
îauréole, & que l’or pâle du cornouiller refforte fur
le verd bleuâtre des pins. Faites-y éclater les perce-
neiges autour des huilions de buis : éparpillez-y les
primevères & le s hépatiques : que je puiffe y guetter
l’abeille qui viendra bientôt bourdonner parmi
les châtions des faules, y fuivre.de l’oeil le premier
papillon , y épier les premiers accens de la grive,
y ouvrir mon ame aux premiers rayons de l’efpé-
rànce, & refpirer enfin avec une joie douce & profonde
le .fouffle créateur qui va reffufciter la
nature.
Placez auprès de ces bofqueis l’arc-triomphal du
mois d’avril; fa jeune feuillée paraîtra plus fraîche
encore, en l’oppofant aux nuances graves des arbres
toujours verds : que le doux melefe s’y élève
en pyramidè & me réjouiffe par l’aménité de fes
nouveaux bourgeons parfemés de glands de corail :
que le peuplier de la Louiliane y développe fes
feuilles tranfparentes, & exhale l’odeur falutaire dti '
baume dont elles font glacées. Avec quel plaifir j’y
verrois fe calquer fur un fond v erd , les cimes blanches
des pruniers [de Virginie, interrompus par le
rofe-pâle des amandiers , & le rofe animé des pêchers
J les nattes de la terre verdoient avant fes
lambris ; elles font les premières careffées par les
vents doux, & par les allés agiles des hirondelles
qu’ils ramènent ; déjà dans ce mois un émail plus
varié les décore. Que je me plairois à voir la pâquerette
entourer le pied des arbres, les oreilles
d’ours difputer aux primevères leur éclat, à la violette
fon parfum, & la jacynthe expirer fur le fein
entr’ouvert du narciffe ! Dans ce lieu p référé, la parure
légère du printems flotterait-déjà dans un air
adouci, lorfque le fombre manteau de l’hiver enfe-
veliroit encore les campagnes : c’eft-là que j’aime-
rois à enlacer les jonquilles dans les treffes de la
jeune Aminte; c’eft-là aufli que je viendrois fouvent
efpérer le roflignol qu’inviteroit une verdure fi précoce;
Quel charme de le voir un matin fecouer la
rofée en fe balançant fur un frêle rameau, & d’entendre
fes premiers foupirs après un fi long filence ,
tandis que le chardonneret chante fur la fléché d’un
arbre comme un bouquet harmonieux, & que l’alouette
éprife d’une décoration fi gaie, s’arrête au-
defliis dans les airs, en battant de l’aile, & précipite
les cadences de fa voix perlée 1
Les mois du printems-font, comme les grâces,
unis par de fraîches guirlandes ; mais c’eft le mois
de mai qui porte la couronne de la jeune année , &
le dais nuptial de l’hymen de la nature ; c’eft lui fur
qui l’aurore jette fes plus tendres regards, & répand
fes pleurs les plus délicieufes : il éveille l’amour par
une vive harmonie, & le conduit légèrement fur
les traces de la beauté qui fuit pour être atteinte :
quelquefois il l’enivre d’une rofée odorante, & lui
offre l’afyle des berceaux fleuris oh un zéphir lan-1
goureux le berce doucement, l’endort fur le fein de
la volupté contente, & le couvre des fleurs qu’il
effeuille. Oh fixer les y e u x , lorfqu’ils errent éblouis
& incertains fur cette foule émaillée ? Quelle fen-
fation choifir, quand elles fe confondent,fe preffent
& préviennent la penfée ? Peindrai-je les grappes
citrines de ces citifes qui badinent autour des aigrettes
vermeilles, dont ces gaîniers font parés ?
Ou bien , dois-je admirer davantage les tendres
épis des lilas, & les pétales légèrs des pommiers qui
rougiffent comme l’innocence, lorfqu’elle accorde
un fouris tendre ? Combien la furprife ajoute au
plaifir j Ce temple de Flore eft environné de ver- 1
dure ; je l’apperçois & ne l’avois pas foupçonné: il
eft terminé par un théâtre en architeéhire végétale,
dont le fond me découvre une perfpeâive champêtre
à travers un portique de chevre-feuille. Oh !
quelles délices d’y jouer le Devin de village une de
ces belles foirées ; oh un jour tendre careffe la vu e ,
oh les vapeurs odorantes ondoient mollement dans
un air tiede, oh le-roflignol roule mieux les flots
de fa vo ix, oh l’on entend au loin le coucou & la
, tourterelle, & lorfque le foleil qui balffe $ pénétré
de fes rayons rafans les pétales diaphanes, &'qu’un
or mobile fe joue & fe fond dans toutes les couleurs!
