
précipitation. Un religieux & trois hommes l’épée à
la main occupoient le fond de la galerie. La reine af-
fife étoit feule au milieu. Après avoir fixé le marquis
en filence, elle tire de fa poche les originaux
écrits de la main même de Monaldefchi, & lui demande
d’un ton froid, connoijfe^-vous ces papiers ?
Monaldefchi pâliffant, tombe à genoux, embrafle
la robe de la reine, & fond en larmes. Chrijiine fe
leve , fe tourne vers le religieux, & lui dit d’un ton
tranquille : Mon pere, je vous laifle cet homme, prépa-
rer-le a la mort, & aye^foin de fort ame. Elle lortit,
& quelques momens après , les trois perfonnes com-
mifes pour l’exécution, le firent périr en lui enfonçant
leurs épées dans la gorge. Cette fcene fanglante
dans une cour où les plaifirs de la galanterie'con-
tribuoient à la douceur des moeurs , rendit Chrijiine
odieufe. Il fe trouva cependant des jurifconfultes
qui ne craignirent pas de fe déshonorer en entaffant
des citations pour prouver qu’une Suédoife en pays
étranger avoit le droit de fe venger par un affafli-
nat. Aujourd’hui nous croyons que ces jurifconfultes
méritoient d’être renfermés avec les fers.
Chrijiine à qui la France qu’elle venoit de révolter
par un meurtre, ne pouvoit qu’être défagréa-
b le , réfolut de fe choifir \ine retraite en Angleterre.
Cette île n’étoit pas alors le féjour de la phi-
lofophie ; Cromwel y régnoit, & ce fombre tyran
qui n’étoit monté fur le trône que par un rigicide,
ne pouvoit pas eftimer une reine qui étoit defcendue
du fien par des motifs qu’un ambitieux doit mépri-
fer. La fille' de Guftave, forcée de retourner en
Italie, où fes revenus n’étoient pas p a yés, devenue
fimple citoyenne de Rome, obligée de vivre des
bienfaits du pape qu’elle n’eftiîùoit plus, oubliée de
la Suede où elle avoit régné avec tant d’éclat, négligée
du prince qu’ elle avoit elle-même couronné,
la fille de Guftave fe voyoit réduite à l’humiliation
de la demande, & fouvent à la honte du refus. Alors
s’accomplit la célébré prédi&ion du chancelier
d’Oxinftiern : alors, dit l’hiftorien Nani, Chrijiine
s’apperçut qu’une reine fans états étoit une divinité
fans temple, dont le culte eft promptement abandonné.
N’ayant plus que la reffource d’engager fes
meubles & d’emprunter fur fes billets, elle envoya
fon fecrétaire d’Avifon au roi de Suede , qui ; avant
de lui délivrer les revenus de la reine, exigea qu’il
abjurât le catholicifme qu’il avoit embrafle à l’exemple
de fa fouveraine. Revenez, lui écrivit Chriftine,
mais revenez fans avoir rien fait de bas. Quand i l ne
me rejleroit qiiun morceau de pain à manger, je le partagerai
avec vous ; mais Jî la crainte vous ébranle au
point de vous faire manquer à votre devoir, foye^per-'
fuadé que je vous punirai de cette lâcheté, & que toute
la pujfance du roi de Suede ne m'empêchera point de
vous donner la mort, même entre fes bras ,J i vous vous
y réfugié£.
Une circonftance intéreffante vint changer toutes
les affaires. Charles-Guftave mourut , laiffant
fon fils au berceau , un royaume illuftré & ruiné
par des viûoires. Chrijiine guidée fans doute par un
defir fecret de remonter au trône , revint en Suede,
mais elle revint catholique ; & le fouvenir des maux
que le defpotifme de la cour de Rome avoit caufés
dans le Nord, l’emporta fur celui des bienfaits dont
la reine avoit comblé fon peuple. On lui défendit
l’exercice de fa religion ; elle s’en plaignit avec aigreur.
