
Tances, de leur mérite ou de leurs avions 5 Thom*
me de guerre, peu aifé, ne feroit plus regardé
comme la viétime néceffaire de toutes les préférences
de la faveur 8c rinftrument fuboraonné
de l’avancement de l’homme riche : l’or féroit
banni dev la carrière de la gloire ; l’intrigue en
feroit éloignée avec foin, la vertu fans appui ne
selleroit pas languiffante, le crédit ne s’avance-
roit pas fans tâlens : on ne pourroit plus fervir mal
l’état & en pofféder les premières charges, être
fouillé du blâme public & jouir de la faveur.
$. I I I .
R e t r a i t e s .
Les malheurs de la guerre dûrent affez naturellement
exciter la commifération publique pour
les citoyens qui en a voient été les viélimes : il y
flvoit une loi a Athènes}, qui ordonnoit que ceux
qui avoient été eftropiés à la guerre, fer oient nourris
aux dépens du public 5 la même grâce étoit accordée
aux pères & aux mères, auffi bien qu’aux
enfans de ceux qui, étant morts dans le combat,
laiiïoient une famille pauvre & hors d'état de fub-
fifter.
Le même amour pour l’humanité, 8c peut-être
une politique bien entendue, étendit fes foins
jufq-ne fur les hommes qui avoient porté long-
tems les armes au fervice de la patrie.
Augufte, chez les Romains, fit un réglement
perpétuel, pour affurer la fortune des vétérans :
jufqu’après Caligula , les empereurs furent peu
exaéts.à fuivre ces réglemens d’Augufie, mais les
autres empereurs eurent plus d’égard pour le fer-
vice public , 8c ils traitèrent les vétérans avec
beaucoup de difiinétion : ils leur permirent de
porter la canne à la main, comme les centurions,
lorfqu’ils rentraient dans un camp; s’ils vendoient
ou achetaient quelque chofe dans les foires, ils
étoient difpenfés de tous droits ; ils étoient francs
de toute capitation, de tout tribut & de toute
charge personnelle : on ne pouvoir les condamner
aux peines décernées contre le menu, peuple , &
leurs enfans jouiffoient des mêmes prérogatives.
Dans des tems plus modernes, les foldats con-
quérans s’emparoient des terres des vaincus: de
là vinrent les fiefs, les ferfs 8c la coutume de
faire la guerre avec des vaffaux, que l’on re-
gardoit comme à foi, que l’on convoquoit quand
on le jugeoit à propos, 8c qu’on renvoyoit à la
fin de la campagne. Pendant le tems que dura ce
régime militaire, on s’occupa bien peu des troupes,
& ce fut au moment ou l’on eut des hommes
foudoyés, que l’on prit foin des foldats qui
compofoient les armées.
Les rois de France, dans plufieurs monaftères
de fondation royale , s’étoient réferve le droit
d’y placer un foldat eftropié, qui av.oit une portion
monacale, & qui étoit obligé de balayer l'égîife
& de fonner les cloches : c'eft ce qw’on ?n-
psloi-t moine lai ou'oklat i mais outre que cette
mince fortune avilifïoit le foldat, la reffaurçe étoit
bien foible pour le grand nombre d’invalides-;
François ICB avoit imaginé de placer dans les
villes frontières, ou ailleurs, les foldats qui, par
l’âge ou les bleffures, n’étoient plus en. état de
fervir.
Cette dernière façon, de récompenfer les foldats
étoit affez jufte & aff.z judicieufe; mais on
la trouva moins glorieufe & moins utile que l’hôtel
des invalides.
Les janifiaires vétérans par vieillefïe confervent
leur folde.
La politique anglaife a été plus loin : les enfans
de tout homme qui meurt fur mer au fervice du
roi, deviennent les enfans de l’état, qui eft chargé
de leur édutarioin» de leur entretien & de leur
établilfement.
On s’eft donc occupé affez généralement partout
de l’entretien & de la fubfiftance des foldats
eftropiés ou qui avoient vieilli au fervice. Comme
le dit Montluc : ce On ne peut pas moins faire,
» puifqu’ils font préfent de leur vie, & que cette
» efpérance leur fait prendre le hazard plus vo-
» lontiers. ».
