cbmme terminée au cap
Mendocin d’aujourd’hui, c’eft-à-dire , réduite à fes
juftes bornes ».
Il rapporte la relation du P. Kino en 1702, qui a
déclaré avoir trouvé que la Californie étoit une pref-
qu’île , 8c l’a repréfentée ainfi dans fa carte.
Depuis que le P. Kino a donné fa carte 8c rétabli
la Californie en prefqu’île, on n’ofe plus révoquer en
doute la vérité dece fait, tel que les anciens nous l’ont
tranfmis, 8c cependant on perfifteà conferver à cette
prefqu’île fa longitude erronnée, 8c le giffement de
(c) Ici il cite Ortelius , Mercator, H ondius, Clu v ie r, Ber-
t'uis, La et, Blaeu, &c. en un m o t, dit-il, tous les meilleurs des
premiers géographes modernes.
{d) D e Danke;ts, Tavernier, Janfon, 6v.
fes côtes fud - eft 8c nord-oueft, %n plaçant la fin à
environ 44d de latitude 8c 252d de longitude, 8c
fàifant l’étendue des côtes de près de 500 lieues ,
comme lorfqu’on la répréfentoit en île , au-lieu que
tout devoitreprendre fa place, puifque nous n’avons
aucune relation contraire.
M. Buache, lui - même , qui prouve, par des faits
inconteftables , que la Californie proprement dite
eft telle que les anciens l’ont reprefentée., de meme
que fa longitude 8c celle du détroit d’Anian, peut-il
retenir cette fauffe pofition imaginée par les nouveaux
géographes, 8c omettre les pays fitues entredeux,
pays dont la connoiffance des côtes les ont
conduits à celle dudit détroit ^
Le P. Kino n’ayant point pane Rio de H ua, encore
moins le Rio Colorado , n’a point pu rendre compte
des rivières qui viennent de l’oueft ; il faut donc
s’en tenir aux anciennes cartes qui doivent reprendre
leurs droits. r ,
Ce n’eft point ici une vérité rencontrée au ha-
zard qui ne décide rien ; Fernand Cortès découvrant
la Californie en 153 5 , François de Tello envoyé
par lui pour continuer la découverte en 1539’ François
Vafquez Cornero, en 1540; P. Auguftin Runy ,
en 1580 8c 1581 ; Antoine d’Ëfpeio, en 1582, pour
les provinces à l’eft de la Californie ; les découvertes
ultérieures de cette prefqu’île , faites en 16 17 ,16 3 6 ,
1675 8c 1683 ; Juan Rodriguez de Cabrillpi, qui y
alla en 15^2 & 1543 >& tant d’autres 4U1Y ? n.t été »
qui ont v u , qui ont impofe des noms aux nvieres,
aux caps, aux baies ; qui en ont dreffé des cartes,
non au hafard, mais avec tant d’exa&itude 8c de
précifion que ce qu’on a découvert depuis s y eft
trouvé conforme, font une preuve invincible, qu’on
ne fauroit éluder, & qui décide à jamais la queftion.
J’ai un ami favant 8c de grand mérite; M. Jofeph-
Antoine-Félix de Balthazar , un des premiers ma-
giftrats de la république de Lucerne en Suiffe, qui,
voyant que je m’occupois de ces recherches, me
communiqua une nouvelle carte de la Californie, que
feu fon oncle, le P. Jean-Antoine de Balthazard lui
avoit envoyée. A
J’ai cru devoir publier cette carte meme, comme
plus récente que celle du P. Kino, 8t d’une authenticité
au-deffus de toute exception ; elle appuie celle
du P, Kino; mais comme elle ne^contient que la
propre province de la Californie, jufqu’au 33d avec
le golfe, 8c rien de précis fur ce qui eft au nord du
Mexique , on y a ajouté ce qui fe trouve à cet égard
dans les cartes les plus récentes. Foye^ la quatrième
carte de Géographie dans ce Supplément.
Il s’agit ici feulement d’empêcher qu’avec le
tems, on n’agiffe d’une maniéré aufîi injufte qu’on
ï ’a fait, en déniant à la Californie la qualité de prefqu’île
; c’eft pourquoi je vais transcrire ce qui fe
trouve fur le manuferit, en efpagnol.
Seno de Californias y fu cofla oriental, nuevemente
defeubierta , y regifirada, defde el caba de las virgi-
nés y hafta fu termino, que es el rio colutado. Por el P.
Fernando Confag, de la compagnia de Jefus, mifjio-
nero de Californias.
E fe ma p a dedica la prov incia de California al P.
Juan Antonio Balthafar fu ultimo vifitador general,
reconocida al afeclo, y fingular amor, con que le ha
atentido, procurando fus majores progreffos & alirio y y
fomento de fus PP. mifjioneros. Anno D . M• DCC,
XLVI.
