
Francs ne fufient eux-mêmes les généraux de leurs armées, ils ne furent, félon les apparences , élevés
fur un bouclier 8c montrés au peuple comme rois ,
que parce qu'ils- avoient été d’abord choifis pour
.généraux •, ce qu’il y a de certain , c’eft que Clovis
& les premiers fiiscefleurscommandèrent toujours,
quelque jeûnas qu’ils fuflent, les armées qu’ils afieni-
bloitnt. Sigelei t fe mit à la tête de fes troupes
quoiqu’il n’eût, que quinze ans ; Childebert n’en
avoit que quatorze quand il pafia les Alpes : on
voit plus encore , oh yoit les- reines régentes
venir à l’armée , aflîfter à des batailles portant
dans leurs bras des rois encore enfans. Vers la
f n de la première race,on vit des rois qui,endormis
fur le trône & ne prêtant que leur nom aux exploits
de leur règne, remettoient le commandement des
armégs éntreles mainsdes maires du palais-, mais aufli
l’on vit bientôt le fceptre échapper de leurs mains
peu exercées & tomber dans celles de leurs généraux.
Pépin,Charlemagne qui dévoient au commandement
des armées le trône qu’ils occupoient, furent
eux-mêmes leurs généraux ; aufli remportèrent-ils
-de.s victoires fi gn aie es , aufli obtinrent-ils l’amour, l’efiime & l’obéiflance de leurs peuples. Les fuccef-
feurs de ces princes ayant imité les rois fainéans de
la première race , virent comme eux leurs généraux
s’emparer de la couronne. Il étort bien naturel
qu’un peuple de conquérons , qu’un peuple aux
yeux duquel la valeur étoit la première des vertus,
qui n’ai moi t, qui ne refpiroi.t /que les combats ,
qui en nommant un roi n’a voit voulu fans doute
• Je drbr.ner qu’un général, vît avec une grande la-
tisfaôion l’on fouverain à la tête de l’année. -
Ileft peu de rois de la troiüème race qui n’aient
eux-mêmes commandé leurs armées' : Hugues
Gapet , Philippe-Augufte , Louis IX , Jean I I ,
Louis XI , Loais XII , François Ier. , & Henri
IV furent prefque toujours eux-mêmes leurs généraux
-, fi depuis cette époque nos rois ne conduifent
plus eux-memes leurs armées, s’ ils fe contentent
de s’y montrer dans les oc&afions décifivcs, afin
-d’exciter encore davantage le courage de heurs
guerriers , c’eft parce que la guerre eft devenue
j>h art long & difficile à apprendre -, c’efi: parce que
Charles V & Charles V 1 1 leur ont enfeigné qu’un
■ i-oi peut vaincre les ennemis de l’état fans s’ex-
pofer $ux dangers de la guerre -, c’efi parce que
les-malheurs qu’entraîna après elle la prilon
*de Jean I I , 8c de François 1er. ? ont fait faire
aux princes des réflexions profondes ; c*eft
fur-tout parce que la France étant devenue plus
vafie &r (on adminiftration plus compliquée, la
préfet]ce du monarque efi devenue prèfque indii-
penfable dans le coeur de l’état.
“ Quand nos rois fe font difpenfés de commander
leurs armées en perfonne , ils ont prefque toujours
choifi pour les remplacer quelques-uns de leurs
• grands vafÇiux , de leurs fujets les plus diftingués
par leur naiffance , leur rang & leur expérience à
la guerre ; celui qu’ils avoient choifi pour remplir
cette portion fi importante des fondions royales,
portoit le titre de lieutenant général des années
du roi ' ces officiers qui reprélentoient la perfonne
du prince à la tête de fes armées , ne doivent
point-être confondus avec les lieutqnans généraux
de nos armées. Voye% le premier paragraphe de
n otre article L ieu t e n a n t .
