
Darius, & il découvrit les moyens de l’arracher à fes
anciens maîtres. Il eut de fréquens entretiens avec
Cléomene qui, étonné de la diftance de Sparte à
Suze, rejetta fes propofitions. Il crut que l'es pré-
fens feroient pluspuiffans que fes raifons, & il lui
offrit jufqu’à cinquante talens pour l’engager à tenter
cette conquête. Gorgo, fille de Cléomene, étonnée
d’une offre fi éblouiffante, s’écria : « Mon pere,
renvoyez promptement cet étranger, c’eft un ufur-
pateur qui vous féduira». Ariftagore rebute à Sparte,
fut favorablement écouté des Athéniens. Cette conjuration
étouffée dans fa naiffance, fournit un prétexte
à Darius de tourner fes armes contre la Grece.
Les habitans d’Egine étoient les plus expofés à fes
vengeances ; ils crurent devoir les prévenir par une
prompte foumiflion: Cléomene fe tranfporta dans leur
île pour les punir d’avoir donné un exemple qui pour-
roit entraîner les autres villes menacées. Crius, un
des principaux de ces infulaires, eut l’audace de lui
dire que, s’il ofoit maltraiter le dernier des citoyens,
il le feroit repentir de fa témérité. Cléomeneit retira
en menaçant Criu s, dont la hardieffe étoit excitée
par Démarate, autre roi de Lacédémone, qui tra-
verfoitfecrétementles deffeinsde fon collègue. Cléo-
mene inftruit de fon infidélité, le cita devant le peu- •
pie pour fe juftifier. Outre le crime de trahifon, il
lui imputoit encore d’être le fruit d’un adultéré, &
que fa naiffance prématurée avoit donné occafion à
Ion pere de dire qu’il n’étoit pas fon fils. La pytho-
niffe fut confultée, & fa répônfe fut conforme aux
defirs de Cléomene, qui l’avoit féduite par la magnificence
de fes préfens. Démarate fut dégradé, & fa
couronne fut mife fur la tête de Léotichide. Mais
quelque tems après , fa fourberie avec la Pythoniffe
fut découverte ; il fut regardé comme un profanateur
qui avoit abufé de la religion pour corrompre
fes miniflres. Le peuple demandoit hautement fa
mort pour venger les dieux outragés ; & ce fut pour
fe fouftraire à fes fureurs qu’il fe retira chez les Thef-
faliens,dont il fut exciter la compaflion. Ces peuples
féduits fe réunirent aux Arcadiens, pour le rétablir
fur le trône de fes ancêtres. Les Spartiates,
occupés dans une guerre importante, craignirent de
fe faire de nouveaux ennemis. Ils confentirent à le
faire rentrer dans fes prérogatives, mais il n’en jouit
pas long temps ; il tomba dans une démence furieufe
qui obligea de l’enfermer : un jour qu’il étoit relié
avec un feul de fes gardes, il lui arracha fon épée
qu’il fe pafla à travers du corps, l’an 49 z avant Jefus-
Çhrift. ( T - n . )
CLEOMENE II , ( Hifi. de Lacédémone. ) , fils de
Léonida, fut fon fuccdi’eur au trône de Sparte. Son
pere , dévoré d’avarice, lui avoit fait époufer Agia-
ris, après la mort d’Agis fon premier mari. Cette
union formée par l’intérêt parut néceflaire à fa politique
; car outre que la jeune veuve étoit la plus
opulente de la Laconie, elle étoit la feule qui pût
calmer les haines des faéiions qui déchiroient l’état.
L’exemple d’un pere avare & voluptueux n’avoit
point corrompu la trempe du coeur de fon fils. Cléor
mene fut fortifié dans fes heureux penchans par fa
vertueufe époufe ; le récit qu’elle lui faifoit du défin-
téreflement d’Agis, le remplit d’admiration pour ce
roi citoyen. Dès ce moment, il réfolut de faire revivre
l’ancienne difcipline de Lycurgue & d’exécuter
ce que l’autre avoit malheureufement eflayé.
Ceux qu’il choifit pour être les dépofitaires de fon
fecret en furent les cenfeurs ; il craignit d’être trahi
par des amis infidèles, & dès ce moment, il réfolut
de ne prendre plus de confeil que de lui-même : il
n’avoit encore rien exécuté de grand, & il ne pou- .
voit infpirer cette confiance néceflaire aux artifans
des grandes révolutions. La guerre qu’Aratus porta
dans l’Arcadie, lui fournit une oçcafion de développer
fes talens pour la guerre. Il fe mit à la tête de
l’armée qui réprima l’invafion des Achéens dans l’Arcadie.