- - V *
Plufieurs arbuftes encore, mais prefque plus d’arbres
fleuris; déjà des fruits, un feuillage plus riche,
tels font lesdons du mois fuivant. Au centre du bofquet
qui les réunit, s’élèvent les arbres dont le v êtement
eft le plus étoffé ; à peine un jour adouci
peut-il pénétrer & égayer leurs ombres: plus loin
je furprends. la fauvette fufpendue aux bouquets des
cerifes, oh brillent le jais & le rubis : ici les frai-
fiers embelliflent & .embaument la terre; là fe dé-
cele.par fon parfum le framboifier caché fous l’ombrage,
& la rofe s’incline fur le grofeiller.
Aux premières heures du monde, fa parure étoit
fomptueufe., mais il lui manquoit encore les grâces
touchantes ; le plaifir defeendit du ciel fur des flo^s lumineux
, & vint y répandre les charmes: il v it , dit-on,
s’épanouir la rofe fous fes premiers regards ; aufli il
en couronne le front du matin, il en colore les lys
de la beauté., & quand il infpire l’amant de la nature,
il ne lui permet pas de refufer fon hommage à l’ar-
bufte adoré qui la porte : il l’a varié par une culture
attentive ; fes fleurs différentes font paroître
tour-à-tour ces nuances vives ou tendres quj.. paf-
fent comme des éclairs fur les joues délicates des
nymphes, & les odeurs qu’elles exhalent,, répondent
à.-,toutes les fenfations de la volupté.
Gardez-vous d’enfermer d’un odieux^treillage
cette reine du printems , & de l’affujettir au cifeau
dans des figures fymmétriques. Ah ! qu’elle prenne
plutôt l’eflor du fein de la verte ramée ; car jufques
dans les fentiers jonchés de^fleurs, l’ennui marche
fur les pas de l’uniformité, les grâces fuient devant
la gêne. Un maflif de rofes étendu &c ifolé étonne
plus qu’il n’attache ; faute d’ombres & de fonds, les
couleurs abforbées par une clarté trop vive, voilées
par cette gaze blanchâtre qui flotte dans le vague de
l’air, perdent leur plus grand éclat. V o y e z au contraire
ces grouppes variés de rofiers fe peindre fur
un lambris de feuillage. Quelle fraîcheur ! c’eft la
magie du clair-obfcur.
Nombre d’arbrifleaux ornent encore ce mois,1
qui fe préfèrent à ceux-ci par leur forme élégante
éc leur taille légère; mais leurs couleurs modeftes
craignent l’orgueil de la rofè : je les aimerois affez
pour les éloigner d’elle. Là fe diftingueroit ce ceri-
fier, dont les foibles rameaux laiflent tomber des
grappes d’un blanc pur ; les épis violets de l’amor-
pha, femés de paillettes d’o r , s ’agiteroient au-deffus
des fpiræas variés ;* les plumets éclatans des chio-
nanthes ; les tuyaux incarnats de l’azaléa ; les co-
rymbes des ledons allumés de deux rouges ; les
trompes des chevre-feuilles qu’anime un bel aurore i
les faifeeaux jonquilles des geneftrolles brigueroient
tour-à-tour les fuffrages : les mignardifes & les juliennes,
femées fur les bords-, embaumeraient la
rofée : avec quelle volupté je refpirerois cet encens
de la nature ! hélas ! je le vais perdre ; il eft près de
s’envoler fur les aîles du printems : la faifon qui
fuit, ne nourrit qu’en petit notnbre les plantes parfumées
, fi elle accorde encore des arbres fleuris,
ce n’eft que d’une main économe ; ils ne fuffiroient
pas à garnir des bolquets confacrés à chaque mois ;
il ne faut qu’un autel à l’été.