Parus M. Nafcimben delineavit.
Le lefteur en jettant un coup-d’oeil fur la cinquième
carte Géographique {Suppl.'), fera en état
d’apprécier mes raifons, en les conférant avec les
cartes que j’y donne par fupplément, celle de d’A-
cofta dans le n°. I I ; celle du n°. / , quant à cette
partie de l’Amérique ; le n°. IF extrait des anciennes
cartes de Vefeher 8c de Plantius ; enfin le n°. F ,
qui eft une troifieme carte nouvelle.
Je ne fais fi je dois ajouter également foi à la carte
du P. Kino , fur le pays depuis la riviere Hiaqui,
jufqu’à la riviere de Hila & Azul, c ’eft-à-dire depuis-
vingt-neuf & demi à trente-trois dégrés, où il remplit
tout d’habitations & de noms, comme fi les
millions y étoient floriffantes, & que tout fut dans
la poffefuon des Efpagnols. Il trace pourtant lui-
même une ligne , par laquelle il fépare ce pays de
celui de la nouvelle Efpagne ; d’autres géographes
placent cette ligne au nord de Cinatoa , à trente dégrés
; Sonora encore un peu au-delà, vers le nord.
Les provinces feptentrionales, reconnues autrefois
par les Efpagnols, & décrites en détail, en ont été
abandonnées , tout comme les vaftes pays au nord-
oueft, faute de pouvoir les conferver tous; cette
vérité vient d’être confirmée tout récemment par
les papiers publies qui annoncent que le roi d’Ef-
pagne avoit envoyé ordre en 1764 de travailler à
lubjuguer ce§ nations au nord; qu’en 1767 on en
drelfa le plan , & qu’on l’exécuta en 1768 ; qu’on
avoit fournis les unes par la force, que d’autres,
comme les Sobas ( fur la carte du P. Kino , entre
vingt-neuf & demi & trente-un dégrés ) fe font
fournis volontairement ; qu’on n’avoit aucune efpé-
rance de foumettre les Apaches, mais bien de délivrer
la nouvelle Bifcaye ( dans les cartes du fiecle
paffé, cette province eft au fud de la ligne fufdite ,
à quoi on ajoute, fans doute, ces nouvelles conquêtes
) de leurs incurfions & de leurs cruautés; que
dans la province de Sonora on à découvert une mine
d’o r , &c. On peut donc fuppofer que du tems du
P. Kino il y a eu en effet nombre de millions en-
deçà de la riviere de Hila , & que les naturels du
pays s’étant accoutumés à voir des Efpagnols, &
ayant été en partie convertis, ont pu être plus aifé-
ment fubjugués.
Ceci mérite d’autant plus d’attention , qu’à chaque
pas qu’on fait vers ces régions qui étoient redevenues
inconnues, la vérité des relations anciennes
fe manifefte; il vit à Cinaloa, Sonora, les
Apaches retrouvés : on difoit autrefois de ces derniers,
fur-tout des Apaches de Navajo , que c’étoit
une nation fi nombreufe, qu’elle s’étendoit bien,
loin; & même, à ce qu’on fuppofoit, jufqu’au détroit
d’Anian.
N’ouvrira-t-on donc jamais les yeux pour rendre
juftice aux relations Efpagnoles, & rétablir leurs
cartes , du moins en gros & pour le principal}
Revenons à l’extrait du mémoire de M. Buache :
nous y voyons qu’il y établit très-folidement l’authenticité
de ces cartes anciennes ; il donne même
dans fa fécondé carte le tracé des anciennes.
Par la plus ancienne carte marine Hollandoife ,
Anian & le cap Fortune font à cent quatre-vingt-
cinq dégrés de longitude ; chez Dudley, à deux
cens dix-huit dégrés ; chez P. Suefta, le détroit
d’Anian eft à deux cens trente-neuf dégrés. La vé--
rite des anciennes cartes s’étoit fi fort ancrée dans
tous les efprits , que malgré l’opinion erronée ,
adoptée généralement, que la Californie étoit une
î l e , on a confervé encore long-tems le refie des
anciennes pofitions. Sanfon le pere, en 1651, plaça
également le pays d’Anian & fon détroit vis-à-vis
de l’Afie, à-peu-près tel qu’on vient de le reconnoître
, à environ cent quatre-vingt-cinq degrés de
longitude ; & ces pays, d’après les relations anciennes,
dont celle d’Acofta, fur la fin du feizieme
fiecle, a toujours été regardee comme la plus ref-
peâable, Bergifegio, au nord , jufqu’à la mer Glaciale
de ce côté ; on ne doute pas de l’exiftence de
ce pays, les Ruffes l’atteftent. Enfuite Anian repré-
fenté pour les côtes, comme de nos jours ; un peu