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celle d'Elisabeth ; mais pouf ceux qui préfèrent
l’ éelat de la victoire aux vertus pacifiques, la pompe
faftueufe des conquérans à la bienfaifance des rois-
fages 6c modérés , l’Angleterre n’a point eu de Souverain
qui puifl'e entrer en parallèle avec Elisabeth,
qui réunit aux talens des héros les vaftes con-
noiffances qui font les légiflateurs ce qui doit
encore ajouter à l’admiration de la poftérité, ce font
les circonftances où fe trouvoit le royaume lors de
Ion avènement au trône, c’eft la fituation violente
& pénible de la nation lors de la mort de la fangui-
naire Marie. Que l’on fè repréfente l’Angleterre
énervée, épuifée par les folles dépenfes 6c les c a prices
tyranniques de Henri V III ; agitée , déchirée
par le choc des fadions fous le malheureux Edouard;
opprimée ; défolée, flétrie par les profcriptions 6c
l’inflexibilité de Marie. Que l’on fe repréfente la
gloire du ’Sceptre ternie par la perte de plufieurs
villes qui étoient rentrées fous la domination Fran-
çoife , & par les- Succès éclàtans de#Ecoffois, q u i,
fournis & tremblans autrefois, avoient brifé le joug,
& à leur tour étoient devenus redoutables en s’al-
liarit avec la France. Enfin, que l’on fe repréfente
l’Angleterre prefîee dans le même tems , au dehors
par fes ennemis, au dedans par l’abus de la puiflance
royale qui tendoit au defpotifme le plus opprefîif,
par les fureurs & les excès les plus monftrueux de
l’intolérance ; foible, accablée , fans appui ; & l’on
verra qu’il ne pouvoit y avoir qu’un génie élevé,
un efprit vafte 6c fécond en reffources, une fermeté
inébranlable , 6c fupérieure aux obftacles en apparence
les plus infurmontables ; en un mot, qu’il n’y
avoit qu’une ame àu-deffus du commun, qui pût
arrêter les fléaux qui menaçoient la patrie , réparer
fes difgraces paffées, difliper les malheurs aéluels,
& s’oppofer à ceux qui fembloient annoncer fa ruine
prochaine. Ces talens Supérieurs formoient le caractère
à’Elisabeth, qui forcée de fe contraindre
pendant la trop longue durée du dernier règne,
avoit couvert du voile de l’indifférence le fenfible
intérêt qu’elle prenoit à l’oppreflîon des peuples,
dont elle avoit juré de faire le bonheur.
Fille de Henri VIII 6c de l’infortunée Anne de
Boulen, Elisabeth née le 8 Septembre 1533, avoit
d’abord reçu, par les foins 6c fous les yeux de
Henri VIII, l’éducation la plus brillante : l’étude des
belles-lettres avoit rempli fes premières années ; 6c
le goût qu’elle prit pour la littérature-, la confola
pendant fa jeuneffe de la dureté de l’efpece depri-
fon où la jaloufe vigilance..de Marie fa foeur la
retint jufqu’au dernier jour de fon régné. Les rigueurs
outrées de Marie & fon intolérance toujours
prête à porter des arrêts de mort, à profçrire,
à envoyer les Proteflans fur l’échaffaud , avoient
depuis long-tems ulcéré l’ame compatiffante d’EU-
abeth, qui attribuant par erreur le fanatifme de
Marie aux dogmes du catholicifme, avoit abjuré en
fecret la religion dominante, 6c embraffé les dogmes
du proteflantifme : mais la crainte d’irriter la dévotion
de fa foeur, lui avoit fait diflimuler fes véritables
fentimens ; 6c elle étoit reliée catholique
en apparence, jufques à ce que raffurée par la mort
de Marie, elle leva le mafque , en montant fur le
trône, le 17 Novembre 1558, & fe déclara hautement
protéftante décidée. Les premiers foins qui
l’oceuperent, furent très - embarraffans , par les
grandes difficultés qu’elle eut à furmonter. Elle
avoit en même tems à prendre des mefures contre
Henri I I , roi de France, qui avoit fait déclarer roi
d’Angleterre le dauphin fon fils, en vertu du mariage
qu’il avoit contraélé avec Marie Stuart, reine
d’Ecoffe ; & à écarter les prétentions de Philippe II,
roi d’Efpagne , qui paroiffoit déterminé à foutenir
Ces droits, en qualité d’époux de Marie, derniere
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reine de la Grande-Bretagne. Mais l’objet l e ‘plus
important étoit de commencer par affermir fa puif-
farice; & dans cette vue elle fe rendit à Londres,
où en fe faifant couronner folemnellement par
l’archevêque d’Y o r c k , elle promit de défendre la
religion catholique , 6c de conferver les privilèges
des églifes; ferment que les circonftances la forcèrent
dè prononcer, comme le célébré Guftave-
Vafa promettoit, à-peu-près dans le même tems,'
devant les états de Suede, de refpeéler les privilèges
abufifs des évêques qui bleffoient l’autorité
royale, 6c qu’il fe propofoit d’anéantir auffi-tôt que.
