
Il faut remarquer que cette terre avôît acquis plus
de denfité par cette fécondé préparation : car une
brique formée avec cette terre pefoit 5 livres 11 onces
, tandis qu’une autre faite en même tems -, dans
le même moule., par le même ouvrier, avec de l’autre
terre, ne pefoit que 5 livres 7 onces. Enfin, après
avoir laiffé fécher à l’air ces briques l’efpace de treize
jours , ôc les avoir cuites fans aucune autre précaution
, comme les autres, on les examina à la fortië
du fou r, & il fe trouva que les briques faites avec la
terre plus corroyée, pefoient toujours 4 onces de
plus que celles formées avec l’autre terre qui ne
l’étoit pas autant ; l’une ôc l’autre de ces briques
ayant perdu 5 onces de leur poids , à caufe de l’humidité
qui s’eft diflipée. Mais la réfiftance de ces briques
a été bien différente ; car en les foutenant par
le milieu fur un tranchant ôc les chargeant à chaque
bout, la brique formée de terre bien corroyée n’a
rompu qu’après avoir été chargée à chaque extrémité
de 65 livres, ou de 130 livres.en tout, tandis
que les autres n’ont pu fupporter dans les mêmes
eirconftances que 3 5 livres à chaque bout, ou 70
livres en tout.
Cela ne veut pas dire cependant que la préparation
de la terre faffe tou t , ôc que le choix de cette
terre ne foit pas quelque choîè d’effentiel : nous
avons toujours ici les expériences de M. Gallon ,
qui ne laiffent aucun doute fur ce fujet. Il prit d’une
terre qu’on tiroit autrefois de la couture Saint-
Quentin près Maubèuge ; il la fit préparer, fans y
mettre plus de tems ni plus de peine que l’on ne fait
ordinairement ; on moula cette terre dans le même
moule que les précédentes, & on cuifit les briques
avec du charbon de terre : elles pefoient, après
avoir été bien féchées, 5 livres 12 onces, ôc après la
cuifforç, leur poids étoit réduit à 5 livres 6 onces :
appliquées, comme les autres, fur un tranchant,
elles ne fe rompoient qu’après avoir été chargées à
chaque bout de 220 livres, ou de 440 livres en
tout.
Nous ajouterons, pour terminer ce fujet de la
préparation des terres , les réglés que M. Duhamel
donne , d’après les expériences qu’on vient de rapporter,
comme étant les meilleures.
Après avoif reconnu par des expériences que la
terre eft propre à donner des briques de bonne qualité
, il faut i Q. la tirer avant l’hiver & l’étendre à
une médiocre épaiffeur, pour qu’elle puiffe recevoir
les influences de là gelée.
20. Dans la faifon de mouler, après avoir étendu
le volume de terre qu’on veut préparer, on l’imbibera
d’une fuffifante quantité d’eau pour que cette
terre puiffe en être pénétrée par-tout. On laiffera
cette terre en cet état pendant une demi-heure ; on
la mettra en tas fuppofés de neuf pieds en quarré fur
un pied d’épaiffeur, & on formera autant de ces tas
que le mouleur en pourra employer dans la journée.
30. La demi-heure, étant écoulée , le batteur de
terre ôc le mouleur pétriront avec les pieds, & pendant
une heure, chacun de ces fas ; ils finiront par les
retourner ôc les polir avec la pelle mouillée, Ôc les
laifferont couverts de paillaffons jufqu’à l’après-midi
du même jour.
40; Au bout de 7 à 8 heures , ils remêleront chacun
de ces tâs fans y mettre d’eau, à moins qu’un
grand hâle n’eût trop durci la fuperficie : en ce cas,
on en pourroit jetter fur le deffus : on:: emploiera
encore une heure à pétrir chaque tas, feulement
avec le hoyau & la pelle , en obfervant de changer
les tas de place lorfqu’on en retournera la terre ; ôc
cette fois on donnera au tas la forme d’un cône. .
50. Le- lendemain de grand matin, on remuera
encore cette terre pendant un quart d’heure £ après
quoi elle fera en état d’être employée par le mouleur.
