en vain ecrivoit-il à M. d’Argenson cette lettre
connue , il en réfultoic à peine de futiles exerc
ices , & dans le refte de l’Europe on ne cherchoit
pas davantage à s’éclairer.
Mais au milieu devcette inaétion militaire , où
des guerres trop longues & trop continuelles
venoient de jetter l ’Europe entière, le roi de
Prune , ne^ avec de l’ambition , forma , d’après
fon caractère & fon génie , le projet non-feulement
d’affermir !a puiffance commencée par fon
pere, mais encore de l’augmenter 3 en faifant
valoir des prétentions dont il croyoit pouvoir
calculer la certitude de la réuffite , contre des
puilfances epuifées ou hors d’état de fe mettre
affez promptement en mefure.
Pour remplir un projet auffi v afle, il falloit
d abord économifer, augmenter enfuite fes forces
militaires 3 & enfin inftruire davantage fon armée.
En^ mettant de l’économie dans fes finances ,
Frédéric fe procuroit les moyens de pouvoir
augmenter le nombre de fes foldats, & la réuf-
iice de cette opération dépendoit d’ une volonté
confiante & ferme 5 mais il n’en étoit pas de
même de l’inftru&ion de fon armée : il pouvoit
l'attendre de fon génie feul, foit pour créer
1 infiruétion elle-même, foit pour y habituer les
différens individus, foit pour rendre cette inf-
truélion affez fiîre, affez invariable & affez
fupérieure à toute autre, pour s’être affuré des
vidoir es.
ville & de la droite de l’armée des alliés, afin de fe
trouver fur fon flanc droit 5 & s’il réuflïflbit, de
l’obliger de fe retirer vers fes ponts fur le Pô , près
de Cazal Maggiore ; ce cjui lui donnoit l’efpoir de
l i malcraiter dans fa retraite & de refter maitre de
Parme.
Déjà le général Mercy avoit paffé la rivière au-
deffus de Parme , & fe difpofoit, après avoir tourné
la ville , à fe mettre en bataille fur le flanc droit de
l’armée ennemies mais M. de Maillebois accourut
avec l’avant-garde, et fe 'me tant en -bataille dévant
la ville de Parme, arrêta le général Mercy, qui,
faute d’établir des communications fur les foffés
dont les plaines font remplies en Italie, né profita
pas de fa fupériorité en nombre pour parrer une
partie de fes forces fur le flanc des ennemis 3 de part
& d’autre aufli la cavalerie refta derrière l’infanterie.,
•fous le prétexte ridicule de la foutenir ; mais en
réalité pour lui être trës-nuifîble.... Bientôt le petit
front de l’avant - garde françaife put s'étendre au
moyen des troupes qui accouroient de l'armée 3
bientôt aufli le régiment du roi, par une décharge
faite à propos, fit reculer les Impériaux s ce qui
laflura les François qui, ayant mis leurs quatre rangs j
genoux en terre,, fufillèrent à la croate. — Ic iîe ]
Outre la manière de rendre fon armée immortelle
, en la compofant prefqu’entièrement de
nationaux, & en partageant fon pays en difiricts
chargés de tenir les régimens complets , au
défaut des recrues étrangères, Frédéric Ier avoit
laiffé à fon fils des foldats déjà très-avancés dans
la difcipline & la tactique particulières de l’infanterie
, les feuls en Europe qui fuffent manier
leurs armes avec autant de dextérité & de
promptitude. Quant à la cavalerie, elle étoit
difiinguée par la beauté des hommes 3 & pour
le refte , aufli peu avancée dans la taélique que
celle des autres puiffances de l’Europe.
C ’étoit déjà beaucoup pour le roi de Pruffe
d’avoir un fond d’armée fupérieur à celui des
autres, & une manière la meilleure de l’augmenter
& de l’entretenir 3 mais il n’y avoit ni
grande taélique, ni école pour les officiers généraux
j & ^cependant de-là feul pouvoit dépendre
l’inftruéliôn de l’armée, de façon à la rendre la
meilleure j & fes principes les plus invariables.
