
Quo paclo ex jure hefterno, panent atrum v errent:
Noffe omnia hæc, laïus eft adolefcentulis.
Eunuch. act. V.fc . 4.
Mais pour retirer cet important avantage de là conté-
d it , il faudrait fans doute que 1$-,poëte 8c les a'fietys
excellaient également, dpsM’art de peindre ; dans
cette fuppofition, on croit pouvoir dire que de tous
les fpeûaclgs dramatiques , la comédie des moeurs
feroit la plus utile. , . . „
Une troifieme efpece de comedie feroit celle qui
s’attacheroit à repréfenter une fxtuation particulière
& intéreffante. Celle d’un pere malheureux , d un
homme réduit à l’indigence, ou aulli la Situation plus
particulière à laquelle peut conduire telle ou telle
a&ion bonne ou mauvaife.
Il ne femble pas difficile d’inventer une aihon qiu
donne lieu au poëte de mettre dans tout fon jour la
fituation qu’il aura choifie. Des comédies dans ce goût
formeroient un tableau vivant des biens & des maux
de la vie humaine.
La moindre efpece de toutes, c’eft la comedie d intrigue
; l’aftion n’en eft établie ni fur le caractère, ni
fur la Situation des perfonnages ; elle n’intereffe que
par la fingularité des événemens, & le merveilleux
de l’intrigue, & des incidens, une fuite vanee d a-
ventures extraordinaires, inattendues, fou vent roma-
nefques , qui fe fuccedent coup fur coup^, & qui
font croître l’embarras, font très-propres a foutenir
l’attention du fpeftateur jufqu’au moment oh l’attion
fe termine par un dénouement imprévu. Ce genre
eft le plus facile de tous; il exige plus d’imagination
que de jugement. Il ne faut même qu’un dégré d imagination
affez médiocre , pour trouver une foule
d’incidens, qui en fe croifant réciproquement, mettent
obftacle à des deffeins prêts à s’accomplir ,
donnent lieu à des intrigues bizarres, & retardent
ainfi l’a&ion pendant quelques aftes. Les comédies
de cette efpece ne font néanmoins pas à rébuter ;
elles fervent à l’amufement & à la diverfité ; elles
font d’ailleurs propres à fournir de très-jolies fcenes
a tiroir. .
Ce petit nombre de remarques peut luffire, pour
montrer quel vafte champ eft ouvert au poëte comique
, & quels font les avantages & les plaifirs variés
qu’on peut retirer de cette feule branche des beaux
arts.
Toutes ces remarques ne roulent encore que fur
le fujet général de la comédie. En examinant la chofe
de plus près , il fe trouvera peut-être que le prix
de la comédie dépend moins du fujet, que de la maniéré
de le traiter. De la meilleure pièce qui ait
jamais été mifè fur la fcene , on pourroit ailément
faire une piece déteftable fans rien changer, ni au
fujet, ni même à l’ordonnance, & à la plùpart des
fituations. Tout comme un traduûeur mal-adroit
feroit de VIliade une mauflade épopée ; ou comme
•un mauvais peintre feroit d’un des meilleurs tableaux
de Raphaël, une copie infupportable aux yeux des
connoiffeurs. ^
Il réfultedelà que l’invention, le plan & l’ordonnance
du fujet ne font encore que la moindre partie
de l’ouvrage ; ce n’eft que la charpente d’une comédie.
Il lui faut fans doute un corps, & ce corps
doit avoir une forme agréable, & des membres bien
proportionnés. Mais il lui faut principalement de la
vie une ame qui penfe, & qui ait du fentiment. Or
cette vie fe manifefte par le dialogue, par la maniéré
dont les perfonnages expriment ce qui fe paffe en
eux , par .des impreffions exactement conformes à la
nature des cireonftances. Un fpeûateur intelligent
fréquente lé fpeâacle, bien moins pour y voir des
événemens remarquables, ou des fituations .fingu-
lieres qu’il imagineroit lui - même en cent manieres
tout au fil amufantes, que pour obferver l’effet
que ces événemens ou ces fituations font fur des
hommes d’un certain génie, ou d’un certain caractère.
