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légiflations modernes, le foldat eft exclu des avantages
de l’état focial, tels que le rang, les honneurs,
&c. il faut au moins lui appliquer ce principe
d'a&ion qui peut l’èxciter à faire de grandes
chofes, les récompenfes pécuniaires, mais feulement
en gratification du moment & comme récom-
penfe de la viéloire ou de quelqu’autre aéte de
valeur extraordinaire ; mais il ne faut pas porter ces
grâces à un tel excès, qu’elles mettent tout à coup
l’homme hors du befoin d’en defirer d’autres: on
ne doit lui donner des terres que comme retraite.
Une armée enrichie de dépouilles & chargée de
bagages, devient corrompue & difficile à gouverner.
J’approuve fort la conduite d’Alexandre:
il licencia fes vieux foldats, qu’il renvoya riches
dans leur pays, & mit le feu au refte du butin. Le
foldat eft expofé à de grands dangers 5 il fupporte
de grands travaux, il lui faut de grandes récompenfes,
de grands plaifirs ; mais que tout cela foit
v if & court , que fes defirs, plus aiguifés que fa-
tisfaits, entretiennent toujours l’efpérance & le
befoin du lendemain.
Les foldats grecs & romains étoient animés,
dans le danger, par l’efpoir du pillage & la pe ripe
<5tive des honneurs de l’état, où la vertu militaire
menoit le plus furement. Les Mahométans
étoient guidés par le pillage & le fanatifme 5 les
Tartares & les âibuftiers de l’Amérique, par le
pillage feu! : tous ont fait des a&ions d'une valeur
extraordinaire & d’un héroïfme que nous avons j
peine à croire.
Quand les motifs qui déterminent nos troupes
modernr s font ainfi rapprochés de ces puiffantes
pallions qui embrafoient l’ame du foldat chez ces ;
différentes nations, on ne doit pas s’étonner de j
l’immenfe différence des réfultats. Le bâton fera
peut-être un efclave fupportable, il ne fera jamais
un héros. Outre les motifs -tirés de la crainte des
peines, de l’ excès des befoins phyfiques, de l’amour
des honneurs ou des richeffes , il y en a
d’autres encore moins généraux, mais plus puif-
fans , tels que la liberté & la religion.
De tout ce que dit le général fur la liberté, nous
n’extrairons qu’une phrafe qui rentre dans notre
fujet.
On obéit fans répugnance quand c eft un moyen
de fe procurer les objets de fes defirs 5 mais quand
l’utilité celle, un ordre eft regardé comme une
oppreffion : on en détefte l’auteur, en proportion
de la gêne où il met la liberté, l’honneur ou la
propriété, & on fàifit la première occafion de
fecouer le joug & de rentrer dans fes droits.
L ’homme n’a qu’une certaine mefure de patience:
quand elle eft épuifée, la force s’oppofe à la force,
la violence ne_peut plus efpérer l’impunité, le
défefpoir naît de l’opprefflon, & s’il eft favorifé,
même des plus petits moyens, & conduit par une
fagefle ordinaire, il devient invincible. ^
Le général Lloyd parle enfuite de 1 influence
de la religion, des femmes & de la mufique, mais
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d’après des principes, des moeurs ou des effets op-
pofés à nos moeurs ou impoffibles à calculer.
Il réfulte, ce femble, de ce que nous venons
de dire, que le général d’une armée , pour s’af-
furer de grands fuccès dans fes entreprifes, doit
réunir les vertus dont on a parlé au mot Génér
a l , fuir les vices fur lefquels on eft entré dans
quelques détails au premier paragraphe de cet article,
de furtout chercher à exciter dans fon armée
les pallions dont on a tâché de développer la
puiffancé dans le fécond paragraphe.
PISTOLIERS. On donnoit, fous le commencement
du^ règne d’Henri II, le nom de piftoliers
aux troupes à cheval, qui auparavant portèrent
le nom de reitre. ( V o y e£, à ce fujet, les M ém o ir
es de la V i e a v i l l e , fur le facre du roi Henri II,
à Rheims. )
PITIE. C’eft un fentiment naturel de l’ame,
qu’on éprouve à la vue des perfonnes qui fouf-
Irent ou qui font dans la mifère: rien ne fait tant
d’honneur à l’humanité, que ce généreux fentiment
j c’eft, de tous les mouvemens de l’ame, le
plus doux & le plus délicieux dans fes. effets : on
ne fauroit-employer trop de moyens pour l’émouvoir.
