
elle étoit le plus allumée ; il fuccomba fous le poids
de fes infirmités, de fes chagrins & de fes revers ;
ne jouiffant prefque plus d’aucune confidération,
prefque dépouillé de fes états, l’argent feul de la
France le déroba aux befoins que peut éprouver un
particulier malheureux. On le blâme fur-tout, de
ne s’être point mis à la tête de fes troupes, au moment
qu’il réunit la couronne de Bohême à celle de
l’Empire, lorfque la moitié de l’Europe combattoit
pour fes intérêts. La fortune qui le mit fur un trône ,
a pu feule lui donner un rang diftingué dans l’hiftoire.
^ ^Charles , fumommé Ma rte l, (Hifl. de France.')
troifieme prince ou duc d’Auftrafie, naquit l’an 704
de Pépin le Gros & d’Alpaide fa concubine. Sa naif-
fance caufa une vive jaloufie à Pleûrude, femme
légitime de Pépin, & peu s’en fallut qu’il n’en fût la
vi&ime. Cette femme ambitieufe prétendit d’abord
l ’exclure de la fucceflion paternelle. Là bâtardife
n’imprimoit encore aucune tache d’infamie. I Les
François, quoique convertis au chriftianifme, s em-
barraffoient peu que la religion imprimât fon facré
caraftere fur leur- alliance. Tous les enfans, n’importe
quel fût l’état de leur m ere, étoient indiftinc-
tement admis au partage de leur fucceflion. Cetufage
préjudiciable au bon ordre, dura tant que régna la
famille des Merouingiens. N’ayant pu réuffir par la
voie de la perfuafion, Ple&rude ufa de violence ;
& dès que Pépin fut mort, elle le fit enfermer à
Cologne dans une prifon étroite. Charles donna dès-
lors une idée de ces grands taiens qui l’ont élevé au
premier rang de ceux qui ont gouverné la terre, &
dont nous allons donner une courte analyfe. Abandonné
à lui feul, & fans autre reffource que fon
génie, il échappe à la vigilance de fes gardes, &
leve une armée. Au lieu de fatisfaire fes vengeances
contre fon ennemie, il ne fonge qu’à arrêter les progrès
de Rainfroi, général & maire du palais de Chil-
peric I I, qui, vainqueur de Tcodalt, fils de Pleâru-
de , menaçoit d’envahir l’Auftrafie. Après plufieurs
combats, dont le fuccès du premier lui fut contraire,
il parvint à les contenir dans leurs limites ,- quoiqu’ils
fuffent fécondés de Rabode, duc des Frifons, qui fai-
foit de continuels efforts pour recouvrer la partie
de fes états dont Pepm l’avoit privé. Après avoir
préfervé l’Auftrafie du joug des Neuftriens, Charles
s’en fit proclamer prince. T el fut le titre que prirent
d’abord les maires du palais d’Auftrafie, lorf-
qu’ils en eurent ufurpé le fceptre. Les fils de Plec-
trude étoient enfermés dans Cologne ; il alla les af-
fiéger, & le s fit prifonniers eux & leur mere. Modéré
dans fa vi&oire, il leur accorda un pardon généreux,
& fe contenta de les mettre dans i’impoflïbi-
lité de lui nuire. Après avoir réuni tous les Auftra-
fiens en fa faveur, il les conduifit à la conquête de
la Neuftrie. Chilperic II vaincu aufli-tôt qu’attaqué,
fut obligé de laiffer fon trpne à la difpofition du
vainqueur. Quoique Charles en eût fait la conquête,
il n’eut point allez de confiance pour s’y affeoir.
Les François regardoient là valeur comme la plus
fublime vertu ; mais ils ne croyoient pas que ce fût
un titre pour parvenir au rang fuprême, tant qu’il
reftoit un rejetton de la tige royale. Il y plaça un
prince nommé Clotaire ; mais celui-ci étant mort
quelque tems après, il rappella le monarque qu’il
avoit détrôné, & lui donnant un titre fans pouvoir,
il gouverna fous fon nom les trois royaumes d’Auftrafie
, de Neuftrie & de Bourgogne. Sa fageffe égalant
fes taiens militaires, il corrigea plufieurs vices
qui s’étoient introduits par la foibleffe des régnés
précédens. Ce ne fut qu’après avoir fortifié le corps
politique, en en purifiant les membres, qu’il fongea
à foumettre les provinces Germaniques, qui, depuis
plufieurs fiecles, étoient tributaires & fujettes à la
domination Françôife. Rien ne put refifter à fon courage
infatigable qui le portoit fans ceffe aux extrémités
de fon vafte empire. Les Bavarois, les Allemands
proprement dits, c?eft-à-dire, les Suabes,les
Turingiens, les Frifons & les Saxons, furent obligés
de lûi donner des marques de leur foumiflion.
