
qui rend l’ufage de 1* ergot très-dangereux. C’eft la
faveur l'ucrée de cette liqueur mielleufe qui y attire
les mouches & lesinfeâes, Sc qui eft caufe que
l’on trouve quelquefois dans l’ergot des petites chenilles
dues à ces infettes. Cette liqueur qui fort de
l’épi fous le fupport du grain de feigle , expulfe le
germe ou plutôt l’écorce1 de ce grain ; Sc c’eft le
corps étranger qu’on retrouve fouvent dans fa forme
de grain au bout de Y ergot, comme M. Liberge
le fit voir à la féance du 30juillet 1771- Mais ce
qu’il y a de plus fingulier, c’eft que cette manne ou
liqueur mielleufe qui s’échappe du moyeu de l’épi
par les chaffes ou balles du grain, eft contagieufe ;
6c que fi elle coule fur d’autres chaffes du même épi
ou fur des épis voifins ou inférieurs, elle y occafionne
la même maladie, Sc change le grain en ergot. Aufli
trouve-t-on fouvent de Y ergot dans les fromens-mé-
teils femés avec le feigle, Sc rarement dans les
champs femés de froment pur.
Quelle que foit la caufe de Yergot, il eft certain
que lorfqu’il entre beaucoup de grains ergotés dans
le pain, il caufe d’étranges maladies, Sc produit des
effets funeftes : cela n’eft pas furp'renant, quand on
fe rappelle l’acrimonie mordicante que Yergot mâché,
produit fur l’organe du goût. On dit d’ailleurs que
cette fubflance fermente plus aifément que la farine,
ce qui vient fans doute de ce qu’elle eft plus dif-
pofée à la corruption (a). C ’eft fur-tout en 1709
qu’on en a fait l’obfervation : les feigles de la Sologne
contenoient près d’un quart de grains cornus,
que les pauvres négligèrent de féparer du bon grain
à caufe de l’extrême cufette qui fuivit le grand hiver:
le pain infeâé de la farine de ce mauvais bled, donna
à plufieurs une gangrené affreufe, qui leur fit
tomber les membres luccelîivement par partièsv On
peut confulter ce qui eft dit dans les Mémoires de
P académie des fciences, ann. »709 , P• 63 ; dans Lan-
gius, A cl. Lypf. ann. 1718 ; Sc dans un favant Mémoire
de M. de Salerne, médecin d’Orléans , inféré
dans les Mémoires de l’académie. Il y eut encore une
gangrené endémique & très-redoutable , qui défola
l’Orléanois & le Blaifois en 1716 : elle eft décrite
dans la -Collection académique, tom. I I I , part, fran.
pag. à 29:
Cette terrible maladie eft endémique dans la
Sologne, Sc dans d’autres pays où le payfàn eft
affez pauvre pour être réduit à cette nourriture
empoifonnée, parce que dans les années de difette
il fe garde bien de cribler ces grains ergotés. On a
vu ( M. Duhamel cite le fait ) de ces pauvres gens
à rhôteRdieu d’Orléans, auxquels il ne reftoit plus '
que le tronc. On lit encore dans les mémoires pré-
fentés à. l’académie, qu’une demoifelle charitable
avoir une bonne recette contre ce mal affreux ;
qii’elle l’arrêtoit par un topique avec une eau com-
poféë de quatre onces d’alun, trois onces de yitriol
romain, Sc trois onces de fél que l’on fait fondre
dans trois pintes d ’eau réduites à une :-on y trem-
poit des linges, qu’on appliqùoit fur les parties gan-
grénées. M. Vétillart critique amèrement la com-
pofition de cette eau efcarotique , qui eft mal indiquée
dans le Dictionnaire <Phijîoire naturelle, au mot
(<*) Langius, qui a fait plufieurs obfervations fur l’ergot,
npus a appris que lorfque le grain vicié a été macéré pendant
vingt-quatre heures dans l’eau chaude, il s^n fépare une
matière qui s’élève à la fuperficie de l’eau & y fait une croûte
de divèrfes couleurs.. Déjcriptio morborum ex efu clavorum
Secalis, C: V. M. Aymen-,-qui a répété cette obfervation ,
prétend que cela ne vient que des divers arrangemens des
corps globuleux de la feve dont l’eau change la couleur ;
c’eft peut-être par la, même raifon que l'ergot rend le pain
violet : quoi qu’il en foit , cette matière macérée dans l’eau,
fe corrompt & fe putçéfie très-promptement ; ce que l’on
pourront regarder comine la Caufe principale des maladies de
Corruption qui fuiyent l’ufage de l'ergot.
feigle : il y fait des changémens,’ avec des obfervations
judicieufes fur la maniéré Sc le tems de l’employer.
