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O r, exprimant en nombres les fons qui forment
Paccord de la feptieme, ou de la fixieme avec la
quinte, on parvient à des proportions fi compliquées,
qu’il femble prefque inipoffible que l’oreille les puiffe
faifir ; au moins y a-t-il des accords bien moins compliqués
, qui font bannis de la mufique, par la raifon
que l’efprit ne fauroit appercevoir les proportions.
.Voici l’accord de la feptieme exprimé en nombres :
G , H , d , ƒ ,
36 45 54 64 ;
Or le plus petit nombre divifible par ceux-ci eft
8640, ou par fkôèurs 2“ X 3/ X 5 , que je nomme
l’expo fan t de cet accord, & par lequel on doit juger
de la facilité dont l’oreille peut comprendre-cet-accord.
L’autre accord eft repréfenté en cette forte
H, d y f y g> r,‘
45 54 ; 64 72
dont l’expofant eft le même.
Il eft difficile de croire que l’oreille puiffe diftin-
guer les proportions entré ces grands nombres, & la
dijfonance ne paroît pas îi forte pour demander un
fi haut dégré d’adreffe. En effet, fi l’oreille apperce-
voit cet expofant tant compofé, en y ajoutant encore
d’autresfons compris dans;le même expofant, la perception
ne devroit pas devenir plus difficile. Or fans
fortir de cette oftave'i l’expofant 2fiX J 3 X 5 , contient
encorë les facteurs 40,48,60, auxquels répondent
les fons A , c, e , de forte que nous éallions cet
accord
G A H c d e ƒ ■
36 40 45 48 54 60 i 64
qui devroit être également agréable à l’orèille, que
le propofé. Or tous les muficiens conviendront que
cette dijfonance feroit infupportable : il faudroit donc
porter le même jugement de la dijfonance propofée ;
ou bien il faut dire qu’elle s’écarte des réglés de l’harmonie
, établies dans la théorie de la mufique.
C’eft le fon ƒ , qui trouble ces accords en rendant
leur expofant fi compliqué, & qui fait auffi, de l’aveu
des muficiens, la diffonance. On n’a qu’à omettre ce
Ton, & les nombres des autres étant divifibles par 9 ,
, G H i ;
4 5 <
faite, connue fous le nom de la triade harmonique,
dont l’expofant eft 2* X3fX5, = 6o, & partânt 144
fois plus petit ,qu’auparavant. D ’où il femble que
l’addition du fon ƒ gâte trop la belle harmonie de
cetteconfonnance pour qu’ônlui puiffe accorder une
place dans la mufique. Cependant, au jugement de
l’oreille, cette diffonance n’eft rien moins que défa-
gréable, & on s’en fert dans lamufiqùe avec le meilleur
fuccès ; il femble même que la compofition mu-
ficale en acquiert une certaine force, fans laquelle
elle feroit trop unie. Voilà donc un grand paradoxe,
où la théorie femble être en contradiction avec la
pratique, dont je tâcherai dé donner une explication.
M. d’Alembert, dans fon Traité fur la compofi-
tio'n muficale, femble être du même fentiment à l’égard
de cette diffonance, qui lui paroît trop rude en
elle-même, & félon les principes de l’harmonie;
mais il croit que c’eft une autre circonftance tout-à-
fait particulière, qui la fait tolérer dans la mufique.
Il remarque qu’on n’emploie cet accord G , H , d, ƒ ,
que lorfque la compofition fe rapporte au ton C :
& il croit qu’on y ajoute le fön ƒ pour fixer l’attention
des auditeurs à ce ton, afin qu’ils ne s’imaginent
pas, que la compofition ait paffé au ton G , oii l’accord
G , H , eft la confonnance principale. Suivant
cette explication, ce n’eft donc point par quelque
principe de l’harmonie, qu’on fe fert de la dijfonance
G , H , d, ƒ*, mais uniquement pour avertir.les
auditeurs, que la piece qu’on joue, doit être rappor-
i îé au ton C. Sans cette précaution on poürroit fe
D I S
tromper, & croire que l’harmonie dut être rapportée
au ton G. Par la même raifon il dit qii’eri employant
l’accord F , A . c , 011 y ajoute' le fon d , qui
eft la fixté à F , afin que les auditeurs ne penfent pas
que, la piece ait pa ffé au ton F.
