
adroitement les piégés que lui tendait le roi de Suède,
pour réveiller les anciennes querelles qui avoient
coûté tant de fang aux deux nations. Tout étoit fi
calme dans le Danemarck, que Chrifiiern crut pouvoir
fuivre le penchant de Ion coeur qui l’entramoit
vers l’Angleterre. Il aimoit tendrement fa foe u r ,
que Jacques I. avoit épouféé : fon abfence ne fut
point funefte à fes fujets, ni à lui-même ; il retrouva
les affaires dans le même ordre où il les avoit laiffées.
Ce prince fuivoit toujours^ fon plan pacifique,
lorfque la jaloufie des Suédois, par des procédés
trop durs, réveilla celle des Danois, affoupie par
l’humeur tranquille de leur prince. Chrijliern effaya
d’étouffer cës germes de difcorde : on convint d’une
conférence à Wifmar ; mais: les plaifirs dé Calmar
arrêtèrent les ambaffadeurs Danois, & leur incontinence
fut la caufe d’une guerre. Les Suédois choqués
, manquèrent aux égards qu’ils dévoient à Chrf-
tiern. Ce prince ne garda plus de ménagement envers
le roi de Suede ; les efprits s’aigrirent, s’échauffèrent
par dégrés , la guerre fut déclarée , Chrijliern
entra dans Calmar l’épée à la main ; mais le chateau
fit une vigoureufe réfiftance. Soit horreur de la guerre
, foit goût pour l’adminiflration intérieure, Chrif-
tiern rentra en Danemarck, & laiffa le commandement
de fon armée à Lucas Krabbe, qui fut tué peu de
tems après dans un combat. Chriftiandftaft fut pris par
.ftratagême ; la flotte Suédoife fut battue, & la fortune
fedécida pour les Danois ; ils firent plufieurs conquêtes
importantes, fortirent vainqueurs de quelques
rencontres meurtrières. Charles IX. irrité , envoya
un cartel à Chrijliern. Ce prince y répondit par des
injures. Ildifoit, entr’autres chofes, quilsappercevoit
bien que les jours caniculaires nétoient pas encore pajfés
pour Charles IX. & qu'ils opéroient dans fa tête avec
toute leur force. Il difoit enfuit e : il vaudroit mieux que
tu fujfes renfermé dans un poêle chaud, que de te battre
avec nous. Cependant le fort des armes ne tarda pas
à changer : la maladie commença la deftruâion des
Danois ; la faim rendit encore leur fituation plus
affreüfe, & toute l’armée fe diflipa. Sur ces entrefaites,
Guftave-Adolphe monta fur le trône de Sued
e , & peu de tems après , la paix fut conclue avec
ie Danemarck. Chrijliern fut contraint de rendre Calmar,
Pile d’Oëland & le fort de Risby. Bientôt la levée
des impôts fur le détroit du Sund , excita un
nouvel orage ; mais la prudence de Chrijliern fut le
conjurer. La république de Lubec d’une part ; de
l’autre, celle des Provinces-Unies fe plaignoient
des entraves que ces impôts mettoient à leur commercé.
Chrifiiern refufa d’abord de les fupprimer ;
mais l’empereur ayant pris le parti des républiques,
le prince Danois fentit qu’une nouvelle guerre dévo-
reroit plus de richeffes en un ail, que la levée de ces
impôts nepouvoit lui en produire en dix ans ; il les
fupprima. Cet amour du repos public, l’engagea à
fe lier étroitement avec Guftave-Adolphe ; il eut
une entrevue avec ce jeune héros, & le coeur fut de
moitié dans leurs entretiens.
L’Allemagne étoit alors en proie à toutes les fureurs
de la guerre. L’éleûeur Palatin & plufieurs
autres princes, foulevés contre l’empereur, avoient
.été profcrits, dépouillés de leurs domaines, & mis
au ban de l’Empire. Chrifiiern effaya d’abord d’appai-
fer le monarque ; mais ayant employé , fans fuccès,
les voies politiques', il réfplut d’embraffer, les armes
à la main, la défenfe de ces illuftres malheureux.
