
mit en défoute, & ôta aux Vandales tout efpoir de
difputer déformais aux Danois l’empire de la mer
Baltique.
Bogiflas apprit bientôt combien il eft dangereux
pour un prince foible d’époufer les querelles des
grandes puiffances.. Canut, revenu au fein de fes
états, ne refpira plus que la vengeance. Il réfolut de
porter le fer & la flamme au fein de la Poméranie :
l’infulte que lui fit l’empereur en lui renvoyant fa
foeur, deftinée au duc de Souabe, accrut encore fa
fureur. Il entra dans les états de Bogiflas, à la tête
d’une puiffante armée, laifla un libre cours au brigandage
de fes foldats , prit des villes, rafa les for-
tereffes, défit le duc en plufieurs remontres, le pour-
fuivit, la lance dans les reins, jufques fous les murs
de Camin, où il fut contraint de fe renfermer. Il
voyoit fa province ravagée, fes foldats découragés,
fes amis chancelions , l’empereur fe bornant à le
plaindre au lieu de le fecourir, un ennemi triomphant
, prêt à forcer fon afyle ; il réfolut de céder à
fa mauvaife fortune, & compta plus fur la généro-
fité de fon vainqueur, que fur l’amitié politique de
Barberoufle. Il fortit de Camin avec fa famille, dans
tout l’appareil de l’infortune, fe jetta aux pieds de
■ Canut, lui remit fes états, 8c lui demanda la vie :
cette fcene étoit l’inftant du héros. Canut lui rendit
la Poméranie, à condition que de vaflal de l’empire,
il deviendroit vaflal du Danemarck. Le vainqueur
ne détacha de la principauté qu’il lui laifloit, que
la feigneurie de Barth, dont il fit préfent au prince
de Rugen, pour payer fa fidélité, 8c l’indemnifer
des pertes qu-il avoit effuyées. Tant de grandeur
d ’ame fit fur le coeur de Bogiflas une impreffion profonde
, qui ne s’effaça jamais. Il conçut tant d’eftime
pour Canut, que, lorfqu’il mourut en 1190, il ne
voulut point partager fes états entre fes enfans,
« Prenez Câ/z»/pour arbitre, leur dit-il ; je connois
»> fa candeur. N’appeliez point de fa décifion, elle
» fera di&ée par l’équité même. »
• Cependant Canut, adoré de fes fujets, craint de
fes vaffaux, eftimé de fes voifins, fe voyoit en état
de rendre à l’empereur tous les maux qu’il lui avoit
faits. Il s’empara du Meklembourg, fit prifonniers
Bürewin & Niclot, qui fe difputoient cette principauté,
la partagea entre les deuxconcurrens, reçut
leur hommage, & leur rendit la liberté. Enflé de ce
fuccès, il pénétra plus avant, fournit tout le Holftein,
8c recula les bornes de fa domination, depuis
l ’Elbe jufqu’à l’orient de la Poméranie. Ainfi une
démarche imprudente coûta à Barberoufle une partie
de fon empire.
Canut, ayant fatisfait ainfi fa vengeance & fon
ambition, ne fongea plus qu’à verfer fes bienfaits fur
fon peuple & fur fa famille ; il donna à fon frere Val-
demar le duché de Slefwick, appanage ordinaire des
princes du fang, à condition de foi & hommage.
Une circonffance imprévue fit fa paix avec l’empereur.
La frénéfie des croifades régnoit alors dans
toute l’Europe : Frédéric avoit pris la croix ; il fe
'préparoit à paffer en Paleftine, & craignoit que,
pendant fon abfence, Canut ne fe vengeât de tant
d’hoftilités accumulées,en s’emparant d’une partie de
l’empire : il rechercha donc fon alliance. Canut promit
de ne point troubler le repos de l’Allemagne ,
jufqu’au retour de Barberoufle. Cette réponfe tran-
quillifa l’empereur. Mais, pour affurer encore mieux
le calme qui régnoit dans fes états, il appuya, par
fes ambaffadeurs, la lettre que Clément III écrivoit
à Canut. Le pontife invitoit le roi de Danemarck à
venir maflacrer les Sarrafins qui ne lui avoit fait
aucun m al, pour venger un Dieu qui prioit pour fes
ennemis en expirant fous leurs coups. L’enthou-
fiafme de la chevalerie, prêtoit une nouvelle force
aux confeils du faint-pere. En effet, quelques feignéurs
s’enrôlèrent pour cette expédition. Les moines
excitèrent les- autres gentilshommes à aller laver
leurs péchés dans le fang des Sarrafins, & fe
firent donner ou achetèrent à vil prix des terres
que leurs mains laborieufes rendirent très-fertiles.