Frédéric, plein de l ’étude de la guerre des
anciens & de celle faite par les Condé , les
Turenne,_les Montécuculli, & c . , fut y puifer
les grands principes de la tadtique ; il fut s’approprier
ces doublemens & ces dédoublemens de
la phalange grecque, établis dans les troupes de
Pyrrhus , & ceux de M. de Puyfégur et de
'M. de Saxe, dont il fit les élémens de fes
deploiemens & de fa tadtique, qui fera longgénéral
Mercy ayant été tué, le duc de Wirtemberg,
qui le remplaça, ne penfa pas „davantage à étendre
Ion front 3 & "s’étant borné à remplacer pendant
quelque tems J es régimens de première ligne trop
maltrairés par ceux de la fécondé, il fe retira enfiiite
fans beaucoup de perte3 la cavalerie* françoife toujours
immobile, n’ayant point préparé les- moyens de
l’inquiéter.-
Ainfi voit-on dans cette journée, de la valeur &
de la fermeté parmi les troupes, de f ignorance dans
les généraux. ;
A Guaftalla , le prince de Wirtemberg ayant
voulu pouffer vigoureufement une .affaire d’arrière-
garde, on doit remarquer la conduite de la cavalerie
des alliés , commandée par le duc; de Châtillo-n*, la
gauche arrivée en bon ordre , au trot, fur trois
rangs , & à cent pas de celle des "Impériaux, qui
reftoit immobile, s’élança au galop, l’enfonça, la
diffipa, & la pourfuivit aifez chaudement pour occa-
fionner la déroute de la fécondé ligne 5 ainsi l’infanterie
allemande fut entièrement découverte 3 mais
elle fe battit affez courageufement pendant près de
huit - heures, pour donner le tems à l’armée de re-
paffer le. Pô..
tems l’admiration des militaires capables de la
juger. |
Quant à l’ inftru&ion des officiers & des foldats,
il y travailla fans relâche 3 il tint fes troupes
continuellement en haleine , par. des revues annuelles
& par des camps de manoeuvres. Ses.
revues', il les fit en perfonne 3 fes camps , fes
manoeuvres, il les commanda lui-même 3 & Pon
fendra quel refiort, quelle unanimité & quelle
émulation dévoient acquérir des troupes continuellement
exercées par un grand général, qui
étoit en même-tems leur roi. Par-là il put fou-
dainement faire mettre en pratiqué toutes les
idées nouvelles, retenir les bonnes & rejetter
les mauvaifes.
Frédéric avoit eu peu de chofes à faite pour
perfectionner fon infanterie 5 mais il falloit trouver
un moyen de tirer un grand parti de la cavalerie
5 il parvint à porter cette arme un degre
de perfection dont il n’y eut jamais d’exemple,
en ordonnant aux cavaliers de ne jamais faire
f e u ,& en faifant confifter la force -de la cavalerie
dans la vélocité de fes mouvemens & dans
h plus grande impétuofité poffible de fa charge
combinée avec l’enfemb e. Tous ces moyens une
fois acquis, Frédéric eut bientôt habitué & les
individus & les corps de fon armée , à h tactique
dont il étoit le créateur, & au moy^mde laquelle
ils furent fe féparer, fe réunir, fe plier à toutes
les difpofitions & à tous les terrains, & fe mettre
en bataille par des moyens dè détail plus, simples
& plus rapides.