Une chaleur feche & brûlante m’environne &
m’accable : oh fuir, quand mes fibres font relâchées
, que ma poitrine manque de reflort , & lorfque
la lumière dévore tout en filence? voilà le
feuillage
feuillage pendant & flétri; les tiges de ces fleurs fe
traînent fur la terre qui s’ouvre, comme pour refpirer
: fur ces hauteurs des nuages de poufliere
marquent la ^trace des chemins : voici ce courtier
qui vient de les defeendre, la queue élevée, la crinière
éparfe & foufllant le feu par fes nazeaux; il
s’eft précipité dans les flots qu’il partage en levant
fièrement la tête : voyez par-là ces bergeres affidés
dans l’eau fous la voûte des faules; & par
ici leurs geniffes à moitié cachées dans les rafeaux
qui s’y tiennent immobiles, tandis que fur la roche
voifine, à l’ombre de cet orme, dont ces brebis
couronnent le pied, ce berger a jetté fes vêtemens,
& s’eft couché près de fon chien, dont la langue fort
pantelante.
Dieux! que ne fuis-je aflis parmi les fontaines
dans une grotte^ voûtée de cryftal, derrière la nappe
d’eau qui tombe devant fon entrée ! ou bien près de
cette cafcade élevée, dont l’onde qui rejaillit arrofe
les arbriffeaux & les gazons d’alentour ! ah ! qui me
portera fous la nef de ces hêtres? Là au moins coule
& fe rafraîchit l’air qui me pefe & me brûle; & je
verrai fuir les vagues dorées fur l’océan des moif-
fons du fein de cet afyle : je vous regarderai tomber,
bienfaifantes ondées ! lorfque vos réfeaux tranfpa-
rens reflètent les rayons du foleil, qui vient d’entrouvrir
le voile léger d’un nuage , lorfquè les globules
humides bouillonnent fur la terre altérée,
inclinent doucement les plantes, fcintillent de toutes
parts comme des diamans, avivent toutes les couleurs
, imbibent l’air d’une fraîcheur balfamique ,
& réveillent les fymphonies du ciel.
Je veux un jou r, près de mon habitation, raffem-
bler fous les loix d’un art ingénu ces fraîches retraites
de la nature : j’irai fouvent dans ce lieu
afpirer fous le dôme des allées l’haleine falubre du .
nord : que les maffes des buiffons y foient féparées
par des clairières oh elle circule avec liberté ; qu’en
friffonnant parmi les branches, elle m’avertiffe de la
fraîcheur qu’elle m’apporte ; des maflifs trop épais &
trop contigus ne peuvent plus la conferver ni l’admettre
: ce bofquet eft le fanétuaire des ombres &
l’urne des eaux; il fera aufli le temple de l’air.
Au renouvellement de la belle faifon, la foule des
fentimens étouffe la penfée : à préfent on obferve
mieux, on détaille volontiers. Je voudrais réunir
quelque part dans ce bofquet les effets les plus pitto-
refques : f y marierois tous les tons du verd ; chacun
a fon extrême : un érable tire le plus au jaune, le
pin au bleu , l’éléagnus au gris, l’if au noir; il eft un
hêtre, dont les rameaux agités reffemblent aux ondes
d’une flamme épaiffe : qu’un coup de vent fouleve
la tunique des abeles &. des aliziers; elle refplendit
.comme une toifon pu re, ou bien on les prendroit
de loin pour des fruitiers blancs de fleurs, & ils retracent
à l’oeil feduit l’image du printems. J’entremêlerais
tous ces arbres de ceux à panaches blancs,
jaunes ou rofes : qu’ils doivent ou non cette enluminure
à une dépravation de la feve ; que m’importe
, c’eft une couleur pour mon tableau.
Que lé taffetas des feuillages frais & glacés murmure
doucement dans -ce bofquet, oh les feuilles
fonores du peuplier de Caroline claqueront l’une
contre l’autre, en tournant fur leur pédicule inquiet.
Qu ’on y entremêle les feuilles fimples & pleines
avec les échancrées & les compofées ; il en eft de
cifelées , de guillochées , de boffelées, dont l’art a
emprunté des enjolivemens : dans celles du gledit-
fia , je m’amuferois à compter les folioles que la nature
y a placées en fi grand nombre, êc difpofées
avec tant de fymmétrie.
Je vous appellerois des confins du monde, arbres
-& arbriffeaux qu’un ciel inconnu voit fleurir dans
cette faifon : le tulipier des Irpquois couvrira ma
Tome II.