1 Je doute fort que cette explication foit goûtée de
tout le monde : elle me paroît trop arbitraire & éloignée
dés vrais principes de l’harmonie. S’il étoit abfo-
liiment néceffaire quë chaque accord repréfentât le
fÿftême tout entier des fons que le ton où l’on joue
émbraffe , on n’auroit.qu’à les employer tous à la
fois'; mais cela feroit fans contredit Un très - mauvais
effet dans la mufique. Cependant le doute demeure
dans fon entière force, qui e ft , que l’accord G , H ,•
d, ƒ , ét'anï ecôuté tout fèùl, fans être lié avec d’autres,
ne chôtfué pas tant lés oreilles, qu’il femble qu’il de-
vrbit faire à caufe des grands nombres dont il renferme
les rapports. Il eft certain, que la plupart des oreilles
ne font par capables d’appercevoir des proportions
fi compliquées; & ce nonobftant, nous voyons que
prefque tout le monde trouve cet accord affez
agréable. Il s’agit donc de découvrir la caufe phyfi-
que de ce phénomène paradoxe.
Pour cet effet, je remarque d’abord, qu’il faut bien
diftinguer les proportions que nos oreilles apperçofr*
vent actuellement, de celles que les fons exprimés
en nombres renferment. Rien n’arrive plus fouvent;
dans la mufique, que ce que l’oreille fient une proportion
bien différente de celle qui fubfifte effectivement
parmi les fons. Dans la température égale où tous
les 12 intervalles d’une oCtave font égaux, il n’y a
point de confonnances exactes , excepté les feules
oCtaves: la quinte y eft exprimée par la proportion
irrationnelle de 1 à 27, qui eft un peu différente
de celle de 2 à 3. Cependant, quoiqu’un infiniment
foit accordé félon cette réglé, l’oreille n’ eft pas bief-
fée par cette proportion irrationnelle C : G ne laiffe
pas d’appercevoir une quinte, ou la proportion de
2 à 3 : ik s’il étoit poffible que l’oreille fentît la véritable
proportion des fons, elle en feroit beaucoup
plus choquée qu’écoutant la plus forte dijfonance 9
comme celle de la fauffe quinte. Auffifait-bn que dans
la température harmonique, où les fons d’une oCtave
font exprimés parles nombres ci-joints, quelques
quintes ne fpnt pas parfaites, que l’oreille Drend
pourtant pour telles. Ainfi l’intervalle de B à ƒ étant
contenu dans la proportion de 675 à 1024, furpaffe
la proportion d’une véritable quinte de 2 à 3 , de l’intervalle
— f , & cependant l’oreille la diftingue à
peine d’une quinte exaCte. De même, l’intervalle A
à d contient la proportion de 20 à 2 7 , que l’oreille
confond avec celle de 3 à 4 , quoique la différence
foit un comma, exprimé par la proportion 80: 81.
On prend auffi l’intervalle de G s à c , dont la proportion
eft 25: 32 pour une tierce majeure, ou pour la
proportion de 4 : 5 , nonobftant la différence de 125
à 128. Et je doute fort qu’en écoiitant l’accord d: ƒ ,
on fente la proportion de 27 à 32 plutôt que celle
de 5 à 6 , qui eft fans doute plus fimple.
. Voici le fyftême ordinaire.
F - - ’£9*; F , 5‘* S - - 22 33 5 54« G 3 \ 1 ' --- 57.6
G s 7 - 23 3 5 ‘ — 1 6OO
A 2? 5 .. 1 — - ' 64O
B 33 5‘ 1 ==•.' É7Î
H - - 24 3* 5 720
. 2*r 3
5l
— T 768
CS - - 29 . --= 800
d - - 25 i J WSÊ ’ 864
d s — 21
26 Ÿ 5
e - - "
,3
ƒ - - i 10
0 vo VO
4w*. O O0
Il
Il eft donc fuffifamment prouvé que la proportion
apperçue par les fens eft fouvent différente, de celle
qui fubfifte actuellement entre les fons. Toutes les
fois que cela arrive , la proportion apperçue eft
plus fini pie que la réelle, & la différence eft fi petite
qu’elle échappe à la perception: l’organe de l’ouïe
eft accoutumé de prendre pour une proportion {impie,
toutes les proportions qui n’en different que fort
peu, de forte que la différence foit quafi imperceptible.