Ce procédé lui fit fentir combien il eft dur
de ne pouvoir pas porter chez l’étranger fon culte
& fes opinions. Elle voulut obtenir pour tous les
proreftans d’Allemagne cette liberté dont elle étoit
fi jaloufe pour elle - même ; mais elle échoua dans
cette négociation. Elle fe vengea des éleôeurs en
convertiffdnt par fes difcours Sc fur-tout par fes pré-
fçns plufieurs luthériens à la foi catholique ; elle
retourna à Rome, où ce genre de gloire apoftolique
étoit mieux accueilli qu’ailleurs. Elle s’y repofa au
fein des arts & des fciences : heureufe fi le defir d’influer
fur les affaires de l’Europe n’eût pas troublé
le calme de fa vie 1 elle voulut rendre des fervices
importans à la république de Venife, qui ne daigna
pas s’en appercevoir ; elle voulut de même être
utile au pape auprès du roi de France , q ui, à
l’exemple de fes prédéceffeurs, venoit de lui enlever
Avignon comme on ôte une poupée à un enfant
mutin qu’on veut châtier. La republique de Hambourg
refufoit à fon. banquier le titre de réfident
dont elle l’avoit décoré. Le defir de fe rapprocher
de fa patrie lui fit choifir pour fon féjour cette ville
même où elle venoit d’effuyer un outrage. L’amour
des lettres l’y fuivit ; mais moins elle étoit éloignée
du trône dont elle étoit defcendue , plus l’envie d’y
remonter s’accroiffoit dans fon coeur. Un jour la médaille
frappée aufujet de fon abdication tomba fous
fes mains, elle la rejetta avec dépit. Pour fe confo-
le r , elle joua les rôles de reine dans des tragédies 8c
dans des opéra; mais ces amufemens décéloient fon
ambition fans la fatisfaire. Elle reparut encore en
Suede ; mais fon attachement à la religion catholique
lui fit effuyer de nouveaux affronts ; elle répondit
comme Turenne ï Je fuis catholique , mais mon
épée ejl calvinifle. Il fallut retourner à Hambourg.
AlexandreVII venoit demourir,ClementIX lui avoit
fuccédé. Chrijiine voulut donner des fêtes au fujet de
cette exaltation : il y eut une émeute, la reine fit
battre les plus mutins, 8c leur donna enfuite de l ’argent
pour fe faire guérir des bleffures qu’ils avoient
reçues. Le pape lui rendit ces fêtes lorfqu’elle reparut
à Rome en 1669. Jean Cafimir, roi de Pologne, venoit
d’abdiquer comme elle, 8c ne pouvant recouvrer
fon fceptre., elle voulut en acquérir un. autre.
Malgré les intrigues de la reine 8c le crédit du pape,
un vieux refpeét pour le fang des Jagellon plaça fur
le trône Michel Koribut "Wielnowfki le 19 Juin 1669.
Elle voulut au moins au congrès de Nimegue, le
foire céder les provinces conquifes pendant fon régné
, comme le fruit de fon courage : on daigna à
peine entendre fes demandes. Après la mort de Clément
X , cette princeffe qui ne pouvoit obtenir une
couronne pour elle-même, voulut donner une thiare
au cardinal Conti : fon fort étoit de tenter toujours
, & de ne réuflir jamais. Le cardinal Odefchal-
chi fut proclamé, 8c Chrifline ne donna point de fêtes
pour cette exaltation.
Plus heureufe dans le choix de fes plaifirs que dans
celui de fes affaires, elle careffoit la jeune Dacier,
confoloit Molinos dans fa captivité , accueillit le
comte de Wafanan, fils naturel d’Uladiflas V I I ,
abandonné par la France 8c par la Pologne, encou-
rageoit les talens du poète Vincenfo Filicaia, entre-
tenoit une correfpondance avec Bayle, 8c tâchoit
d’adoucir la perfécution que les huguenots effuy oient
en France. Bayle 8c Voftius entreprirent l’hiftoire
de fa vie , qu’ils abandonnèrent tous deux aulli-tôt
que cette reine eut les yeux fermés , ce qui prouve
que leur plume étoit plutôt conduite par la recon-
noiffance que par l’amour de la vérité.'La reine retourna
en Italie, fut témoin à Rome des querelles
de l’ambaffadeur de France 8c du pape , s’en attira
une à elle-même, 8c unit fes intérêts à ceux du marquis
de Lavardin, infulté comme elle. Elle ne par-
loit du pape qu’avec unfouverain mépris. Je fuis ici,
difoit-elle, comme autrefois Céfar entre les mains des
pirates. Je les menace, & ils me craignent : s'il ejl pape,
ajoutoit-elle ,j e le ferai fouvenir que je fuis reine. Ne
pouvant plus influer fur les événemens qui chan-
geoient la face de l’Europe, elle tacha au moins de