Il fe plaît à remarquer l’attitude , les geftes,
la phyfionomie, les difcours & la contenance entière
d’une perfonne dont l’ame doit être agitee
par telle ou telle paffion.
De là naiflënt les principales réglés que le poëte
comique doit fuivre dans fon travail. La première ,
& la plus importante , c’eft que ces perfonnages fui-
vent exactement la nature dans leurs difcours &:
dans leurs-aCtions. Il faut que dans tout fpeCtacle
dramatique , le fpeûateur puiffe oublier que ce
n’eft qu’une production de l ’art qu’il a fous les yeux ;
il ne goûte parfaitement le plaifir du fpeCtacle qu’au-
tant qu’il ne voit ni le poëte, ni l’aCteur. Auffitot
qu’il apperçoit quelque chofe qui n’eft pas dans l’ordre
de la nature, il fort de fon agréable illufion , il
fe retrouve au théâtre; le fpeCtacle fait place k la
critique ; toutes les impreffions fe diffipent à l’inf-
tant, parce que le fpeCtateur fent que d’un monde
réel qu’il penfoit obferver, il a paffe dans un monde
imaginaire.
Si le fimple doute, fur la réalité de ce que le fpeCtacle
nous montre, fuffit déjà pour produire un fi mauvais
effet, que fera-ce lorfqu’on y remarquera des
chofes qui font manifeftement oppofées à la nature?.
Le fpeCtateur en fera indigné, & il n’aura pas rorr.:
Voilà pourquoi on n’aime point à voir des perfonnages
affeCter de la gaieté , lorfqu’ils n’ont aucun
fujet de rire ; & qu’on fe dépite contre le poëte qui
veut emporter de force ce que nous ne pouvons
accorder qu’à l’adreffe. Qu’un auteur ait eu en certaines
rencontres une heureufe laillie , une penfee
ingénieufe, un fentiment v if & délicat, cela eft très-
bien; mais pourquoi faut-il qu’il mette ces belles
chofes dans la bouche d’un de ces perfonnages, qui
par fon caraCtere, ou par fa fituationaÇtuelle, ne de-
vroit point les dire ? Qu’y a-t-il, par exemple, de
plus infipide que cette froide plaifanterie que Plaute
met dans la bouche d’un amant affligé de la perte,
de fa maîtreffe?
Ita mihi in peclore & in corde facit amor incen
ditim
Ni lacruma os défendant, jam ardeat credo cap utl
Chaque difcours, chaque mot qui n’a pas un rapport
fenfible& naturel au caradere & à la fituation
de la perfonne qui parle , bleffe un auditeur intelligent.'
,
Il ne fuffit pas même que les penfées, _ les fenti-
t mens , les aftions foient naturelles, la maniéré de les
exprimer doit l’être encore ; il faut que l ’adeur, fur
la fcene, s’exprime précifément comme celui qu’il
repréfente a dû s’énoncer. Un feul terme trop haut,
trop recherché, ou qui affortit mal au caradere du
perfonnage, gâte toute une fcene; fi le ton du dialogue
n’eft pas naturel, la piece entière fera froide»
C’eft l’un des points les plus difficiles de l’art dramatique.
Peu de perfonnes même, dans les converfa-
tions ordinaires, favent rendre le dialogue intéref-
fant. La plupart manquent dans leur maniéré de
s’énoncer, ou de brièveté ou de précifion, ou d’énergie
; leur difcours eft languiffant, ou vague , ou fans
force. Le poëte qui fent ces défauts ,& qui voiidroit
mieux faire , tombe fouvent dans l’excès^oppofé ; il
donne dans le fublime, le précieux, le méthodique,
& s’écarte du vrai. Horace a raffemble dans les vers
que nous allons citer, tout ce qu’on peut prefcrire
d’effentiel fur le ftyle & le ton de la comédie. >
E jl brevitate opiis , utxcurrat fententia neufe
Impediat verbisdajfas onerantibusaures., -y
E t fermone opüs ejl modi trijli ,foepe jocofd •
Defendente vicem modo rheioris, atque po 'éttz ,
Interdum urbani,parcentisviribus, atque
Extenuantis eas confulto.