O r , plus une proportion eft fimple; plus notre
fentiment eft auffi fenfible, & diftingue de plus petites
aberrations: c’eft la raifon pourquoi on ne fauroit
fupporter prefque aucune aberration dans les oCta-
v e s , & ôn prétend que toutes les oCtaves foient
exactes, & qu’èllés 11e s’écartent point du tout de la
raifon double. Cependant, quand même dans un
concert quelques oCtaves feroient environ d’une centième
partie d’un ton trop hautes ou trop baffes, je
doute fort que la plus- délicate oreille s’en apper-
çut : il femble plutôt qu’on fouffre encore une plus
grande aberration , fans que les oreilles en foient
bleffées.
Dans les quintes on peut fouffrir une plus grande
aberration; les muficiens conviennent que celle que
la température égale renferme, eft âbfolument imperceptible
: or l’erreur y monte à la centième partie
d’un ton. Dans la température harmonique il y a des
quintes qui different d’un comma de la raifon double :
& le comma vaut environ la dixième partie d’un ton
exprimé par la raifon de 8 à 9. Auffi cette différence
eft-elle fenfible, & femble avoir déterminé la plupart
des muficiens à embraffer la température égale
où l’erreur eft dix fois plus petite. Peut - être que la
moitié ou le tiers d’iin comma feroit encore fuppor-
table dans les quintes. Dans les tierces majeures, dont
la jufte mefure eft la raifon de '4 à 5 , la température
égale s’en écarte de deux tiers d’un comma, & dans
les tierces mineures on ne diftingue pas un comma
entier, vu que la température harmonique contient
deux efpeces de cette tierce, l’une exprimée par la raifon
5 à 6 , & l’autre par 27^32, qu’on confond ordinairement
dans la pratique, quoique la différence
foit un comma.
Cependant on ne fauroit ici fixer de limites ; la
chofe dépend de la fenfibilité des oreilles, & il eft
certain que des oreilles fines & délicates diftinguent
des différences plus petites que des oreilles grof-
fieres. Si les hommes avoient le jugement de leur
oreille fi exaCte, qu’ils puffent diftinguer les plus
petites aberrations, c’en feroit fait de toute la mufique:
car où trouveroit-on des muficiens capables
d’exécuter tous les fons fi exactement, qu’il n’y au-
roit pas la moindre aberration ? Prefque tous les accords
paroîtroient à ces hommes comme les plus in-
fupportables dijfonances, pendant que des oreilles
moins délicates les trouvent parfaitement bien harmoniques.
C ’eft donc un avantage pour la mufique
pratique que le fens de l’ouïe ne foit pas porté au
plus haut dégré de perfection, & qu’il pardonne géné-
reufement les petits défauts dans l’exécution. Il eft
auffi certain que, plus le goût des auditeurs eft exquis
, plus auffi doit être exaCte l’exécution ; pendant
que des auditeurs dont le goût eft moins délicat, fe
contentent d’une exécution plus groffiere*
Quand la proportion aCtuelle entre les fons qu’on
entend, eft affez fimple, comme de 2: 3 , ou 3 : 4,
bu 4 : 5 , &c. la proportion apperçue ell auffi la
même pour toutes les oreilles. Mais quand la proportion
aCtuelle eft fort compliquée, de forte pourtant
qu’elle approche beaucoup d’une proportion
fimple, alors l’oreille appercevra cette proportion
fimple, fans remarquer la petite aberration de l’actuelle.
Ainfi, en entendant deux fons en raifon de
1000 à 2001, on les prendra pour une oCtave, ou
Tome I I ,
1 o
bien la proportion apperçue fera 1 à 2 exactement.
De même, deux fons en raifon de 200 à 301, ou de
200 à 299, exciteront le fentiment d’une quinte parfaites:
& généralement, par quelques nombres que
les fons foient exprimés, fi les proportions font trop
compliquées, l’oreille leur en fubftitue d’autres fort
approchantes, dont les proportions font plus fimples.