.
Un moyen plus certain, c’eft de prévenir le mal
même, en féparant avant tout, par le moyen du
crible, ces grains ergotés qui font plus gros que
les autres. Dès l’année 1676 , on prôpofoit à* l’académie
des fciences, comme le feul remede à ce mal,
de faire-défendre aux meuniers de moudre du feigle
où il -y aura des grains ergotés : il eft fi aifé de les'
connoître, qu’il n’eft pas poflible de s’y méprendre.
Sur les repréfentations de MM. de l’académie,
M. de Pontchartrain en écrivit à M. l’intendant
d’Orléans : on donna les mêmes ordres en 1716.
Nicolas Langius, fameux médecin de Balle , dont
nous avons parlé plus haut, croit qu’il y a de Yergot
plus huifible à ceux qui en mangent, Sc de Yergot-
qui ne l’eft pas. M. Tillet croit que Yergot eft toujours
miifible, mais qu’il doit être pour cela en certaine
quantité. On prétend encore que Yergot perd
fa mauvaife qualité, quand on le garde un certain
temps. Le mauvais feigle qui faifoit le pain violet,
le fait plus blanc Sc moins^nuifible à la fécondé ou
à la troifieme année; mais dans les années'de difette,
les payfans qui n’ont point le tems de garder
leurs grains , font obligés de le confommer aulîi-tôt
après la moiffon ; ce qui les expofe à la fâcheufe
maladie dont nous avons parlé : caron obfèrve que
plus Yergot eft frais, plus il eft dangereux ; il y a
même des années dans lefquelles on prétend qu’il
eft plus malin.
Comme on révoque aujourd’hui en douté les
effets malfaifans du feigle ergoté ( M. Schleger ,
célébré médecin, a éffayé depuis peu de difculper
Yergot des accufations graves qu’on lui a intentées ) ,
je vais réunir le témoignage des gens les plus in-
ftruits, à ceux dont nous avons déjà parlé plus haut.
M. Lemery, dans fon Dictionnaire des Drogues, au
mot fecale,dit que ceux qui mangent du pain fait avec1
du feigle ergoté , font attaqués d’une efpece de mal
de S. Antoine ; que leurs membres fe corrompent
dans les jointures, deviennent livides, noirs, fe
détachent, Sc tombent fans que les remedes puiflènt
en arrêter le cours.'
On lit dans' les Mémoires de Vacadémie , Savans
étrangersy tom. III,pâge3 7 8 , qu’après quelque ufage
du pain de feigle ergoté, on commence à reffentir
une efpece d’engourdiffement dans les jambes : la
partie fe tuméfie, fans qu’il paroiffe le moindre ligne
d’inflammation ni de fievre. Le mal fait des progrès’
dans les mufcles Sc dans les parties couvertes des
enveloppes communes : il attaque enfuite la peau ;
alors ou la partie fe fépare d’elle-même des chairs
faines , ou elle devient feche, racornie , noire, incorruptible,
Sc femblable en tout aux membres d’une
momie. Lorfque la maladie a fini aux jambes, elle
attaque les bras, & y produit les mêmes effets : le
feul remede que l’on connoiffe pour ce mal, eft
l’amputation. On h nommé cette maladie gangrène‘
feche. L’ergot produit encore des fievres putrides Sc
malignes ; il tarit le lait aux femmes ; il enivre, il
affoiblit les fens : enfin quoique Lonicerus le vante
comme un bon anti-hyftérique, fon ufage eft très-
pernicieux, Sc doit être évité,foigneufement.
M. Lieutaud, dans fa Matière médicale, page 614i
dit que le feigle ergoté eft très-malfaifant, & caufe
à ceux qui en mangent durant quelque'temps, une
gangrené feche Sc horrible, qui fait que leurs'
membres tombent d’eux-mêmes;' Les, auteurs da
Dictionnaire de fanté difent la même chofe, au mot
Feu S. Antoine, & indiquent pour la-cure de cette
j maladie les mêmes traitemens que pour la fievre
péftilentielle. Sauvages appelle cette maladie Wc'-
crojïs ujtilaginea ou L’ergot : on' peut .voir dans la-
Nofologie de cet auteur ceux qui en ont traité ’; on
peut aufli confulter Dodart, la Hire, & fur-tout
M. de Salerne qui parle de vifu. Voyez les Mémoires
de l ’académie , tom. X , Sc les Mémoires étrangers,
tomes I & II, Sc le Mercure de France , janvier 1748,
page ÿS. • ,
M. Tiffot, dans Y Avis au peuple fur fa fante,
page 5/4, fécondé édition , rapporte les fymptomes
de la maladie qui attaque ceux qui ont mangé quelque
tems du feigle ergoté : ils tombent dans une
efpece d’engourdiffement Sc de ftupidité ; le ventre
devient gonflé Sc tendu ; ils maigriffent, font jaunes
& fi foibles qtfils ne peuvent fe foutenir. La jambe
ou le bras s’engourdiffent, deviennent violets ; la
peau eft froide, & la gangrené p.aroît aux doigts
des pieds ou dés mains : f r l ’on n’y remédie promptement
j le mal s’étend , & tue le malade en peu
de tems ; fouvent les membres fe détachent à l’arti-
culation, &tombent fans qu’il arrive d’hémorragie.
