
9ue de ne rien favoir ? Obfe,rvons que l’on n’oublie
jamais entièrement ce que l’on a appris dàns fa
jeunefle : on eft quelquefois étonné de retrouver
dans l’âge mûr des chofes qu’on avoit perdu de
vue depuis la plus tendre enfance & que l'on
croyoic ignorer ; & d:ailleurs une feule leéture
ne iuffit-elle point pour nous rendre préfentes les
connoiffances que nous avons autrefois p.oiTédées.
Lorfque les jeunes militaires verront mettre à
exécution dans les camps de paix , en campagne ,
ou dans leurs garnifons ce qu’ils auront appris
pendant leur éducation , toutes leurs idées le
reveilleront avec promptitude '& le clafferont
d’elles-mêmes avec facilité. Les explications que
leurs profelfeurs leur auront données & les
réflexions qu’ils auront faites eux-mêmes , fe
représenteront à eux 8c répandront une vive
lumière fur les objets qu’ils auront fous les yeux.
Je vais plus loin , je fuppofe que les jeunes
citoyens n’acquerront aucune lumière, au moins
ne pourra-t-on nier qu’ils contra «Seront l’habitude
de l’étude -, les examens ne pfoduiroient-ils que
cet avantage, il faudroit les admettre. L’habitude
du travail en fait naître le'goût -, ce . goût fe
transforme- en b©loin , & la fatisfaction de ce
befoin devient un plaifir.
N’ayant aucun ouvrage qui renferme toutes- les
connoiffances néceffaires aux militaires , comment
dira-t-on encore , le£ jeunes citoyens pourront-il s
fe préparer aux examens ? cette objection fêta levée ï
par un projet de réglement que je mettrai fous
vos yeux, & qui nous procurera avec promptitude
un ouvrage élémentaire dans lequel les jeunes
citoyens trouveront & puiferont avec facilité
toutes les conhoiffarrces que votre fageffe leur
aura fait une loi de pofféder.
En exigeant beaucoup de connoiffances des
citoyens qui fe deftineront à entrer dans l ’armée
en qualité d’officiers, vous fermez, dira-t-on aufîi
peut-être , la porte de ces emplois à tous les
citoyens qui ne jouiffent point d’une fortune -
conlidérable, & par conféquent vous violez le
principe. Cette objection, fi elle n’eut pas été
prévue , feroit d’une grande force , mais elle ne
m’a point échappé ; je crois l’avoir complçtte-
ment levée en vous propofant l ’établilfement de
trois cents cinquante primes d’éducation militaire,
qui feront diïlribuées aux jeunes citoyens qui
auront répondu avec le plus de diftinâion aux
questions que l’examinateur pourra leur faire.
Permettez-moi, niefiieurs , de vous arrêter un
moment fur Pétabliffement de ces primes & de
développer devant vous tous leurs avantages.
Les primes dont je propofe l’établilfement, coûteront
a l’état 320,000 liv. , en y comprenant les
frais relatifs à leur jufte diflribution -, il s’agit de
favoir fi cette dépenfe de 320,000 liv. en primes
d’éducation produira plus d’avantages à la corporation
entière, qu’une pareille fomrae qui feroit 1
diftribuée en penfions gratuites. Nous ferons
abftraétion dans ce moment de la difficulté qu’il
y auroit à répartir avec juftice- & d’une manière
conftitutionneilç , les quatre cents penfions gratuites
dont l’état entier feroit les frais ; nous
devons nous borner dans ce moment à examiner
s’il vaut mieux ciéer ou conferver quatre cents
penfions gratuites ou créer trois cent cinquante
primes d’éducation militaire.
Avec 320,0.-,.o liv. réparties en penfions gratuites
, l’état ne feroit annuellement élever que cent
jeunes citoyens , car dans un collège qui n’a aucuu
intérêt à hâter i’inftruélion des élèves , il faudroit
au moins quatre ans à chaque afpirant pour s’inf-
truire. Avec la même fomme répartie en primes d’éducation
militaire, l’état engagera un nombre infini
de familles à faire des facçifices pour l’éducation
de leurs enfans ; & il procurera ainfi une bonne
inftitution à tous ceux qui les ambitionneront.