les prédire. Rarement l’iffue démentoit fes prophéties
, parce qu elle avoit plus penfe en fa vie qu’elle
n’avoit agi : de nouveaux projets l’occupqient lorf-
qu’une fievre maligne 1 enleva le 19 avril 1689,
dans la foixante - troifieme année de fon âge. Elle
mourut en reine & en philofophe. Tant qu’elle fut
fur le trône, elle s’en montra digne : le peuple qui
ne murmuroit pas du tems que d’autres princes per-
doient dans les plaifirs , lui faifoit un crime de celui
qu’elle confacroit à l’étude. Son abdication eût été
regardée comme le dernier effort d’un courage vraiment
philofophique, fi elle n’avoit pas eu la.foibleffe
de s’en repentir. L’ambition fut fon fupplice, 8c ver-
fa une amertume cruelle fur fes plaifirs ; les foup-
çons, l’inquiétude, les bizarreries de caraftere, les
traits de hauteur qu’on lui reproche , furent des effets
de ce dépit qu’elle s’efforçoit en vain de concentrer
dans fon coeur. En Suede, on la croyoit catholique
, à Rome, proteftante ; Bayle foutint qu’ elle
n’étoit ni l’une ni l’autre, 8c peut-être lui feul fut
la juger. ( Cet article efl de M . DE BlLLEMOND. )
CHRISTOPHE I , ( Hift. de Danemarck. ) roi de
Danemarck, étoit fils de Valdemar II, furnommé le
victorieux. Né avec une ambition démefurée, il n’avoit
pas vu fans dépit deux defesfreres, Eric 8c Abel,
fe fuccéder au trône, 8c la nation promettre à ce
dernier d’y placer fa poftérité après lui. Abel étant
mort d’une maniéré tragique 8c trop digne de fa tyrannie
en 1x 5 z , Chriflophe à force de cabales 8c d’intrigues
, écarta fon neveu, 8c fit oublier à lanobleffe
le ferment folemnel qui l’obligeoit à mettre la couronne
fur la tête d’Abel ( V. ce mot, Suppl. ). Il fe déclara
tuteur du jeune prince & de fes freres, 8c fous
ce titre dangereux , s’empara même des appanages
qu’on ne pouvoit leur refufer. Son ufurpation rencontra
quelques obftacles. Le brave Meldorp refufa
de lui livrer les villes où il commandoit au nom des
princes dépoffédés. Chriflophe raffembla une armée,
marcha contre lui, 8c ï’inveftit dans Skielfor. Meldorp
fortit à la tête de fa garnifon, pénétra dans les
retranche mens des royaliftes, y porta la terreur &
la mort. L ’armée s’enfuit, le roi fut entraîné dans fa
déroute; il alla chercher un afyle dans Copenhague,
mais l’évêque de Rofchild lui en ferma la porte.
Chrißophe furieux, fait de nouvelles levées , 8c
marche dans la Zélande que fon ennemi ravageoit.
Meldorp s’enfuit à fon afpeû : les villes qu’il avoit
défendues portèrent la peine de fa révolte, elles furent
démantelées; 8c leurs garnifons maffacrées fans
pitié, furent enfevelies fous les ruines des remparts.
Un châtiment fi terrible n’effraya point , les parti-
fans du jeune Valdemar;, prétendant au trône, à
qui Chriflophe n’avoit pas même accordé le duché de
Slewiçh, qu’un ancien ufage confervoit au premier
prince du fang. Celui-ci trouva dans le Danemarck
des amis attachés à. fa fortune, 8c hors des frontières
des alliés intéreffés ä fomenter les divifions inteftines
de ce royaume. Meldorp arma les Lubekois en fa
faveur. Cèux-ci montèrent fur une flotte nombreufe,
defcendirent fur les côtes, mirent tout-à feu 8c à
fang, levèrent de fortes contributions, remportèrent
un butin immenfe, & le feul fruit que Valdemar
retira de cette expédition, fut dé ravager des états
qu’il ne put conquérir. Bientôt l’incendie augmente,
la ligue le^groflit de jour en jour, 8c devient générale
dans lé Nord. Les rois de Suede 8c de Norwege,
les comtes de Holftein, les margraves de Brandebourg
, font dans le Danemarck des irruptions combinées
: les uns dévaftènt les côtes , d’autres pénétrent
jufqu’au centre du royaume, le refté bloque
les ports. Mais aucun de ces princes ne montra plus
d’ acharnement que le roi de Norwege : par-tout où
il paffoit, il laiffoit des traces de fa fureur ; il gagna
une bataille., rafa des villes, brûla les moiffons 8c
parut fe faire un jeu de toutes ces horreurs. Valdemar
devoit fentir que des alliés fi puiflans combattoîent
moins pour lui que pour eux-mêmes, 8c quê
fi,.avec leur fecours, 'il étoit parvenu à chaffer
Chriflophe de fon patrimoine, il auroit eu à combattre
enfuite fix ufurpateurs au lieu d’un.
