
royauté, ne connoiffent d’autre avantage que le pouvoir
funefte d’opprimer impunément les peuples ,•
d’effrayer, écrafer les nations, de porter le fer &
la flamme, le ravage & la mort de contrée en contrée,
Egbert fu t , fans contredit, un héros magnanime
, & l’un des rois les plus illuftres de fon fiecle.
Mais pour les coeurs fenlibles, généreux, bienfai-,
fans , qui n’eftiment du rang fuprême que la prérogative
qui y eft attachée de rendre les hommes
heureux, de protéger les arts , de faire régner la
juftice , la concorde , la paix ; pour ceux qui n’apprécient
les fouverains que d’après les vertus qu’ils
ont exercées & les bienfaits qu’ils ont verfés,
Egbert ne fut qu’un brigand couronné, tyran de fes
fujets, ufurpateur infatiable des états des princes
voifins ; ennemi redoutable, ami fufpeâ & allié fans
fo i, il ne vécut, il ne régna que pour le malheur de
fes peuples , forcément obligés de concourir à
l’exécution de fes projets ambitieux, & pour le
défaftre des fouverains de l’heptarchie, dont il brifa
les fceptres, & dont il ufurpa les différens royaumes.
Egbert eut cependant de grandes qualités ; mais
il eut de plus grands vices, & fa gloire fut ternie
par l’indignité des moyens qu’il employa pour affou-
vir fa dévorante ambition. Outré dans fes delirs,
injufte dans fes vues, il fut d’autant plus condamnable
, d’autant plus criminel, qu’il avoit lui-même
éprouvé les vexations de l’injuftice & les horreurs
de l’oppreflion. Car Bithrigk, roi de Weffex, craignant
, peut-être avec raifon, la préfence d'Egbert,
prince du fang ro y a l, & voyant avec inquiétude
les marques d’eftime, de confiance & de refpeft que
les Weft-Saxons ne ceffoient de lui donner, crut
que le feul moyen de déconcerter les vues d’un tel
rival, étoit de l’éloigner de fa cour & de fes états.
Egbert fe retira auprès d’Offa, foi de Mercie ; mais
n’y trouvant ni. a fy le , ni protection , il paffa à la
cour de Charlemagne,qui l’accueillit avec diftinftion,
lui accorda foii eftime, & lui donna fa confiance.
Egbert vécut douze ans à la cour de Charlemagne
; & , ambitieux comme il l’étoit, il eut plus de
tems qu’il ne lui en falloir pour fe former, foit dans
l’art des combats , foit dans la politique ; fcience
affreufe alors , & qui ne confiftoit qu’à couvrir
adroitement des voiles de la perfidie, ou des ombres
trompeufes de la diffimulation, des projets de conquêtes
ou des vues d’ufurpation,
Bithrigk empoifonné par Edburge fa femme, eut
à peine expiré, que les Weft-Saxons dont le tems
n’avoit point affoibli les fentimens, fe hâtèrent d’envo
y er une ambaffade folemnelle à Egbert, qui pour
lors étoit à Rome avec Charlemagne. Les ambaffa-
deurs Weft-Saxons offrirent le fceptre du Weffex
à Egbert; il prit congé de Charlemagne , & fe rendit
dans fes nouveaux états. Ses qualités brillantes ne
démentirent pas les flatteufes efpérances des Weft-Sa-
xons : à fa valeur naturelle qui l’élevoit à l’égal
des guerriers les plus célébrés de fon fiecle, il joi-
gnoit les plus rares talens , une politique profonde,
&une expérience éclairée par les leçons & le s exem-
ples de Charlemagne qui pendant près de douze
années avoit daigné lui fervir de modèle , de guide
& d’inftru&eur.