Mais l’exemple du fage Canut contint le refte de là
nobleffe. Il oppofa aux follicitations du pape une
refiftance très-fenfée ; il aima mieux continuer pai-
fiblement à répandre le bonheur fur fes états, que
d’aller avec les autres princes chrétiens , porter
dans ceux de Saladin, la terreur, la m ort, 8c l’exemple
de tous les crimes.
Canut auroit joui du calme le plus profond, fi
fon imprudence n’avoit pas confié aux mains d’un
prélat ambitieux, le dépôt dangereux d’une autorité
paffagere. Valdemar étoit trop jeune encore poùr
gouverner par lui-même le duché de Slefwich. L’é-.
vêque de Slefwich, bâtard de Canut V, & qui por-
toit aufli le nom de Valdemar, fut donc chargé de
tenir, jufqu’à la majorité du prince, les rênes de
l’adminiftration. Il eft peu de régens peut-être qui,
dans le fecret de leur ame, n’aient été tentés d’envahir
le patrimoine de leur pupile. Le prélat Valdemar
prétendit que, les bâtards n’étant point exclus du
trône par les loix fondamentales de la monarchie
Danoife, il devoit au moins la partager avec Canut.
Ce prétexte éblouit les efprits avides de nouveautés,
8c fur-tout cette claffe d’intriguans, dont la
fortune eft fondée fur les malheurs de l’état, 8c
qui attendent de fanglantes révolutions pour for-
tir du néant. Un parti fut bientôt formé ; Vâl-
demar paffa d’abord en Norwege, oit il prit le
titre de ro i, 8c fe ligua avec Adolphe de Schaf-
fembourg , comte de Holftein, ennemi né de Canut
, 8c tous les princes que divers intérêts ani-
moient contre ce prince.
L’armée des confédérés s’avança donc, en 1 19Z,
vers l’Eider ; Canut, avare du fang des hommes,
plus jaloux du bonheur de fon peuple, que de fa
propre gloire, fe contenta de garnir la frontière, 8c
ordonna à fes généraux de fe tenir fur la défenfive,
fans engager aucune a&ion. L’officier s’indigna d’un
ordre qui captivoit fon courage ; le foldat murmura
de ce qu’on lui enlevoit l’efpoir d’un riche butin. La
Fabius du nord perfifta dans fa fage indolence; &
l’événement fit voir la jufteffe de les vues. La dif-
corde s’alluma bientôt parmi des chefs de nations
differentes, divifés d’intérêts , 8c tous jaloux du
commandement fuprême, leurs finances s’épuife-
rent, les rigueurs de la faifon rallentirent leur marche
, 8c les retranchemens de Danemarck l’arrête-
rent ; les foldats ennuyés de tenir la campagne fans
combattre, fe licentierent d’eux-mêmes ; le prélat
défefpéré vint fe jetter aux pieds de Canut, 8c tout
le Danemarck rendit juftice à fon roi.
Adolphe fit fa paix ; Canut diéla les articles du
traité ; mais le comte ne voulut point fe reconnoître
vaflal du prince Danois. La guerre fut donc rallumée
en 1195 ; Adolphe fe ligua avec Othon, 8c
remporta quelques avantages. Canut marcha contre
les confédérés ; mais les rigueurs de la faifon ayant
empêché les deux armées de fe joindre, les Danois
fe bornèrent à tenir la campagne, 8c les Allemands
à la ravager. L’année fuivante, Canut couvrit d’un^
armée nombreufe les bords de l’Eider; Adolphe demanda
la paix une fécondé fois, 8c Canut une fe- -
conde fois la lui accorda. #
Adolphe étoit vaincu, & non pas fournis. II tourna
fes armes contre le duc de Saxe, 8c forma le fiege
de Lawembourg. Les habitans implorèrent le le-
cours de Canut, 8c arborèrent le drapeau Danois fur
leurs murs. La vue de cette enfeigne devant laquelle
Adolphe s’étoif déjà deux; fois humilié, ne raÙemit
point l’ardeur des affiégeàns ; la place fut prife, &
Canut n’ayant pu H Q les haJ>itans fongèà du 1
ies venger. 1 fit marcher contre Adolphe ,
Niclot 8c Burewin, deux princes Vandales, fes vaffaux.
