
fil III
i l
lllllî
due fi fon fucceffeur vouloit obtenir la p a ix , il
devoit leur livrer une fomme pareille à celle qu ils ve-
noient de recevoir. Les François allarmes de ces prétentions
injuftes, &dans l’impuiffance d y fatisfaire,
vu les dépradations qu’ils fouffroient depuis un grand
nombre d’années, cherchèrent un chef, dont la valeur
chaffât ces barbares ; leur choix tomba iur
Charles-le-gros , déjà empereur & roi de Germanie:
leur efpérance fut trompée ; il eft vrai que Charles
avoit montré dans fa jeuneffe le courage d un héros,
mais ce prince qui déficit les périls & bravoit la
mort devint tout-à-coup lâche & timide , depuis
qu’il U m t révolté contre Louis-le-Germamque Ion
pere. Les évêques auxquels il fit part de fes egare-
mens ne fe bornèrent point à lui en faire horreur ;
féduits par un fauxzele, ils l’épouvanterent par tout
ce que la fuperftition a de plus effrayant. Ils lui firent
croire que le diable s’étoit emparé de lui;Ies remords
du jeune prince donnant pàffage à l’impofture , Char-
/« leur permit de faire fur lui tous les exorcifmes des
énergumenes : ces effrayantes cérémonies, firent uife
telle impreflion furl’efprit du jeune prince, que depuis
il crut toujours voir le diable arme de tout ce que
fa vengeance offre de plus horrible : cette trifte perfüa-
fion l’agitoit jufques dans fes fonges, & il ne pouvoit
penfer à la mort fans pâlir. Voilà quelle fut la véritable
caufe des traités honteux qui déshonorent fon
régné. Il étoit dans ces fâcheufes difpofitions, lorf-
que lès François vinrent implorer fon fecours, &
le conjurer de recevoir le diadème à l’exclufion de
Charles-le-fimple, fils pofthume de Louis-le-begue,
jeune prince , à peine âgé de cinq ans, & dont les
foibles bras ne pouvoient rien dans ces tems orageux.
L’empereur ayant agréé leur hommage & reçu
leur ferment, fongea aux moyens de chaffer de la
France les barbares qui la défoloient. Ce prince crut
pouvoir ufer de repréfailles ; & comme les Normands
fe montroient peu fcrupuleux fur la foi des
traités, il fut peu délicat fur le choix des armes qu’ il
devoit employer contr’eux. Godefroy , un de leurs
ducs, l’avoit forcé quelque tems auparavant de lui
abandonner, par un traite, le territoire de Hâlou ,
avec une partie de la Frife, & de lui donner en mariage
la princeffe G ifelle, fille de Carloman & de
Valdrade. La crainte qu’on ne l’obligeât à de fembla-
bles facrifices, le détermina à ufer de perfidie ; &
fur les nouvelles prétentions de Godefroy, il l’engagea
dans une île du Rhin, fous prétexte d’une
conférence, & le fit maffacrer lui & toute fa fuite.
L ’empereur ufa des mêmes armes envers Hugue,
frere de Gifelle,qui rédamoit la fucceffion de Carlo-
man fon p ere, & qui aidé des armes des Normands,
dont il avoit embraffé le p arti, avec d’autant moins
de répugnance que Godefroy étoit fon beau-frere,
aurait pu forcer Charles-le-gros à la lui reftituer.
Cette perfidie excitant l’indignation des fujets de
Godefroy, prêta de nouvelles armes à leur fureur ;
ils appellerent à leur fecours les autres peuplades de
Normands qui s’étoient établis dans l’empire, fous le
régné de Charles & des rois fes prédéceffeurs. Ayant
ainfi formé une armée de quarante mille hommes ,
ils en déférèrent le commandement à Sigefroy, collègue
& parent du duc que l’empereur avoit fait lâchement
affaffiner. La ville de Pontoife fut prife &
brûlée par ces farouches vainqueurs qui, fiers de ces
premiers fuccès, vinrent mettre le fiege devant Paris.
