
» Fr eh de la chevalerie »,
Sur-tout dans le. tems de frairie,
Tems auquel l'aimable Cornus,
Suivi de Bacçhus j de Cythere,
Ordonne de la bonne ckere
En maître £ hôtel de Momus.
Sur ce, mes chers freres, je prie
Le grand dieu de la raillerie
Q u il vous.donne joie & faute.
Le tout conclu, fait, arrêté
Près notre grand.'chancellerie ,
Au mois que la fève ejl fleurie a
Scellé^ fgnè de notre nom ,
De Torfae, 6‘ par moi, Aymorï,
Plufieurs peffonnes de diftin&ion fe rangèrent
fous les étendarts du régiment, & chacun fe faifoit
une occupation férieufe de relever, par des traits
de raillerie , les défauts des gens les plus confidé-
rables, & les fautes qui leur échappoient.. Cet éta-
bliffement ayant fait du bruit, ori voulut d’abord le
fapper par les fondemens, mais il para tous les
coups qu’on lui porta , malgré le crédit de ceux qui
s’intérelfoient à fa deftru&ion, & les alfauts redoublés
de fes ennemis ne fervirent qu’à le rendre plus
floriffant. Le régiment groflit en peu de tems, & la
cour & la ville lui fournirent un nombre confidéra-
ble de dignes fujets.
Louis XIV ayant été informé de la création de
cette plaifante milice, demanda un jour au fieur Ay-
mon s’il ne feroit jamais défiler fon régiment devant
lui : Sire, répondit le général des calotins, il ne fe
trouveroit perfonne pour le voir paffer. C ’eft apparemment
cette anecdote qui a donné lieu au poëme du
Confeil de Mornus , & de la Revue du régiment, imprimé
à.Ratopolis en 1730.
Le colonel Aymon rempüffoit parfaitement les'
ëngagemens de fa charge, lorfqu’il la quitta affez
brufquement par-un principe d’équité qui lui fit honneur.
Pendant que les alliés affiégeoient D o u a y ,
M. de Torfae étant chez le ro i, s’avifa de dire qu’avec
trente mille hommes & carte blanche, non-feû-
lemerit il feroit lever le fiege aux ennemis, mais auflî
qu’il repréndroit en quinze jours toutes leurs con-
. quêtes depuis le commencement de la guerre. M. A ymon,
qui entendit cette bravade, lui céda fur le champ
fon bâton dé commandant ; & depuis ce tems, M. de
Torfae a été général du régiment jufqu’à fa mort,
qui arriva en 1714. On trouve cette anecdote dans
fon orâifon funebre, qui a été imprimée , & qui a
fait beaucoup de bruit. C ’eft un tiffu des plus mau-
vaifes phrafes des harangues prononcées à l’académie
Françoife, des lettres du chevalier d’Her.. . .
des éloges de Fontenelle, de fa pluralité des mondes
, &c. &c. qu’ori a coufues enfemble fort adroitement.
Elle eft intitulée : Eloge hijlorique £ Emmanuel
de Torfae , monarque univerfel du monde, fubli-
maire & génêraliffime du régiment de la Calotte, prononcé
au champ de Mars & dans la chaire £Èrafine par
un orateur du régiment.
Cette piece eft d’autant plus excellente en fort
genre, qu’elle eft une fatyre très-jufte & très-ingé-
nieufe du ftyle précieux que plufieurs membres de
diverfes académies cherchoient à mettre en vogue;
il étoit difficile,qu’elle plût à tout le monde, fur-
toüt à quantité de favans dont elle tournôit les ouvrages
en ridicule. On trouva le moyen de la faire
interdire, & les exemplaires en furent faifis. Le
fieur Aymon, qui, en quittant fa place de général,
en étoit devenu le fecrétaire, ayant appris cette nouvelle
, fe rendit en toute diligence chez M. le maréchal
de Villars, & lui dit en l’abordant : « Monfei-
gneur , depuis qu’Alexandre & Céfar font morts ,
nous ne reeonnoîffons d’autres protç&eurs du régiment
que vous ; on vient de faifir Pôraifon funebre
du fieur de Torfae, notre colonel, & d’arrêter pai*-
là le cours de fa gloire & de la nôtre, qui y eft
intéreffée; c’eft pourquoi, Monfeigneur, je viens
-vous fupplier de vouloir bien en parler à M. le
garde des fceaux, qui m’a accordé la permiffion de
faire imprimer ce difeours». En même tems il montra
cettte permiffion au maréchal ; qui ne put s’empêcher
de rire d’une pareille follidtation. Il en parla
au garde des fceaux, qui donna main-levée de l’orai-
fon funebre, en difant qu'il ne voulait pas fe brouiller
avec ces me(Jîeurs. Auffitôt le fieur Aymon courut
triomphant annoncer cette nouvelle au libraire chez
lequel on l’avoit faifie, & tout fut rendu.