Les briques fe moulent prefque par-tout de la
même maniéré ; aufli ne nous arrêterOns-nous pas
beaucoup fur ce fujet : nous nous contenterons de
recourir ici à nos ouvriers Liégeois, ÔC de voir corn-,
ment ils finiffent leur ouvrage.
Nous avons vu qu’il y en a deux, des dix qui forment
une table, qui préparent la terre, ôc qu’on
nomme batteurs. La terre étant préparée, comme on
l’a dit, un ouvrier, qu’on appelle le brouetteur, la
tranfporte au mouleur, qui eft le chef de la troupe.
Il en charge chaque fois fur la brouette de quoi former
quatre-vingts à cent briques. Il a foin de mettre
des planches par terre depuis le tas jufqu’à la table
à mouler, afin que la brouette roule plus facilement
ôc de ne pas fillonner la place qui a été regalée ôc
fablée. En arrivant à la table à mouler, il renverfe
fa terre près du mouleur ; il prend foin de Couvrir
cet approvifionnement, de paillaffons, & ramaffe fur
fon chemin ce qui peut être tombé de la brouette.
Il a eu foin auparavant de ratifier avec le pouffoir
tout le terrein où l’on va travailler, d’y apporter du
fable, tant pour l’étendre par-tout où l’on mettra
des briques, que pour en- fournir la minette : il a
aufli eu foin de faire remplir d’eau le bacquet.
Le porteur eft ordinairement le plus jeune de tous
les ouvriers : c’ eft par où l’on commence l’appren-
tiffagë, à l’âge quelquefois de 12 à 14 ans. C’eft cet
enfant qui a pôle la table à moulin au lieu où l’on va
travailler : il a nettoyé & lavé tous les outils du
mouleur dans un feau d’eau que le brouetteur lui a
fourni fur le lieu même ; il en a rempli le bacquet,
ôc il a tendu un cordeau à l’extrémité de là place ,
pour aligner la première rangée de briques qu’il
y doit pofer.
C’eft enfuite de tous ces préparatifs que le mouleur
commence fes fondions. Le coin de la table à
mouler a été faupoudré d’un peu de fable, ainfi que
l’un des deux moules qui eft pofé fur ce coin. Le
mouleur plonge fes bras dans le tas ; il emporte un
morceau de 14 à 15 livres pefant, le jette d’abord
en entier ôc avec force fur la café ou moule la plus
près de lui ; rafe en même tems cette café à la
à la main, en y entaffant la matière, Ôc jette ce
qu’il y a de trop fur la fécondé, qui n’a pas été remplie
du premier coup, comme la première : il rafe
aufli cette café à la main en entaffant, ôc il remplit
les vuides qui s’y trouvent ; faififfant en même tems
de la main droite la plane dont le manche fe ptéfente
à lui, il la paffe fortement fur le moule pour enlever
tout ce qui déborde, ôc donne un petit Coup du plat
de la plane, comme d’une truelle , fur le milieu du
moule, pour féparer les deux briqués l’une dé l’autre
: il dépofe le refte de la terre à côté de lui fur la
table.
Dans l’inftant, le porteur tire â lui le moule par
les oreilles, ôc le faifant gliffer au bord dé la table ,
il l’enleve à deux mains en le renverfant ôc le dref-
fant adroitement fur fön champ , de façon que les
deux briques, encore toutes molles, nepùiffent ni
tomber ni fe déformer. Il va porter ces deux briques
le long de fon cordeau : là, il préfente le moule
près de terre,comme s’il vouloit le pofer fur le champ*
pùis le renverfant fubitement à p la t, il applique
jufte le moule & les deux briques à plat fur terre
ôc retire fon moule en hauf, en prenant bien gardé
d’obferver l’à-plomb dans ce dernier mouvement ,
qui défigùreroit immanquablement les deux briques,
pour1 peu qu’il eût d’obliquité.
Auflî-tôt le porteur revient à la minette avec fon
moule; il le jette dans cette minette remplie de fa-
. ble , l’ën faupoudré légèrement, ôc l’en frotte tout
autour avec la main.