Egbert connut combien les rois de l’heptarchie
lui étoient inférieurs ; & formant le projet de s’élever
fur leurs ruines, il réfolut de profiter, aufli-tôt
qu’il lui feroit poffible , de fa fupériorité : mais ne
jugeant point les circonftances favorables à l’exécution
de fes deffeins , il employa les fept premières
années de fon régné au foin de fon royaume » à
gagner, par fon amour pour la juftice, par la fageffe
de fes loix, & fur-tout par fa bienfaifance, l’affeétion
de fes fujets : il voulut être aimé & le fut. Ses états
bornés au midi par la mer, au nord par la Tamife,
à l’orient pa rle royaume de Kent; oh regnoit le
valeureux Cenulphe, roi de Mercie & fouverain
des Anglo-Saxons, prince auffi célébré par l’éclat
de fes victoires, qu’il étoit redoutable par les nom-
breufes armées qu’il avoit fous fes ordres , il ne ref-
toit à l’ambitieux Egbert\ que. les Bretons de Cornouailles
, contre lefqueis, en attendant de plus
heureufes conjonctures, il lui fut permis alors de
commencer à remplir le vafte plan d’ufùrpation qu’il
avoit médité. Il avoit furies Bretons de Cornouailles,
qui ne s’attendoient point à des aCtes d’hoftilités, trop
d’avantages pour qu’il y eût aucune incertitude fur
l’événement. En une feule campagne , les Bretons
vaincus , fubjugués, furent contraints de reconnoî-
tre leur vainqueur pour fouverain. Les Gallois
ayant tenté de fe courir les Bretons, fournirent un
prétexte à Egbert q u i, portant la guerre & la terreur
dans le pays de Galles, s’empara, prefque s’en combattre,
de la plus étendue des trois principautés qui
compofoient la contrée de Galles. Les tentatives
que les Gallois oferent faire dans la fuite, pour
fecouer le joug qu’ils avoient été forcés de fubir, ne
fervirent qu’à les rendre plus malheureux encore. Egbert
, les traitant en rebelles, entra chez eux en de£
pote irrité, ravagea leurs poffeffions, mit tout à feu
& à fang ; & exerçant fur eux la plus rigoureufe
vengeance, les mit pour jamais hors d’état de l’irriter
encore.
Cette rapide expédition fut fuivie du plus heureux
événement qu’Egbert pût defirer, de la mort
de Cenulphe, roi de Mercie, & fuprême monarque
des Anglo-Saxons ; dignité qui fut conférée à Egbert
fans qu’il eût à lutter contre aucun concurrent. Ce
rang , quelqu’élevé qu’il fû t, ne pouvoit fatisfaire
fon ambition. La mort de Cenulphe, l’eftime générale
de la nation , le défordre & les divifions qui
agitoient les royaumes Saxons, étoient des circonftances
trop favorables au roi de Y/effex »pour qu’il
les négligeât. Son royaume étendu par fes nouvelles
conquêtes, étoit dans l’état le plus floriffant, tandis
que les royaumes voifins, affoiblis, épuifés par des
diffentions habituelles, n’avoient ni éclat,nipuiffance,
&c chaque jour ils paroiffoient s’approcher de leur
entière décadence. Egbert poffédoit donc le plus
puiffant royaume de l’heptarchie , réduite depuis
quelque tems à quatre fouverainetés; dans les trois
autres , la race des fouverains étoit éteinte ; des
faCtions divifoient les feigneurs qui, tous également
ambitieux, quoique tous également incapables de
régner, afpiroient à la couronne. Le Northumber-
land déchiré par deux faCtions, étoit trop occupé de
fes propres malheurs pour fonger à fe précautionner
contre les ennemis étrangers. La Mercie étoit
plus agitée encore que le Northumberland, & Ber-
nulphe, qui y régnoit, ne fe foutenoit fur. le trône
qu’à la faveur de la faCtion qui lui ayant donné le
fceptre contre les voeux de la nation, pouvoit le
maintenir à peine contre la jaloufie & la haine des
grands. Ainfi quoiqu’augmentée par l’acquifition de
l’Eftanglie , & par la foumiflion du roi de K en t ,
devenu tributaire, la Mercie étoit infiniment moins
puiffante que le 'W’effex. A l’égard du royaume d’Ef-
fe x , foit qu’il n’exiftât plus fous la même forme de
gouvernement, ou qu’il fût encore gouverné par fes
propres rois , ce que l’on ignore ; foit qu’il eût été
réuni à la Mercie , comme la plupart des hiftoriens
le préfument, il ne jouiffoit plus d’aucune forte de
puiffance, ni de confidération.
