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il le d i t , pour un efprit très-prévenu) , que, de
tous les projets pour faire les chemins, celui qui
en rendroit la conftruétion la moins longue, la
moins chère & la plus folide ,. feroit fans contredit
celui qui y emploieroit l’infanterie françaife ,
bien éloigné d’être convaincu qu’on a mal fpéculé
quand on a propofé de faire travailler les troupes
aux chemins, & qu’on a mal raifonné quand on a
dit que ceux des Romains étoient en grande partie
l’ouvrage de leurs foldats.
Quant à notre ta&ique , la différence qu’ il peut
y avoir entr’elle & celle des Romains, eft encore
à l’avantage des perfonnes qui défirent que les foldats
travaillent aux chemins,parce que je la crois
moinscompliquée, plus aifée à apprendre & moins
foumife à des exercices continuels.
En effet, outre les inftruiùions fur la marche &
fur les manoeuvres qui pourroient être communes
entre les deux tactiques, le foldat des anciens
étoit obligé de s’exercer continuellement au maniement
de la pique ou du javelot, & à celui de
l ’épée , foit pour l’attaque , foit pour la défenfe ;
ce qui exigeoit une adreffe, une force & une habitude
dont nos foldats n’ont nullement befoin
pour manier un fufil , c’eft-à-dire , le charger &
le tirer ; car l’ufage de l’arme à feu doit fe borner
à ces deux ob jets. Quant à la force & à l’adreffe,
toujours très - importans pour un foldat, on ne
mettra pas en doute que l’homme qui fe fera
exercé chaque année, pendant cent vingt jours, à
manier une pelle , une pioche ou une brouette,
en plein air , ne foit plus fort & plus adroit que
le foldat qui, pendant ces cent vingt jours^ aura
fait , chacun pendant quelques heures , un exercice
qui fe paffe ordinairement en de longues préparations
; des tâtonnemens continuels , des aïi-
gnemens fucceffifs & une immobilité affez inutile ,
mais toujours nuifible au phyfique de l’individu
qui eft obligé de l’obferver, furtout dans la pofi-
tion fi gênante du foldat fous les armes & portant
le fufil } la tête à droite, le ventre en arrière, la
circulation pour ainfi dire fufpendue, & l’ équilibre
ou l’affiette d’aplomb étant toujours prêt
à être rompu , d’après la ridicule manière contre
nature adoptée pour le foldat en parade & même
en manoeuvre. D’ailleurs, la tenue néceffaire
pour ces exercices, les punitions qui en font
trop fouvent la fuite , l’ennui indifpenfablement
attaché à refaire continuellement ce que 1 on fait
déjà très-bien 5 le tems qu’ il faut employer après
chaque exercice d’une manière fi faftidieufe a réparer
les défordres néceffairement arrivés à la fublime
tenue ; le fufil, la giberne , la buffleterie, les
guêtres , & c . qu’ il faut nétoyer , toutes ces occupations
fi faftidieufes , fi pénibles & fi hors
d’oeuvre peuvent-elles être rnifes en comparai-
fon avec un travail lucratif, fait doucement, fans
contrainte, fputenu par une bonne nourriture 8c
terminé journellement par des jeux?
- Répétons-le, parce que ce font des vérités im-
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portantes 8c utiles : plus on réfléchit fur la mal-
neureufe riéceflité où Ion croit être d'entretenir
continuellement des troupes fur pied , fur la manière
dont elles font conflituées, fur l’importance
de maintenir la force du corps des foldats & même
de l’augmenter, & plus les perfonnes raifonnables
font forcées de fe convaincre de la néceffité de fe
fervirdes troupes , foit pour les rendre moins à
charge en les rendant utiles, & en les faifant remplacer
des ouvriers toujours néceffaires aux arts 8c à l’agriculture} foit pour les endurcir à la fatigue
à laquelle il eft fi effentiel qu’ elles foient toujours
préparées ; foit pour leur faire éviter l’oifi-
veté des garnifons, fi pernicieufe à Durs moeurs,
à leur fanté & fouvent. à leur conduite > foit enfin
pour les tirer de ces garnifons où. les gardes qu’eljes
montent & les exercices qu’ elles font d’ une manière
fi fouvent faftidieufe , n’en font que des hommes
dégoûtés de leur éta t, & de mauvais foldats
au phyfique & au moral.