Les Frifons furent les plus maltraités. Charles, après
avoir renverfé leurs idoles, brûlé leurs bois facrés,
& tué Popon, leur duc , fucceffeur de Rabode, les
força à renoncer à avoir des ducs de leur nation :
jrivilege dont ils avoient toujours été fort jaloux.
La vi&oire la plus éclatante de cet âge , & qui fait le
plus d’honneur au nom François, fut celle qu’il remporta
fur les Sarrafins, qui, fiers de leurs conquêtes
en Afie & en Afrique, parloient de foumettre l’Europe
au joug de l’alcoran. Introduits dans l’intérieur
de la France par Eudes, duc d’Aquitaine , qui vou-
loit profiter de leur alliance pour s’ériger en ro i, ils
y exercèrent les plus terribles ravages. Si les auteurs
n’ont pas grofii le nombre de leurs troupes, elles
montoient à 700 mille hommes. Charles les rencontra
dans les plaines de Tours; les deux armées ref-
terent en préfence pendant fept jours confécutifs, &
s’effayerent par differentes efcarmouches; mais après
ce terme, la victoire couronna la valeur de Charles.
Quelques-uns ont penfé qu’il fut furnommé Martel
des coups qu’il frappa dans cette mémorable journée
; d’autres, d’apres une efpece d’arme dont il fe
fervit pendant le combat.
Charles au milieu de fes profpérités, defira le diadème.
Ce defir fe manifefta, fur-tout à la mort
de Thierry , dit de Chelles, fantôme de roi qu’il
avoit placé fur le trône depuis le décès de Childe-
ric. Les conjon&ures étoient peu favorables. Il avoit
été obligé de faire contribuer les eccléfiaftiques aux.
charges de l’état, & même de donner à des laïcs des
biens affe&és aux églifes ; il preffentit leur oppofi-
i tion, & ne manifefta rien de ces fentimens : il fe
contenta du titre fous lequel il avoit gouverné juf-
qu’alors; mais fa fierté ne lui permettant pas de s’a-
baiffer davantage fous un maître, il laifl’a le trône
vacant, & ne jugea point à propos défaire des rois.
Cependant le fuccès de Charles contre les Sarrafins
qu’il vainquit dans plufieurs autres rencontres,
éleverent fon nom au plus haut dégré de gloire. Les
Romains preffés d’un côté par les Lombards qui
vouloient les mettre fous le jou g , & intimidés de
l’autre par l’empereur de Conftantinople ,• qui les
menaçoit de fes vengeances, lui envoyèrent une célébré
ambaffade. On remarque que dans leurs lettres,
ils lui donnoient le titre de vice-roi. Cette première
ambaffade n’ayant produit aucun effet, le pape Grégoire
III lui en envoya une féconde, & lui écrivit
les lettres les plus prenantes. Le faint pere qui voyoit
les Lombards à fes portes, peignoit leur roi fous les
plus odieufes couleurs. Les nouveaux ambaffadeurs
abordèrent le prince d’Auftrafie de la maniéré la plus
refpe&ueufe ; ils tombèrent à fes pieds, & lui offrirent
, avec le titre de patrice, la Souveraineté de la
ville de Rome. Cés offres étoient bien capables de
flatter fon ambition, mais il n’en put profiter; il
étoit atteint d’une maladie qui le conduifit au tombeau
cette année là même. 11 mourut à Cre cy, dans
la 38e année de fon âge, & la 23e de fa magiftra-
ture, laiffant une réputation comparable à celle des
plus grands capitaines & des plus grands politiques
qui jamais aient honoré Athènes & Rome. Place fur
les dégrés du trône J il avoit tous les fàléns qui peuvent
nlluftrer ; & s’il ne porta pas le diadème , il
eut au moins la gloire d’en préparer un à fes fuccef-
feurs plus brillant & plus augûfte que celui qu’il
•avoit ambitionné. Gn ne fait fi ceft de ce héros
ou de Charlemagne , fon arriéré fils, que la fécondé
race de nos refis a pris le nom de Carlienne ou
Catloy Indienne.