Mais les ambitionnera-t-on ces primes ?- oui fans
doute on les ambitionnera , foit à eau le de leur
valeur intrinsèque , foit à caufe des avantages
militaires qu’on y attachera. Comme chaque
famille efpérera que fes enfans gagneront une
des plus fortes primes, aucune ne fe refufera à
faire des dépenfes qu’elle ne regardera que comme
des fimples avances a il y aura même , j’en luis
perfuadé , des maifons d’éducation qui feront des
; fpéculations fur les primes, & par-là il arrivera
fouvent que les familles feront donner gratuitement
une excellente éducation à leurs enfans.
Les perfônnes qui ne feront point entraînées
par la valeur des primes, le feront par les autres
avantages dont-elles feront accompagnées. Ces
avantages feront la certitude d’avoir un emploi
militaire , l’affu rance d’occuper un rang proportionné
à la valeur de la prime, & une gratification
en mois de fervice qui fera auffi proportionnée à
la prime.
Si au lieu des primes d’éducation on adoptoit
les penfions gratuites , il arriverait fouvent ce
qui arrive aujourd’hui , que l’état après avoir
dqpenfé 3 ou 4,000 liv. au moins , pour fe former
un défenfeur inftruit & éclairé, pour fe procurer
un bon citoyen , n’auroit fouvent qu’un jeune
homme inepte , qu’an homme incapable par
fa conftitution phyfique & par fes qualités
morales de devenir un bon militaire. 11 arriveroit
encote quelquefois que des maladies longues
rendroijent les dépenfes de l’état plus grandes,
& que la mort de l’élève les rendroit.abfolument
inutiles. Avec les primes on n’a aucune de ces
craintes : l’état ne marche jamais .d’un pas incertain
, il n’achète jamais des efpérances , il
ne paie que lorfqu’il a tou.t vu , tout examiné,
que lorfqu’il s’eft alluré que ce qu’on lui propofe
lui convient fous tous les rapports. Ces différences
font aufîi heureùfes que fenfibles.
Mais Pétabliffement des primes que nous
venons de montrer dans l’intérêt de l’état n’eft
pas m'oins dans l’intérêt des citoyens. Cette vérité
fera aifément ferme. Quelque certaine, que foit
une mère que fon fils recevra dans un collège une
bonne inftitution , quoiqu’elle elpère qu’on fur-
veillera fes moeurs , qu’on polira les maniérés ,
elle craint pourtant toujours de voir une partie
de fes efpérances déçues : fa tendreffe s’allarme
elle le crée ce que les hommes froids appellent
des chimères , & qui font des réalités pour un
coeur maternel $ elle ne voudroic s’en rapporter
qù?à elle elle a r.aifon •, quels foins peuvent
remplacer ceux d’une mère. Avec l’établiffement
des primes les enfans pourront relier
dans la maifon paternelle , ils y recevront peut-
être--une éducation moins brillante , mais elle
fera plus folide -, leurs manières feront peut-être
moins ai fées , mais leurs moeurs feront plus pures.
Que Jêroic-ce donc fi nous .comparions la facilité
que' tous les citoyens auront de concourir aux
primes, avec la difficulté d’obtenir des penfions
gratuites ?Pour les obtenir ces penfions,il faudroit
toujours recourir aux protecteurs, aux Pollicitations,
à i’inrrigue , à la baffeffe -, pour gagner des primes,
il ne faudra q'üe du travail & des talens. C’eft le
noble dépourvu de fortune , c’eft le citoyen des
provinces qui doivent fur-tout demander avec
in fiance Pétabliffement des; examens -& des
primes : combien .de foins ne faudroit-il point
qu’ils fe donnaient ? combien de démorches ne
faudroit-il pas qu’ils fiffent pour engager un
colonel à fe charger de leurs enfans-, éloignés
de la capitale, inconnus à la cour, ils n’auroient
ni débouchés ni reffources. Ecabliffons les examens
& les primes, le vieux militaire retiré dans
fes terres , le noble".indigent qui cultive lui-
même le chétif héritage que fes pères lui ont
laiffé , lé . modefle citadin qui voudra vouer fon
fils à la défenfe de la patrië , toutes les claffes
eft i niables de citoyens pourront dès l’âge le plus
tendre mettre le livre des examens entre les
mains de leurs enfans : je fuis pauvre & fans
protecteurs , pourront-ils fteur dire , vous n’avez
doue rien à efpérèr que de vous-même •, étudiez,
apprenez ce livre, c’eft lui qui abaiffera devant
vous la barrière du champ de l’honneur , qui vous
procurera l’argent néceffaire à votre première
courfe , & qui vous approchera sûrement du but
.que voulez atteindre.