11 fe leve en différens endroits de petites puftules
remplies d’un pus très-clair ; le pouls eft concentré,
Sc le fàng que l’on tire eft couenneux. On peut voir
au même endroit le traitement indiqué par cet habile
médecin ; mais il prefcrit trop tôt l’ufage de l’eau efcarotique
qui ne doit pas être employée dans la gangrené
commençante.
Au témoignage des médecins joignons celui des
botaniftes. M. Adanfon, dans fes Réfultats d?Expériences
déjà cités, dit page 4S, que le feigle 'ergoté
caufe des maladies aux perfonnes qui mangent du
pain où il s’en trouve même une petite quantité.
M. Buc’hoz, dans fon Dictionnaire des Plantes, dit,
au mot feigle, que Yergot occafionne de fâcheufes
maladies. M. Aymen,très-habile botanifte, obferve
que les palmiers font fujets,comme le f e ig le ,a v o ir
des fruits ergotés ; Sc ce qui n’eft pas moins particulier
, c’eft que les ergots de ces arbres produifent des
effets aufli fâcheux que ceux du feigle : on en trou-
veroit peut-être la raifon dans le grand rapport qu’il
y a entre ces deux plantes. Les botaniftes favent tous
qu’il n’y a aucun ordre naturel dans le régné végétal
qui ait plus de rapport avec un fécond • ordre,
qu’en ont les palmiers avec les graminées. Voyeç.
Adanfon, Famille des plantes, page 24. Je pourrois
encore citer ; fur les effets de Yergot, le Dictionnaire
d'Hijloire naturelle ; mais comme ce n’eft qu’une
compilation, cette autorité ne feroit pas d’un grand
poids.'
Enfin, le bureau de la fôciété royale d’Agriculture
du Mans, publia, il y a quelques années , un avis
fur l’efpece de poifon connu fous le nom de feigle
ergoté, S i fur les maux qui réfultent de icette perni-
cieufe nourriture : on y joignit,.un mémoire fur la
méthode curative qu’on doit mettre en ufage fuivant
les différens tems de la;maladie, par M. Vétillârd,
médecin du Mans. M. l’intendant de'Bourgogne , qui
étend fon zele & fa vigilance fur tout ce qui peut in-
téreffer le bien des hommes, fit imprimer à Dijon,
chez Frantin, l’avis du bureau avec le mémoire Sc
un fupplément, pour le diftribuer gratuitement dans
la généralité.
• On affure dans cet avis, d’après les expériences
les mieux conftatées Sc la relation des malheursqui
affligèrent il y a quelque tems la Sologne., où il périt
fept à huit mille personnes dans .un petit efpace de
tems, que Yergot eft un poifon fubtil qui, lorfqu’il eft
mêlé avec Ieibon grain en certaine quantité.,, caufe
aux perfonnes qui en mangent du pain, les maladies
les plus cruelles, des vertiges, des fievres malignes,
la gangrène , Sc prefqu’inrailliblemént lâ mort aufli
fubite qu’elle eft dangereufe (J>) : c’eft dans la vue
( i ) O n y remarque aufli.que l’ergot eft égalemerit nuifible
aux animaux qui en'mangent« 'üh'cochon-ayant été iic(ilrri-de
fon de feigle ergoté, a péri- au bout de quatre mois,:' après
de prévenir de tels maux, que M. l’évêque du Mans;
fit publier,dans fa paroiffe d’Yvré, un avis particulier.
pour engager les gens de la campagne à ne porter a u .
moulin aucuns feigles ou méteils ergotés, fans en -
avoir auparavant léparé Yergot.par le crible.
Suivant M. Vétillârd, les effets généraux de Yergot
font de détruire le reffort des nerfs Sc des yaiffeaux
artériels, d’épaiflir.le fang qui, privé.dè l’a&ion Sc,
'du reffort des vaiffeaux artériels fur lu i, fe .coagule,
fur-tout aux extrémités de ces vaiffeaux, ainfi qu’auxi
parties les plus éloignées du centre de la circulation,
telles que les extrémités inférieures : les fupérieures
s’en trouvent fucceflivement affeûées; ces parties:
tombent en gangrené Sc en fphacele.