H W B L ’hiftoire nous a confervé le nom de
deux de les femmes, favoir, de Rotrude & de Som-
nichelde. La première donna najffance à Pépin le
B re f& àÇarloman, l’autre à Griffon. Charles zut en
outre plufieurs fils naturels entre lefquels on diftin-
gue Remy, qui fut évêque de Rouen. Des hiftoriens
ont regardé Charles-Martel comme l’inftituteur des
comtes Palatins, auxquels ont fuccédé en France les
maîtres des requêtes. ( T—n . )
C harles I , ( Hijl. de France.) x x m e roi de
France , vulgairement nommé Charlemagne, c’eft-à-
dire , Charles le Grand, naquit l’an 7 4 1 , de Pépin le
Bref & de Berte ou Bertaude. La vie de ce prince
a jetté tant d’éclat, que plufieurs villes fe font dif-
puté la gloire d’avoir ete fon berceau. Les uns ont
prétendu qu’il naquit à Ingelheim,près de Mayence;
Jes autres, à Confiance en Suiffe. D es critiques mieux
inftruits ont démontré que ce fut à Carlsbourg, château
de la Haute-Baviere, fur la Salva. Pépin le Bref
avoit laiffé en mourant des états bien vaftes & une
domination bien affermie. Cet fciabile politique marchant
fur les traces de fes ancêtres, avoit confomipé
leur crime & exterminé la race de Merouée qu’ils
avoient avilie. Charlemagne & Carloman , fes fils,
partagèrent fa puiffance : le premier avoit de très-
grands taiens, l’autre n’en avoit que de fort médiocres.
Il eut cependant affez de prévoyance pour
craindre l’abus que fon frere pouvoit faire des fiens.
Il fe retira en diligence dans Ion royaume d’Auftrafie
que Pépin lui avoit marqué pour fon partage, &
y refta dans la plus grande défiance. Charles le folli-
cita en vain de le féconder contre Hunauld, duc
d’Aquitaine, qui, fuivant quelques auteurs, étoit de
la race des anciens rois. Cette défiance étoit fondée,
& l’on ne tarda point à s’en appercevoir ; ce prince
étant mort l ’année fui vante ( 7 7 ! , à Samouci, non
fans quelque foupçon de poifon ) , Charles fe jetta
dans fes états , & s’en empara , au préjudice de deux
princes fes neveux, qui, fous la conduite de Geber-
ge leur mere , allèrent mendier un afyle chez Didier,
roi des Lombards. Didier les reçut avec les transports
de la joie la plus v iv e , & d’autant moins fuf-
p e â e , qu’il avoit de grands fujets de plaintes contre
Charles qui lui avoit renvoyé fa fille après l’avoir
époufée publiquement. Il les conduifit à Rome, &
pria le pape de les facrer. Adrien qui occupoit alors
le fiege pontifical, rejetta cette propofition : le faint
pere craignoit de s’expofer au reffentiment du monarque
François, qui, vainqueur des Saxons & de
Hunauld qu’il tenoit dans les fers, faifoit des préparatifs
pour entrer en Italie. Didier voulut en vain
lui fermer les paffages ; Charles ayant franchi le fom-
met des Alpes , battu les Lombards à Clufium, va
l’afliéger lui-même dans Pavie, fa capitale. T el fut
le prélude des grandes vi&oires de Charlemagne :
fix mois lui fuffirent pour renverfer la monarchie
des Lombards, & pour foumettre l’Italie entière.
Les Romains éblouis des grandes qualités du conquérant
, lui donnèrent des marques de la plus enr
tiere obéiffance ; ils lui déférèrent tous les honneurs
que leurs ancêtres avoient rendus aux Céfars & aux
Exarques, fucceffeurs de çes hommes fameux. Charlemagne
fit plufieurs autres voyages en Italie ; le plus
célébré fe rappqrte à l’an 800 ; il y étoit attiré par
Léon III, fucceflèur d’Adrien. Ce pontife lui deman-
doit juftice contre plufieurs Romains qui confpiroient
pour le perdre, & l’accufoient de plufieurs crimes.