Cette ville eût été forcée de leur ouvrir fes portes,
fans l’ étonnante valeur d’Odon ou Eudes, itluftre
comte, que fes héroïques vertus placèrent dans la
fuite fur le trône des lis. Les Parifiens, après dix-huit
mois de fiege , foudroient toutes les incommodités
de la guerre, lorfque le roi parut aux environs de
Montmartre, encore éloigné de la ville qui ne con-
fiftoit alors que dans le quartier appelle la Cité, Le
monarque, quoiqu’à la tête d’une armee infiniment
plus nombreufe que celle des ennemis, n’ofa tenter
l’événement d’une bataille, bien différent des braves
Parifiens qui s’expofoient chaque jour à périr fur la
breche ; il ne parut devant les Normands que pouç
demander la paix, qu’il obtint à des conditions huw
miliantes ; il s’obligea à leur donner fept cens livres
pefant d’argent ; & comme il ufoit de délais potfr,
leur remettre cette fomme, il leur donna la Bourgogne
en otage. Charles, après ce honteux traité, reprit
le chemin de la Germanie, chargé de la haine &C
du mépris des François , qui fâchés de voir leur
fceptre en des mains fi foibles, formèrent le projet
hardi de le reprendre. Eudesaugmentoit les murmures
qu’avoit occafionnés la conduite’ de Charles
voyant bien par l’inclination de fes compatriotes %
qu’il lui feroit facile de fe former un trône des débris
de celui de ce monarque. Charles avoit un puiffant
foutien dans Ludouart, évêque de Verceil, fon chancelier
& fon premier miniftre. Les grands, convaincus
de la fupériorité du génie du prélat, fentirent que
tant qu’il feroit à la tête des affaires, il leur feroit
impoffible d’exécuter leurs pernicieux deffeins, qui
en réduifant le monarque au plus affreux malheur ,
ne firent qu’augmenter leurs maux.. Ils. formèrent la
réfôlution de le perdre, & ce fut auprès du roi qu’on
l’accufa; chaque jour c’étoit de nouveaux reproches.
CharUs convaincu de l’intégrité de fon miniftre , lui
continuoit fa première faveur ; mais que ne peut la
haine excitée par l’envie & par l’ambition î L’impé*
ratrice Richarde, princeffe pieufe à l’excès, vivoit à
la cour avec l’auftérité d’une cénobite ; & quoiqu’elle
comptât dix années de mariage, jamais elle n’en avoit
goûté les douceurs. On publia que la religion de l’impératrice
n’étoit qu’un jeu pour mieux cacher fes
coupables dégoûts, & que cette époufe-, fi chafte
dans le lit nuptial, fe proftituoit avec le miniftre.
Charles trop facile à féduire, ajouta foi à ces calomnies
; fe livrant à tous les excès d’une ame foupçon-,
neufe & jaloufe, il chaffa Ludouart avec fcandale ,
& répudia la vertueufe Richarde. Un repentir amer
fuivit de près la perte de l’époufe & la dégradation
du miniftre : fa confcience délicate fut déchirée de
remords ; convaincu de leur innocence, il forma le
projet de les rappeller l’un & l’autre ; fes volontés
furent mal fuivies, les grands le précipitèrent lui-
même dans l’abyme. Convoqués à une affemblée
générale, ils ne s’y rendirent que pour lui,ravir la
couronne. Jamais révolution ne fut plus prompte ;
Charles, qui un inftant auparavant donnoit des loix
à tous les peuples, depuis la mer Adriatique jufqu’à
la Manche, & de la Viftule à l’Ebre ; empereur &
roi d’Italie, d’Allemagne & dè France , eft tout-à-
coup renverfé de tant de trônes , il tombe dans
l’abandon le plus affreux ; fes propres domeftiques
l’outragent; réduit à vivre d’aumônes, c’eftauprès
d’Arnoud, bâtard de fa maifon, que le fort éleve à
fa place , qu’il eft forcé de mendier ces foibles 8c
humiliansfecours : « vous êtes, lui dit-il, fur un
» trône que j’occupois il y a peu de jours.. . . confi-
» dérez mon infortune , & ne fouffrez pas qu’un roi
» de votre fang & qui fut le v ô tre , manque de ce
» que vous donnez aux pauvres ». Arnoud poffef-
feur tranquille de la plus belle partie de fes états,'
eut peine à lui accorder le revenu de trois villages:
le prince dégradé ne put furvivreà fa difgrace, le chagrin
termina fes jours deux mois après cette horrible
cataftrophe (quelques-uns prétendént. qu’il fut étranglé
par les ordres fecrets d’Arnoud ) , il mourut dans
la troifieme année de fon régné & dans la neuvième
de fon empire. On l’inhuma au monaftere de Riche-
noue dans une île du lac de Confiance , avec un éclat
peu digne de fa première fortune, mais trop'grand
pour celle qui l’avoit perfécuté, Ce fut un prince
j ufte, bienfaifant & dévot jufqu’à la foibleffe : il fut
malheureux, parce que pour fefoutenir fur un trône
âgité par tant d’orages , il falloit plus de talent que
de bonté, plus’d’elprit que de vertu. II ne laiffa
point d’ertfans légitimes, chofè, dit un mödefne, la
plus effentielle au repos des fouverainS.