Mais après avoir combattu M. de Potnereuil,
en lui accordant une partie de fes fuppofitions &
avoir tâché de prouver que, même d’après toutes
fes données, il feroit très-avantageux de fe fervir
des troupes françaifes pour les travaux publics ,
ne pourroit-on pas encore renforcer cette opinion
, en prouvant :
i° . Qu’il refte très-peu de grandes routes à faire
en France, 8c que plufieurs de celles qui font
faites & entretenues, font à charge & par confé-
quent inutiles}
i ° . Que les chemins devroientêtre plus étroits,
30. Qu’il feroit peut-être avantageux qu’ils fuf-
fent pavés partout}
40. Qu’ il y auroit des moyens d’en rendre l’entretien
très-peu coûteux, & c . ,
i ° v S i, comme l’on en convient affez généralement,
l’on a beaucoup trop multiplié les grandes
routes ; fi cette opinion femble acquérir tous les
jours une plus grande certitude, d’après les recherches
faites lur les chemins par les differentes
commiffions intermédiaires des différentes affem-
blées provinciales 5 fi l’on a trouvé que, pour aller
de Paris à Lyon, à Bordeaux, à Strasbourg, à
Rouen, 8cç. il y avoit trois grandes routes pour
aboutir à chaque ville } fi vous voyez fix routes
de poftes aboutir à Amiens, autant à Saint-Quentin,
Cambrai, Lille, 8cc. cinq à Abbeville, Valenciennes,
& c . on feroit obligé de convenir qu’ il
y a plufieurs grands chemins à réduire en chemins
intermédiaires, & qu’une grande quantité de ceux
propofés ne doivent pas jouer un autre rôle : d’où
il faudroit conclure que l ’on diminueroit infiniment
, par ce moyen , les frais de l’entretien de
ceux que l’on conferveroit, ainfi que les frais né-
ceffaires pour la conftruéàion de ceux que l’on r$-
garderoit comme néceffaires.
C ’eft encore une chofe unanimement reconnue
, qu'il feroit très-important de faire des
, chemins beaucoup moins larges, ôc de les réduire
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à quarante-deux pieds, en y comprenant les foffés
& une banquette de chaque côté pour les gens de
pied : nouveau moyen d’économifer pour l’entretien
& la confiaiétion, 8c de rendre aux différens
particuliers qui ayoifinent les chemins, des ter-
reins prefque toujours infiniment précieux.
30. Rien de plus effrayant peut-être au premier
afpeét, que cette propofition de paver tous nos
chemins, mais rien de plus facile & dé plus économique
en réalité, furtout quand les différens ;
canaux projetés feront finis: ils donneront une in- j
fini té de moyens peu coûteux pour tranfporter
parcout où il n’y en aura pas, des grès ou des
pierres néceffaires pour paver } la première dé-
penfe une fois faite , l’entretien feroit très-peu
de ch o fe p o u rvu que l’on tînt la main à empêcher
qu’aucune charrette à quatre roues ne fût
chargée d’un poids de plus de deux mille, 8c
celles à deux roues de quinze cents : dès-lors
on verroit les pavés ne s’ébranler que très-difficilement,
& leur entretien fe réduire à très-peu
de chofe (1).
4°. D’après ce que nous venons de dire des
grandes routes réduites aux feules néceffaires ,
diminuées de plus de moitié , pavées & jamais
furchargées d’un poids de plus de deux mille livres
à la fo is , fi l’on adoptoit la méthode du
Limoufin , des ftationnaires chargés de furveiller
à ce qu’il ne fe faffe aucune ornière, aucun trou ,
aucune dégradation quelconque fans la réparer
tout de fuite , il fera bien aifé de prouver que
l’entretien des grands chemins deviendroit néceffairement
très-peu coûteux.