Chriflophe cependant contemploit ces maux aveû
un flegme qui lui laiffoit entrevoir les moyens de
les réparer. Tranquille au milieu de ces orages, il
faifoit défigner Eric fon fils, âgé de trois ans, pour
fon fuccefleur, tandis que le fceptre échappoit de
fes mains. Sa confiance laffa fes ennemis, il fut les
divifer d’intérêt, 8c fe fit offrir la médiation des
princes de Vandalie 8c du duc de Poméranie: on
négocia. Chriflophe convint de rendre les appanages
de fes neveux lorfqu’ils feroient parvenus à leur majorité;
8c ces princes renoncèrent à leurs prétentions
au trône.
Le roi s’étoit promis après ce traité de jouir d’un
calme profond ; mais il eut bientôt fur les bras un
ennemi plus dangereux que tous fes concurrens :
c’étoit Ethuanfen , archevêque de Lunden. Ce prélat
ambitieux reconnut le pape pour fon fouverain,
afin de n’en reconnoître aucun ; changea au gré de
fon caprice les loix eccléfiaftiques du royaume ,
traita de facrileges les ordonnances qui mettoient
des bornes à l’ambition du clergé, échauffa les murmures
du peuple trop chargé d’impôts, 8c le raffembla
fous l’étendard de la révolte. Chriflophe qui avoit
Êéfifté à fix princes ligués contre lu i, fut contraint
de céder à un évêque, 8c renonça aux fubfides
que le défordre des finances avoit rendus néceffaires.
Le prélat, devenu puiffant par la foibleffe du monarque
, affembla un concile dans le Juthland. Ce fut-
là que l’on fit cette conftitution bizarre , par laquelle
il eft réglé « que le royaume tombera en interdit
» toutes les fois qu’un évêque aura été offenfé par
» un particulier, & que le roi fera foupçonné com-
» plice. de cette infulte, ou qu’il ne l’aura pas Vengée
» à la première plainte de l’évêque outragé ». Ainfi
le culte divin ceffoit , Dieu n’avoit plus d’adorateurs
publics, les fecours de la religion etoient refufés
aux mourans; & il ne tenoit pas aux évêques que ces
malheureux, pendant l’interdit, ne tombaffent en enfer,
pour venger un évêque offenfé. Telle étoit la dé-
cifion d’un ramas de faélieux qu’on appella concile.
Le pape Alexandre n’eut pas honte de revêtir cet aéla
ridicule du fceau de fon autorité; mais on ne peut
trop louer le zele des Dominicains qui le rejetterent
a;vec mépris.
Chriflophe, dans une affemblée d’états , voulut punir
l’audacieux auteur de cette conftitution ; mais il
ne,put même obtenir qu’on le forçât à fe juftifier fur
tant de crimes accumulés. Le roi fut contraint de
dévorer fon reffentiment & de remettre fa vengeance
à des tems plus heureux. Dans une fécondé affemblée,
l’archevêque fe montra, non avec l’air <Pun coupable
qui vient chercher fa grâce, mais avec l’audace d’un
rebelle qui vient déclarer la guerre à fon maître : il
dit à haute voix qu’il n’obéiffoit qu’au pape , & le
dit impunément. Ainfi lorfque le roi étoit outragé
par un évêque, il n’ofoit châtier le qpupable. L’ar-
chevêquë fouleva tout fon diocefe, les maifons
royales furent livrées au pillage, & tous les feigneurs
attachés au roi cherchèrent leur falut dans la fuite.
Le prélat donnoit un cours d’autant plus libre à fes
fureurs , qu’il voyoit Chriflophe ménaûé par Haquin,
roi de Norwege, qui exigeoitdesfommesimmenfes
comme une indemnité des ravages que les Danois
avoient commis fur fes terres fous le régné d’Abel.
Haquin parut en effet à la vue de Copenhague, avec
trois cens voiles. Chriflophe , ou frappé de terreur,
ou fub j ugué par l’équité des demandes de fon ennemi,
fit porter fur fes vaiffeaux les fommes qu’il avoit
exigées. Haquin crut en avoir fait affez pour fes intérêts
, en ayant affez fait pour fa gloire ; il rendit à