La mort de ce prince eft la véritable époque de là
chute de la famille des Pépin ; ce fut des débris de
fon trône que fe formèrent ces principautés, connues
fous différens noms. Eh France & en Italie, les duchés
& le s comtés; en Allemagne les triafgraviats ;
les lantgraviats, récompenfes amovibles jufqu’alors,
devinrent des états indépehdàns, que s’arrogèrent
les complices de la dégradation de l’infortuné Charles.
Si dans la fuite leur propre néceflité les força de
fe réunir fous un chef, ce ne fut plus un fouverain,
mais un égal qui, revêtu d’un titre pompeux, n’avoit
aucun droit à leur obéiffance. L’Italie ; la Germanie
& la France, unis depuis plufieurs fiecles, formèrent
des états féparés, oû régnèrent uhe foule de
petits tyrans , acharnés l’un l’autre à fé détruire.
H T -N . )
C harles IV , furtiomme le Sim p l e , ( Hiß. db
France.') x x x e. roi de France, fils de Louis-le-begue
& d’Adélaïde, naquit l’an 880; les orages qui l’â-
;voient écarté du trône , après la mort de Louis &
Carloman fes freres, ne lui permirent pas d’y monter
après celle de Charles-le-gros ; il touchoit à peine
à fa huitième année, & les François avoient fenti le
fcefoin, non d’un enfant, dont la foible main eût pu
augmenter les défordres, mais d’un homme mûr,
dont lafageffe & le bras fût les conduire & les défendre.
Privés de tout efpoir du côté de la famille
ro ya le, dont il ne reftoit que ce rejetton, ils avoient
jetté les yeux fur Eudes, comte de Paris , feigneuf
également diftingué par la fupériorité de fon génie
que par fon courage héroïque. Eudes juftifia par les
fuccès les plus éclatans, le choix de fes compatriotes
; mais quelque fublimes que fuffent fes talenS,
le confeil du jeune prince voyoit avec une douleur
amere qu’il en abufoit. Les plus fages auraient defiré
qu’il fe fut contenté de diriger le fceptre fansfe l’approprier;
ils parlèrent en faveur du jeune prince ,
mais leur réclamation n’opéra aucun effet : Charles,
obligé de s’enfuie èn Angleterre , ne put monter fur
fe trône de fes peres, qu’après la mort de cet heureux
ufurpateur. Eudês -, en mourant, reconnut fes
fautes ; & lorfqu’il pouvoit tranfmettré le diadème
'à fa poftérité ( quelques aufèurs prétendent, mais à
to r t , qu’Arnould, fils d’Eudes lui fuccéda ) , il le
remit entre les mains des nobles, en les Conjurant
de le rendre à leur fouverain légitime ; mais en re-
«onnoiffant les droits de Charles, il ne lui étoit pas
facile de réparer le mal qu’avoit fait fon ambition.