Il marcha donc à la tête de fon armée ; rie fit
pas une opération un peu importante, fans faire
auparavant offrir la paix à l’empereur ; défendit, fous
les peines les plus féveres, de troubler les travaux du
payfan : fes foldats furent par-tout les protecteurs
de leurs hôtes, & ne laifferent aucune trace de leurs
partages, Une guerre entreprife par un m otif fi beau,
conduite avec tant de modération, méritoit un fuccès
plus heureux ; les Danois furent vaincus en plufieurs
rencontres ; enfin, après avoir fi long-tems
offert la paix à fes ennemis , il fut contraint de recevoir
lui-même en 1619 , les conditions qu’ils voulurent
lui impofer. La plus dure étoit la eeflion des îles
de Fremeren , & .une partie de celles de V a rd e &
de Suide, que le roi fut forcé d’abandonner aux
maifons de Slewigh & de Holftein Gottorp.
A peine délivré d’une guerre aufîi ruineufe, il
ne fongea qu’à en réparer les ravages. La ville de
Gluckftad avoit été dépeuplée & prefque détruite
par un fiege long & meurtrier : il réfolut d’en relever
les ruines, de la rendre riche , belle &c floriflànte ;
ce fut dans cette vue qu’il ordonna que tous les vaif-
feaux qui navigeroient fur l’Elbe paieroient une
fomme confidérable. La ville de Hambourg murmura
de cette impofition, qui gênoit fon commerce.
Chrifiiern répondit à fes murmures par des menaces:
les efprits s’aigrirent & la guerre fut déclarée ; elle
dura peu de tems, & ne fut pas meurtrière. La ville
de Hambourg la termina, en payant au roi cent mille
rifdales. De nouveaux traités avec la Suede & la
Hollande rendirent la puiffance Danoife plus redoutable
que jamais : ce fut cependant en vain que Chrif-
tiern offrit fa médiation pour terminer les différends
trop célébrés de Guftave-Adolphe & de l’empereur.
Ce prince n’avoitpas, pour un médiateur qu’il avoit
vaincu plus d’une fois , tout le refpeft que la vertu
de Chrifiiern infpiroit au refte de l’Europe. Sa gloire
avoit rempli tout le Nord , elle avoit pénétré juf-
qu’au fond de la Mofcpvie , & le czar lui envoya
des ambaffadeurs pour lui demander fon amitié. Cependant
cê même Guftave-Adolphe , dont Chrijliern
avoit recherché l'alliance avec tant d’empreffement,
ne put cacher long-tems cette jaloufie innée ,• que
les fervices du prince Danois n’avoient pu étouffer
dans fon coeur. Des intérêts très-légers firent
naître une guerre cruelle : les forces navales des
deux partis le mirent en mer. Chrijliern defcendit dans
l’île de Fremeren, fut attaqué par la flotte Suédoife
pendant le débarquement, reçut deux bleffures à la
tête , continua de combattre & de donner des ordres.
Après s’êtrè affuré de fa conquête , il retourna
à Copenhague ; mais fes généraux, en fon abfence ,
ne montrèrent qu’une molleffe honteufe ; l’amiral
Ghed, défié par la flotte Suédoife, refufa le combat.
Chrifiiern déclara que, puifque ce général n’avoit ofé
expofer fa tête aux champs d’honneur, il méritoit de
la perdre fur un échafaud; il fut décolé en 1644.
Un nouvel échec , que les armes du roi reçurent fur
la mer , irrita tellement ce prince contre la Suede ,
qu’oubliant qu’il s’étoit deftiné à être le pacificateur
de l’Europe , il forma une ligue avec la Pologne
pour accabler les Suédois, de concert avec cette république.
Mais ce premier reffentiment fut bientôt
calmé ; la paix fut conclue : & comme lé fort des armes
n’avoit point été favorable à Chrijliern, fes ennemis
furent les maîtres des conditions. Il mourut en
1648., après un régné de foixanteans.