Pendant fon voyage ô c fes mouvemèns, qui n'oht
jpas duré plus de 8 à 10 fécondés de tems, le mouleur
a déjà formé deux autres briques, que le porteur
enleve comme les premières. Ainfi le mouleur enlevé
fur le champ dans la minette le fécond moule
d’une main & un peu de fable de l’autre pour frotter
fa table, Ôc tous deux recommencent les mêmes manoeuvres
que l’on vient de décrire. Voye^ pl. I & I I
d'Architecture ; T UILERIE , dans le Dictionn. raifonne
des Sciences, ÔCC.
Toutes les manoeuvres dont nous venons de parler
fe font avec une très-grande vîteffe ; en forte que
pour fupporter ce travail, il faut que les gens qui
compofent l’attelier, foient capables de réfifter à une
grande fatigue.
C ’eft à la vue de ce v if exercice que naît la curio-
lité de favoir combien un bon mouleur peut former
de briques dans fa journée ; ôc on apprend avec fur-
prife qu’il en peut former neuf à dix milliers, pourvu
qu’il puiffe travailler ’douze à treize heures,
comme il le fait fi le tems le permet.
On peut juger par-là du travail de tous les autres
ouvriers ; car neuf à^ix milliers de briques, de neuf
pouces de longueur, fur quatre pouces fix lignes de
largeur, ôc de vingt-fept lignes d’épaiffeur, exigent;
quatre cens à quatre cens quarante pieds cubes de
matière préparée, c ’eft-à-dire , près de deux toifes
cubes. Il faut que les deux batteurs fourniffent dans
le journée à cette confommation, en la remplaçant
au magafin, pour que rien ne languifle. Il faut après
cela que le rouleur mene cette quantité de terre auprès
de la table du çnouleur , qui change de place,
à mefure qu’il remplit les places entre les haies, &
ôc qui s’éloigne par conféquent du tas.
II faut enfin que cette quantité de neuf à .dix
milliers de briques paffent fucceflivement par les
mains du porteur ôc du metteur en haie, dont nous
allons parler.
Il eft effentiel que le mouleur ait la main formée
à fon exercice, afin que la matière foit d’une égale
denfité dans toutes les briques , ôc qu’il ne s’y. rencontre
pas de vuides ou des inégalités de compref-
fion qui fe feroient remarquer au fourneau.
Lorfque le mouleur a travaillé tout le long de
l’une des places, le porteur tranfporte fa table dans
la place fuivante ; ôc il les parcourt fucceflivement
toutes. De mouleur auroit fini fa tâche de cinq cens
milliers en deux mois, fans les pluies qui font affez
fréquentes dans les mois de mai ôc dé juin, faifon
de fabriquer la brique , enforte que ce travail dure
ordinairement trois mois. Nous obferverons ic i,
quant au tems de mouler, foit brique, foit tuile ,
qu’il ne faut pas commencer trop tôt au printems,
ni finir trop tard en automne , afin que la brique ait
encore le tems de fécher avant qu’il gele. Cair fi la
gelée la furprend avant qu’elle foit feche, elle tombe
par feuille ôc la façon eft perdue.
Le metteur en haie eft l’ouvrier qui a foin de la
brique, lorfqu’elle a été une fois couchée fur le
fable. Si le tems eft beau ôc qu’il faffe du foleil, il
ne faut pas plus de dix à douze heures à ces briques
rangées dans les places , pour fe reffuyer à prendre
confiftance au point de pouvoir être maniées fans fe
déformer. Si le tems eft couvert ÔC qu’il furvienne
des, coups de foleil vifs , ils peuvent précipiter la
déification des briques à leur furface fupérieure,
les faire gercer ôc caffer. Alors le metteur en haie
doit les faupoudrer de fable pour ralentir l’évapo*
ration de leur humidité ; il doit même les couvrir
quelquefois de paillaffons , fur-tout s’il furvient une
groffe pluie.
Lorfque les doigts ne s’impriment plus ‘dans la
fcrique, ôc qu’elle a déjà acquis affez de folidité, le
Çjetteur en haie commence alors fon travail, ÔC
Tome II.
s’en va d'abord parer la brique ; voici eii quoi cô
travail confifte.