Les François étoient affez éclairés fur leur devoir,
pour favoir qu’ils n’étoient pas libres de leur fuffra*
ge , lorfque le trône avoit des héritiers. Depuis l’origine
de la monarchie ils n’avoient eu d’autre droit
que celui de fe choifir un maître entre plufieurs pré-
tendans, égaux en naiffance : l’âge des princ'es n’avoit
jamais été un obftacle à leur élévation; feulement
on leur nommoït un confeil de régence. Eudes,
comme le plus capable, eût pu fe contenter d’y occuper
la première place; il ne.put déroger à ces
principes fans s’engager à de grands facrifices : aufli
Charles, en montant fur le trône , ne vit plus que
l ’ombre de la monarchie ; les feigneurs avoient atteint
leur but en fe rendant propriétaires héréditaires
de leurs gouvernemens; où comme nous l’avons
' déjà fait connoître, ils exerçoient, en qualité de
ducs, de comtes ou de marquis, toute l’autorité civile
& militaire. La royauté ne confiftôit plus que
dans un vain hommage ; & Charles n’avoit plus rien
à propofer à leur émulation. Ce prince leur parloit
Tome Ily
bien d’honneur & de patrie, mais ces cris autrefois
fi puiffans fur eux ne les touchoient plus ; flattés de
l’obéiffance fervile qu’ils exigoieht des peuples , devenus
leurs fujeté OU plutôt leurs viftimes ; ils étoient
infennbles à la gloire de les défendre. Charles à force
de prières les engagea cependant à le fuivre eh Auf-
trafie, nommée alors Lotharingie, & depuis Lorraine
par adouciffement. Il méditoit cette conquête ,
moins pour illuftrer fon régné que jioür fe mettre
plus en état de retirer les privilèges que les vaffaux
s’étoient arrogés : un coup d’a'utoriré qu’il porta trop
ro t , à l’inftigation de Foulque, fon principal minift
re , fit malheureufement échouer fes deffeiris. Ayant
ôté la ville d’Arras à Baudouin , comte de Flandre y
fucceffeur de celui dont j’ai parlé fous Charles-le-^
chauve; Celui-ci fonna l’alarme & réveilla l’inquié-»
tude des feigneurs. Robert-le-fort, le plus confidé^
rable d’entr’eu x, joignit aufli-tôt fon mécontente-“
ment à celui du comte : Robert àmbitionnoit la couronne
, & fés efpérances étoient d’autant mieux
fondées , qu’il l’àvoit déjà vue fur la tête d’Eudes
fon frere : les moyens qu’il prétendoit mettre en
oéuvre pour y parvenir, le rendirent doublement
coupable ; il fit une ligue fecrette avec les Normands
qui avoient envahi la fecônde Lyonnoife, dont ils
poffédoient une partie. Charles fe voyant dans l’impuiffance
de conjurer cet orage, eut recoifts à ces
mêmes ennemis que lui fufeitoit le perfide Roberte
Francon, archevêque de Rouen, fe chargea de la
négociation, & fut engager Raule ou Rolon à préférer
l’alliance d’tm roiàcelle d’unfiijet.Raule é toitlechef
des Normands, & c’étoit le capitaine le plus intrépide
qui eût jamais mis le pied fur les terres de France ;
il avoït fait abattre les murs de Rouen, d’oii il voloit
tantôt en Angleterre » tantôt de l’une à l’autre extrémité
du royaume. Charles confentit à lui donner Gifelle
, fa fille , avec tout le pays compris entre l’Epte
& la Bretagne , n’exigeant des barbares que l’adoption
du Chriftianifme. Raule accepta ces conditions,
après avoir pris confeil de fon armée ; mais ce chef
politique ne rompit pas pour cela avec Robert, il
le préféra même à Charles pour fon parrain : en leè
ménageant ainfi l’un & l’autre , il les enchaînoit par
une crainte refpe&ive4* & le tenoit toujours eh état
de fe déclarer pour éelui qui lui offrirait de plus
grahds avantages ; aufli ne tàrda-t-il pas à faire dé
nouvelles demandes -, même avant de conclure Iê
traité. Il envoya une députation à Charles , lui dire
que les terres qu’on lui cédoit étant dépourvues de
bétail, on devoit lui en procurer d’autres ôîi fes
gens puffent trouver une exiftence plus commode ;
le roi fut encore obligé à ce fàcrifice, voyant bien
que s’il refufoit quelque chofe, Robert qui étoit
préfent ne balancerait pas à tout accorder. Le territoire
des villes de Rennes & de Dol ayant été cédé
à Raule ; il fe fit donner des otages , & paffa l’Epté
pour confommer le traité. Cependant Charles exi-
geoit l’hommage j & le fier Normand n’en vouloit
pas rendre ; il trouvoit fingulier qu’un foi qui lui
demandoit grâce, prétendît le voir s’humilier devant
lui. Ce refus alloit occafionner une rupture, lorfqué
des courtifans faififfant' le moment, lui prirent les
hiains & les portèrent avec précipitation dans celles
du rai. Ce fut en vain qü’on Voulut en exiger davantage
, il jura qu’il ne recônnoiffoit pour maître qué
fon épéè, & que jamais il he fléchirait devant aucun
prince. Les François défefpérant de vaincre fon opi-
hiâtreté, engagèrent un de fes lieutehahs à achever
la cérémonie , mais celui-ci non moins fier que le
duc, prit le pied du roi-, & au lieu de le lui baifèt*
avec refpeét, il le leva jufqu-’à fa bouche 8r le fit
tomber à la renverfe; Cèr Outrage manqua d’occa-
fionner un grand défordre ; mais les courtifans
voyant bien que CharUs n’étoit pas le plus fort,