« La main du printemps couvre la terre de
» fleurs, dit le bramine infpiré : telle eft,.à-l’é-
*> gard des fils de l’infortune, la pitié fenfible &
» bienfaifante > elle effuie leur larmes, elle adou-
» cit leurs peines : vois cette plante furchargée de
» rofée : les gouttes qui en tombent, donnent la
» vie à tout ce qui eft autour d’elle 5 elles font
« moins douces que les pleurs de la compaflion. »
Dans nul état peut - être on n’a plus befoin
de connoître le généreux fentiment de la pitié,
que dans l’état militaire : après une bataille, dans
une marche forcée , dans tifee retraite précipitée,
expofés à manquer fouvent de nourriture , de fe-
cours, &ç, il eft important que les plaintes & les
cris des mourans, des bleffés, des hommes qui
fouffrent, puiffent agiter les entrailles de ceux qui
font expofés aux mêmes maux ou qui en font les
témoins 5 l'afpeétdu fang qui coule, doit leur eau*
fer je ne fais quelle angoifle, &c. Pour devenir fenfible
& pitoyable, il faut donc voir des êtres fem-
blables a nous, qui fouffrent ce que nous avons
fouffert & qui fentent les douleurs que nous avons
fenties. Nous ne devenons fenfibles que quand
notre imagination s’anime & -commence à nous
tranfporter hors de nous. Et quels font les hommes
qui peuvent, autant que les militaires, fe
trouver dans des circonftances où leur imagination
peut s’animer?
Mais pour exciter , pour nourrir cette fenfibi-
lité, pour la guider ou la fuivre dans fa pente naturelle,
il faut, ou offrir aux yeux des fol iats, ou
rappeler à leur efprit des objets fur lesquels puiffe
agir la force expanfivede leur coe ur, qui l’étendent, qui
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qui le dilatent fur leurs camarades, qui les faffent
partout retrouver hors d’eux-mêmes, en écartant
avec foin ceux qui le refferrent & le concentrent,
c’eft-à-dire, exciter en eux la bonté, l’humanité,
la commisération, la bienfaifanee, toutes les paf-
fions attirantes & douces qui piaifette naturellement
aux hommes, & d’empêcher de naître l’envie
, la convoitifé, la haine , toutes les pallions
répondantes & cruelles qui rendent pour ainfi
dire la fenfibilité non-feulement nulle -, mais négative
, & font le tourment de celui qui les
éprouve.
Faites donc bien comprendre aux militaires, que
le fort de tel ou tel malheureux peut être le fien,
que tous les maux font fous leurs pieds, que d’un
inftant à l’autre ils peuvent les éprouver > mais ne
lés éclairez que par les lumières qui font à leur
portée. Il ne faut pas être très-favant pour fentir
que toute la prudence humaine ne peut répondre
n unhomme qui va combattre, fera dans une heure,
ou vivant, ou mourant, oü bleffé, &c. i cependant
ne leur dites pas cela froidement, faites-leur
voir, faites-leur fentir les calamites humaines j
ébranlez, effrayez leur imagination des périls dont
un foldat eltfansceffe environnés qu’il voie autour
de lui tous ces abîmes, & qu’ à vous les entendre
décrire il craigne a tout moment d’y tomber.
N’oubliez pas que les peines ou les maux des
foldats leur viennent des chofes : il n’ y a point
d’habitude qui puiffe leur ôter le fentiment phy-
fique de la fatigue, de l’épuisement, de la faim &
des bleffures. Le bon efprit ni la fageffe ne fervent
de rien pour l’exempter des maux de fon état.
Que gagne Epiélète, de prévoir que fon maifrè
va lui cafter la jambe ? La lui caffe-t-il moins pour
cela ? Il a par-deflus fon mal le mal de la prévoyance.