le tems ; l’occafion, 6c fur-tout fes fujets plus dociles
, pourraient le lui permettre.
Elizabeth penfant comme Vafa, fe conduifit avec
autant de diffimulation, & fe promit en fecret de
violer fes fermens auffi-tôt que les circonftances lui
laifferoient la liberté d’opérer les grands changemens
qu’elle fe propofoit de faire dans toutes les parties
de l’adminillration.
Cependant, Philippe II, ambitieux de réunir le
fceptre Anglois à la couronne d’Efpagne, fit demander
la main d’Elisabeth par leicomte de Féria, fon
ambaffadeur à Londres. Cette propofition étoit
odieufe à la reine, foit par la haine infurmontable
qu’elle avoit pour Philippe, foit a caufe de la différence
de religion qui rendoit cette union incompatible
: mais fa fituation ne lui.permettoit point de
dévoiler fes fentimens : l’amitié de Philippe étoit
alors pour elle d’autant plus importante , qu’elle ne
pouvoit attendre la reftitution de Calais, que du zele
6c de la fermeté que montreraient les plénipotentiaires
Efpagnols dans le congrès de Cateau-Cam-
brefis : elle diflimula, donna une réponfe vague ,
prétexta des fcrupules fur les liens de parenté qu’il
y avoit entr’eux ; elle montra des craintes fur les
difficultés que feroit la cour de Rome, qui ne con-
fentiroit jamais que le roi d'Efpagne épousât fuccef-
fivement les deux foeurs. Les vrais motifs de-ces
-détours n’échapperent point à Philippe , q u i,’ of-
fenfé du refus, abandonna les intérêts de l’Angleterre
, & fit fa paix avec la France, fans infifter
comme il ..l’avoit fait jufqu’alors, fur la reftitution
de Calais & de Guines. Elisabeth peu fenfible à
cette marque dé reffentiment, ne tarda point aufli
à faire avec la France une paix avantageufe. Dans
le traité que fes miniftres conclurent avec ceux de
Henri I I , il fut ftipulé que pendant huit anné,es
Calais refteroit aux François, qui remettroient alors
cette place à l’Angleterre, à moins que pour en
conferver la poffeffioii, la France n’aimât mieux
payer la fomme de cinq cens mille écus : traité qui
violé trois ans après par l’entreprife des Anglois fur
le Havre-de-Grace, affura pour jamais à la France
la pofleffion de Calais.
Raflùrée contre les projets des puiffances étrangères
, Elisabeth fe livra toute ëntiere aux foins du
gouvernement, 6c fur-tout aux moyens d’achever
6c de rendre fiable l’établiffement de la réformation.
Afin que rien ne s’opposât à cette grande innova
tion , elle crut que les plus fages mefures qu’elle
eût à prendre contre l’Ecoffe , gouvernée par les
princes de Guife fous le nom de la régente leur
foeur, étoient d’allumer, en accordant fa proteClion
aux Proteflans Ecoffois , le feu de la difcorde, qui
divifant entr’eux les habitans de ce royaume -, les
méttroit dans l’impuiffanee de s’oppofer à l’exécution
du plan de la réformation. La nouvelle doctrine
fit des progrès auffi rapides en Angleterre
qu’en Ecoffe. Dans ce dernier royaume, la Régente
s’oppofa au changement qui s’opéroit : mais, maigre
le fecours d’un corps de troupes Françoifes que les
princes de Guife lui fournirent -, la réformation
s’établit par les foins & Elisabeth ^ qui s’en étant
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déclarée prote&rice., foutint par fès armes la caufe
des Proteflans. Mais* tandis que par les confeils
d’une adroite 6c prévoyante politique, elle faifoit
tourner contre l’Ecoffe même l’orage qui eût pu
s’y préparer contre fa fureté, il s’en fornioit de
plus confidérables & de plus dangereux en France,
en ..Efpagneà Rome, en Irlande, & jufques dans
le fein de l’Angleterre même. Marie Stuart, qui avoit
époufé le Dauphin François I I , avoit arboré les
armes d’Angleterre, annonçant par cette démarche
le deffein où elle étoit de remonter fur le trône de
fes peres. Irritée contre fa rivale, Elisabeth fè ligue
fecrétement avec les Proteflans de France, comme
elle s’étoit liguée avec les Proteflans d’Ecoffe ; 6c
par cette prudente confédération, elle mit Marie 6c
fon époux hors d’état de lui nuire. Ce n’étoit point.