Ce prince étoit né pour faire l’ornement & le
bonheur du genre humain. S’il avoit eu des voifins
moins inquiets, fes états auroient jo u i, pendant
toute fa v ie ,.d ’un repos inaltérable. Brave foldat,
.général peu expérimenté, il futfouvent battu; mais
fi montra du moins que s’il haïffoit la guerre , ce
n’étoit point par la crainte d’expofer fes jours. I l
protégea les favans, & fur-tout le célébré Tycho-
Brahé , qui éclaira le Nord , & iu t philofophe dans
une contrée où jufqu’alors on ri’avoit vu que des
-fophiftes. ( M. d e S a c y . )
C hristiern V. ( Hifioire de Danemarck. ) étoit
fils de Frédéric III. rofiae Danemarck. Dès la plus
tendre enfance il montra un goût décidé pour les
armés ; au fiegê de Copenhague il fit éclater un courage
bien rare dans l’enfance , où les organes, trop
foibles, font puiflàmment remués par tout objet terrible
: on l’eut pris pour un foldat dans la mêlée,
pour un capitaine dans le çonfeil. Il voyagea , rapporta
dans fa patrie une connoiflance profonde des
moeurs, des intérêts & des loix des nations voifines,
& une paflion violente pour Charlotte-Emilie, prin-
t cefle de Heffe-Cartel. Frédéric ne s’oppofa point à
un penchant fi légitime; Chrifiiern époufa la princeffe,
le 10 mai 1667. Frédéric étant mort en 1670 , Çhrif-
tiern monta fur te trône : il trouvoit un peuple ahat-
tu , des finances épuifées , desminiftres avides,, les
traces, encore récentes des guerres que Frédéric avait
foutenues, enfin la Suçde toujours prête à prendre
. les armes contre le Danemarck. Il vouloit fe mettre
en état de défenfe , & fe propofoit même d’aller
porter le fer & le feu jufques. chez fes ennemis ;
mais le peuple devenu audacieux, par l’impuiffance
même d’obéir, lui refufa des fubfides qu’il ne pou-
voit payer ; d’ailleurs l’ancienne querelle des ducs
de Holftein & des rois de Danemarck, âu fujet du
comté d’Oldenbourg, fe réveilla. La Suede pro-
mettoit .fecrétement fon appui aux ennemis de
Chrifiiern. Celui-ci fut fi adroitement fe tirer de çe différend
, dont les fuites pouvoient être funeftes , que
le duc de Holftein Gottorp ,- & le duc de Holftein
Ploen demeurèrent feuls en butte à leur animofité
réciproque. Le foi parvint à les réconcilier ; mais
malgré l’alliance jurée par ces princes, Chrifiiern qui
fe défioit de leurs promeffes, avant de fe mettre en
marche contre les'Suédois, voulut s’afiurer de leurs
principales fortereffes , de peur que pendant fon abfence
, ils ne fiffent une irruption dans le Danemarck.
La guerre fut déclarée ; la Hollande envoya une
flotte dans le Nord , elle fe joignit à celle de Suede ;
les princes de Brandebourg, de Lunebourg , de
Munfter unirent leurs forces à celles de Chrifiiern,
pour accabler une puiffance que tant de fuccès
avoient rendue formidable au refte de l’Europe. Le
. célébré Tromp fe fignala dans cette expédition , &
le roi lui donna l’ordre de l’Elephant. Ce prince def-
eendit en Scanie, entra dans Helfinbourg fans coup
férir, èmporta Landskroon de vive force , s’empara
de Chriftiandftat, revint à Copenhague , reparut à
la tête de fon armée , vint camper entre Sorenftorp
& Stanky , & préfenta la bataille aux Suédois : elle
fut très-meurtriere, on fit de grandes fautes, de
beaux exploits, des évolutions lavantes ; chacune
des deux armées fut battue à une extrémité , tandis
qu’elle triomphoit à l ’autre , & les deux partis s’attribuèrent
la viéloire. Chrifiiern revint à Copenhague
pour faire de nouvelles levées ,•& fe mettre en
état de remporter des fuccès moins conteftés: il
envoya aufli des miniftres plénipotentiaires au congrès
de Nimegue, réfolu de combattre & de négocier
, de faire à la fois la paix & la guerre. Tandis
que fes ambaffadeurs fe querelloient avec ceux d’Ef-
pagne furie cérémonial, il invertit Malmoe ; il alloit
fe rendre maître de cette place, mais un pont s’étant
écroulé fous la multitude des'affaillans , qui furent
noyés , le refte perdit courage ; & Chrijliern qui
favoitcombien. il eft dangereux de rebuter le foldat,
leva le fiege. Il crut qu’une viûoire répareroit, avec
éclat, le léger échec que fes armes venoient de recevoir
:ce fut près de Landskroon, en 1677 , que fe
donna cette bataille, où les rois de Suede & de Danemarck
firent tous deux de prodiges, des courage
& de génie , capables d’étonner les plus grands capitaines
; ils n’avoient point de pôfte fixé, que celui
où le péril étoit plus grand. Chrifiiern fe précipita
plufieurs fois au milieu des Suédois, tua plufieurs
officiers de fa main, chercha par - tout fon
ennemi, 6c ne put le joindre. Le combat ne ceffa
que lorfque les combattans épuifes, de fatigues, accablés
par la chaleur, n’eurent plus la force de fe
fervir de leurs armes. L’armée Danoife fe retira en
bon ordre , & fa retraite laiffa aux Suédois le champ
de bataille , & le préjugé de la victoire plus important
quelquefois que la viftoire même.