Us remportèrent en 1201, fur les Holfteinois
une fanglante vi&oire. Mais Niclot, vi&ime d’une
querelle étrangère & du devoir féodal, y périt les
armes à la main. . * ,A
Le jeune Valdemar vint bientôt occuper le theatre
de la guerre. 11 fignala par une viftoire fon entrée
dans le Holftein, entra triomphant dans la plupart
des villes, échoua devant Lawembourg, ôc^prit Lubeck.
Il fut moins redevable decette conquête à fon
propre courage, qu’à la politique de-fon frere qui,
pour forcer les habitans à fe foumettre , avoit fait
faifir tous lèurs vaifleaux; il les leur rendit en recevant
des otages de leur foumiffion. Enfin, Valdemar
fçut envelopper Adolphe, fe rendre maître de fa
perfonne;le traîna en Danemarck, au milieu des
railleries cruelles d’un peuple infolent, 8c d’une fol-
datefque effrénée. Canut ternit la gloire de tantale
de vertus, en faifant jetter fort ennemi dans un cachot.
^
Sur ces entrefaites, Othon , duc de Saxe, qui
avoit contré Adolphe tant de motifs de vengeance,
fut élu empereur, & fe rapprocha d’intérêt avec
Canut, par le mariage de Guillaume fon frere avec
Helene, foeur du prince Danois. Canut, comble des
faveurs de la fortune, yvre de profpérités, fe montra
dans les états qu’il avoit conquis en Allemagne. Tous
les coeurs volèrent à fon paffage : les hommages qu’il
reçut, furent un tribut de l’eftime publique. Il verfa
par-tout des bienfaits qui furent affez payés par l’amour
de fes fujets. Il revint en Danemarck, 8c mourut
en 1202, au moment Gfii il alloit jouir du fruit de
tant de travaux politiques 8c militaires : il avoit quarante
ans, 8c en avoit régné vingt-uni On crut que
fa mort n’étoit pas naturelle, 8c la caufe de ce foup-
çon eft aifée à faifir : il étoit prince ; fon peuple étoit
crédule; & fes vaffaux avoient intérêt de femer ce
Bruit.
Canut laifla beaucoup d’abus après lui ; mais il les
;avoit trouvés établis 8c enracinés depuis plufieurs
fiecles. Sa prudence en avoit extirpé plufieurs, entre
autres la coutume d’exiger une amende de tous les
parens d’un affaflïn : loi bifarre, qui confondoit l’innocent
8c le coupable.
Ami de l’humanité, il ne fit que des guerres né-
ceffaires: ilprenoit les armes malgré lu i, s’en fer-
voit avec gloire, 8c les pofoit fans honte comme fans
regret : il pardonnoit {ans effort ; 8c parmi tant d’of-
fenfes qu’il reçut de fes fujets, de fes vaffaux 8c de
fes voifins, on ne peut lui reprocher que le ravage
projetté de la Scanie, 8c le traitement qu’il fit efluyer
au malheureux Adolphe. Les hiftoriens nous le peignent
ennemi des plaifirs, fans ceffe occupé des foins
du gouvernement, çhafte même dans lés bras d’une
époufe qu’il adoroit, fenfible aux plaintes des pauvres
, & ne dédaignant point le- détail de leurs mi-
feres, jaloux de la gloire de fa famille. II arma la
cour de Rome.contre Philippe Augufte, roi de France,
qui avoit répudié fa foeur Ingeburge, la merveille
de fo'n fiecle. Les foudres de Rome, les clameurs
du clergé , la frayeur du peuple François
frappé d’un interdit, forcèrent enfin le vainqueur de
Bouvines à rappeller la princefle outragée : Canut
après cette fatisfaélion, fe réconcilia de bonne foi
avec Philippe Augufte, ne fongea plus à troubler le
repos de la France, 8c s’occupa de celui de fes états.
Valdemar II fon frere , lui fuccéda. ( Af. d e
S a c y . )
C anut , ( Hijl. de Suède. ) furnommé Ericson ,
c’eft-à-dire, fils d’Eric le faint, roi de Suede. D ’a-
ptès le traité bizarre conclu entre faint Eric, 8c
Charles - Suercherfon ( vôye^ ce m o t ) , il de voit
ïuccéder à Charles ; il s’étoit retiré en Norwege de
peur que ce prince ne fe délivrât d’un fucceffeur
odieux, pour affurer à fes enfans la poffeflion du
trône. Impatient de régner il fortit de fa retraite,
furprit Charles, 8c lui ôta la couronne 8c la vie.
