
dans l’avenir > donna chez eux naiffance à la magie.
‘Tout ce qui approchoit de l’idolâtrie devenoit l’objet
de leur averfion ; ainfi dans les premiers tems
ils ne fabriquèrent point des ftatues pour les adorer
, 6c ils croyoient que c’étoit un culte facri-
lege de rèpréfenter la divinité fous une forme humaine.
Ils regardoient l’univers comme fon fanc-
ïuaire 6c leur délicateffe étoit li exceffive, qu’ils
ne purent fe réfoudre que très-tard à lui ériger des
temples. Ils auroient cru dégrader fa majefté; «pie
de lui fuppofer un fexe, 6c de le figurer qu’elle étoit
mâle ou femelle. Des idées fi pures n’étoient pas
fans quelque mélange d’erreur. Leur Théologie imparfaite
enfeignoit que T eu t , c’eft ainfi qu’ils çen-
doitlemot Dieu , s’étoituni à la terre, 6c que c’étoit
de cette union qu’étoient fôrtis* tous les 'êtres animés.
Cette époufe étüit l’objet du culte public ;'o n
la promenoir dans les folemnités fur un chariot couv
e r t; on célébroit le jour heureux oifelle avoit enfanté
le genre humain on la félicitoit fur fa fécondité.
Ce culte abfurde a trouvé des^apologiftes
qui»ont foutenu que la Terre n’étoir'appelléela femme
de Te ut que dans un fens figuré.
Quoique les Celtes reconnuffent que Dieu étoit
dégagé de la matière, leur culte en contradiction
avec leurs dogmes , avoit toujours quelque objet
fenfible , comme Je foleil, la lime , les étoiles 6c les
élémens. Ils fe profternoient devant ces flambeaux
du monde qu’ils regardoient comme des êtres fpiri-
tuels ; ils fuppofoient que la matière ne faifoit pas
leur eflence. Selon eux , l’Être vifiblè étoit le temple
où la divinité réfidoit, le corps qu’elle anime,
l’écorce où elle s’enveloppe, & l’inftrument dont
elle fait mouvoir les refforts.
Quoiqùè la toute-puiffance fût l’attribut de l’Être
fuprême, ils admettoient des divinités inférieures
qui lui étoient fubordonnées ; c’eft ce qui a donné
lieu de croire qu’ils adoroient Jupiter, Mercure 6c
Apollon. Mais il eft attefté qu’ils ne regardoient ces
dieux fantaftiques, que comme les attributs de l’Être
fuprême -, ou comme les exécuteurs de fes ordres , à
peu-près comme les autres nations admettoient des
anges 6c des génies, pour être les difpenfateurs des
bienfaits, ou. les miniflres des vengeances céleftes.
C e ne fut qù’après la conquête des Gaules par les
.Romains, qu’on y vit ces vains fimulacres enfantés
dans les délires de l’imagination. La guerre qu’ils
portèrent dans la Phocide , pour ravager le temple
de Delphe, eft un témoignage qu’ils en refpeCloient
peu le dieu. Quand Lucain 6c Cicéron reprochent à
cette nation de faire là guerre aux Dieux qu’ils mé-
connoiffoient, ils attellent qu’elle n’étoit point plongée
dans les ténèbres de l’idolâtrie grolfiere qui
.couvroit le refte de la terre.
Teut étoit la feule divinité des Celtes: il préfidoit
au deftin des batailles ; ils l’invoquoient avant de
Combattre. Son culte fe célébroit pendant la nuit,
quelquefois à la clarté de la lune, quelquefois à la
lueur des flambeaux. C’étoit le dieu créateur de
tous les êtres, l’efprit univerfel & vivifiant, & enfin
l’ame du monde. C ’étoit hors des murs,fur des lieux
élevés, ou dans d’épaiffes forêts qu’on alloit l’invoquer.
Son cuite s’étendit dans toute l’Europe 6c une
partie de l’Afie, où il fut révéré fous diflérens noms.