Cependant les troupes qui étoient defcendues
dans l’île de Rugen, furent écrafées par les Suédois*
Le refte de la campagne ne fut pas plus heureux ;
le-s Danois recevoient échec fur échec , la nation
étoit découragée, les foldats fe traînoient aux combats,
avec cette défiance qui préfage la défaite ; leroi
feul etoit toujours le même. On négocioit toujours
à Nimegue : le roi de Suede croyoit que les difgra-
ces^ que les Danois avoient effuyées le rendroient
maître des conditions ; mais Chrijliern jura de périr,
plutôt que de faire une paix honteufe. Les hoftilités,
continuèrent, mais avec moins de violence ; une
flotte Suédoife fut battue par les Danois , quelques
provinces, quelques île s , furent fubjuguées fans
coyp férir. Ces pertes rendirent le roi de Suede
moins difficile fur les, conditions du traité ; il fut figné
en 1679 , par la médiation de la France , & ce fut
en confédération de Sa Majefié Tris-Chrétienne, que
Chrifiiern confentit à rendre à fon ennemi tout ce
que ce prince poffédoit avant la guerre. Il fit même
alliance avec ce prince , mais bientôt il tourna fes armes;
contre la ville de Hambourg. On négocia long-
tems fans fruit, & ce différend fut encore terminé par
l’entremife de Louis XIV & des princes de Brunfv/ik.
Le mariage de la princeffe Ulrique-Eléonor avec le
roi de Suede , diflipa les alarmes que donnoient aux
deux nations les reffentimens de leurs princes , qu’ils
croyoient mal étouffés ; mais bientôt les prétentions
de Chrijliern fur le Holftein , menacèrent le Nord
d’un nouvel embrâfement. Dans un voyage qu’il fit
par mer pour affurer le fuccès de fon entreprife, il
fut fur le point de faire naufrage ; on le vit calme
dans le péril, encourager les matelots effrayés, remplacer
le pilote, & montrer moins d’inquiétude pour
lui-même que pour fes compagnons,
Çe prince n’avoit point perdu fes vues fur Hambourg;
fes querelles toujours renaiffantes avec le
duc de Holftein Gottorp ; fes négociations avec la
cour de France, un peu lente à le féconder, ne l’em-
pêcherent pas de former une tentative fur Hambourg
: il afliégea cette ville avec des troupes qui
auroient à peine fuffi pour la défendre. Forcé à la
retraite , moins par la puiffance de fes ennemis,
que par la foibleffe de fes troupes , il termina le fiege
par une capitulation, également gênante, &pour
lui-même, & pour les habitans. Mais il avoit en vue
une proie plus belle ; c’étoient les états du duc de
Holftein , dont il s’empara. Cette efpece d’ufurpa-
tion fouleva toute l’Europe : le traité d’Altena ap-
paifa ces différends fi longs &c fi funeftes ; & Chrijliern
reftitua, avec regret, des biens qu’il avoit conquis
fans effort. Ce prince ne put jamais étouffer dans
fon coeur les reffentimens qu’il avoit conçus contre le
duç ; il lui fufçita des affaires épineufes ; & fi la jaloufie
que la puiffance Danoife excitoit parmi fes
voifins n’avoit donné des prôte&eurs au duc, Çhrif-
tiern l’auroit accablé. Enfin, fa mort arrivée en 1699,
calma les alarmes dont fes projets ^voient rempli
tout le Nord de l’Europe. Il étoit brave ,& n’affec-
toit point de montrer fon courage : il jouoit avec le
péril lorfqu’il y étoit engagé, & ne le cherchoit pas:
fa douceur étoit naturelle, & n’avoit rien d’apprêté:
il refpefta la religion, fans être l’efclave des prêtres:
dirigea toutes les démarches de fes ambaffadeurs ;
mais on lui reproche d’avpir quelquefois facrifié à la
fplendeur extérieure de fon royaume , les foins du
gouvernement intérieur. (AL d e Sa ç y .')
CHRISTINE, (Hifioire de Pologne.) reine de