
Jiii fait un fort brillant ; & fouverain dans fa retraite,
il fepible ne s’être débarr-affé que du fardeau des affaires.
Ses immenfes richeffes, dont il ne fut que le
<lifpenfateur, firent regretter aux Arabes un maître
dï bienfaifant. Sa modération & fes largeffes le firent
.paroître redoutable au tyran qui céda à la barbare
.politique de l’immoler à fe.s foupçons.
Cette mort délivra Moavie de tous ceux qui
faifoient ombrage à fon ambition. Les uns furent
chercher un afyle dans les déferts de l’Arabie ; les
.-Abbaffides fe réfugièrent, fur les frontières de l’Arménie.
Ainfi le fang de Mahomet fut profcrit par
un ufui-pateur qui affeéloit encore dé refpeéter fa
mémoire. Moavie placé fur un trône acquis par fon
épée, tranfporte le fiege de l’empire à Damas;
Grand politique, heureux guerrier , il vit fon alliance
recherchée par Sa|>or,roi d’Arménie, 8c par
j ’empereur des Grecs. Ces deux princes le choifi-
rent pour être l’arbitre de leurs querelles; mais il
-aima mieux être le conquérant de leurs provinces,
que le pacificateur. Il aflocia fon fils à l’empire, que
.par-là il rendit héréditaire. Il mourut âgé de plus de
■ 80 ans, dont il en avoit régné 19. Il n’eut ni la foi
v iv e , ni l’auftérité de fes prédéceffeurs. Les Muful-
mans commencèrent à prendre des moeurs plus
douces ; mais ce ne furent que 'des nuances légères
■ qui n’empêchent point d’y reconnoître un fond de
férocité. Les brigands qui infefloient les routes furent
exterminés; 8c à mefure que l’Arabie adoucit fon
fanatifme , il y eut moins de crimes à punir : chofe
étrange ! que dans les fiecles oit il y a le plus de
crédulité & de fuperftition, il y ait le plus d’atrocités.
Les dévots lui reprochèrent d’avoir introduit
plufieurs nouveautés dans le culte. Il fut le premier
qui s’affit pour prêcher ; ce fut encore lui q ui, le
premier, entonna la priere publique dans le lieu
élevé du temple deftiné à la prédication. Il changea
l’ordre de l’office public : avant lui la priere qui
eft d’obligation précédoit le fermon, qui n’étoit que
de confeil ; il arrivoit fouvent que l’orateur n’avoit
perfonne à l’écouter; mais Moavie étoit éloquent,
il aimoit à parler long-tems ; 8c pour affujettir à l’entendre,
il ne faifoit la priere qu’après avoir prêché ;
mais le plus grave de tous les reproches, étoit d’avoir
rendu le trône héréditaire. Oeil à lui que les
Arabes font redevables des chevaux de polie fur les
routes.
Yefid, fon fils, fut l’héritier de fa puiffance fans
l ’être de fes vertus. Ofcin, foutenu d’une faâion
puiffante , refufe de le reconnoître : refpeâé dans
Ja Meque 8c dans Médine , il y voit tous les vrais
JMufulmans difpofés à partager fa fortune. Appelle
-par les Cufiens, il fe rend avecfafamille dans leur
ville, où,au lieu de trouver des fujets , il ne trouve
que des ennemis. Il peut obtenir des conditions honorables
, mais il aime mieux, mourir les armes à la
main, que de viyre fujet. Le fpeûacle de fes foeurs,
de fes femmes 8c de fes enfans fondant en larmes,
ne peut fléchir fon fuperbe courage. Il n’avoit que
cent hommes avec lui, Sc il avoit 5000 hommes ù
combattre. Il invoque Dieu pour Ja confervation
du fang de Mahomet, 8cavec une poignée de monde,
il fe promet la viftoire. Ses ennemis faifis d’un faint
refpea pour les enfans de.ieur prophète ,.pleuroient
en combattant contre eux. La valeur d’Ofcin fuc-
-comba fous le nombre; il reçoit 34 contufions 8c
autant de blelîures. IJ tombe affoibli au milieu de
7x hommes de fon.parti, morts en combattant : dix-
fept defeendoient, comme lui, de Fatime. Sa tête fflt
portée k Damas, où Yefid parut s’attendrir fur le
.fort d un rival qui n’étoit plus à craindre. Les foeurs
d’Ofcin, amenées devant le tyran, s’exhalèrent en
inventives ; & au lieu de les punir, il leur rendit
le s .honneurs dus aux petites-filles du prophète. L’enfance^
des enfans d’Qfcin: fut également fefpeâee î
ce qui prouve que les plus cruels tyrans confervent
louvent^ quelques -traits de- conformité avec les
âmes genéreules. Le fang d’Ofcin fut'.la femencé
dune, nouvelle guetté. Abdala, qui avoir-une ori-'
gme commune avec A li, fe déclara le vengeur, de
ia famille.,,Les Hafemites & leurs partifans ferangent
fous fon drapeau; ilss’affemblent dans la mof-
quee de Médine, où Pun tféuk fe lev e, & dit : Je
dépofe Yefid du califat comme j ote ce-turban de
deffus ma tête. Un autre fe lev e, &; dit : Je dépofe
Yefid, du califat comme j’ote ce. foulier de mon pied.'