Animé par ces circonftances, Egbert , prefque
affuré du fuccès de fes entreprifes, fit des préparatifs
qui donnant des foupçons au roi de Mercie, le
firent penfer à fe précautionner contre les mefures
que le roi de Weffex paroiffoit prendre pour s’ag-
grandir aux dépens de fes voifins. Bernulphe, dans la
crainte
crainte que cerne fût contre lui principalement que
ces préparatifs étoient dirigés, crut que le feul
moyen dé rompre ces projets de conquête , étoit
de prévenir lé roi de Weffex, & de l’attaquer lui-
même fans lui Iaiffer le tems d’achever fes difpofi-
tions. D ’après ce plan, Bernulphe , à la tête d’une
armée confiderable, s’avança jufqu’auprès de Salif-
bu ry, oh »contre fon attente,..il rencontra fon ennemi.
Les deux armées ne tardèrent point à combattre
, les Merciens furent entièrement défaits, & la
perte fut telle qu’il n’étoit pas poffible de la réparer.
Cette victoire fut un coup dëcifif pour le roi de
'Weffex, non-feulement à caufe de î’affoib.liffement
du roi dé Mercie , qui déformais ne pouvoit plus
arrêter fes progrès ; mais par la facilité qu’Egbert
avoit à s’emparer du royaume de Kent , dont la
conquête lui foumettroit tout le pays entre la Tamife
& la mer. Auffi, à peine il eut remporté la victoire,
qu’il envoya Ethelwolph fon fils , fuivi d’une forte
armée dans le royaume de Kent. Baldred , qui y
régnoit, hors d’état de foutenir par lui feul cette attaque
, implora vainement le fecours du roi de Mercie
: Bernulphe entièrement épuifé par fa propre
défaite , défefpéroit lui-même de pouvoir fauver
fes états ; & Baldred, forcé de combattre , & trop
fier pour fe foumettre, foutint feul le faix de la
guerre; mais tropfoible pour lutter contre Egbert,
il fut vaincu, fe retira dans la Mercie, & abandonna
fon royaume au vainqueur qui le réunit à ceux de
Weffex & de Suffex.
On ne fait ni dans quel tems, ni à quelle occafion
le royaume d’Effex tomba fous la domination # Egbert;
& tout ce que l’on trouve à ce fujet dans les
Annales Saxonnes y eft que le roi de Weffex paffa
de la conquête de Kent à celle du royaume d’Effex,
& qu’il ne lui refta plus à foumettre que le Northumberland
, la Mercie & l’Eftanglie. Il eft très-
vraifemblable que malgré la terreur que fes armes
&: fes victoires infpiroient aux Saxons, jamais il ne
fût parvenu à étendre auffi loin fa puiffance , fi ces
trois royaumes fe fuffent réunis pour leur commune
défenfe : mais les divifions qui y régnoient, ne leur
permettoient point de fonger à une confédération
qui leur étoit pourtant fi néceffaire. Les Eftangles
indignés d’avoir fubi le jou g , ne penfoient qu’aux
moyens de s’en affranchir, & de fe venger du roi
de Mercie qui les avoit forcés de fe foumettre. Les
Northumbres éprouvant depuis quelques années les
horreurs de l’anarchie, bien loin de fecourir leurs
voifins., ou même de penfer à fe précautionner
contre les ennemis du dehors, n’étoient occupés qu’à
chercher les moyens de s’entredétruire. Egbert laiffa
aux Northumbres les foins de lui préparer eux-mêmes
, en s’affoibliffant de plus en plus, la conquête
de leurs pa ys , il ne s’attacha qu’à entretenir la dif-
corde que la haine avoit allumée entre les Merciens
& les Eftangles : dans cette vu e , il fit propofer aux
derniers de lever l’étendart de la rébellion contre
les Merciens, & leur fit efpérer des fecours. Encouragés
par ces promeffes, & d’ailleurs excités
par le defir de la vengeance, les Eftangles prirent
les armes, & Bernulphe ignorant qu’ils étoient fou-
tenus , crut qu’il n’auroit qu’à paroître pour les faire
rentrer fous fon obéiffance : trop rempli de confiance,
il marcha contr’eux à la tête d’une petite
troupe ; mais il n’eut pas même le tems de fe repentir
de fon imprudence : les Eftangles fe jetterent fur
fa petite armée, l’exterminerent, & Bernulphe demeura
au nombre des morts. Les Merciens connurent
, mais trop tard, que c’étoitbeaucoup moins
l.es Eftangles qu’ils avoient à redouter, que le prince
ambitieux, qui n’avoit animé les Eftangles, qu’afin
de s’emparer plus aifément de la Mercie. Ces idées
ne les déèhuragerent point , ils fe déterminèrent
Tome II,
à oppofer à Egbert la plus forte réfiftance ; mais
cette généreufe réfolution étoit tardive, & il n’y
avoit point de bajrriere affez forte pour arrêter un
tel conquérant dans fa courfe. Egbert ceffant de fe
contraindre, fe déclara ouvertement pour les Eftangles
, battit les Merciens , pourfuivit fa victoire , 8c
finir par fe rendre maître de la Mercie, qu’il fut
tente de reunir à fes états ; mais qu’aux preffantes
follicitations de Siward, abbé de Croyland , il con-
fentit de laifl'er à Witglaph, à condition qu’il feroit
hommage au vainqueur, & fe déclareroit fon tributaire.