Quand le foldat feroit aufti fenfé qu’on
le fuppofe mal à propos ftupide , que pourroit-il
être autre que ce qu’il eft ? Que pourroit-il faire
autre que ce qu’il fait ? Étudiez les gens de cet
état, vous verrez que, fous un autre langage, il a
autant d’efprit & plus de bon fens que vous. Parlez
donc toujours devant les militaires, du.genre
humain avec attêndriffernent, avec pitié même >
car non-feulement il doit compatir aux maux de
fes camarades , mais encore à ceux des malheureux
que le fort de la guerre met à fa diferétion
ou à fa difpofition.
C’eft par ces routes & d’autres fe.mbl-ables ,
bien contraires à celles qui font frayées, qu'il faut
exciter dans le coeur des militaires les moUvemehs
de la Nature, les développer & les étendre fur leurs
femblablès-, en y mêlant le moins d’intérêt per-
fônnel qu’il fera poflîble j furtout p'oint de vanité,
point d’émulation , point de gloire, point de* ces
fentiméns qui nous forcent dè nous comparer aux'
autres ; car ces comparaifons ne fe foiilt jamais fans
pelqu’impreflïon de haine contre ceux qui nous
ifputent la-préférence, ne fût-ce que dans notre
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propre eftime ; alors il faut s’aveugler-ou s’irriter:
tâchez d’éviter cette alternative.
L’architeéle de ce vafte univers nous donna une
ame intelligente, afin qu’une bienveillance mutuelle
nous avertît d’avoir recours à nos fembla-
bles, & d’être toujours prêts à les fecourir.
Mais Gomment exécuter ou faire exécuter tout ce
que nous propofonsici ou que nous avons propofé
ailleurs, relativement à la morale, avec le secours
d'un officier de morale , qui,- capable de donner
des leçons fur quelques-unes des connoiflances
néceflaires aux- militaires., feroit chargé en même'
teins de leur en donner fur toutes les parties de
la morale relative à leur état 3
PLAGES DE GUERRE. « L’efprit de corps,
dit le général Montalembeft, éternife jufqu’aux
préjugés populaires1} il eft L'ennemi naturel des découvertes
utiles , parce que tout corps tient également,
& à fes connoiflances acquifes , & à fes
erreurs. Il en coûte trop à l’amour-propre de convenir
qu’on1 eût pu mieux faire j & quiconque
entreprend d’éclairer fur des abus, eft fur d’avoir
pour contradicteurs tous ceux qui les commettent.
w Quels font donc les dbftacles qui s’ôppofenc
depuis fi long-tems à ce qü’on cor tige lès fortifications.
de nos places de guerre? L’ intérêt parti-'
culier très-mal entendu de quelques chefs1 d'un-
corps, qui profitent de lirifouciance désperfoniieS*
en place pour perpétuer des méthodes dont ils-
penfent devoir tirer leur confidération , comme'
fi, fâifant exécuter de meilleures chofes, ils ne re-
Ieveroient pas leur état en proportion de l’Utilité'
dont iis deviendroient.
* llfaudroit donc qu’une autorité fupérieufeen
ordonnât autrement j mats le régime, tel qu’il
eft, s’oppofe abfolumeat à ce qu’elle puiffe ja*‘
mais être inftruite.
« Toutes les fortifications de la république étant
entièrement fous la direction du corps du génie,
attaché irrévocablement à fes anciennes méthodes,
l’adminiftrateur ne peut connoître le véritable
état où elles fe trouvent , ni ce qu’elles;
peuvent avoir de défèélueux , que par le rapport
que les-différéns officiers dè ce corps jugent à
propos d’en faire j ainfi ils peuvént croire & donner
pour néceffaire ce qui ne l’eft nu'îement j ils
peuvent faire conftruire les plus mauvais ouvrages,
"en lès; donnant pour êtré exCëlléns ; ils peuvent
faire- les fautes les plus effentielles, fans qu’ elles-
puiflènt être conn'ues ; car eux feuls, projetant
tout, exécutant tout, eux feuls aufti voyant tout
!& jugeant de tout, il faut néceflairement qu’eux'
! feuls foient lès oraclésauxquels-on puiffe croire.
» La partie de la fortification de la république'*
demande donc la plus férieufe & la plus prompte
âtténtioh dé là part du mirriftre de la guerre, dans
un moment furtout où les nouvelles frontières
i exigent un fyftème* défènfif, sur lequel on ne fau-
[ roi: trop réunir de conuoilFaneès & de lutuièrès
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