
Les' briqiïeteurs ayant reconnu que les briques
font feches & prêtes à être cuites, ce qu’ils^ p e r çoivent
en en caffant quelques-unes, & en jugeant
à la couleur qu’il n’y a plus d’humidité, ils établiflênt
le pied de leur fourneau. Dans les grandes manufacturés
, telles que celles d’Armentieres, d’où il fort
neuf à dix millions de briques par an, deftinées peur
Lille , Douay ,Tournay , Gand, 6c toutes les villes
qui font fur la Lys & l’Efcaut, les pieds des fours
font faits d’une maçonnerie très-folide de briques 6c
d’argille, qui fert à toutes les fournées. Pour les
particuliers qui ne travaillent point tant en grand,
on conftruit, fans argille , un pied de four exprès
pour chaque fournée, qui s’établit tantôt dans un
cantoii, tantôt dans un autre, félon que l’on peut
rencontrer les veines d’argille.
On choifit, pour affeoir le fourneau, un terrein
uni près des haies des briques, avec la feule attention
que les eaux ne puiffent y féjourner, ni y for-
merde courant quand il pleut. Sans peller ce terrein,
6c fans aucune autre préparation, on y décrit au
cordeau un quarré de trente-fix à trente-huit pieds
de côtés, ou environ ,pour la bafe du fourneau.
Les briqueteurs précautionnés font aux quatre angles
du fourneau, faillir de neuf à dix pouces les
côtés du corps quarré , fur environ cinq pieds de
longueur , en y formant à chaque angle une efpece
de contre-fort pour le rendre plus folide. Ils élevent
ces contre-forts en talut, enlorte qu’ils fe perdent
& finiffent dans le corps quarré du fourneau, à cinq
ou fix pieds au-deffus de la bafe.
Sur ce tracé, on décrit encore au cordeau l’emplacement
des foyers deftinés à recevoir le bois qui
doit allumer le fourneau; ce font de petites voûtes
de quatorze pouces de large, 6c environ dix-huit
de hauteur, efpacées à trois pieds de milieu en milieu,
dont la cavité régné d’un côté du fourneau juf-
qu’à l’autre, 6c dont les figures font affez cônnoître
la conftruâiqn.
Auffitôt que les cordeaux font p lacés, les ehfour-
neurs commencent leur travail ; on leur fournit pour
le pied de fou r , des briques, cuites 6c des meilleures;
fi l’on y en employoit de médiocrement cuites ,
le feu pourroit les faire éclater , ou la charge pour-
roit les écrafer : le pied de four ne feroit point folide.
Ils bordent les cordeaux en arrangeant les premières
briques avec foin, de façon qu’elles foient
jointives 6c bien afîifes fur leur plat le long des
foyers : enfuite ils rempliffent les intervalles, avec
un peu moins de précaution.
Toutes les briques du fourneau, depuis la première
affife de ces briques cuites jufqu’au fommet,
font placées fur le champ, excepté celles qui fe
trouvent autrement pofées aux paremens des foyers
aux angles des contre-forts, 6c quelquefois aux paremens
du corps carré. Toutes celles de l’ intérieur
n’ont d’autre ordre entr’elles, que d’être toujours
alternativement croifées à angles droits d’un lit à
l ’autre.
On place ainfi les briques fur leur champ , afin
que le feu puiffe embraffer plus aifément chacune
d’elles. Si elles étoient pofées à plat fur leur lit , il y
auroit moitié moins de joints dans le fens vertical,
fuivant lequel fe dirige principalement l’aâion du
feu : & la cuiffon des briques en feroit d’autant plus
difficile.
Lorfque les foyers font élevés de douze à treize
pouces, c ’eft-à-dire, lorfque toute la bafe du fourneau
a déjà acquis la hauteur de trois briques de
champ pofées l’une fur l’autre , le cuifeur charge les
foyers dans toute leur longueur des matières nécef-
faires pour allumer le fourneau. Il ne doit pas attendre
plus tard ; car le nouveau tas que l’enfouroeur
doit pofer fera la retombée de la petite voûte des
foyers , qui fera totalement fermée par le cinquième.