Dans notre gouvernement, plufieurs perfonnes
femblent être perfuadéesv que la partie des retraites
, pour les troupes, eft celle dont on s’eft
le plusheureufement occupé ; mais quand on veut
examiner les objets en détail, on elt forcé de fe
défabufer ; on ne retrouve plus d'auffi grands avantages
pour l’état & pour les militaires, & l'on voit
qu’il n’eft pas moins effentiel d’étendre la réforme
, fur cette partie que fur les autres.
Mais nous croyons devoir renvoyer le leéleur
aux mots Invalide, Vétéran , 8çc. dans lef-
quels nous fommes entrés dans tous les détails
que nous avons cru les plus fatisfaifans pour aider
à réfoudre le problème militaire fi important fur
la vétérance, l’invalidité 8c la retraite des foldats
& des officiers français.
RECONNOISSANCE. ( Voye\ Pays , dans ce
Supplément. )
RECRUTEMENT. Quo;que ce mot ne fe
trouve pas dans le Diâionnaire de l'Académie , il
eft confacré dans les ordonnances militaires, pour
indiquer les moyens de recruter, afin de remplaceras
foldats qui manquent dans une compagnie ,
un bataillon , &c. Nous allons, fons ce mot, examiner
les différens moyens employés pour remplir
cet objet , & s’ils font mauvais, comme l’expérience
femble le prouver, nous tâcherons d’ea
propofer de meilleurs.
Dans un ouvrage qui vient de paroître fous le
titre de Situation de la France a la fin de L'an 8 , on
lit :
«* La Pruffe , dès le commencement de Ton élé*
» vat;on , ne pouvoir acquérir des reffourcester-
y> ritoriales proportionnées à l’ambition de l'es
» princes. S'élever par les conquêtes auroit trop
» dévoile fa tendance à s’agrandir : elle adopta
» cependant cette maxime , mais elle la diffimula
•». fous les form.s plaufibles d’un peitt&ionne-
» ment de ta&ique militaire & de théfaurifation ,
» qui excita d’abord plus d'émulation que de
» crainte, & qui fut auffi fatal à fes voifins par fon
» attrait comme exemple, que par fes fuccès
r>
comme moyen de jouilTances & d’agra-ndiffe-
» ment. Dès-lors tous les princes de l’Europe
as femblèrent croire que l’or ne circuloit dans
» leurs états que pour enrichir le file, & que la
» Nature ne pioduifoit des hommes que pour
aa qu’on en fît des foldats : dans les mains de la
sa plupart des miniftres, la théfaurifation ne fut
» que la chimère des Danaïdes ; mais le recrute -
>a ment fut une réalité ruineufe qui furchargea
»a tous les états de l’Euroj.e, violenta les refforts
aa de toutes les administrations, rendit infuppor-
» table à tous les peuples le joug des autorités
aa qui pefoient fur eux, multiplia les prétextes
aa de faire la guerre difpofa. les princes à en
sa chercher les oecafîons , leur donna des facilités
sa pour les rendre plus générales , plus durables ,
aa' plus fangbntes, & prépara enfin la déforgani-
» fation politique dont la guerre de la révolution
» a été le dernier & un des plus importans ré-
» fui ta ts. as
Mais ce recrutement , devenu fi onéreux dans
les mains des miniftres des différentes puiflances
de l’Europe , devint un fléau bien plus terrible
encore dans celles des créateurs , des foutiens
& des partifans du régime de la terreur. Parmi
leurs décrets, tous plus monftrueux les uns que
les autres, un furtout femble les furpaffer tous par
fa barbarie & fon impolitique ; c’eft celui fur les
réq u isition s.
A en croire Tacite, commenté par Camille
Defmoulins, la loi des fufpeéts ne fut pas entiécrément
inconnue aux anciens ; mais nos modernes
Romains furpafièrent infiniment leurs modèles à
cet égard, & les décrets fur le maximum & les
requi fi rions paroiffent être entièrement nouveaux
8c le fruit des feules conceptions de nos nouveaux
vandales révolutionnaires.