Sermon.d. X X .
Si la comédie exige que tout y fait naturel ,.elle ne
demande pas moins que tout y foit intéreffant. Malheur
au poete comique qui fera bâiller une feule fois
les fpedateurs. Il n’eft cependant pas poffible que
l’adion foit dans tous les momens de fa durée également
vive & également digne d’attention. Il y a
néceffairement des fcenes peu importantes, des perfonnages
fivbalternes, de petits incidens qui n’influent
que foibiement fur l’ad io a principale. Tous ces. ac-
ceffoires néanmoins doivent intérefler chacun d’eux
à fa maniéré.
On fait comment s’y prennent les poëtes médiocres
les bons même lorfque quelquefois ils s’oublient,
pour répandre de l’intérêt fur ces petits détails.
Ils imaginent quelques fcenes épifodiques qui
ne tiennent point au fujet ; ils donnent aux perfonnages
fubalternes des câraéteres burlefques, pour
amufer lé fpedateur par leurs faillies pendant que
l’adion languit. De-là la plupart de ces fcenes toujours
au fond.très-infipides, entre les valets ëç les
fuivantes qui s’épuifent en plaifanteries. De-là les
caraderes d’arlequin, de fcaramouche, &c. qu’on
retrouve dans tant de comédies , quoique leurs habits
n’y paroiffent pas. Il ne fuffit pas pour excufer. le
poëte de dire que ces fcenes détachées font dans la
nature, que les domeftiques en ont fouvent de telles,
tandis que leurs maîtres s’occupent des plus grands
intérêts, &: que ceux-ci au milieu de l’adion principale
font quelquefois interrompus par des affaires
étrangères. L’auteur n’en eft pas plus autorilë à faire
entrer ces épifodes dans fon plan ; on ne lui demande
pas. de nous montrer les chofes de la maniéré commune
dontelles arrivent tous les jours, avec tout
l’accompagnement qui peut s’y trouver , mais on
exige de lui qu’il les repréfente de la maniéré qu’elles
ont pu fe paflër, & qu’elles ont dû le faire pour produire
fur un fpedateur intelligent 6c de bon goût le
plaifir le plus v if & la fatisfadion ta plus complette.
Ces défauts de recourir aux fcenes épifodiques,
ou à des rempliffages languiffans » pour cacher le
vuide de l’adion, font pour l’ordinaire la fuite d’un
manque de jugement ou de talent comique dans 1 auteur
de la piece. Pour réuffir dans ce genre , il faut
plus qu’ en tout autre un grand fond d’idées & d'imagination.
Si en développant L’adion dans l ’ordre naturel
, il ne s’offre rien à l’efprit du poëte que ce qui
fe préfenteroit à l’efprit de tout le monde, fi fon
intelligence ne pénétré pas plus avant dans l’intérieur
de fon fujet, que jufqu’oh le fimple bon lens peut
aller fans effort ; fi les objets ne font fur fon imagination
& fur fon coe u r, que des impreffions ordinaires
& communes, il peut en épargner le détail
aux fpedateurs. Ceux-ci s’attendent à voir fur la
fcene des perfonnages qui dans toutes les conjonctures
, les fituations, les cireonftances fe diftinguent
du commun des hommes par leur ràifon, leur elprit,
ou leurs fëntimens ,& qui par ce moyen paroiffent
dignes de nous intérefler. De tels perfonnages font
toujours lîirs de plaire ; on les v o it , on les écoute
avec fatisfadion; & bien que leurs occupations actuelles
n’ait rien d’intérefl ant, leur maniéré de pen-
fer & de fentir répand de l’intérêt fur la fcene la
moins importante. L’intelligence, l’efprit, l’humeur
joviale, le caradere font. des chofes qui excitent
notre attention, même dans les événemens de la vie
les plus communs. Les moindres adions d’un homme
fingulier amufent, & chaque mot d’un homme diftin-
gué par fon efprit ou par fes lumières , foit une im-
preffion agréable. Ainfi les icenes acceffoires, pourvu
qu’elles tiennent réellement à l’adion, peuvent très-
bien foutenir l’attention des fpedateurs. Il eft même