affez d’avoir pris des mefures contre l’Ecoffe & la
France , il reftoit encore à fe défendre contre un
redoutable ennemi, contre Philippe II, qui, moins
formidable encore par fes forces de terre & de mer,
qu’il n’étoit dangereux par les infidieufes reffources
de fa politique, qe pouvoit pardonner à la reine
d’Angleterre le refus qu’elle avoit fait de fes pro-
pofitions. Plein de l’ambitieux projet d’occuper feul
un trône qu’on n’avoit pas voulu partager avec lui,
il n’attendoit qu’une réponfe favorable de la cour
de Rome, ■ perfuadé qu’auffi-tôt qu’il l’auroit obtenue
, tous les catholiques s’emprefferoient de fe
déclarer en fa faveur, 6c l’Irlande fur-tout, qui
violemment agitée par l’efprit de fanatifme & de
rébellion, refufoit obftinément de reconnoître la
fouveraineté de la reine d’Angleterre.
Au milieu de tant de dangers, Elisabeth inébranlable
6c fupérieure aux complots 6c aux ligues’ des
puiffances ennemies 6c des fa&ions intérieures , eut
recours à un moyen q u i, pour être de la plus facile
exécution 6c du fuccès le plus infaillible , n’en
eft pas pour cela plus fouvent adopté par la plupart
des fouverains : ce moyen fut de fe concilier la
confiance des citoyens par fa douceur, fa bienfaifance
, 6c principalement par fon attention à fup-
primer d’anciens impôts, & à ne pas permettre qu’on
en établît de nouveaux. Afin de foutenir ce rare
défiiîtéreffement, elle fe retrancha toutes les dépenfes
fuperflues, & porta l’économie tout auffi
loin que la décence 6c la dignité de fon rang pou-
voient le lui permettre. A cette modération fi rare
& fi différente de la pompe faftueufe & de la prodigalité
de fes prédéceffeurs, elle joignit un zele aClif
& foutenu pour la juflice, publia d’utiles régle-
mens, mit en vigueur les anciennes ordonnances,
abolit les abus qui s’étoient introduits, 6c ne négligea
rien de ce qu’elle crut propre à affurer le bien
public , & à lui concilier le refpeél, l’eftime 6c l’attachement
de fes peuples.
Cependant la régente d’Ecoffe, fécondée par la
France, preffoit avec vivacité les Proteflans, qui,
pour fe foutenir, n’avoient eu jufqu’alors que les
fecours très foibles qu'Elisabeth leur fourniffoit en
fecret. Leur fituation devint fi violente, que la
reine d’Angleterre penfa qu’il étok de fa gloire de
défendre hautement la caufe qu’elle avoit embraffée,
& de foutenir par la force des armes les Proteflans
Ecoffois. Les grands préparatif, qu’elle fit, étonnèrent
la France , qui lui fit propofer la reftitution
de Calais, fi elle vouloir abandonner les rebelles
d’Ecoffe. T rop généreufe 6c trop fiere pour accepter
une propofition qui bleffoit fa grandeur d’ame, Elisabeth
la rejetia ; 6c la paix ne fut établie que lorf-
que la régente eut ftipulé que les Proteflans joui-
roient en Ecoffe de tous les droits de citoyens , &
que Marie Stuart,ainfi que François II, ,fon époux,
renonceroient à leurs prétentions fur l’Angleterre.
tCette paix irrita vivement le roi d’Efpagne, ennemi
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déclaré du proteflantifme, 6c qui parut fè préparer
à déclarer la guerre à l’Angleterre.