Ce jeune prince, grand capitaine fans le fe-
cours de l’expérience, triompha de l’habilité d’Ara-
tus, dont la vie n’avoit été jufqu’alors qu’un enchaînement
de viéloires. Cléomene fut arrêté dans le
cours de fes profpérités par les intrigues d’une faélion
qui aima mieux loufcrire aux conditions d’une paix
déshonorante, que de fupporter le poids d’une guerre
glorieufe. Ce fut pour le fortifier contre cette faction
turbulente , qu’il rappella Archidamas, frere
d’Agis, pour le faire afleoir fur le trône avec lui :
mais ceux qui avoient trempé leurs mains dans le
fang d’Agis, craignoient les julles vengeances de fon
fre re, ôc ce fut pour les prévenir qu’ils le firent
affafliner.
Cléomene touché de la deftinée de fon ami, n’en
fut que plus ardent à pourfuivre fes deffeins. Les
âmes vénales furent gagnées par fes préfens, & les
gens de bien, qui forment toujours le plus petit
nombre, lui promirent leur afiiltance. Sa mere Cra-
tefilée épuifa fes immenfes tréfors pour lui acheter
des partifans. Les Ephores dont l’avarice fut fatis-
faite, confièrent à lui feul le foin de continuer la
guerre. Quoique tous les jours de fon commandement
fufl'ent marqués par de brillans fuçcès , il excita
moins l’admiration que les foupçons d’un peuple
prompt à s’alarmer fur fon indépendance. Tandis
qu’il triomphoit au-dehors , fes plus dangereux ennemis
, renfermés dans Sparte, le peignoient comme
un ambitieux trop familiarifé avec le commandement
, pour fe contenir dans les bornes de fes devoirs.
Ces bruits calomnieux parvinrent jufqu’à lui,
& ce fut pour les diffiper qu’il revint à Sparte , ou
étudiant le caraâere de ceux qui étoient le plus
acharnés à lui nuire , il eut la politique de les emmener
avec lui à- l’armée , pour les avoir fous fes
ordres : mais ces hommes, nourris dans les faélions ,
furent aufli mauvais foldats qu’ils étoient fujets indociles
; ils ne purent fupporter les fatigues du camp ,
& on fut obligé de les .licentier. D ès qu’il fut débar-
rafle de ce fardeau inutile, il n’eut dans fon armée
ni rebelles, ni murmurateurs. Les ennemis furent
battus & difperfés ; mais quand fa patrie n’eut plus
rien à craindre, il eut tout à redouter pour lui. Les
Ephores & leurs complices éblouis de fa gloire, en
ternirent l’éclat par des imputations calomnieufes ;
il crut devoir les en punir : il marche vers Spàrte, &
fes mouvemens font fi fecrets & fi bien concertés,
qu’il y eft entré avant qu’on foupçonne qu’il foit
en marche. Les Ephores , artifans de tous les troubles
, furent les yiftimes fur qui tombèrent fes premiers
coups : quatre furent égorgés, au milieu de la
débauche de la table qu’il fe propofoit de proscrire
; dix de leurs convives furent enveloppés
dans leur ruine. Agéfilas qui étoit le plus coupable
, fauva fa vie en contrefaîfant le mort. Cette
fcene fanglante lui parut néceflaire pour n’avo.ir
pas la même deftinée qu’Agis qui avoit été la
viâime de fa modération & de fa clémence. Mais le
fang de l’innocent ne coula point avec celui du coupable.
Les chaires des Ephores furent enlevées du
forum, & leur pouvoir fut aboli. Cet aéle du pouvoir
arbitraire étoit un attentat contre la fureté du
citoyen. Cléomene fit affembler le peuple pour lui
faire entendre fa juftification; il s’appuya fur lané-
çeflité qui eft la première des loix , & fur l’exemple
de Licurguè qui dans les mêmes circonftances en
avoit donné l'exemple. Son éloquence ébranla les
efprits, & il acheva de les fubjuguer, en déclarant
qu’il n’avoit d’autre but que de délivrer Sparte des
perturbateurs qui s’oppofoient à l’abolition des dettes
& au partage des terres. Ces motifs furent jufti-
fiés par le façrifîce qu’il fit de tous fes biens. Son
beau-pere Mégèfton & tous fes amis fuivirent cet
exemple de modération. L’ancienne difcipline fut
rétablie dans toute fa vigueur. Perfonne ne fut dif-
penfé de fe trouver aux repas publics, & la milice
Spartiate tombée dans le relâchement redevint aufli
redoutable aux ennemis que dans les tems de fa première
fplendeur. Les Achéens humiliés par des défaites
multipliées , fe dépouillèrent de leur fierté in-
fultante , & s’abaifferent à demander la paix à Cléomene.