poffible de donner de l’importance à des fcenes qui
au fond ne font placées que pour remplir le vuide
de l’adion, lorfque celle-ci eft arrêtée par quelque
caufe inévitable. On peut employer ces fcenes à
faire raifonner un ou plufieurs perfonnages fur ce
qui a précédé, fur la pofition aduelle des chofes,
fur ce qui va fuivre, ou fur le caradere-des autres
adeurs. C’eft-là le lieu propre à placer des réflexions
lumineufes fur ce que la piece contient de moral ôc
d’inftrudif; mais il faut que. le poëte foit affez judicieux
pour mettre dans la bouche de fes perfonnages,
au lieu de penfées triviales & communes, de%re-
marques fines, & d’une application bien j,ufte qui,
répandant un nouveau jour fur les vérités morales
& philofophiques, & leur donnant un plus haut dé-
gré d’énergie, puiffentles graver dans l’efprit & le
coeur d’une maniéré forte & ineffaçable. C ’eft dans
ces fcenes-là que les belles maximes ,.les fentences
mémorables, que les bons juges regardent comme
l’objet le plus intéreffant delà poéfie, font véritablement
à leur place. Il y a en effet très-peu de ces vérités
pratiques, qu’il importe tant à l’homme d’avoir
conftamment préfentesà l’efprit, qu’un, poëte comique
ne puiffe développer d’une maniéré également
frappante & convaincante, dans des fcenes de I’ef-
pece dont nous parlons. Quoique peu vives, ces
icenes deviennent très-intéreffantes pour des fpec-
tateurs qui cherchent quelque chofe de plus que le
fimple amufement des yeux & de l’imagination. Ce
n’eit que dans le bas comique oit L’on ne fauroit
fupporter des fcenes vuides d’aftion.
La comédie eft beaucoup plus propre que la tragédie
à donner des fcenes inftruôives. Les événemens
tragiques font hors du cours ordinaire de la
nature', au lieu qu’il fe préfente tous les jours des
cas où l’heureux fuccès dépend du bon fens, de la
prudence, de la modération, de la conooiffance du
monde , de la droiture ou de quelque vertu particulière
, & où l’oppofé de ces qualités produit le défor-
dre & l’embarras. Il n’y a point d’homme qui, par
fes liaifons civiles & morales, ne puiffe à tout moment
fe trouver dans des conjonctures où fon p rocédé
envers les autres, & fa façon de penfer en général
, aient une influence fenfible fur fon fort. Si
notre corps eft chaque jour expofé à divers accidens,
notre état moral né l’eft pas moins. Pouvons-nous
un feul moment nous promettre de n’avoir ni procès
, ni infultes, ni difputes , de ne nous point faire
d’ennemis, ou de n’être pas la duppe d’autrui ? Tan»
tôt pour nous épargner des embarras &des chagrins,
la prudence exige que nous fâchions plier, tantôt que
nous ayons une fermeté convenable, & qu e nous fâchions
même contrecarrer des perfonnes que nous
n’ofons ni ne voulons offenfer. Tantôt il s’agit de
nous calmer nous-mêmes, tantôt de calmer les autres
; ici c’éft à nous à faire entendre raifon à une
perfonne préoccupée, là c’eft à nous à écouter les
avis d’autrui, & à les pefer avec impartialité ; un
jour nous fortunes appellés à pacifier les querelles
des autres; le lendemain nous devons nouslaiffer
réconcilier. Veniam dare petereque vicijjim, c’eft la
plus fréquente occupation de la vie fociale. ,
Qui feroit l’homme affez dépourvu de raifon, on
pourroit dire affez brutal, pour ne pas defirer d’avoir
fous les yeux des modèles exaâs & bien def-
finés, qui lui indiquent d’une maniéré lumineufe ce
qui lui convient de faire & d’éviter en mille rencontres
d’où'dépendent fa tranquillité, fon honneur,
fouvent tout le bonheur de fa vie ? C e feroit vainement
qu’il voudroit confulter les traités de morale ,
ces ouvrages, quelque excellens qu’ils foient, s’énoncent
d’une maniéré trop générale ; l’application