Tous luivent leur exemple, & dans le moment la
mofqliée fut couverte de fouliers..& deuurbansv
Tranquille au milieu deToragé; Yefid abruti dans
la débauche de la table, dünnoit à Damas le ft'an-
dale d un amour incellueux avec fa Jèeür qui par-
tageoit fon affeaion avec fés chiens : fes généraux
veilloient. pour lui. Ils entrent dans l’Arabie , 8c
marchent vers Médine , qui fut prife & faccagée ;
les vainqueurs n’envelcpperent point la-famille
d Ali dans le carnage des habitans. Ils marchèrent
enfuite vers la Meque pour lui faire fubir la même
defltnee ; mais la nouvelle de la mort d’Yefid les fit
retourner en Syrie. Depùis ce tems les Mufulmans
divifés reconnurent deux califes. Il fut-'le premier
qui but du vin en public, & qui fe fit fervirpar des
eunuques» -
Après la mort d’Yefid, fon fils Moavie fut proclame
calife par l’armée , mais ce Prince religieux
& ami de la retraite, fentit qu’il étoit trop foible
pour foutemr le poids de l’empire, qu’il abdicuia fix
le marnes après y avoir été- élevé. Il fit affembler le
peuple dans la mofquée, & lui fit-fes adieux, en di-
lant : Mon ayeul envahit la chaire oh devoit monter
le gendre du prophète, que fes droits, fes talens
& les vertus rendoient digne d’un fi haut rang. Je
reconnois que Moavie ne fut qu’un ufurpateur.
Yefid mon pere rendra compte du fang d’Ofcin,
petit-fils de l’envoyé de D ie u , maffacré par les
ordres. Je ne veux point jouir d’un bien ufurpé : je
vous rends vos fermens. Choififfez le calife qui
vous fera le plus agréable, je fuis prêt à lui obéir
comme à mon maître. Pour moi je vais pleurer dans
le filence les fautes 8c les crimes de mes peres, 8c
prier le prophète de leur pardonner les iniquités
exercées fur fes defeendans. Les Syriens indignés
de fon abdication, s’en vengerent fur fon précepteur
, foupçonné de lui avoir donné ce confeil, 8c
ils le condamnèrent à être brûlé vif. Le calife s’en-
fevelit dans une retraite, d’où il ne fortit plus le;
relie de fa v ie , qui fut confacré aux exercices les.
plus aulleres de fa religion.
C étoit un moment favorable de placer le califat
fur une feule, tete, 8c les Syriens paroiffoient difpofés
à reconnoître Abdala calife de l ’Arabie ; mais
ayant appris qu’ii avoit fait égorger ce qui relloit
d’Ommiades dans les pays de fa domination, ils
craignirent de fe donner un barbare pour maître :
ils jetterent les yeux fur Mervan, defeendant d’Om-
jriias, pour les protéger. Ce nouveau calife, avant
d^etre proclame, jura de remettre le feeptre au fils
d Yefid; 8c pour gage de fon ferment, il en époufa
la veuve ; mais la douceur de commander le rendit
parjure ; il régna avec gloire pendant dix mois , 8c
d-ligna fon fils Abdalmalec pour fon fuccelfeur,
qui fe montra digne de l’être par fon amour pour
la juftice. Les Chrétiens eurent le courage de lui réfuter
une églife qu’il voulôit changer en mofquée.