Pendant qu’Elisabeth fe difpofoit à prévenir lei
deffeins du roi d’Efpagne, la mort de François II
obligea Marie Stuart là veuvè ; qu’aucun engagement
ne retenoit plus en France, de te rendre dans
fes états , où fa beauté , fes grâces j 6c le defir qufe
fes fujets avoient de la revoir, excitèrent la joie
publique : jeune, ingénieufe 6c reine, elle ne tarda
point à recevoir les voeux de plufieurs princes de
l’Europe qui afpirerent à fa main. Parmi lès adora1-
teurs fe diftinguoit fur-tout le due d’Autriche , appuyé
par les princes de Guife, qui preffoient leur
niece de lui donner la préférence* L’imprudente
Marie refufa fon confentement avant que d’avoir
çonfulté la reine Elisabeth. Celle-ci qui haïffoir Marie
, mais moins encore qu’elle ne détefloir la muiioft
d’Autriche, diffuada Marie de cette alliance, 6c lui
propofa pour époux mylord Dudlay Ion favori i
feigneur Anglois depuis long tems dévoué aux intérêts
de fa fouveraine. Marie n’époufa ni l’archiduc,
ni Dudlay ; elle fe décida tout-à-coup*, 6c paf
tme de ces paffions de caprice auxquelles elle n’étoit
que trop fujette, pour le comte de Darley fon
parent. Cette union qui eut des fuites fi funeftes*
ne fit qii’ajouter à la haine d'Elisabeth, qui ne put
faire alors éclater fon reffentiment, trop occupée
a foutenir la guerre contre la France, de concert
avec les Proteflans. Car ceux-ci commençant à
égaler en force les Catholiques, avoient reconnu
pour leurs chefs le prince de Condé 6c l’amiral de
Coligny. Mais Marie elle-même ne tarda point à
venger Elisabeth, par le tort irréparable que lui
firent à elle-même fon inconduite, & les égâremens
de fa honteufe paffion pour Rizzo, Italien de la plus
obfcure naiffance. Cet homme vil* malgré fa baf-
feffe 6c fa difformité, avoit infpiré à Marie Un amour
fi violent , que le roi ne pouvant fe diflimuler l’éclat
de cette intrigue, vengea l’outrage fait à la rtiaieffé
royale, en faifant poignarder f adultéré Rizzo dans
les bras même de fon amante. Marie auffi violente
dans; fon reffentiment qu’elle l’avoit été dans fort
amour, fe lia, foit par goût, fort pour affurer fa
vengeance , avec le comte de Bothwel, le plus lâche
& le plus fcélérat des hommes : elle vécut bientôt
avec lui comme elle avoit vécu avec Rizzo , 6c lui
promit de l’époufer auffi-tôt qu’il l’auroit délivrée
de fon époux. Bothwel remplit dans peu de jours
cette affreufe condition : il étrangla fon maître de
fes propres mains; 6c afin de cacher Ion crime, i!
fit fauter en l’air le cadavre , au moyen de quelques
barrils de poudre qu’il avoit fait placer au-defl'ous
de la chambre où il venoit de commettre cet aflaf-
finat. Mais cette précaution ne trompa poinr le
peuple , qui connoiffant l’ame féroce de Bothwel,
les vues ambitieufes 6c la nouvelle paffion , ne
chercha point ailleurs l’auteur de cet horrible par*
riçide. D’ailleurs, quand les lent mens enflent pu
être partagés, Marie eût elle-même confirmé les
foupçôns , lorfque très-peu cte tems après on la
vit fe marier publiquement avec l’infame BothweL
Dès ce moment, Marie fut généralement abhorrée ;
TEcoffe entière entra dans la conjuration qui fe
forma contre elle. Ses fujets prirent les armes, 6c
la contraignirent d’abdiquer la couronne, en faveur
d’un fils unique encore au'berceau, qu’elie avoit eu
du comte de Darley. Elle nomma le comte de
Murrai, fon frere naturel, régent du royaume
1 pendant la minorité du jeune fouverain, 6c crut,
en acceptant ces dures conditions, fauverdu moins
fa vie & fa liberté : mais fes crimes avoient trop
violemment- foulevé fes fujets, elle fut enfermée
dans un fort, d’où s’étant évadée après un an de
I captivité, elle tenta de remonter furMe trône;
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