Mais ce qui rendroit encore généralement bien
moins onéreux aux peuples la conftruétion ainfi
que l’entretien dés chemins, ce feroit le fyftème
fî fage, adopté chez le roi de Pruffe, la Suède 8c
. (1) Je ne fais pas réfifter à l’envie de parler d’un
projet-que j’ai connu , & qui, paroiflanc extravagant
au premier expofé , devenoit infiniment raifonnable
& féduifant à mefure qu’on en examinoit avec attention
les différens développemens. Ce projet étoit celui
de cpuvrir les grandes routes par des voûtes en briques
, & en les rendant par-dà impénétrables à la
pluie & au foleil, de les rendre toujours également
belles } d’en réduire les réparations à l’entretien des
voûtes} de mettre les voyageurs, les bêtes, les voitures
& les marchandifes à l ’abri de la pluie & du
foleil, & de conferver par-là infiniment davantage les
uns & les autres , ainfi que de néçeflicer une diminution
dans le prix de toutes les marehandifes, &c. &c.
D’après les plans & les devis donnés, on ne portoic
la première dépenfe de chaque année , pour la conf-
truéàion des voûtes propofées, qu’à des fommes un
peu moindres ou tout au plus égales à celles employées
aéfuellement en conftruétion & en réparation , & il
ne falloir pas un bien grand nombre d’années pour
couvrir les grandes routes.
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l*empereur, de ae retenir la plus grande partie des
foldats fous leurs drapeaux, que deux ou trois mois
chaque année. Nous approchons probablement du
moment heureux o ù , convaincus des avantages
de rendre nos foldats toujours plus citoyens, les
troupes diftribuées dans chaque province ne fe
recruteront, en officiers 8c en foldats, que des perfonnes
de la province où elles feront} dès-lors, toujours
à portée des lieux qui les auront vu naître , il
fera très-aifé de les y renvoyer une grande partie de
l’année, & de les en rappeler pour les raffembler 8c les exercer.
Faites travailler vos foldats, dit un auteur célèbre
à un prince auquel il donne des confeiîs, à
la perfection des chemins par lefquels ils doivent
marcher, à l’applaniffement des montagnes qu’ils
doivent gravir, aux ports où ils doivent s’embarquer
, aux fortifications des villes qu’ils doivent
détendre : ces travaux utiles les occuperont pendant
la paix, rendront leurs corps plus robuftes 8c
plus capables de foutenir les fatigues de la guerre.
Telle étoit la méthode des Romains : les légions
firent elles-mêmes ces chemins qu’elles parcoururent
pour aller conquérir l’Afie mineure & la Syrie
: le foldat fe courbe en remuant la terre, mais
il fe redreffe en marchant à l’ennemi} un mois
d’exercice rétablit ce petit avantage extérieur que
fix mois de travail ont pu défigurer} la force, l’adreffe
, le courage, valent bien mieux que la grâce
fous les armes : les Ruffes font moins parfaits à la
parade que les Prufûens, mais ils les égaient un
jour de bataille.
M. de Rumfort, dont nous avons déjà parlé au
mot Ja r d in , avoit formé le plan de faire mefurer
tous les chemins publics de la Bavière, ainfi que
tcfc& les chemins de l’ intérieur, d’élever des pierres
milliaires, numérotées, fur chaque grande route
, à la diftance d’ un demi-mille ou d’un mille ; de
partager chaque grande route en autant de ftations
qu’ elle auroit compris de pierres milliaires, & de
former au milieu de chaque ftation une petite mai-
fon avec un petit jardin, & une petite écurie pour
trois, quatre ou cinq chevaux : dans chacune de
fes maifons auroient logé trois ou quatre cavaliers,
un foldat en congé, chargé de furveiller la réparation
des chemins dans les limites de fa ftation »
& un invalide qui feroit chargé du ménage, acheter
les denrées, faire la cuifine pour lui & pour les autres,
avoir foin du jardin , & , dans l’abfence de
fes compagnons, recevoir les ordres & les mef-
; fages.
Lorfqu’un des foldats auroit été marié, fa femme
auroit eu la permiffion de demeurer dans la mai-
fon,-à condition d’aider l ’invalide dans fon fer-
vice : on pourroit auffi prendre pour cet ufage une
veuve ds foldat, penfionnée.
Afin de maintenir l’ordre & la difcipline dans
cesétabliffemens, on propofoit de nommer des
fous-officiers aétifs & intelligens, infpeéteurs des
routes, & de les fubordonner à des officiers fu