. Cette vittoire ne contribua pas peu à accroître
la gloire du régiment, qui fit bientôt des progrès
confidérables : ce qu’il y a de remarquable , c’eft
que, par une do&rine diamétralement oppofée à
celle des autres compagnies de la république des
lettres, les perfonnes qui avoient été l’objet des
brocards .des fondateurs du régiment de la Calotte ,
s’ÿ firent enrôler, ce qui les mit en droit de fe re-
vancher des railleries qu’ils «avoient effuyees.
« 11 n’y a pas un fujet, même parmi les grands,
continue l’auteur des mémoires cités, qui n’y foit
enrôlé, dès qu’on trouve en lui les talens propres à
cett^. milice. Cependant on n’y admet que ceux en
qyi ces talens ont un certain éclat, fans aucun égard
à leurs conditions, ni aux follicitatiens de leurs amis.
Il faut d’ailleurs que ce foient des gens d’efprit, les
fots en font exclus. Lorfque quelqu’un èft reçu dans
le corps,. c ’eft l’ufage qu’il faflè à l’affemblée un
difeours en vers, dans,lequel il met fes propres défauts
dans tout leur jour, afin qu’on puiffe lui donner
un pofte convenable >/;
Cette obfervation ne regardoit que la première
fociété des calotins, compofée des éleves choifis de
Momus, & qu’on pouvoit regarder comme l'état-
major du régiment: Mais les foldats qui forment le
gros de la troupe étoient choifis indiftinftement paa-
mi les particuliers nobles & roturiers qui paroif-
foient fe diftinguer par quelque folie marquée, ou
par quelques faits ridicules, ou par quelques ouvrages
repréhenfibles. On devine affez que lesen-
gagemens de ces foldats. étoient involontaires, &
que prefque tous les «calotins étoient enrôlés par
force. « On ne follieite ni lespenfions, ni les emplois
dans cet équitable corps, dit l’éditeur des mémoires
, parce que tout s’accorde au mérite & rien
à la faveur. Les brevets font diftribués gratis, tant
en v ers, qu’en profe. Les fecrétaires dit régiment n’y
pourroient fuffire, fi des poètes auxiliaires ne leur
prêtoient de généreux fecours, en travaillant incognito
à l’expédition des brevets. Ils pouffent même
le zele pour lé régiment jufqu’à lui procurer des
fujets auxquels on ne penfoit pas, & qui fémble-
roienf déshonorer le corps par leur mérite & leur
fageffe. Mais on ne s’en rapporte pas toujours au
choix de ces poètes inconnus ; ils font obligés d’en
donner des raifons, dont les commiffaires examiner#
la folidité».
Cette liberté des poètes étrangers donna lieu à un
arrêt du confeil du régiment contre la fauffe édition
des brevets & autres réglemens fuppofés :
Nous,par la grâce de Momusy
De fes décrets dépofitaires
A tous facriléges abus
Mort ou châtiment exemplaire...',.'.
Ordonnons que ces faux écrits
Biffés, déchirés & proferits ,
Mis au greffe de la calotte,
Soient brûlés folemnellement.
Par le bourrotut du régiment...
Leur
Leur défendons a l avenir
De répandre aucun exemplaire
De brevet ou de réglement,
Même émané directement,
Qu'il n'ait la forme nèceffaire
E t ne foit juridiquement
Muni du fceau du régiment*
Il eft certain qu’une pareille précaution eut con-
fervé la fociété des calotins, qui étoit fort utile. Leur
critique s’adreffoit principalement aux fautes relatives
au bon fens & au langage ; elles ne rouloient
d’ordinaire que fur les jeux d’une folie innocente &
ingénieufe; quelquefois elles alloient plus loin, lorfque
le bien public fembloit demander qu’on dé-
mafquât certains perfonnages, & qu’on- paflât les
bornes que les fondateurs durégi ment s’étoient pref-
critcs. Nous leur avons peut-être l’obligation d’avoir
tourné en plaifanterie des difputes qui pouvoient
devenir trop férieufes.
Pour donner une idée du bien que pouvoit faire la
calotte, j’ai cru devoir rapprocher quelques anecdotes,
qui ont donné lieu aux plus fameux brevets.
On crut devoir punir le fatyrique Gacon de fa
baffeffe à ne louer que les gens en place, qui pouvoient
payer fes vers en lui donnant un brevet de
fabricateur de lettres-patentes.