Il ne leur impofa d’autre condition que d’être
déclaré le Chef de leur ligue. Ces peuples charmés
de fa modération, furent flattés de le voir marcher
à leur tête.
Aratus dépouillé d’un titre qu’il avoit porté avec
gloire , ne putfouffrir d’être fupplanté par ce jeune
rival. Il intérefle lès Macédoniens dans-fa caufe , &
leur ouvre les barrières de la Grece. Une guerre nouvelle
fe rallume : Cléomene en foutint tout le poids avec
des forces dont l’inégalité ne fervit qu’à mieux déve- !
lopper là fupériorité de fes talens. Ses premiers fuccès
en annonçoient de plus éelatans, lorfqu’il fut trahi par
un de fes principaux officiers, que l’or d’Antigone,
roi de Macédoine, avoit corrompu. Six mille Spartiates
périrent près de Sillafie , dans des embûches
où le traître Damotelès les avoit conduits. Cléomene
qui n’étoit qu’à plaindre , rentra dans Sparte qui fut
allez ingrate pour lui reprocher fon malheur. Il ne
put fe réfoudre à fouffrir les outrages d’un peuple
dont il étoit le bienfaiteur ; ilfe retira en Egypte ,
auprès de Ptolomée Evergete, dont l’amitié lui faifoit
efpérer un dédommagement de fes difgraees. La
mort inopinée de ce monarque 1 expofa à la cen-
fure d’une jeune cour plongée dans le luxe & la inol-
leflfê. Cléomene qui avoit l’auftérité d’un Spartiate ,
étoit trop fier pour diflimuler : il exhala fes mépris
contre les courtifans efféminés qui le regârdoient
comme un lion féroce qui venoit s’introduire parmi
un troupeau d’agneaux doux & dociles. Il le vengea
de leurs dédains, par les farcafmes les plus amers.
Il en fut. puni par la prifon. Cétoit le plus grand outrage
qu’on pût.faire à un Spartiate qui regardoit la
Vie comme un opprobre, dès qu îlcelfoit d être libre.
Il rompt les portes de fa prilbri * & fuivi de douze
Spartiates, compagnons de fon infortune , il fe répand
dans les rues d’Alexandrie, où n’écourant que
fon défefpoir, il oublie qu’il eft prefque feul au milieu
d’une multitude armée. Maigre la fureur dont il
eft enivré, il n’étend les vengeances que fur les
auteurs de fa détention : c’étoit un fpetlacie d’hé-
roïfme & d’extravagance, de voir treize forcenés
s ’ériger en arbitres de la ville la plus peuplée du
monde. Cléomene devenu plus calme , eft étonné de
fe voir entouré de viftimes qu’il vient d’immoler. Il
fe tranfporte dans la place- publique où le peuple
s’étoit raffemblë ; il lui promet de fe mettre à fa tête
pour le rétablir dans la jouiffance de fes privilèges.
Les Egyptiens familiarifés avec leurs chaînes, furent
infenfibles à fes promeffes. Cléomene indigné de leur
infenfibilité , s’écrie : peuple lâche & flétri , tu ne mérites
que d'être gouverné par des femmes. Il tire fon épeé
& invite fes compagnons à fuivre fon exemple * &
tous en l’imitant tombent expirans fur leurs épées.
La liberté & la fplendeur de Sparte s’éclipferent avec
lui ; cette ville eut encore des habitans, mais on n’y
compta plus de citoyens. ( T— N. )
CLÉOPÂTRE, ( Hifi. des Egyptiens. ) , Cléopâtre ,
fille d’Antibchus, roi de Syrie, fut mariée à Pto*
lomée Epiphane. Cette union ne produifit pas .les
effets que fon pere en avoit efpéré pour fon aggran-
diffement ; devenue reine d’Egypte, elle en emorafla
vivement lès intérêts : ce fut par fes eonfeils qu’Epi-
phane follicita les Romains de porter la guerre en
Syrie. Après la mort de fon mari, elle prit la tutele
de fon fils Philometor, qui n’étoit âgé que de fix
ans. Son admîniftratioh prudente garantit l’Egypte
des guerres & des révoltes ; tandis que tous les peuples
jouiflbient du retour de la profpérité, une mort
prématurée l’enleva à la nation. ( T —iv.)