Depuis la. prodigieufe multiplication des armes
à feu , aucun homme de génie n’avoit étudié la
tactique; aufli, dans les deux plus belles journées
de la gloire du maréchal de Luxembourg, ,
fon armée fe mit lentement en bataille la veille
en préfence des ennemis qui reftoient immobiles
dans leur polïtion. Ni les victoires de Malboroug,
ni celle des Catinat, des Vendôme, &c.*ne furent
dues à un grand mouvement de tactique. Guf-
tave, Charles XII, avoienteu des idées imparfaite s
• des grands principes. M. de Saxe avoit dit qu un
jour le fecret des batailles feroit dans l’ordre &
dans les jambes. Le roi de Pruffe fit feul ce que •
les autres généraux avoient ou tenté , ou indiqué,
ou apperçu ; & par la manière vraiment ingé-
nieufe dont’ il fut organifer fes aimées, il diminua
l'inconvénient des longues’ colonnes de
marche & de la lenteur proceflionnelle avec laquelle
elles fe mpttoient en bataille. Il habitua
plufieurs colonnes à obferver des* diftancés, à
marcher à la même hauteûr , à fe mettre en bataille
dans toutes les dueéliôns , & c . D’après ces
principes & ces moyens, il put devenir plus
hardi dans les mouvemens, oc déterminer ou
faire connoître fes difpofitions d’attaque au
moment feulement où il pouvoit agir & où il
étoit à portée de l ’ennemi. Les mouvemens de
chaque colonne en particulier, & ceux de plu-
sieurs colonnes enfemble , étant devenus plus
parfaits & "plus rapides, les rapports de plufieurs
colonnes entr’ elks étant perfectionnés , il apprit
à fes officiers-généraux à les conduire ÔC a les
remuer d’après tous les ordres Ôc les fignaux
donnés ; il les familiarifa, par une pratique con-
tinuelle, avec les diltances, les obftacles oc la
variété des terreins 8c d e s . circpnitances. Xi
s’afiura entre chaque corps individuel dé fon
armée , d’un enfemble d’après lequel il étoit de- •
venu le maître de leur faire prendre la diipolition
qu’il croiroit la plus avantageufe pour aHurer fes
fuccès. Enfin les événemens extraordinaires 8c
multipliés des différentes guerres où il fé trouva
engagé, dirigèrent 8c guidèrent fes fpéculations,
& elles donnèrent l’eifor aux officiers qui tra-
vailloient à fe faire valoir auprès de lur.
M o llw i t l- — 17 4 1 .— 10 a v r il.
Ainfi à Mollwitz, la férmeté de l’ infantene
pruffienne, fon feu fupérieur & foutenu , l’ordre
inconnu jufqu’ alors dans lequel elle avança, &
les manoeuvres qu'elle exécuta > ramenèrent la
viftoire prête à s’échapper , avec la cavalerie
pruffienne, mife en déroute fur les ailes par celle
des Autrichiens.
Pour la première fo is , Frédéric commandoit
des armées & remportoit des vifloires (1) ; il lui
(1) Écoutons ce grand homme parler lui-même
des fautes dè fes ennemis & des fiennes. Cette
journée devint une des plus mémorables de ce
fièclê , parce que deux petites armées y décidèrent
du fort de la Silélie, & que les troupes du roi y
acquirent une réputation que le tems ni 1 envie ne
pourront leur ravir.
L’obfervateur aura remarqué fans doute,.dans
l’ouverture de cette campagne, que c’étoit à qui
feroit le pins de fautes, du roi ou du maréchal de
Neuperg. Si le général autrichien étoit fupérieur
par fes projets, les Pruffiens letoienr par l'exécution.
Le plan de M. de Neuperg étoit fage & judicieux.
En entrant en Siléfie , il fépare les quartiers du roi ,
il pénètre à Neifle, où Lentulus le joint, & îi elt
fur le point non-feulement de s'emparer de l’artillerie
royale, mais encore d'enlever aux Pruffiens leur feul
mavaiin à Breflâw ; mais M. Neuperg auroic pu
furpréndie le roi à Joegerndorff, & par ce coup feql
terminer route cette guerre. De Neifle il auroit pu
■ enlever le corps du due de Holftein qui cantonnoit à
un mille de-là. Avec un peu plus d’activité, il auroit
pu empêcher le roi de paffer IvNeille à Mi-
chelau ; de Grothau encore, il auroit dû marcher
jour & nuit pour prendre Ohlaw & couper le roi