*eî,e ,de ^on Aa*s élevé, d’oh tombent des houppes
mêlées de trois couleurs : le catalpa , dont une feule
feuille forme un paràfol, femble fait pour braver
les feux de la canicule; à fon abri impénétrable, je
verrai pendre de fes rameaux les girandoles de fes
larges tubes, dont le blanc eft lavé de jaune & de
violet : ailleurs l’acacia de Caroline qui ornoit d’abord
les derniers jours de mai, déploiera pour la
fécondé fois les franges nombreufes de fes fleurs
oh un jaune tendre expire fur un incarnat fi frais :
les boules blanches des céphalantes, les pâles épis
des clethras, fur-tout les vafes fuperbes des althéas ,
dont la culture a tant varié les nuances, me confo-
leroient de la perte des arbres fleuris qui n’embellif-
fent nos climats qu’aux heures charmantes de l’enfance
de l’année qui fuient, hélas ! d’un pas fi
léger. ,
£ur les berceaux, autour des arbres & parmi les
buiflbns, je ferois ferpenter, ou je releverois en
écharpe les chevre-feuilles tardifs, les bignones à
bouquet aurore, ies morelles grimpantes femées de
faphirs ; le doux jafmin & ces clématites, dont les
fleurs rouges ou bleues, & femblables à des anémones
»couvrent la terre d’une pluie de pétales : près
des allées, fur les devants, au pied des arbres , autour
des buiffons, brilleroient le fatin des ly s , le
luxe des oeillets, & la flamme des martagons.
Qui m’empêcheroit de jetter dans un coin la
courge rampante , de fouler parmi les herbes le
fraifier des Alpes, de cueillir en paffant fur les rameaux
qui s’inclinent, l’abricot, la prune & la griotte;
& d’offrir aux oifeaux les baies des arbuftes, dont
les couleurs diverfes font un nouvel ornement ? ces
baies, les fleurs, la beauté du feuillage engageroient
la fauvette à redire l’hymne gai du printems ; l’ombre
rougi du calville d’été récréefoit mes yeux ; le
beurré & le rouffelet tenteraient ma main : quand
m’apportera-t-on ces fruits fous la voûte des peuT
pliers qui couvrent ce ruiffeau que j ’entends couler?
quand pourrai-je y préfenter à l’amitié ces fimples
dons de l’été fur des nappes de gazon, & du vin frais
au moiffonneur ?
J’ai fenti avec délire; j’ai obfervé avec intérêt : je
vais jouir paifiblement. La tranquille automne vient
tempérer toute la nature ; fes pluies bénignes vont
rajeunir les prairies que flétriffoit la lumière : un
jour plus doux vient éclairer les pommes d’or qui la
couronnent. Mais que font, hélas ! les richeffes fans
la joie ? Effayons d’égayer ces heures moins intéref-
fantes du foir de l’année : réunifions pour les embellir,
les objets gracieux qui fe trouvent épars fous des
climats différens des arbres communs ; plufieurs
étrangers confervent leur parure jufqu’aux jours les
plus froids ; il en eft même alors qui accordent quelques
fleurs : l’émail d’un grand nombre de plantes
reluit encore fous les premiers frimats : le vermillon
des ombelles des forbiers a plus d’effet que les grenades
; l’ambre du raifin, le carmin des poires, fé-
duifent la vue comme les bouquets, & réveillent de
plus tous les autres fens : le beau coup d’oeil, lorfque
dans les campagnes toutes les couleurs ont difparu !
mais c’eft du voifinage des bofquets d'hiver qu’il recevra
fon plus grand, agrément.
Cette longue nuit de l’année n’eft pas toujours té-
nébreufe ; fon crépufcule fe nuance avec les derniers
rayons de l’automne. Avant de paroître, l’aurore du
printems jette un voile moins épais fur fes dernieres
heures : du fein même de fa plus grande obfcurité , '
la nature fe réveille par intervalles, & promene uft
inftànt autour d’elle un regard lumineux ; il ne peut
éclairer qu’une feene lugubre, fi l’on n’a foin de
parer la terre d’une verdure ineffaçable, & de diriger
vers le ciel les arbres dont le feuillage ne périt
pas.
D