C l é o p â t r e , ( Hifioire des Egyptiens. ) foeur
& femme de Philométor, en eut un fils qu’elle *
voulut placer fur le trône. L’Egypte fût déchirée par
deux fâchons rivales. Les uns Voulbient un jeune
-roi , pour pouvoir gouverner fous fon nom ; les autres
craignoient que leur patrie ne fut frappée par
de nouvelles calamités, fi l?on déféroit le fceptre à
des mains trop foibles pour le porter : l’ambaffadeur
Romain, choifi pour arbitre, décida que Phifcon
épouferoit Cléopâtre, dont le fils feroit déclaré héritier
du royaume : le jour des noces fut un jour de
deuil. Le jeune prince fut égorgé par l’ordre de
Phifcon dans les bras de fa mere. Cléopâtre répudiée
eut encore l’humiliation de fe voir remplacée par la
fille qu’elle avoit eue de Philométor, que le tyran
avoit violée avant de lui donner le titre d’époufe. Son
malheur arma l’Egypte pour elle : les liâmes de
Phifcon furent r en ver fées,& Cléopâtre fut proclamée
reine dans Alexandrie. .Le tyran dénaturé ne crut
-pouvoir mieux fe venger, qu’en faifant égorger un
fils qu’il avoit eu d’elle, dont il lui envoya la tête
avec ordre de la faire férvir fur fa table, le jour du
feftin qu’elle prépàroit pour célébrer fon anniverfai-
re.: enluite illev e une armée, & vainqueur par fes
lieutenans, il oblige Cléopâtre h quitteri’Egypie, & à
fe réfugier auprès de Démétriùs qui avoit époufé fa
fille , à qui elle promit la couronne d’Egypte , pour
l’intéreffer à fa vengeance. Le monarque, ébloui
par l’éclat de cette promeffe, étoit aufli dételle dans
le’s états, que Phifcon l’étoit dans les liens; il fut
aflafliné dans T y r , avant d’avoir exercé fes vengeances.
Cléopâtre, privée de fon appui, fe réfugia auprès
de la fille, montée au trône de Syrie depuis là
mort de fon mari : elle y vécut obfcurê & fans ç-on-
fidération, dévorée de la foif de la vengeance qu’elle
ne pouvoir aflbuvir. (T —jv.)
Cléopâtre , ( Hifioire des Egyptiens. ) femme
de Phifcon, fut élevée fur le trône d’Egypte, conformément
au tefiament de fon époux, à condition
qu’elle partageroit fon fceptre avec celui de fes fils
qu’elle croiroit le plus digne de le porter. Son penchant
la décida pour le plus jeune, qui s’appelloit
Alexandre , dont le caraéteré flexible promettent
qu’il lui abandonnèroit la plénitude du pouvoir. Les
EgyptiéhS, ne confültant que le droit de la nature ,
lui diâerent un autre choix , & la forcèrent de s’af-
focier l’aîné , qui prit le furnom de Soter. L’oppofi-
tion de leur caraétere fut une femence de troubles
domeftiques : la mere , gouvernée par fes miniftres ,
voulut envahir toute l’autorité : le fils, honteux de
n’être qu’un fantôme couronné, perfécuta lés miniftres
qui vouloient l’affervir. La rivalité du pouvoir
•aigrit les haines. Cléopâtre , pour fe débarrafler d’iln
collègue importun, lui fuppofa le crime d’avoir voulut
l’affafliner. Des eunuques tout fanglans fe pré-
fenter.ent dans la place publique, & dirent au peuple
aflemblé qu’ils n’avoient été maltraités que pour
avoir défendu la mere contre un fils parricide : cette
impofture .èut un plein fuccès. Soter, devenu un objet
d’exécration, ne déroba fa vie à la fureur du peuple
que par la fuite. Cléopâtre, infléxible dans fa
haine, ne eeffa de pourfuivre fon fils , qui, après
avoir effuyé beaucoup de revers, redevint aflez
puiffant pour la punir ; mais il n’en fut que plus ten-
•dre & plus fournis : fatigué du fardeau des affaires,
il fe reprocha la honte de tourner fes armes contre
fa mere : elle n’eut pour lui que les fentimens d’une
marâtre; & confiante dans fa haine , elle ne put lui
pardonner d’avoir autant de modération dans la
profpérité, qu’elle avoit d’orgueil dans les revers.