Lorfque l ’enfourneur a recouvert le fourneau du
fixieme tas, le cuifeur y répand le premier lit de
charbon dont je parlerai plus bas , fur lequel l’enfourneur
pofe encore une l'eptieme 6c derniere affife
de briques cuites, qui couronne ÔC termine le
pied du fourneau.
Pendant l’enfournage , 1e cuifeur, dont la préfence
n’y èft pas néceflaire, va dans la carrière à argille
en démêler quelques brouettées, 6c en forme un
mortier affez liquide. Chaque journée des enfôur-
neurs fe termine pas crépir tout le parement du
fourneau, en appliquant ce mortier contre les tas
de la bordure qui ont été pofés depuis le matin. Le
cuifeur a foin de choifir pour ce mortier l’argille la
plus maigre, ou d’y mêler fuffifamment de fable.
L ’argille forte fe gerce aufli-tôt qu’elle fent le feu ;
elle fe détache 6c laiffe les briques à découvert :
j’aurai occafion de parler encore de ce placage.
L’établiffement du pied de four eft ordinairement
fini le lendemain de l’arrivée des briqueteurs. Comme
les briques cuites deftinées à former le pied du
four ont été mifes fort à portée des ouvriers, il fuffit
de deux ou de trois entre-deux pour les fervir de
main-en-main aux enfourneurs. Les rechercheurs
s’occupent, fous la conduite du cuifeur, à planter les
fapins des gardes-vents. Ils ont foin auffi de former
le petit établiffement de la baraque , pour mettre
toute la troupe à l’abri.
Le même foir on met le feu dans les foyers ; &
à l’exception de cette feule nuit, que quatre hommes
veillent pour l’attifer 6c l’entretenir, perfonne
ne travaille depuis fept heures du foir , jufqu’au
lendemain une heure avant le jour.
Le cuifeur vient reconnoître, avant le jour, l’état
de fon fourneau ; il y répand une fuffifante quantité
de nouveau charbon, & tout le monde fe remet à
l ’enfournage. L’un desdeux enfourneurs commence
alors à former le premier tas de briques que l’on
veut faire cuire. 11 place d’abord celles de la bordure
fur une certaine étendue, forme encore ordinairement
la bordure du tas fuivant, puis remplit le
derrière de la bordure du premier tas, jufqu’à ce
qu’il ait couvert dé briques pofées de champ, la
moitié de la furface du fourneau.
Une partie du talent de l’enfourneur eft de conf-
truire cette bordure avec foin. Un parement conftruit
à plomb fans aucune matière qui en lie les briques
entr’elles, 6c feulement enduit d’un léger placage
, q u i, comme je le dirai plus bas, ne les affermit
prefque point, doit cependant contenir un édifice
de vingt.à vingt-deux pieds de hauteur, &
fouffrir quelques efforts, finon par la pouffée de la
charge, au moins par celle du feu. Il eft donc important
que l’enfourneur y apporte plus d’attention
qu’au refte de fon travail. Cette attention confifte
principalement à faire la bordure bien ferrée, le
parement bien à plomb, & à en bien affeoir toutes
les briques, Leur arrangement eft alternatif, de maniéré
que les différentes affifes ou Ies.différens tas fe
croifent dans le corps quarré du fourneau ; les bordures
font auffi alternativement compofées de briques
boutiffes, c’eft-à-dire de briques qui préfentent en-
dehors un de leurs bouts au parement du fourneau;
& de briques pannereffes, c’eft-à-dire , de briques
qui préfentent au parement un de leurs longs panneaux
, foit leur l i t , foit un de leurs longs côtés.
Comme la brique pannereffe du parement ne peut
avoir beaucoup d’afliette ou de folidité , ne portant
que de deux pouces de larges fur le fourneau, 6c
qu’elle feroit facilement renverfée par les briques
boutiffes qui doiyênt la rencontrer, l’enfourneur
place
place d’abord les briques boutiffes dé derrière à
deux pouces de diftance du parement, & dépofefur
leur Champ la pannereffe, avec laquelle il vient
former le parement lorfqu’il a fini le refte de fa tâche
: il laiffe de même quatre pouces de retraite au
parement pour en affeoir deux pannereffes.