Sachant que le rimeur Gacon,
Homme connu fous l'Hélicon
Par des traits de fiel & de bile
Auroit voulu changer de ftyle ,
Louer nombre £ honnêtes gens,
Qu i, très-contens de fon encens ,
Lui refitferent leur fervice,
De peur que fon encens payé,
Ne parût être mendié.....
H crut quen louant certain homme, (Law)
Qu'en mal aujour£1iui Üon renomme.
Ce feroit un fort bon moyen
Pour pouvoir ratraper le Jien.
Alors tout ainji que bien £ autres
Dignes d'entrer parmi les nôtres.
I l vint l 'encenfoir a la main
Encenfer ce héros forain
Dont i l reçut pour récompenfe
En foixante fouferiptions
Cinquante mille écus de France
Qu'il changea en actions ,
Pour jouïhde la dividende
Sur laquelle comme un prieur
Pourvu d'une riche prébende,
I l pourra vivre avec honneur...1
A ces caufes vû la marote,
Nous admettons ledit Gacon
Pour chanter le los & le nom
De tous héros de la calotte.
Lui défendons d'offrir encens
Qu'à ces héros vrais & fublimes , & C. & C.
Nous le créons par ces préfentes
Seul Fabricateur des brevets
Dont nous honorons nos fujets, &c. & c.
Gacon fe vengea en acceptant l’emploi, & en
diftribuant des brevets fatyriques.
L’abbe Terraffon a voit répandu dans le public
trois ou quatre petits livrets de fa façon, par lefquels
il prétendoit prouver la folidité & l’utilité du fyftême,
on l’accufa d’avoir réalifé dans le temS qu’il difoit à
fes meilleurs amis que les avions étoient un véritable
Pérou, & qu’il falloit les garder. On lui donna
un brevet d’arpenteur & de calculateur du régiment
de la Calotte.
Donnons à l'abbé Terraffon ,
Homme docte en toute façon ,
Tome II,
La charge de grand arpenteur 1
Mefureur & calculateur
Des efpaces imaginaires......
E t £ autant que ce grand génie
Tient bon, 6- n'a point déguerpi
De la nouvelle colonie
Etablie au Miffiffipi
Malgré tout efprit incrédule
Qui le traitoit de ridicule ,
Lui foumettons ce grand pays
Pour en mefurer l'étendue
E t tous les fonds avec leur prix.
Efpérons que la dividende
En fera plus sûre 6* plus grande.
Sur le rapport qu il en fera ,
E t que Von communiquera
A u x calotins actionnaires,
Lefquels rüont point réalifé
Comme certains millionnaires ,
Peuple avide & bien avijè , &c. &c.'
Il faut joindre à cette lefture le brevet de contrô-
leur-général des finances du régiment accordé au
fieur Law, qui a ruiné la France :
La de tous pays & provinces.....,
Accouroient, comme des effains ,
Malgré vent, grêle, pluie & crotte ÿ
Pour y jouer a la marotte
Les beaux & bons deniers comptarts
Contre des Valeurs calotines
Dont la France & terres voifines
Se pourront fouvenir long-tems,.,
Lui donnons pour profits & droits ,
P enflons, gages & f flaires.
Le quart de tous les angles droits
Que couperont les commiffaires
Au papier qui fera vifé
E t duquel en homme avifi
I l a f i bien groffi le nombre
Que la France y feroit à Combre >
Si tous les billets raffemblés,
E t les uns aux autres collés,
On en pouvoit faire une tente.
Au furplus de ladite rente,
Lui donnons notre grand cordon
Paffant de la droite à la gauche
Ami qu'une légère ébauche
De fa droiture dont le fond
Va f i loin que Terraffon même ’
Grand calculateur du fyftême ,
Ne pourrait pas le mefurer, & c.-
Gacon décerna un brevet fort plaifant à l’académie
des Infcriptions., au fujet de i’infeription de la
fontaine du Palais royal : Quantos effundit in ufus I
En effet ces quatre paroles
Quantos effundit in ufus I
Bien loin d'être des fons frivoles.
Nous font voir, per omnes cafus-,
Combien cette illuftre fontaine
Eft utile à la vie humaine .
Tant pour abreuver les chevaux l
Les mulets, les chiens & les ânes ,
Qu'à laver linges G* drapeaux
Servants aux ufages profanes*
La rue & quartier Fromenteau *
Exigent abondance d'eau
Pour purifier eaux croupies ,
Plus fales encor que roupies.
Item , pour laver les baffins
Que l'on préfente aux Médecins ,
Pour rincer verres & bouteilles
E t quantité £ autres merveilles
(ii) Cette rue abonde en filles de joie«
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