Si l’on oblige les jeunes citoyens à apprendre
beaucoup de chofes avant de les admettre dans
l’état militaire , ils. n’entreront que très-tard au
fervice, s’ils n’entrent .que tard au fervice , ils
n’arriveront que tard aux grades élevés , 8c que
très-tard aux grades les plus élevés.• Je réponds
a ces objections : l’époque de l’entrée des françois
au fervice fut-elle retardée de beaucoup , l’état
n’y perdroit point : vingt ans donnés par un
homme inftruit valent mieux que vingt-cinq ans
donnés par un homme ignorant ; retardons autant
que nous le pourrons le moment de l’admillion
à l’état militaire -, les moeurs y gagneront beau-,
coup , & nous ferons éviter à nos défenfeurs une
grands partie dès écueils contré le (quels ils
viennent le brifer ; y A ge. Les examens
n’apporteront qu’un retard peu lenfible à l'arrivée
aux grades" les plus élevés un an ou dix-huiC-
mois doivent dans un objet fi important être
comptés pour bien peu.
Mais pourquoi -, diront quelques hommes que
les grands abus dont nous avons été les témoins
ont prefque rendu in jufte s , pourquoi l’état
paieroit-il l’éducation des jeunes militaires , 8c
pourquoi ne paie-t-il poinc de même celle de»
magiftrars , des eccléfiaftiques ? C eft qu’ il fa la rie
beaucoup mieux les magiftrats & les eccléfiaf-
tiques qu’il ne falarie les officiers’, c’eft qu’il.n’y
a point de comparaiibn à faireentre les la orifices
auxquels le jeune militaire fe difpofe & ceux aux-?
quels le magiftrat fe fou met -, c’eft que l’état a
fait de grands frais dans l’étabiisfemept des
collèges publics pour l’éducation du prêtre & du
juge, 8c qu’il n’a encore rien fait pour celle du
militaire -, c’efl qu’il eft polfible d’élever les deux
claffes d’hommes publics dans les inftitutions
ordinaires, 8c qu’il eft impoilible d’y élever les
militaires : c’eft que l’état doit des encourage-
mens, des jécompenfes & peut-être même des
fecours gratuits très-abondans à tous les citoyens
qui de bonne heure fe dévouent pour fa tranquillité
& la gloire. Les primes d’éducation, pour
les miliraires , peuvent donc & doivent mêm©
être confidérées comme un aéle de juftice.
Je me chercherai point à prouver que les prime»
ne doivent point être confondues avec le relie
des récompenfes pécuniaires ; l’état ne dira poinc
aux élèves , je vous donne de l’argent parce que
vous êtes inftruit, mais il dira aux pare ns, je
vous donne cette prime afin de‘ vous rembourfec
des dépenfes que vous avez laites pour l’éducation
d’ùn citoyen que vous avez confacré dès
Ion g-temps à mon. fervice ; d’un citoyen de
l’éducation duquel je devois naturellement me
charger, car il fe- voue tout entier a moi ; d’un
citoyen que je n’ai laiffé entre vos mains que
parce que je ne pou vois en trouver de plus
jures.
Je, ne fuppoferai point que les rai ni lires , les
colonels réclameront contre l’etubliffement des
examtns y les uns 8c les autres perdront il eft
vrai quelques-unes de leurs prérogatives , mats
ce facrifice léger fera compente, même à leurs
yeux , par l’avantage qui en réfui ter a pour la
c ’nofe publique -, les colonels ne perdront dans la
réalité qu’une très-petite portion de leurs droits9
8c ils gagneront la nomination de la moitié des
emplois de leur régiment dont ou les avoit privés*.