La conformité ‘de fon culte avec celui de Pluton, a
fait croire que les Celtes étoient les adorateurs de ce
dieu des enfers. Les honneurs rendus à Teut étoiefit
les mêmes què ceux qu’on rendoit à la terre ; mais
celle-ci n’étoit regardée que comme un être purement
paflif, affujetti aux loix du premier. Ces peuples
admettoient une théogonie ; c’eft-à-dire uné générât
ion de dieux ; mais ce qui les diftinguoit du
refte du paganifme, c’eft que leurs dieux n’étbient
pas des hommes, que la reçOnnoiflançç ou la tçrreur
euffent honorés de l’apothéofe. Tous les peuples
feptentrionaux, admirateurs paffionnés de leurs
héros, confacroiènt leur mémoire par une efpeces
de culte religieux ; les Celtes étoient les feuls exempts*
de cette idolâtrie. ;
Leurs divinités fubalternes étoient fort nombreu-
fes; il y en avoit dans lés gftres, dans l’air, dans la»
mer, dans toutes les parties de la terre 6c dans le
feu ;, celles qui réfidoient dans ce dernier élément ÿ
étoient regardées comme les plus pures, les plus
pénétrantes , 6c les plus aûives; mais, quoique de
la même nature que T eu t, dont elles étoient émanées,
elles lui étoient fubordonnées, 6c elles ne
pouvoient quitter, fans fon ordre, l’élément & la
place qu’il leur avoit afligués. Le culte pur dans fon
origine fe corrompit infenliblement, 6c les divinités
fubalternes ufurperent les honneurs qui n’étoient;
dus qu’à l’être fuprême.
Teut étoit adoré fous différentes emblèmes, fui-!
jvant les motifs qui faifoient implorer fon affiftancei
Sr c’étoit pour éclairer les affemblées de la nation,'
ils fe rendoient dans une plaine, où ils adoroient leur
dieu fous la figure d’un chêne. Si c’étoit pour lui
demander la victoire, ils fe profternoient devant
une épée ou un javelot* Les étrangers qui les
voyoient fe courber devant ces fimulacres, s’ima-
ginôient que c’étoit à Pan ou à Mars qu’ils adref-
loient leurs hommages. L’endroit où ils s’affem-
bloient pour faire leurs cérémonies s’appelloit Mal*
lus , c’eft: à dire le fan&uaire îo ù la divinité aimoit
à fe manifefter d’une façon particulière. Il n’étoit
point permis d’en approcher fans y faire fa priere
ou fon offrande. Tous les lieux où les fimulacres de
la divinité avoient été placés, étoient dès ce mon
ment réputés facrés. On ne s’en approchoit qu’avec
un extérieur refpedueux; 6c c’eût été les profaner,
que de les faire fervir à d’autres ufages.. Le chêne?
reftoit fur pied, jufqu’à ce que le tems l’eut dèfféché
6c détruit ; c’eût été une profanation d*y porter la
coignée, ainfi que de labourer le champ où les cérémonies
avoient été célébrées; & ,p o u r prévenir
qu’il ne fût fouillé par quelque ufage profane, on le
couvroit de pierres d’un énorme volume. Voilib
quelle eft l’origine de cet amas de pierres, dont ori
découvre encore les reftes dans quelques endroits
de la France, de l’Angleterre 6c de l’Allemagne. Ces
lieux jouiffoient du droit d’afyle , 6c le glaive de la
loi eût frappé le faCrilege qui eût ofé faire violence
à l’homme le plus criminel. Us étoient perfuadés que
dieu offenfé par la tranfgreflion de la lo i, ne pouvoir
être appaifé que par des facrifices proportionnés k
la prévarication. Ils reconnoiffoient des diables >
rriais ils les croyoient dans la dépendance de l’Être
fuprême, qui les déchaînoit pour aller exercer fe.s
Vengeances contre les coupables.
