
*»1 en s de vos caporaux , fi vous ne connoiflez pas
au CI bien que le plus' inflruit d’encre eux , quelle
eft la prôgreflion qu’il faut fuivre pour former
un homme de recrue , & c ? de l’ inftrüétion 8c
de l’exactitude des fer-gens , fi vous ne connoifiez
pas , dans toute leur étendue , les devoirs dont
ils font chargés ? Ce que je vous dis du fergent
eft également applicable au lieutenant, au capitaine
, au major, au lieutenant - colonel ", oui ,
mon fils , ce n’eft qu’en vous rendant capable .
d’occuper les différentes places qui font au-deflous
de la vôtre -, que vous pouvez dignement remplir
celle qui vous eft confiée , 8c forcer les autres à
s’acquitter de tous, leurs devoirs.
Je ne vous recommanderai pas l’étude des
ordonnances militaires, vous vous y êtes livré
de bonne heure : mais de ne jamais vous écarter
de ce qu’elles prefcrivent. Je ferai le premier à
vous punir , ou à folliciter votre punition , fi
j’apprends jamais que vous vous êtes permis de
vous en éloigner. La loi eft aux yeux de tout
bon ’Citoyen , de tout bon militaire, l’objet le
plus facré : on dit , je le fais bien , & dans ma
jeuneffe ,je l’ai dit comme les autres ; la lettre
tue & Pefprit vivifie ; mais comme j’ai toujours
vu que fous prétexte de cette vivification on fe
permet le.s écarts les plus grands , je vous ordonne
exprelfément de vous en tenir à la lettre delà loi.
Refpeâez auffi les ufages introduits depuis très-
long - temps -, fi vous, en —trouvez cependant
quelqu’un d’abufif, il faut l’abolir., mais pro^
cédez à fon abolition avec prudence & avec
ï'agefle : préparez par votre conduite 8c par vos
diicours leschangemens que vousjvoudrez opérer -,
faites-en fentir les avantages : n’èntreprenez
jamais de détruire plufieurs abus à la fois :
attachez-vous d’abord" au plus important , au plus
effentieî : fi l’on attaque en même temps toutes
les parties d’un édifice qu’on veut rétablir ,
on l’ébranle toujours , & quelquefois on le ren-
verfe : ne démoliflez qu’après avoir préparé'ce
qui doit être mis à la place de ce que vous
voulez renverfer : fouvenez-vous toujours qu’on
fait plus de mal que de bien quand on propofé
înconfidérément les changemens même les plus
avantageux, & quarid on emploie la violence
pour les ..faire adopter : confultez les anciens
officiers fur les réformes que vous voudrez faire-,
ils entraînent - par leur opinion celle du corps
entier.
Je ne vous parlerai point ici de l’étude de la
guerre , je-Vous en ai prouvé la néce'fîité & les
avantages dans un mémoire qui a précédé celui-
ci , & je vous ai indiqué le plan que vous deviez
fuivre pour apprendre cette fcience i je me bornerai
à vous redire que l’hiftoire eft la fource
dans laquelle vous devez ptiifer fans ce fie : ne
liiez pas.l’hiftoire pour apprendre l’hiftoire , mais
ppup apprendre la -guerre , la morale , 8c la politique.
L’hiftoire a été dès mon enfance l’objet
de mon étude , 8c c’eft à elle que je dois tout
ce que je fais. Ne négligez point les fcience s
mathématiques ", je fuis fâché de ne les avoir
point aflez cultivées *, je les ai âpprifes de bonne
heure -, je les aimois-, j’y avOis fait des progrès ;
j’ai dû beaucoup au peu que j’en fais.
Vous êtes brave , vous l’av.ez prouvé , mais
gardez-vous de l’être avec excès. Combien de
larmes, ne m’a point coûté la bravoure excel-
five de quelqu'un qui m’étoit bien cher 1 Que la
vôtre ne me foit point au fil cruelle. La bravoure, qui
eft la première des qualités pour un foldat , doit,
dans le c o l o n e l , être lubordonnée à la prudence, -,
j’aimeroi.s cependant mieux avoir à pleurer votre
mort , que vôtre gloire , que votre honneur;
Souvenez-vous que les hommes qui vous çon-
feilleront le plus hautement de ménager votre
perfonne^feroient les premiers à vous blâmer fi
vous fuivieZ leurs confeils.