On conçoit qu’en retirant le moule chargé de deffus
la table , ôc en pofant enfuite les briques flir le
fable, cette terre encore tendre, peut ràmaffer quelque
ordure , qui en s’attachant autour ; peuvent
altérer la figure parallelipipedale qu’elles doivent
avoir. Pour leur rendre exactement leur forme c6
qui s’appelle 1 es parer ± le metteur en haie fe préfente
. lurle flanc des rangées * tenant à fa main un couteau
ordinaire. Il paffe le couteau le long du bout des
briques qui font le plus près de lui j ôc coupe par cë
mouvement les bavures de l’un des bouts ; puis il
met de l’autre main chaque brique fur fon champ ,
fans lui faire perdre terre ; en même tems il paffé
légèrement le couteau fur le bout le plus éloigné ôc
fur le flanc qui fe préfënte en haut : ainfi les quatrè
côtés fe trouvent parés. Il eft clair que les bords du
plan fupérieur n’ont pas befoin de cette opération ,
parce qu’ils fe trouvent parfaitement parés ôc arrangés
par le mouvement du moule lorfqu’il abandonne
la briquei
On peut en parer une quinzaine fans bouger de la
place, ç’eft-à^-dire, autant que le bras d’un homme
peut en atteindre dans l’attitude où il eft. Alors ert
relevant ce premier rang fur fon champ, le metteur
en haie en dérange deux qu’il refferre un peu contre
les autres, pour pouvoir placer fon pied dans leur
intervalle, ôc paffer au fécond rang ; il met ainfi fucceflivement
tous les rangs fur leur champ.
Si le tems eft beau & ne menace pas de pluie, le
metteur en haie continue ce travail tant qu’il a des
briques à relever. Mais fi le tems eft douteux, il va
les arranger fur les haies dès qu’il y en a cènt de relevées.
Cette attention eft fondée fur ce que la brique
crue qui reçoit la pluie fur le champ, le déforme
très-facilement & fe réduit en morceaux; au lieu
que mouillée par fes grandes furfaces, elle réfifte
davantage, ôc n’eft pas fitôt hors de fetvice.
Le metteur en haie, après avoir paré les briques,
les tranfporte avec la brouette au pied des haies. Là
il les arrange toutes fur leur champ, ôc les pofe l’une
fur l’autre, de façon qu’elles occupent le moinsfd’ef-
pace qu’il eft poflible. Il faut aufli que l’air les frappe
de tous côtés, ôc que les briques aient entr’elles le
moins de contaâ que leur forme-peut le permettre.
Ces haies font des efpeces de murailles auxquelles
on ne donne que quatre briques d’épaiffeur, lorf-
qu’on a tout l’efpace néceffaire pour travailler. Pour
qu’elles puiffent fe foutenir fans accident fur la hauteur
de cinq pieds , on obferve d’ en conftruire les
extrémités un peu plus folidement que le refte, &
de maintenir la haie bien à-plomb fur toute fa longueur.
Lorfque la place manque, ôc qu’on eft obligé
de donner à ces haies plus d’épaiffeur, il arrive que
celles du milieu ne peuvent pas fécher, fur-tout fi
on range d’abord beaucoup de briques à côté les
unes des autres. Pour éviter cet inconvénient, le
mouleur doit changer fa table de place fucceflivement
, pour que le metteur en haie ne forme jamais
fa haie de plus de quatre briques ou feuilles, comme
il les appelle, en la commençant; & quand celui-ci
eft obligé de l’épaiflir, il ne doit y ajouter qu’une
feuille à la fois, en changeant alternativement de
côtés.
Il faut avoir fucceflivement des paillaffons, pour
couvrir totalement les haies pendant la nuit, &
chaque fois qu’on prévoit la pluie, qui feroit un
grand défordre dans les briques. C ’eft pourquoi on
eft obligé d’y entretenir un gardien, lorfque le mou-'
lage eft achevé, qui y demeure ordinairement pendant
fix femaines.
Telle eft la maniéré de former la brique en Flandres
ôc dans l’Artois ; on obferve à-peu-près les
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