Sans examiner encore ici les effets du feu fur ce
fourneau , il eft néceffaire d’ôbferver en paffant,
que les- bordures ou paremens né cùifént pas ait,
même point que le refte. Le briques de l’intérieur
diminuent plus de volume par la cuiffon, & perdent
davantage fur les dimenfions dû moule que celles de
la bordure. D ’aiileurs le charbon fe réduit totalement
en cendres dans l’intérieur du fourneau : au
lieu que près des bords, il n’eft pas toujours parfaitement
confumé. Il arrive de là que le fourneau
reçoit un affaiffement plus confidérablè dans, fon
corps qu’aux paremens, 6c qu’il prendroit à fà fur-
face fupérieure la forme d’un baflin quarré à bords
en talut, fi l’enfourneur n’âvoit foin d’y pourvoir^;
il en réfiilteroit un grand inconvénient. Les briques
de bordure ne confervant plus leur parallelifme ni
leur aflîette horizontale, puifqu’elles feroient forcées
6c inclinées par celles de derrière, bientôt lés
paremens fe détacheroient du corps quarré : l ’édifice .
s’écroulerôit.
Pour prévenir cet accident, dès quel’affaiffement
commence à paroître, l’enfourneur forme un des
tas de la bordure un peu moins élevé qu’à l ’ordinaire,
ce qu’il appelle faire un faux tas, c’eft-à-
dire, qu’au lieu d’y placer la brique boutiffe verticale
fur fon champ, il l’ incline plus ou moins fur
l ’une des arrêtes ; enforte qu’il abaiffe cette bordure
de fix , douze ou dix-huit lignes, fuivant que l’exige
l’affaiffement du fourneau. Si l’affaiffement alloit à
deux pouces, ce qui arrive rarement, l’enfourneur
formeroit le tas de la bordure d’une brique mife
à plat au lieu d’une de champ. Toutes les fois qu’il
abaiffe ainfi la bordure, il eft obligé d’incliner à proportion
les premières rangées dë briques qui la rencontrent
fur le même tas. C ’eft par ce moyen que
fe rétablit & s’entretient le niveau de la furface fupérieure
du fourneau.
Les briques du corps quarré, au-delà des dix-huit
à vingt pouces de la bordure, n’exigent pas tant de
foin. Il fuffit de remarquer q u e , comme de trois en
trois tas on répand un lit général de chardon fur le
fourneau , lès briques du tas qui doit recevoir cette
charbonnée , doivent être à-peitrprès jointives, &
beaucoup plus ferrées les unes près des autres que
celles des deux autres ta s, afin que leurs joints ne
laiffent pas tomber le charbon fur les tas inférieurs :
les briques de ceux-ci peuvent être efpacées d’un
pouce entr’elles, fans inconvénient.
C ’eft une manoeuvre très- animée que celle de l’enfournage
; l’enfourneur eft celui dont le travail eft le
Î>lus fatigant. J’ai dit qu’il ne charge que la moitié de
a furface du fourneau. Il entre ordinairement près de
dix milliers de briques à chaque tas complet ; 6c les
cinq milliers de la tâche d’un des enfourneurs lui
font fournis deux à deux par les eritre-deux, en cinq
quarts d’heure de tems; il les met en place , tantôt
quatre , tantôt moins, à la fois , félon que l’efpace
le lui permet; il fe baiffe 6c fe releve treize à quatorze
cens fois en cinq quarts d’heure , 6c cela fur un
attelier où il fait chaud. Les entre - deux ont bien
moins de peine : ils tiennent à leurs fondions tout
le long du jour.