Aimez votre patrie, aimez votre roi ", vous le
devez, mon fils , 8c- parce que c’eft un devoir
impofé à tout citoyen , 8c parce que les grâces
dont j’ai été comblé vous en font une loi -, ces
fentimens font afiez profondément gravés dans
votre coeur pour que je puifie me difpenfer de
les approfondir encore en y repaflant le burin..
Aimez la gloire -, que le défir de l’obtenir foit
toujours ardent. Cette paflion de la, gloire m’a
foutenü dans la carrière difficile que j’ai parcourue ;
elle m’a fait oublier que j’étois né avec une
fa.nté délicate , un corps foible.
Je ne vous parlerai point de la probité , mais
je vous recommanderai de veiller fur celle de vos
gens.", on accule quelques c o lo n e ls de vendre les
emplois de leur régiment -, je ne crois pas que cela
puifie être-, ils les donnent , mais leurs gens les
vendent.
Ayez un régiment meilleur & plus inflruit que
les autres ", cet amour propre eft permis à un
c o lo n e l y mais ne cherchez pas à le rendre plus
beau , & fur-tout à le furcharger de pompons.
Veillez à ce que les compagnies, foient toujours'
complettes en hommes propres à la guerre'-,
qu’une faufie pitié ne vous engage pas à laifier les
capitaines tirer la paye des foldats qu’ils n’ont
point : celui qui fe permet cette .malverfiition
trompe le roi & manque de probité. Celui-là
en manque encore qui n’apporte pas' la plus exaéte
juftiçe dans la dîftribution des grâces , & qui
fur-tout n’empêche point les fubordonnés de faire
fur le foldat des gains illicites. Cette attention
eft , mon fils, une des principales que doit avoir
un c o lo n e l .
Afiifte? à tous les exercices que fera votre
régiment : foyez toujours le premier au rendez-
vous que vous lui aurez afligné paroifiez uniquement
occupé de vos devoirs*,foye? aélif, vigilant,
exaéi j
exa&, & vos officiers feront ponâuels , attentifs 8c zélés -, dans le cas contraire , vous verrez une
trifte & froide apathie s’emparer de votre régiment
: tout colonel négligent entraîne tout fon
corps vers l’oubli de fes devoirs.
Ne vous laifiez jamais emporter par l’impatience
ou la colère : on fe repent toujours
d’avoir obéi aux premiers mouvemens des
pafiions ", voulez-vous faire une fottife , a dit avec
raifon un de nos poètes , prenez confeil de la.
colèrey c’eft en l’écoutant qu’un chef de corps
compromet quelquefois fon honneur, quelquefois
fa vie , & plus fouvent encor! celle des hommes
qui lui font fournis.
Obéiflez aux lois & aux hommes que le
prince a choifis pour en êtr^ les organes ",
l’infubordinatipn eft le premier , le plus grand
des vices militaires il fe communique avec une
rapidité extrême , & il acquiert des forces à
mefure qu’ il fe propage. Tout colonel qui n’obéit
point à fes fupérieurs peut-il exiger , peut-il efpérer
que fes fubordonnés lui obéiflent ?
Regardez - vous comme le juge , comme le
^enfeur, comme lemagiftrat 8c comme le père de
votre régiment : en qualité de magiftrat & de
juge , vous veillerez au maintien des lois ", en qualité
de cenfeur 8c de père , vous veillerez au
maintien des moeurs : occupez-vous fur-tout de
ce dernier objet , toujours oublié ou trop négligé
par les chefs des corps militaires ", là où les moeurs
régnent on obferve les lois , & ce qui vaut mieux
encore , on les aime : veillez - donc à épurer les
moeurs *. mais ne penfez pas qu’elles fe commandent
j elles fe montrent, elles s’infpirent :
l’autorité de l’exemple- ëft ic i, comme prefque partout
, plus forte que celle de la volonté -, la vigilance
nous feroit en vain découvrir, dans les autres,
des vices qu’on pourroit nou% reprocher à nous-
tuême. Si vos moeurs font pures, celles de votre
régiment le feront -, votre tempérament fe fortifiera
-, vous économiferez beaucoup de temps -,
vous vous mettrez à l’abri de plufieurs ridicules
durables •* vous ne ferez jamais le jouet des cir-
conftances , 8c l’ eftime publique vous dédommagera
des privations que vous vous ferez impofées.