Le monarque jugea le pape de la maniéré la plus
folemnelle : ayant reconnu fpn îfnçicence, il.condamna
fes gcçufateurs à perdre la tête; Ce fut après,
ce jugement mémorable que les Rçmains le conjurèrent
de faire revivre en fa perfpnne le titre d’em-
p„ereur d’Ocçident, éteint depuis plus de trois fiecles,
Charlemagne y confentit après bien des folliçita-
Tome II%
rions, mais il le reçut en maître. Il ne pofa le diadème
fur fon front qü’après avoir vu le pontife à
fes pieds. Léon III fléchit le genou devant Charlemagne;
ôc après l’avoir adoré au milieu d’une af-
femblee innombrable ( pojl quas laudes à pontifice more
antiquorum prïncipum adora tus efl. ) , il fit expofer
fon portrait, afin que le peuple lui rendît le même
hommage. T el fut l’ufage confiant fous les fucceffeurs
d’Augufte avant & après l’introduftion du chrif-
tianifme. Charles, dans fes différens voyages, ratifia
la donation dont Pépin avoit récompenfé le zele in-
diferet des papes q ui, par un abus criminel de leur
miniftere, avoient approuvé la dégradation des anciens
rois. La donation de Pépin, comme on peut le
voir à l’article de ce prince, confiftoit dans la jouif-
fance précaire de l’exarcat & de la pentapole. Charles
, en confirmant cette donation, n’en changea pas
le titre; il s’en réfervala fouveraineté comme empereur
& comme ro i, de maniéré qu’il étoit libre de
les reprendre s’il le jugeoit à propos.
Ces prefens du pontife & du monarque n’étoient
fondés que fur la force : tout étoit appuyé fur l’épée
de Charlemagne : il ne pouvoit donner au pape ni
l’exarcat ni la pentapole ; ni le pape ou les Romains,
lui donner le titre d’empereur : ce titre réfidoit dans
la perfonne des empereurs d’Orient ; aufli ce n’efl pas
à cette époque que l’on doit rapporter la renaiflance
de l’empire d’Occident, mais feulement à l ’an 812,
que l’empereur Michel confentit, par un traité folem-
nel, à reconnoître Charles pour fon collègue. Voilà
ce qui fè paffa d’important en Italie fous le régné de
ce prince ; mais ces brillans fuccès ne furent pource
héros que l’ouvrage de quelque mois. Il conquit pendant
ce tems-là même la Hongrie, la Bohême, la Catalogne
& la N avarre, força les Vénitiens à lui rendre
hommage, fournit les Saxons qui refufoient de
lui payer le tribut auquel ils étoient affujettis, & réforma
fon état, ouvrage plus grand & plus difficile
que de remporter des vi&oires. Je n’entrerai pas
dans les détails des expéditions de ce prince ; il fuffit
de les compter ; il en fit trois en Italie, tant contre
les Lombards que contre plufieurs peuples qui pré-
tendoient fécouer le joug de fon obéiffance ; deux en
Hongrie, autant en Bavière & ên Efpagne, une contre
les Wilfes, anciens habitans de la Poméranie, &
douze en Saxe. Celles-ci furent les plus pénibles & les
plus meurtrières. Pendant ces différentes expéditions,
Charles livra plus de vingt batailles, & ne connut jamais
la honte d’une défaite. L’hiftoire lui reproche
fon inhumanité dans la vi&oire : il eft vrai qu’il fe
livra à tous les excès de la vengeance la plus effrénée :
il fit maffacrer en un feul jour 6c de fang-froid quatre
mille cinq cens Saxons que leurs chefs avoient remis
à fa puiffance, comme un témoignage de leur repentir.
Ses ravages en Hongrie ne furent pas moins con-
fidérables. On peut voir dans Eginard, hiftorien &
confident de fa vie , l’effrayant tableau des cruautés
de ce conquérant.
Ce fut par cette inflexible févérité que s’affermit
une des plus puiffantes monarchies qui jamais aient
paru dans notre hémifphere ; & fi l’on en jugé par
le fuccès , on pourra croire qu’il s’abandonna moins
aux impreflions d’une dureté naturelle, qu’il ne fui-
vit les confeils de la politique. Les Huns, cité ancienne
& fameufe, étoient pour ce monarque des
voifins dangereux. Sans parler de leurs anciennes in-
çurfions fur les terres de France, ils fomentoient l’indocilité
naturelle dés Bavarois , & les engageoient
dans dgTréquentes révoltes. Quant aux Saxons, leur
opiniâtreté à refufer un tribut légitimé mérita une
partie de leurs malheurs ; Charles leur avoit fait grâce
plufieurs fois, il étoit à craindre qu’un pardon trop
fréquent n’engageât fes fujets à les imiter. Les François
nourris dans l’anarchie qu’avoit introduite la