Arrêtons-nous au décret fur les requifitions,
d’où's’en eft fuivi fi long-tems le mode du recrutement
des armées françaifes. •
A en croire VAcadémie françaife , requifition
vient du mot requérir, & requérir, c’eft prier
quelqu’un de quelque chofe. Il eft vrai qu’en-
terme de juftice, requérir a à peu près le fens d’ordonner
5 mais quoi? l’exécution d’une fentence,
d’un jugement, auquel cas il ne s’agit plus de
prier. Dans la langue de li terreur, ce mot étoit
d’une toute autre importance : requérir étoit un
ordre, fous peine de mort, de livrer aux tyrans
à leurs affidés, faperfonne* celle de fes enfans
, fa propriété & fa fortune. Sous le prétexte
des befoins de la république & furtout des armées,
on requérait tout ce que la rapacité fans
borne des agens de la terreur pouvoit imaginer
pour fatisfaire leur infatiable avidité. Ainfi , fous
le prétexte de nourrir les foldats & les chevaux ,
on enievoit toutes les eaux-de-vie, tous les blés <
avoines, boeufs , vaches, veaux , moutons, cochons
, paille, foin, &c. ; fous le prétexte de les
vêtir, de les couvrir, &c. on enievoit tous les
draps , toiles , batiftes, nanquins, mou fie line s
tapitieries , cuirs, bottes , fouliers, manteaux ,
habits , chemilès, fers , chanvres , huiles , graif-
fes, &c. ; pour les hôpitaux, on s’empara de tous
les vins , drogues, fucres , fruits , linges^ &c. ;;
pour les tcanlports, de tous les chariots, de toutes
les cari oies , de tous les carroffes, cabriolets ,
bois, outils, &c. ; & pour utiliièr, en apparence ,
une partie de- ces rapines , on arrachoit de leurs
chaumières , les artifans, les femmes, les enfans,
fes Jeunes gens, les hommes- faits, les vieillards
, &c. La pefte & la famine , fi dévorâmes ,
auroicDt laiflé des traces moins terribles de leur
pafiage ou de leur féj:our , que n’en jaifioierft les
latrapes de l’anarchie & leurs affiliés dans les lieux
où ils pafioiem , & la France en étoit couverte.
Une année après le 9 thermidor an 2 , nous
avons encore vu à Baronne des rues pleines de
carrofies & de cabriolets, tous brifés ou pourris^
des cours où étoient entaffées de fuperbes tapif-
ler-ies-, & des chariots- de l’armée qui en étoient
couverts en guife de toile cirée, & tous ces objets
n’avoient été d’aucune utilité pour la république ,
& étoient perdus pour les propriétaires.
Les mêmes défordres, les mêmes inconféquen-»
ces , les mêmes injuftices furent mis en ufage dans
la requifition des jeunes Français, pour compofer
ou recruter les armées ; ainfi il fut ordonné a tout
citoyen français, depuis l’âge de dix-huit ans juf-
qu’à celui de vingt-cinq, de fe préfenter à fa municipalité
pour y être inferit fur les rôles de la
milice nationale ; aucun ne devoit être exempté ;
borgnes , boiteux , boffus , infirmes, nains , ra-
chétiques , eftropiés , mal-adroitsi ÿ tout fut contraint
de partir , & dans un moment où , d’après I*
levée des trois cent mille hommes , nous avions-
un nombre' de combattans qui furpafibit celui de
nos ennemis : la requifition vint enlever aux arts. *
au commerce , à l’agriculture, à l’éducation , à la*
population , à la croiffance même & à la formation,
environ quinze cent mille jeunes gens , donc
plus du tiers étoit hors d’état,- on ne dit pas feulement
de combattreni même dé porter & de
faire ufage d’un fufîl-, mais encore de porter un
fac fur le dos & de marcher.
Il feroit trop difficile de calculer les maux occa-
fionnés par ces déteftables mefures, maux bien
plus durables que tous les autres, puifqu’on les 3
perpétués, &xque l’on aura à en gémir peut-êtss
pendant plus d’un demi-fiècle.