Les forêts où ils célébroient leurs facrifices
étoient des efpeces d’arfenaux, où en tems de paix
chaque cité dépofoit fes armes 6c fes drapeaux. Les
dépouilles des ennemis y étoient confervées fous la
garde des miniftres de la religion, qui foüvent, fous
de pieux prétextes, favoientfe les approprier. L’ef-
clavë devenoit libre dès quHl pouvoit ÿ mettre le
pied : on le débarraffoit de fes chaînes, qu’on fuf-
pendoit aux arbres confacrés. Tacite appelle ces forêts
vierges, caflum nemus, parce que c’eût été un’
crime de leze-majefté divine d’en arracher un feuf
cyprès. Lucain, parlant de la forêt facrée, qu’on
trouvôit dans le voifinage de Marfeille, affure qu©
jamais elle ’h’avoit été taillée ; 6c que Céfar voulant
y faire couper des arbres pour fervir aux travaux
d’un fiege, le foldat fut faifi d’une frayeur religieufe
que lui inipira la fainteté du lieu. Ils n’avoient point
de temple, parce qu’ils étoient perfuadés que la divinité
râiiioit dans jîhaquç partie de la eiatiere,&;
que c’eût été rétrécir fa grandeur, que de la borner
dans une enceinte. Les facrifices étoient toujours,
relatifs à la faveur qu’on follicitoit. Vouloit-on obtenir
une abondante moiffon, on jettoit des grains
dans l’eau, dans des abîmes, dans le feu; c’eft-à-
dire l’élément où la divinité étoit réputée réfider. Les
peuples du Gevaudan fe rendoient tous les ans auprès
d’un lac pour faire des libations. Us jettoient
dans l’eau des alimens., des pièces de toile , 6c tout
ce qu’ils avoient de plus précieux. La folemnité étoit,
profanée par les excès de la table pendant trois jours
entiers. Lorfque le pays étoit frappé de quelque
fléau, on immoloit un homme : la qualité des victimes
humaines varia, félon les tems. D ’abord on immola
des vieillards, enfuite les prisonniers de guerre ;
6c enfin les étrangers que leur avidité attiroit dans le
pays, ou ceux que la tempête & l’ignorance de la
navigation jettoient fur les côtes. Dans les tems voi-
lins du chriftianifme, on ne facrifia plus que des enclaves
ou des criminels. Quelquefois il fe. préfentoit
des fanatiques qui demandoient à être immolés
pour expier leur crime ou ceux de' leur nation..
L ’honneur en réjaiüiffoit fur toute fa famille : enfin,
il ne fe tenoit aucune affemblée, fait civile, foit religieufe
, qui n’offrît ce fpeCtacle inhumain. Les druides
féroces prenoient les malheureux deftinés à périr
, 6ç les précipitaient fur des lances difp.ofées pour
les recevoir. Quelquefois ils les enfermoient dans
des colonnes faites d’ozier, avec dès animaux de différente
efpece; & , après leur avoir fait endurer les
plus cruelles tortures, ils les jettoient encore vivans
dans les flammes : plus le facrifice étoit douloureux,
6c plus il étoit méritoire. Cette fureur religieufe n’éclata
que dans des cas extraordinaires. Lorfque le
pays n’étoit affligé d’aucune calamité , on faifoit
expirer la victime fous le glaive. Le druide la frap-
poit au côté ; 6c tandis que le fang couloit, il avoit
l’oeil attaché fur la plaie; & avant'qu’elle expirât, il
lui arraehoit les entrailles, dont l’agitation lui fer-
voit à prédire l’avenir.
Les victimes humaines n’étoient pas les feules que
les Celtes offriffent à leur dieu ; ils lui immoloient
encore toute forte d’animaux, même des chiens,
qu’épargnoient les autres païens à caufe de leur fidélité
incorruptible; de même qu’ils n’immoloient
jamais de chevaux, par refpeô pour cette intrépidité
avec laquelle ils partagent dans la guerre les périls de
l’homme, 6c fes fatigues dans la paix. Au contraire,
les Celtes atlachoient plus d’efficacité au facrifice de
ces animaux, à caufe même de leur excellence ; 6c
c ’étoit la v^Ctime la plus expiatoire, après la viCtime
humaine. Les vieillards que le fort deftinoit à périr
fous la hache du facrificateur, les fanatiques qui
s’empreflbient volontairement à folliciter la qualité
de viCtime, auroient cru en détruire l’efficacité, s’ils
avoient verfé des larmes, ou montré quelque foi-
bleffe. Le moment de leur facrifice étoit le commencement
de leur félicité ; c’étoit une victoire qui leur
ouvroit les portes de l’immortalité. Us invitaient
leurs parens 6c leurs amis à un feftin ; & après avoir
danlé 6c chanté des hymnes d’allégreffe, ils mon-
toient avec une joie infenfée fur un rocher d’où ils
fe précipitoient fur des piques ou des épées. Cette
fureur facrée ne leur étoit pas particulière. Les Getes
facrifioient auffi des hommes qu’ils envoyoient comme
des meffagers à leur dieu Zamolfis. On les tiroit
au fort pour prévenir les défordres que pouvoit oc-
cafionner l’ambition de remplir un fi glorieux mi-
niftere.
Les facrifices n’étoient que la fécondé partie du
culte religieux : la priere étoit la partie la plus effen-
tielle. Les Celtes en la faifant, fe tenoient debout,
le bouclier à la main gauche, 6c la lance à la droite :
ils tournoient le dos au fanCtuaire, par refpeû pour
Tome II»
la divinité qui y réfidoit d’une façon particulière.