La gangrené, fuite de la nourriture du feigle ergoté
, eft annoncée par un malaife le jou r , une mélancolie
pouflèe jufqu’à la ftupidité;,;un accablement
univerfel, une agitation la nuit, des peurs dans le
fommeil, des douleurs vagues dans le dos,.dans les-
reins , des contrarions fpafmodiques dans les mufcles
des extrémités; ces •mo’uvemens'font fouvent;
douloureux ; une chaleur cuifante & momentanée fe
fait fentir à la partie menacée, le pouls augmente
un peu de vivacité, les urines font crues, le ventre
eft tendu, quelquefois douloureux ; il ne fait que difficilement
fes fondions-. •. , .
Au fécond période, les. fymptomes ci-deffus au-i
gmenterit d’intenfité; les membres afferés d’abord de
mouvemens convulfifs-, de. douleurs, deviennent
pefans Sc engourdis;; il fe manifefte dans quelquesc
fujets un:feu éréfipélatetix, que quelques. auteurs
ont nommé feu de S .Ancoirie, qui d’un.rouge très-vif
devient un peu violet. > i
Au troifieme période j la chaleur - éréfipélateufe ;
vive &. cuifante. fe m'étamorphofe en un*.froid qui
s’augmente à chaque, montent !au-point de. devenir
glaoial : le poiils. fe concentre, ; le mouvement & le
fentiment s’éteignent,peu-à-peü dans la partie , l’ex-
térieuridu membre affefté perd quelquefois Ta coupleur
naturelle fans avoir été précédé d’éréfipele ; il
maigrit j. fe. deffeche;,..&: devient au ,quatrième pé?
riode.un membre étranger dont on eft obligé de fe
débarraffer ; il fe détache dans quelques-uns à l’articulation
par le feul effort de la nature , Sc fans qü’il
furvienne d’hémorrhagie, lors même de l’amputa-;
tion : cèt accident-n’eft.'point à craindre,.tarit le.fàng
eft coagulée - ; bi Jq mi--h
• Le pouls, à ce quatrième périôdp.j-.feiait à peine
fentir : le mal qui pôur l’ordinaire a' corilmericé par
l’extrémité'inférieuregagne)les fupérieures ; le
mouvement artériel;eft-ralenti- généralement, l’ab-
battement eft.extrême’;, le. vifage., fur-tout le ne«,
avoir perdu lés -quatre jambes. Seules deRXiflreilJes. Deux
canards nourr-is de feigle ergoté ,.ont également péri après avoir
perdu l’ufage des jambes. Ceci 'cpntr&dif les expériences faites
fur différens animaux , par l’Auteur!.1 d’une Lettré Inférée au
Journal encyclopédique ; -mais- eà'-fuppofi’rit cëS: -dèrrîiereS
expériences exaftes, on n’ehipoarro’it rieri conclure contre les
effets .de A’ergot >(ar -l’hohun? :• on fait que l’amande ÿnere qui.
ne-lui fait point de mal, eft. un poifon pojirda volatile ; au
contraire les baies du garou-, quL font un •' purgatif dangereux
& violent pour les^ hommes,/font, une fort bonne-nourriturè
pour lès oifeaux qui en font11rès-friandi-, d’pùTon peut conclure
qu’on ne doit pas ufefd’dn-aliment dont/les . animaux mangent
fans danger.^ pqrce :qifilq>1çut,;deyenirr un-'pqifôfi-; pour nous :
jiiais les. expériences .par /lefquelles pn prétendroit prouver
que l’ergot li’èft poinf pe'rnicièüx'aux animaux qui en mangent,
ïié fonV rien moins’ qhe.:.pértaihêss 'A u fli l’avis du- Bnrèaà
d’AgrièûlthVe du Mans rie mânaiiè-t-il- pis dé recommander
-par’ un P. S. de brûlek-llr^rqn’dri a fépare par l.eicribjlg\ou
derl’çnte/rer, parce quil y.auroiit dudangerà le l?iflW mingèr
dans les baffes-cours parJe^beftiaipc .ou, par la .Volaille y « , qu’il
'ri’y.iaurojt.pas^ moinçd’imprudence à'ië'jettër dans i ’eaü ,‘où il
pourroit devenir égâlêmèirf’nuffible hux'pôiffpns.' O n l i t ’dans '
:la GollèéEôri- Acàdêmiqiiè'^qbê Ües"ptfülés ,• auxquelles: ôh
riavoit donné que •de-l’èjgor;,-: rêbutënt.cette nourrituté' & font
-reftées trois, jours Tans, maogerA /oco fitato, ;,