Il pouvoit les punir de leur refus, 8c il fut alfez généreux
pour leur dire : Je reconnois que vous avez
une opinion avanrageufe de votre maître , puifque
vous otez lui déplaire. Ce fut lui qui le premier ,
■ à l’çxempU dçs autres fouverains, fit battre de là
monnoie,
/
ttrohnôie à fon coin, avec fcette légehde : Dieu ejî
éternel. Jufqu’alors c’étoitla monnoiè des Grecs qui
avoit eu cours en Arabie : cette nouveauté * & fur-
tout la légende, fcandalilà les fuperflitieux qui
craignirent de profaner le nom de Dieu en faifant
(circuler leurs drachmes dans les mains des infidèles ;
niais il leur remontra que l’ufage d’une monnoie
étrangère aviüfïoit la majefté de l’empire ; 8c les
intérêts de la vanité firent taire les fcrupules de la
religion.
L ’Arabie foumife à Abdala que les enfans d’Ali $
quoique fes parens, perfiftoient à reconnoître pour
ufurpateur, ils en elfuyerent les plus cruelles persécutions
, qu’ils préférèrent à la honte de ref-
peèler un maître. Le calife Syrien, pour punir les
Arabes que fes fujets enrichifloient $le leurs offrandes
, défendit le pélérinage de la Meque , 8c il y
fubflitua Jérufalem, qui devint le fanttuaire de la
religion ; mais, cette défenfe fut levée à la mort
d’Abdala qui périt clans un combat, après s’être vu
enlever la Meque 8c Médine. Après la mort, Ab-
dalmalec régna fans rivaux, 8c tous les peuples qui
n’avoient qu’une même loi*n’eurent plus qu’un même
maître : ce prince fut un mélange de grandeur
8c de foibleffe. Quoiqu’il ne fît la guerre que par
fes lieutenans, il avoit beaucoup de courage, 8c
une grande connoiffance de l’art militaire. S ’il fut
cruel, c’eft qu’il commandoit à un peuple farouche
dont ort ne pouvoit réprimer l’indocilité que par
des châtimens. L’avarice fouilla toutes fes vertus ;
mais fes vices 8c fes foibleffes n’empêchent pas qu’il
ne foit placé parmi les: grands hommes dans l’art de
gouverner.
Valid, premier du nom , fut un fils digne de lui.
Ce fut fous fon régné que l’empire parvint à fon
plus haut point de grandeur. Tous les troubles furent
pacifiés, 8c les Mululmans réunis portèrent leurs armes
dans la Sogdiane , le Samarcand 8c leTurquef-
tan. De-là ils paffent le Bofphore , 8c ce. torrent fe
déborde iur les provinces de la Grece. Le comte
Julien, pour fe - venger de fon roi qui avoit attenté
à la pudicité de fa fille, les appelle en Ef-
pagne, dont il leur facilite la conquête ; ils fran-
chiffent les Pyrénées, font une irruption dans la
France, 8c forment le projet - audacieux d’aller fe
joindre à Rome à .une autre armée de Mufulmans qui
dévoient s’y rendre après avoir fait la conquête de
la Grece. La mort de Valid les arrête dans le cours
de leurs profpérités, 8c ils attendent de nouveaux
ordres. C ’étoit un prince cruel 8c violent; mais s’il
favoit punir, il aimoit aufii à récompenfer. Il fut le
premier des fucceffeurs de Mahomet qui fonda un
hôpital pour y recevoir les malades, les infirmes 8c
les vieillards.. Il étendit fa générofité fur. les voyageurs
8c les étrangers par l’ètabliffement d’un cara-
vanfera où ils étoient défrayés. Les magnifiques
mofquées qu’il fit bâtir à Médine , à Damas 8c à
Jérufalem font autant de monumens de fon goût
pour Tarchitedure. Les profanations de quelques-
uns de fes lieutenans le rendirent odieux, aux Chrétiens.
Tel fut le gouverneur d’Egypte, qui entroit
dans leurs.,églifes accompagné de jeunes gens qui
fervoient à les plaifirs, 8c d’une troupe de bouffons
qui faifoient du lieu faint le centre de l’abomination.
Valid époufa fucceffi veméntyz femmes qu’il
répudia les unes après.les aiitres. Trois de fes freres
régnèrent après lui.