Un régné commencé par un affaffinat ne pouvoit
être heureux. La veuve de Charles alla remplir le
Danemarck de fes cris , 8c fe jetta avec fes enfans
dans les bras du roi Valdemar qui jura de venger
cette famille infortunée, 8c fe prépara à faire à
Canut unéHguerre cruelle; les Goths, foit com-
paflion poiff le fang de Charles, foit. ennui de ne
plus faire la guerre , joignirent leurs armes à celles
de Valdemar; mais Canut fortit vainqueur de plufieurs
combats. Les Goths fe fournirent, Valdemar
n’ofa plus troubler fon repos. Canut ne s’occupa plus
qu’à effacer par les bienfaits dont il combla l’Eglife,
le meurtre dont il avoit fouillé fes mains. Il donna
quelques loix affez fages ; mais au milieu de fes
foins pacifiques , les Efthoniens 8c les Courlandois
firent une irruption dans fes états ; ces peuples brigands
enlevèrent les vaifleaux, ravagèrent les côtes ,
livrèrent aux flammes la ville de Sigtuna, égorgèrent
l’archevêque de Stéka, 8c difparurent avec
les richeffes de la Suede. Canut n’avoit pas fait un
pas pour défendre fes fujets. Il fe confola de ce
malheur avec les moines dont fa cour étoit com-
pofée. Il mourut entre leurs bras, l’an 1 19 Z , il
fut enterré dans le cloître de Wamheim. La plupart
de fes prédéceffeurs n’avoient eu d’autre tombeau
qu’un champ de bataille. ( M. d e Sa c y . )
C anut, roi de Vandalie , (Hijloire des Vandales &
de Danemarck.)dis d’Eric le bon , roi de Danemarck,
ne commença à jouer un rôle dans le Nord que
fous le régné de Nicolas ou Harald IV, en 1126. Ce
prince avoit rétabli dans la Vandalie Henri, fils de
Gothelfeale , 8c deSygrithe , foeur'du roi Danois.
Le Vandale fut ingrat dès qu’il put l’être impunément
; il demanda une partie du Danemarck comme
la fucceflion de fa mere ; Nicolas rejetta fa demande
, 8c ce refus fut le lignai de la guerre ; Henri entra
dans le duché de Slefwick, donnant à fes foldats
l’exemple du pillage 8c des cruautés les plus inouïes.
Nicolas marcha contre lu i , Canut qui combattoit
fous fes ordres , fo fignala dans une bataille, fut
bleffé , 8c ne dut la liberté qu’au courage d’un foldat.
Ce Danois voyoit le prince renverfé de fon
cheval, Henri accouroit pour fe faifir de fa perfon-
n e , le foldat marche droit au Vandale, feignant
d’être bleffé 8c lui tendant les mains comme pour
recevoir des fers ; Henri le laiflè approcher , celui-
ci faifit la bride, reriverfe le cavalier, fe rend
maître du ch eval, y monte, prend Canut en croupe,
8c l’emporte. L’armée Danoife fut vaincue ,
parce qu’elle avoit été trahie par Elif, gouverneur
de Slefwick.
Canut qui s’indignoit de l ’obfcurité où onl’avoit
laiffé languir jufqu’alors , touché des maux qui dé-
foioient cette contrée , promit au roi de la défendre
contre les incurfions des Vandales , 8c de porter
la guerre jufques dans les états de Henri ; pour
remplir de fi belles efpérances, il ne demanda que
le titre de gouverneur : Nicolas ne le lui donna point,
il le lui vendit ; pour en payer le prix, le généreux
Canut engagea une partie de fon patrimoine, 8ç
leva des troupes avec le produit du refte.
Renvoya d’abord offrir la paix au prince Vandale
, mais il exigeoit la reftitution de tout ce que
fon armée avoit enlevé aux habitans du duché ; il
avoit commencé lui-même à réparer leurs pertes
par fes largeffes. Henri, loin de confentir à rien
rendre, exigeoit qu’on lui rendît une partie du
Danemarck. «Votre maître, dit-il aux députés de