Au commencement de la conftrudion du fô'ur^
neau, les rechercheurs font occupés tous fept à aller
chercher.les briques, & ils commencent par transporter
les plus éloignées. La longueur du roulage
diminuant donc à mefure que le fourneau s’é lèv e,
Tome II,
& qu’il y faut élever des échafauds pour le franf-
port de main en main ; ce que le roulage exige de
moins des rechercheurs, fe place en relais fur les
échafauds , & ils gardent entr’eux tous un ordre
proportionné à la fatigue des différens poftes qu’ils
occupent.
Le feu qui monte continuellement dans le fourneau
, s’éteint en même tems yers le bas ; enforte
que celui des rechercheurs qui eft placé au relais le
plus élevé, en reffent toute l’incommodité. Il ne
peut refter qu’environ une demi-heure à cette place;
& quand il a fervi fes deux milliers de briques, faisant
quarante brouettées qu’il compte exactement,
il retourne à la brouette. Le fuivant le releve; 6c
s’il y a plufieurs relais d’échafauds, chacun d’eux
remonte d’un etage : au moyen de quoi toute la fatigue
eft également partagée.
Le fourneau a deux femblables accès de rampes
& d’échafauds fur fes côtés oppofés. Si-tôt que le
demi-taS de l’enfourhèur eft achevé, tout le monde
fe préfente à l’autre bord , 6c la même manoeuvre fe
répété.
Le premier travail du cuifeur eft de charger les
foyers du pied de four. Il y couche obliquement
.quelques gros paremens de fagots, puis des fagots
entiers d’environ trente-fix pouces de tour, 6c il
charge chaque fagot de trois ou quatre bûches de
quartier, & ya joute quelques morceaux de charbon.
Tout le refte du chàrbôn qui entre dans le fourneau
a été réduit en pouffier, à-peu-près comme celui
des’ forges. On le paffe à la claie , & l’on écrafe
tous les morceaux avec une batte garnie de fer. On
en fait un amas au pied du fourneau, d’où les rechercheurs
le jettent dans des manelèttes aux entredeux,
qui vont le porter au cuifeur. Celui ci l’ctend
fur le lit de briques , en fecouant fa manelette fans
fe baiffer, afin que le choc du charbon tombant de
haut fur le fourneau, l’émiette 6c le répande également
par-tout. Telle eft la manoeuvre pour toutes
les charbonnées qui fe font fur le fourneau, depuis
celles fur le fixiémé tas du pied du four, 6c fur le
feptieme., jufqu’à fon entier achèvement : par où
l’on voit que le travail du cuifeur eft un des plus
fimples ; mais fon art n’en eft pas plus facile.
Il eft rrès-effentiel que le cuifeur air une grande
expérience de la conduite du feu ; qu’i l foir un excellent
chauffeur; les moindres inattentions ou défauts
de jugement de fa part , peuvent faire manquer
l’opération 6c l’entreprif’e de la briqueterie en
tout ou en grande partie. Ce chauffeur, èn plein air,
a bien d’autres obftaclesà furmonter que ceux d’un
laboratoire commodément monté.
11 faut huit à dix heures d’un tems favorable ,
pour que le feu des foyers puiffe fe communiquer à
la charbonnée du fixieme tas. Cet efpace de tems
néceflaire eft ce qui détermine le plus fouvént les
briqueteurs à mettre le feu dans les foyers vers le
foir. D ’ailleurs l’air eft ordinairement plus calme
pendant la nuit que de jour : la tranquillité de l'air
favorife légalité de l’inflammation dans tous les
foyers. Il n’y a donc que le mauvais rems qui les
oblige quelquefois à différer au lendemain.
Les quatre hommes qui veillent cette première
nuit fouruiflènt du bois de corde aux foyers, en y
enfonçant de groffes bûches avec de longues perches
, auffi long-tems qu’il eft néceflaire pour enflammer
la charbonnée du fixieme tas : c’eft ce
qu’ils appellent affûter U feu , c’eft-à-dire, lui donner
par-tout une force égale, 6c capable de réfifter
au mauvais tems qui pourroit arriver , 6c déranger
beaucoup le pied de four.
S’il fur vient dans les commencemens de l’édifice
du fourneau une groffe pluie qui paroiffe pouvoir
être d’une durée un peu longue, en quoi l’on fait
I