Il a été un temps , 8c ce temps a été très-long,
où l’on avoit érigé des charges auxquelles le commandement
des armées étoit dévolu , telle fut
d’abord la charge de grand fénéchal de Fiance , 8c
puis celle de connétable. 11 n’exifte plus aujourd’hui
de charge de cette efpèce. Rien n’étoit ni plus mal
vu , ni- plus dangereux , que de donner à un
fujet des prétentions réel le s au commandement de
l’armée entière, ou d’ une de fes portions : l’hiftoire
du règne de François 1« en offre des preuves,
le s armées Françoifes font prefque toujours commandées
à préfent par des maréchaux de France ;
mais ces grands officiels,s’ils ne commandent point
n’ont pas le droit de faire des réclamations. Le roi
efi le maître de choifir parmi eux , où même de
confier le bâton du commandement à quelqu’autre
guerrier *, on a vu fouvent en effet des armées
commandées par des princes , on en a vu même qui
avoient des cardinaux pour généraux,ou qui étoient
I loumifes à des militaires d’un grade*peu élevé.
Quand la perfonne à laquelle le roi a confié
le commandement de fon armée., efi réduite par
des bleflures ou des maladies , au point de ne pouvoir
plus remplir les fondions de fa charge , c’efi
le plus ancien des officiers du grade le plus élevé
qui la commande ,. j’ufqu’aù moment où il en efi
autrement ordonné par Je roi : cet officier jouit de
la même autorité que s’il avoit une commiihon ,
un pouvoir particulier pour commander" l’armée.
Cette loi , qui efi aflez - moderne , car elle efi de
Louis X IV , & qui n’eft point bornée au commandement
de l’armée , car elle a lieu même , à
l’égard des pofies les plus inférieurs, fut infpirée
à ce prince par la perfuafion où il étoit que tout
commandement alternatif pu partagé efi vicieux.
L’opinion de ce monarque , qui fut prefque toujours
en guerre , 8c qui la fit même très-fouvent
avec fuccès efi un grand préjugé en faveur du
commandement d’un lèul mais pour nous affuref
qu’ il ne faut réellement qu’un chef à chaque armée
examinons fi la raifon 8c les exemples font d’ accord
avec la loi portée pa'r Louis XIV.
Si les hommes entre lefquels le commandement
d’une armée feroit partagé , avoient tous le même
génie, le même caraftère , les mêmes vues ; s’ils
étoient tous animés par le même efprit ; s’ils
étoient tous incapables de jaloufie , d’enviè ,
de haine -, fi tous reflembloient à- Eugène ,x à
•. Malboroug, au prince de Rade , au duc de Rehair 8c au célèbre W eimar, qui vécurent coiiftammenc
dans une parfaite intelligence , quoique chefs de la
même armée , quoique le commandement fût alternatif
entre eux , une armée commandée par deux,
trois 8c même un plus grand nombre de généraux,
marcheroit bien plus sûrement à la victoire , que
celle qui n’ auroir qu’ un guidé , qu’un chef : mais
comme l’hiftoire des hommes n’en montre guères
qui fifîent exempts des pallions que nous venons de
nommer -, comme la nature ne crée point , deux
hommes dont -l’efprit ait la même force , le
caraétèrp la même trempe , les vues la même
portée , & comme il efi plus rare encore qu’ils
aient les mêmes intérêts , il arrive toujours que
la rivalité , la jaloufie naiffent entre eux , que
l ’envie 8c la méfintelligence fe montrent, & enfin
que la difeorde arrive & avec elle des malheurs
frès-grands. D’après ces premières confidérations , 51 efi donc prudent, il efi même 1 âge, il efi indif-
penlable de ne donner qu’un chef à une armée. Il
faut obferver encore que l’autorité divifée perd
de la force , la gloire de fon éclat , la défaite de
fa honte. Il faut obferver aufli qu’en multipliant
les généraux on multiplie les paflior.s 8c lès
intérêts particuliers *, car chaque chef ayant fes.
partifans , il n’eft guères poflible qu’ il ne fe
forme entre ceux des differens généraux , des cabales
& des .divifions , qui toutes tournent au
détriment de la choie publique. Qu’on ne s’y
trompe point , je n’ ai pas voulu dire que c’ëft
la multiplicité des chefs qui caufe les défaites ,
mais les fuites de cette" multiplicité ; ainfi il
n’en faut pas moins fe borner à donner un feul
chef à une armée ; appuyons cette maxime fur des
autorités.
Si je fui vois l’hiftoire ancienne pas-à-pas , je
verrois un grand nombre de feuilles s’entafler
fous ma main j mais je me bornerai à indiquer
un petit nombre de faits décififs.