C’eft ainfi que les proportions apperçues font différentes
"des aCtuelles; & c’eft par celles-là qu’il faut
juger de la véritable harmonie, & point du tout par
celles-ci.
Donc, quand on entend cet accord G , H , </, ƒ ,
exprimé par ces nombres 36, 4 5 ,5 4 ,6 4 , une oreille
parflîte comprendra bien les proportions renfermées
dans ces nombres ; mais des oreilles moins parfaites,
auxquelles la perception de ces proportions, eft trop
difficile, tâcheront de fubftituer d’autres nombres, qui
donnent des proportions plus fimples. Elles ne changeront
rien dans les trois premiers fons G , H ,d , puif-
qu’ils renferment^Une confonnance parfaite; mais je
fuis porté à croire qu’elles fubftitueront à la place du
dernier 64celui de 6 3 , afin que tous les nombres devenant
divifibles par 9 , les rapports de nos quatre fons
foient maintenant exprimés par ces nombres 4, 5,
6 , 7 , dont la perception eft fans doute moins embar-
raffée. En effet, fi l’on nous préfentoit ces’ deux accords
, l’un contenu dans les nombres 3 6 ,4 ^ , 5 4 ,6 4 ,
& l’autre dans ceux-ci, 36, 4 5 ,5 4 , 63 , il faudroit
une oreille bien fine pour les diftinguer, à moins
qu’elle ne les entendît à la fois ; mais, hormis ce cas ;
ces deux accords feront certainement la même im-
preffion.
Je crois donc qu’en entendant les fons 3 6 ,4 5 , 54,
6 4, on s’imagine d’entendre ceux-ci 3 6 ,4 5 ,5 4 ,6 3 ,
ou bien ceux-ci 4 , 5 , 6 , 7 , attendu que l’effet eft:
âbfolument le même. Je ne fais pas fi la raifon fui-
vante eft fuffifante pour prouver mon fentiment: fi
l’oreille appercevoit les premiers nombres, l’accord
ne devroit pas être troublé, quoiqu’on y ajoutât encore
d’autres fons contenus dans le même expofant,
comme ceùx de 40,48 & 60. Or il eft certain que
par cette addition l’accord changeroit tout - à - fait de
nature, & deviendroit infupportable. De là je conclus
que l’oreille fent effectivement les fons exprimés par
ces petits nombres 4 , 5 , 6 , 7 , d°nt l ’expofant ne
permet aucune interpolation. Ainfi quand on entend
cet accord de la feptieme G , H , d 9f , on fubftitue
au lieu du Ton ƒ un autre tant foit peu plus grave ,
dont le rapport au véritable eft comme 63 à 64. Il
eft vrai que cet intervalle eft un peu plus grand qu’un
comma ; mais on néglige fouvent d’auffi grandes erreurs
, fur-tout dans des accords fi compofés.
11 femble donc qu’un tel accord G , H , d , ƒ , n’eft
admis dans la mufique qu’entant qu’il répond aux
nombres 4 , 5 , 6 , 7 , & que l’oreille fubftitue au lieu
du fon ƒ un autre un peu plus bas en raifon de 64 à 63.
C ’eft le jugement qui attribue à ce fon une autre valeur
qu’il n’a actuellement ; & f i , dans un infiniment
de mufique , ce fon ƒ étoit un peu plus bas que félon
les réglés de l’harmonie, je ne doute pas que ce
même accord ne produisît un meilleur effet. Mais
les autres accords qui précèdent, ou fuivent, fuppo-
fent à ce fon f fa valeur naturelle ; & il en fera de
même que fi l’on avoit employé deux fons différens,
répondans aux nombres 64 & 63 , quoique ce ne
foit que le même fon , mais différemment rapporté
par le jugement du fens. Peut-être'eft-ce ici qu’eft
fondée la réglé fur la préparation & réfolution des
diffonances, pour avertir quafi les auditeurs , que
c’eft le même fon, quoiqu’on s’en ferve comme de
deux différens, afin qu’ils ne s’imaginent pas qu’on
ait introduit un fon tout-à fait étranger.
On foutient communément qu’on ne fe fert pas
dans la mufique des proportions compofées de ces
Z Z z z