Tous les monumens hiftoriques attellent que les
Celtes admettoient une autre vie : c’étoit de-là que
nailfoit ce mépris de la m ort, & cet empreffement de
fervir de viélime. Us croyoient encore à la réfurrec-
t,ion des corps, 6c leurs prêtres avoient foin de répandre
ce dogme fi confolant pour les infortunés
qui rampent dans cette vallée de larmesf C ’étoit
pouf le mieux graver dans leur coeur qu’ils le répé-
toient fans ceffe dans leurs cantiques facrés. U paroît
que les druides formoient différentes feétes ; 6c que
quelques-uns admettoient le dogme de la métempfi-
cofe. Jules-Céfar prétend que cette perfuafion éle-
voit leur courage au-deflùs des périls. Les Gaulois,
dit D iodore » adoptent le fyftême de Pythagore : ils
croient que l’ame de l’homme eft immortelle ,
qu’elle doit retourner à la v ie ,.& rentrer dans un
autre corps après un certain nombre d’années ; quelques
uns dans les obfeques jettent fur le bûcher des
lettres qu’ils écrivent à leurs parens 6c amis.décédés,
s’imaginant que les morts lifent ces lettres.
Les Celtes plaçoient le féjour des mânes dans la
Grande-Bretagne, ou dans quelques-unes des îles
adjacentes. U y avoit des nochers dont l’0nique< fonction
étoit de transférer les âmes dans les îles fortunées.
La célébré caverne que les Irlandois appellent
encore le purgatoire de S. Patrice, paflbit autrefois
pour l’entrée de l’enfer. Voici ce qu’en dit Procope...
Je vais, dit-il, rapporter ce que ces Infulaires m’ont
raconté, quoique je fois perfuadé que ce qu’ils attellent
comme une réalité, n’eft qu’une erreur de
leur imagination. Le long de la côte, il y a plufieurs
villages habités par des pêcheurs, des laboureurs 6c
des marchands, qui, quoique fujets, ne payent aucun
tribut ; ils prétendent en avoir été exemptés, parce-
qu’ils font obligés de conduire les âmes tour à tour.
Ceux qui doivent faire l’office de la nuit, fe retirent
dans leurs maifons, dès que les ténèbres commencent
à fe répandre. Ils fe couchent tranquillement,
en attendant les ordres de celui qui a la furinten-
dance du trajet. Vers le milieu de la nuit, ils entendent
quelqu’un qui frappe à leur porte, 6c qui les
appelle à voix baffe. Sur le champ, ils fe lèvent 6c
courent à la côte, fans connoître la1 caufe fecrette
qui les y entraîne. Là ils trouvent des barquej vui-
des, 6c cependant fi chargées, qu’à peine elles s’élèvent
au-deflùs de l’eau. En moins d’une heure ils
conduifent ces barques dans la Grande-Bretagne,
quoique le trajet foit ordinairement de vingt-quatre
heures,'pour un vaiffeau qui force de rames. Arrivés
à n i e , ils fe retirent auffi-tôt que les âmes font def-
cendues du vaiffeau, qui devient alors fi léger, qu’il
ne fait aucune trace fur l’eau. Us ne voient perfonne
ni pendant le trajet, ni pendant le débarquement,
mais ils entendent, à ce qu’ils difent, une voix qui
articule les noms des perfonnes de leurs familles,
& des emplois dont ces morts étoie# revêtus pendant
leur vie. S’il y avoit des femmes dans la barque
, la yoix déclaroit les noms des maris qu’elles
avoient eus. Le récit de Plutarque eft conforme à
celui de Procope, & il affure que les îles défertes
de la Grande-Bretagne n’étoient peuplées que de
génies 6c de héros ; 6c que c’étoit-là que le géant
Briarée gardoit Saturne plongé dans un éternel fom-
meil. Les différentes fables que les Irlandois débitent
encore aujourd’hui fur ces tems antiques, font un
refte de ces anciennes fuperftitions. Les Celtes ac-
cordoient aux génies le pouvoir de vifiter leurs
amis pendant leur fommeil, & de jetter l’épouvante
dans l’ame de leurs ennemis, en leur fufeitant d’effroyables
fonges.
Les lavans ont recherché la caufe. pour laquelle
les Celtes célébroient leurs cérémonies pendant la
nuit. Il eft vraifemblable que cet ufage s’étoit introduit
N n ij