Les Lacédémoniens défendirent à leurs rois ,
par -une loi d’état , d’aller tous deux en meme
temps à l’ armée* Les Athéniens furent vainqueurs
quand les collègues de Milriadè fe furent défi
fiés de l’autorité en la faveur -, ils furent vaincus
quand Nicias & Alcibiade, qui ne s’accordoient
point , furent rois à la tête de la même armée.
Thémifiocle céda au Spartiate Euribiade le droit
qu’ il avoit au commandement de l’armée confédérée
, afin qu’ elle n’eût qu’un chef. Le-fénat de
Carthage accorda à l’armée d’Afrique le pouvoir
de renvoyer l’un des deux généraux qu’il lui avoit
donnés, parce que la méfintelligence s’étoit mifé
entre eux. C’efi la divifion entre les généraux
Romains qui les a prefque toujours obligés dé
recourir aux diéfcateurs , 8c quia rempli les faftea
de Rome de jours malheureux-î telle fut la caule
de la défaite des Romains par les Véiens , les
Volfques , les Eques. Suivez An-nibal, vous le
verrez triompher toutes les fois qu’il a deux généraux.
en tête , & être battu quand il n’a à faire
qu’a un feul : la Trébie, Trafimène , Cannes,
^érunium , font des preuves de cette vérité.
L’ hiftoîre romaine préfente un grand nombre
d,’autre s faits qui démontrent qu’une armée ne
doit avoir qu’ un chef, mais la plupart prouvent
en même temps , comme je l’ai avancé , que
cê n’eft point tant le partage dans le commandement
qui caufe les défaites , que.la divifion qui le
gîiffe toujours entre les differens chefs d’ un©
meme armée. Les Romains aux ordres de Mal lins 8c Apio réunis remportèrent de grands avantages
fur les Gaulois , jùfqu’au moment où la méfin-
telligence fe gliffa parmi eux •, dès qu’elle fe fut
introduite dans, l’armée , les Romains furent
battus ; il en fut de même à la bataille d’Àllia.
Mais rapprochons-nous du temps & 'Su- pays
où nous vivons.
On convient généralement que la principale
caufe du peu dé fruit que les croifés retirèrent
de leurs expéditions dans l’orient , ce fut le partage
de l’ autorité dans le commandement de le tirs-
armée s , formidables par leur nombre & par le
fanatifme religieux qui les animoit : l’amour de la
gloire qui divifa Philippe-Augufte & Richard Ier
fut plus funefie a leur parti que leur puiffance
& leur valeur ne lui fut utile.
Si l’armée françoife fut malheureufè dans le
Milanez pendant la campagne de 1500 , ce fut ,
dit M. Garnier, parce que la divifion fe mit entra
les généraux qui la commandoient.
Le Duc de Longueville 8c le fameux connétable
de Bourbon ne firent aucun, progrès en
Navarre pendant la campagne de 1513, parce
qu’ils n’étoient point d’accord.
Le partage dans le commandement empêcha dans
le Milanez les progrès de l’ armée françoife aux
ordres de d’Aubigni 8c de Trivulee ; c’efi en
grande partie à la même caufe qu’on doit attribuer
nos malheurs à Guinegate.
Les François.n’auroient pas aufli aifément triomphé
des Vénitiens à Aignadel , fi leur armée n’eû't
eu qu’un feul général. .
Les divifions qui régnoient entre Etienne
Colonne & le prince de Melphe furent fu r ie
point de faire perdre Arles à la France; Méfières
auroit été prife par des Impériaux, fi la rnéfin-
telligence ne s’étoit point gliflee entre le- prince
de Naflau 8c Sikingen.
Charlés-Quint eût - il triomphé aufli, aifément
des confédérés de Smalkalde, fi leur armée n’eût
eu pour" chef que l’ un dès deux habiles, généraux
qui la commandoient.
Pendant nos. guerres civiles , la méfintelligence
de Mont hic & de M. de Bu rie fut fur le point
de livrer là Guienne aux proiefians : la- mennteir
ligence entre le même Montluç 8c lé maréchal
d’An ville faûva Montgoméri ên Béarn. -
Les, mémoires de Tavannes me foutniffeat une
anecdote qui prouve d’une manière bien fai s.«