j I ufqu’alors les Eftangles s’étoient flattés qu ’Egbert
n^avoit embraffé leur détenfe que pour les délivrer
d’un joug qui leur étoit infupportable : mais bientôt
ils reconnurent leur erreur , 8c fe crurent heureux
d’être reçus fous la protection du vainqueur, aux
mêmes conditions qu’ils avoient trouvées fi dures
de la part du roi de Mercie ; enforte que tout l’avantage
qu’ils tirèrent ^.e cette guerre, fut de changer
de maître.
Il ne reftoit plus à Egbert que le Northumberland
à conquérir, & les Northumbres, par leurs
divifions 8c la continuité de la guerre civile qui les
avoit épuifés». avoient fait tout ce qui dépendoit
d’eux pour lui faciliter cette conquête : auffi lorf-
qu'EgbertSe préfenta fur les frontières du Northumberland
, Andred 8c fes. fujets » épouvantés du fort
que-la plus, foible réfiftance, leur feroit éprouver, implorèrent
la clémence du conquérant, 8c acceptèrent
avec reeonnoiffance la paix, qu’il leur offrit
aux mêmes conditions qu’il avoit impofées aux Mer-
ciens & aux Eftangles.
Ainfi finit, après une durée de 143 ans, l’heptarchie
Saxonne par la réduction entière des fept royaumes
qui la compofoient, à la domination du roi de
Weffex. Pqye[ Heptarchie , Suppl.
Egbert mit fin à fes conquêtes, ou plutôt à fes
invafions des contrées Britanniques, ainfi qu’à fes
ufurpations des couronnes Anglo-Saxonnes dans la
vingtième année de fon régné fiir le Weffex , après
treize ans de guerre, ou pour parler avec plus de
jufteffe, après treize ans d’injuftice & de brigandage.
Avant que d’attaquer les fouverains de l’heptar-
chie , nous avons vu qu’il avoit effayé fon bonheur
& fes forces fur les Bretons-- Il livra plus de combats
qu’aucun des conquérans dont il foit parlé dans
l’hiftoire, & jamais il n’éprouva L’inconftance de la
fortune : c’eft cependant d’après la fôumiffion des
Northumbres qu’on lui donne le titre de roi des
Anglois , qui cependant obéiffoient à leurs propres
fouverains : car la domination d’jEgbert étoit com-
pofée de quatre royaumes, de Weffex, de Suffex,
de Kent ,• & d’Effex qui étoit peuplé de Saxons ;
& il avoit laiffé, les trois autres royaumes, habités
parles Anglois, fous le gouvernement de leurs,
rois particuliers , fes vaffaux & fes tributaires v fur
lefqueis il ne s’étoit refervé que la .fouveraineté.
Tranquille au fe in de la viftoire, Egbert jouiffoit
glorieufement du fruit de fes travaux » il goûtoit,
(ans remords, les avantages que fes ufurpations lui
avoient procurés, lorfqu’il apprit qu’une flotte de
pirates Danois,forte de trente-cinq vaiffeaux avoit
abordé au port de Charmouth. A cette nouvelle,
Egbert comptant fur le bonheur qui ne l’avoit jamais
abandonné , raffembla promptement les troupes
qu’jl.put réunir, & vola vers Charmouth ; mais la
fermeté des Danois qui l’attendoient de pied fermé
& qui le reçurent avec une valeur à laquelle il ne,
s’attendoit point, lui firent connoître enfin les v i-
çiffitudes des armes : il attaqua courageufement les.
Danois ; mais après un combat long & fanglant, la
yiâoire fe déclara pour eux ; l’armée Angloife fut
battue , dilperfée ; ôt Egbertdui-même fut contraint,
F F f f f