Solimanheritier du trône de fon frere, adopta
fon fyflême guerrier ; il fignala fon avènement par
la conquière-du Giorgian 8c du Tubariftan. Une au tre
armée traverfa la Phrygie 8c la Myfie, d’où elle fe
répandit dans la Thrace qui devint le théâtre de la
guerre. Conftantinople fut affiégée après que l’armée
qui la couvroit. fut battue ; il y eut aufii. un. combat
Tome I /,
-fiaval où les Grées employèrent avec fiiccès îè feii
de mer, ainfi nommé parce qu’il bruloit fous les
eaux. Les vaiffeaux Mufulmans qui échappement
aux flammes furent engloutis par la tempête; L’armée
alïiégeante affoibhe par les déferrions, les maladies
; les affauts 8c la famine , fe retira dans l’Afie-
mineure a$rès avoir perdu cent mille hommes;
Cette perte, fut réparée par de brillans fùccès eri
Efpagne, -otY les Chrétiens fe fournirent à payer un
tribut. Ils le femiiiariicrent avec leurs vaineucurs ;
& fe confondant avec eux-, on ne les'défigna plus
que. paple nom de Mufarabes. L’idée qu’on nous
donne de la voracité mente peu de foi ; en rapporte
qifil mangeoit trois agneaux rôtis à fon déjeûné, &c
cent livres de viande par jour. Ayant perdu fon fils
qu’il avoit,déiigné pour lui fuccéder, ii nomma fou
coufîn-germain, appellé Omar -, rp i jouiffôit d’usé
grande réputation de fainteté;
Omar fécond, que Soliman préféroit à fonfreré»
auroit fait le bonheur de fon peuple-, fi fon régné
avoit été plus long. Dès qu’il fut proclamé calife >
il fit éclater fa modération en fupprimant les malé-
dittions que les Ommiades avoient coutume de fuU
miner contre Ali 8c fa famille ; il fit revivre la frugalité
8c la fimplicité des premiers califes. On lui
préfenta de fuperbes chevaux qu’on le preffa dé
monter, comme étant plus convenables à fa dignité
: il les refula, fe contentant de celui dont il ayoif
coutume de fe fervir. Il continua d’habiter fon ancienne
maifon , qui étoit fort fimple, craignant
d’incommoder la famille de fon prédéceffeur, qui
occupoit le palais deftiné aux califes^ Il reftitua aux
Alides la terre de Fidak, que Mahomet avoit donnée
pour dot à Fatime. Son inclination pour cette
famille fit craindre aux Ommiades qu’il ne transférât
le feeptre dans leurs mains ; ils fubornerent un
efclave qui l’empoilonna. Ceux qui lui rendirent vi-
fite dans fa derniere maladie, fui ent étonnés de voir
le maître de tant de nations couché fur-un lit de
feuilles de palmier, n’ayant que quelques peaux
pour couffin, 8c de vieux haillons pour couverture
; il étoit dans une faleté fi dégoûtante, qu’on
en fit des reproches à fa femme qui, pourfe jufti-
fie r , répondit qu’il n’avoit jamais eu qu’une feule
chemife. Il ne tira que deux pièces d’or par jour
du tréfor public pour l’entretien de fa maifon j
8c l’on ne trouva dans fa garde-robe qu’une vefte
groffiere. qu’il portoit quand il montoit à cheval; Cet
amour de la pauvreté, ces moeurs aulleres, faifoient
la cenfure de fes derniers prédéceifeurs qui avoient
dégénéré de la fimplicité des premiers tems de l’ilia*
miime. .
En confequence de l’ordre de fucceffion réglé
par Soliman, Yefid , fils comme lui d’Abdalmalec,
fut élevé au califat. Dès qu’il fut parvenu au trône,
il dellitua tous les gouverneurs des provinces, 8c
ce ^changement excita de nouveaux troubles' quir
furent étouffés dans le-fang des rébelles. Ce fut
fous fon.régné que les Mufulmans firent une inva--
fion dans la Gaule Narbonnoife, où ils firent quel-'
ques conquêtes que les François, commandés par
le comte Eude, les força d’abandonner. Ce califè'-
n’ell çonhu que par fes débauches , 8c fur-tout par'
fon amour effréné pour les femmes. Il fut fi vivement
touché de la mort d’une de fes concubines ;
qu’il ne voulut pas permettre de l’enterrer; ce ne
fut qu’au bout de quinze jours que fes dbmeftiques1
vainquirent fa réfiflance , . parce que l’infeâion de
ce cadavre étoit devenue'infupportable. Quand il
n’eut plus ce dégoûtant fpedacle à contempler,' fa
douleur devint plus amere, 8c pour l’adoucir, il la
faifoit quelquefois exhumer. Il ne liü;furvéciit pas ’
lohg^teins/,-'& il ordonna qu’on l’inhumât avec elle,- '
La- famille des Ommiades eut encore, cinq califes , •
R