Fuyez le jeu & fur-tout les jeux de hafard -,
banniflez-les avec loin de votre régiment , ils
perdent la plupart des militaires.
Gardez-vous de contrarier le goût du vin , il
abrutit ", que votre table foit bonne , mais jamais
délicate •, admettez-y les officiers de votre corps
de préférence aux officiers-généraux , aux colonels 8c aux autres chefs : que les rangs foient marqués
j chez vous , par le degré d’eftime que mériteront
vos convives.
Réduifez' vos équipages au pur nécefiaire -,
vous devez donner-d’exemple de la fimpîicité , de
la modeftie^ parce que vous êtes Colonel 8c parce
udrt. Miliu SuppL Tome IV «
que vous êtes moil fils ; cette modération vous
coûtera d’autant moins que j’ai eu l’attention de
bannir loin de vous cette molle lie voluptueufe
qui transforme en femmes délicates la plupart de
nos jeunes militaires. Je n’ai point fouffert qu’on
mît de l’or ou de l’argent fur vos chevaux , vos
mulets, ni fur l’habit de vós gens , j’efpère que
vous foutiendrez toujours cette fimpîicité pré-
cieufe. La magnificence qui fied fi bien à l’homme
cfiargé de repréfenter un fouverain , eft vicieufe
dans l’homme de guerre en général , & -funefte
dans un c o lo n e l ,* fon corps fe fait un devoir, un
honneur de l’ imiter. Je n’ai jamais vu fans une
vive indignation les jeunes chefs de nos régi-
mens traîner après eux dans les camps 8c dans
les garnifons le luxe 8c la mollefie de la cour ;
chercher à fe faire diftinguer par la richefie
& le brillant dès équipages , la -multitude des
valets-, l’extrême beauté des chevaux , la déli-
catefle des tables , rivalifer uniquement enfin dans
l’art de multiplier les voluptés. Êft-ce bien là l’ambition
qui devroit animer les chefs des corps
'militaires. Je m’arrête -, l’aigreur s’empareroic
bientôt de moi *, mes Gonfeils vous font d’ailleurs
moins nécefiaires fur cet article que fur
beaucoup d’autres.
Vous n’avez jamajs vu un être fouffrant fans
défirer vivement de faire cefler fes maux ou de
les alléger *, confervez , mon fils , cette iënfi-
bilité précieufe : elle pourra bien quelquefois
vous caufer des peines , maïs elle vous procurera
encore plus fouvent des plaifirs vifs Ü purs.
C’eft. autant pour votre gloire que pour votre
bonheur que je vous recommande de vous
montrer humain 8c généreux : l’humanité , la
libéralité nous gagnent & nous confervent le
coeur des hommes avec qui nous vivons , auxquels
nous commandons. Quelque dépehfe que
vous fafiiez. pour loulager l’humanité fouffrante ,
j’y pourvoirai avec joie ", j’aime bien mieux
qu’on parle de votre bienfaifance , que de
votre habileté dans l’art d’ordonner une fête i que ■
l’on s'étonne du nombre d’heureux que vous
aurez faits , que de celui" des grands - que vous
aurez efiayé de défennuyer : le fouvenir d’une
fête qu’on a donnée ne laifie dans l’efprit
ni dans le coeur aucune trace agréable , celui
d’un malheureux qu’on a confolé en lai fie de
délicieufes. Je ne m’oppofe point à ce que vous
diftribuiez , dans quelque circonftance importante
, une gratification générale aux foldats de
vôtre régiment -, j’ aimerois cependant mieux vous
voir verl'er le même argent fur ceux qui auront
été blefies, qui auront fait quelque action éclatante
, ou qui, enremplifiantleurs devoirs, auront
éprouvé quelque, perte grande pour eux. Ne laifiez
pafler aucune fëmaine fans viffter une ou deux fois
les* malades de votre régiment ; parlez à chacun
d’eux avec bonté -, écoutez leurs plaintes & faites-
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