
Si Ia-force reftoit au peuple comme îa nature
l'y place j la lo i , la force ne feroient jamais
<ju un, l'ordre & la liberté feroient toujours
maintenus j mais partout les tyrans favent tourner
contre la liberté du peuple, par mille rufes qu'il
n spperçoit pas, la loi 8c la force dont ils fe
conftituent peu-à-peu les feuls gardiens.
Il faut donc chercher à affurer conftamment
force à la lo i, fans qu'aucun individu pu ffeabufer
de la force 8c la diriger à fon vouloir arbitraire.
Quiconque veut être libre doit fe borner à
la force confervatrice.
Les troupes réglées> pefte & dépopulation
de l'Europe, ne font bonnes q u i de .«x fins, ou
pour attaquer & conquérir les voilîns, ou pour
enchaîner & affervir les citoyens. Combien il eft
important pour un peuple qui veut être libre de
renoncer au moyen par lequel on parvient à ces
fins !• L'Etat cependant ne doit pas relier fans
défenfeurs ; mais fes vrais défenfeurs font fes '
membres tout citoyen doit être folda-t par
devoir,^ nul ne doit l'être par. métier : tel fut
autrefois le fyftême militaire des Grecs 8c des
Romains > tel eft aujourd'hui celui des Suiftfes &
des Américains; tel doit être celui de tout Etat
libre & furtout de la France. Ne pouvant pas fe
permettre de furcharger le peuple d'impôts pour
folder une armée fuffifante pour la défendre, il
faut qu'elle trouve au befoin cette armée dans
fes ftabitans. Une bonne milice, une véritable
milice bien exercée eft feule capable de remplir
cet objet- Cette milice coûtera peu à la république,,
fera toujours prête, à la ferv>r & la fer-
vira bien ; parce qu'enfin l'on défend toujours
mieux fon propre bien que celui d'autrui.
. L a république romaine fut détruite par fes
légions, quand l'éloignement de fes conquêtes la
força d’en avoir toujours fur pied.
Il faut bien que tout citoyen foît foldatj mais
feulement quand il doit l'être, 8c de manière que
chacun dans un certain âge payant à fon tour ce
tribjit à fa patrie, il foit tellement peu onéreux
que chaque individu puiffe à peine y être fournis
plus d'une année dans fa vie.
Déjà en France on eft revenu des préjugés
contre l’état <^e foldat, 8c les braves defenfeurs
de la patrie en ont fait le premier état de la
république.
Il faut maintenir cet efprit, & attacher au
maniement des armes & à la marche un point-
d’honneur qui faffe que chacun s'exerce avec
zèle pour le fervice de la patrie, fous les yeux
de fa famille 8c de fes amis, zèle qui ne peut
| s'allumer de même chez la | canaille enrôlée, 8c
qui ne fent que la peine de s’exercer.
Une feule ehofe fuffit pour rendre tous ces
projets poffibles autant qu’ils font néceffaires,
defîrés autant qu'ils font craints, l'amour de la
patrie & de la liberté, animé par les vertus qui
en font inféparables. L'on vient én France d'en
donner des exemples mémorables ; tant que cet
amour brûlera dans les coeurs, il vous alïurçra
Votre liberté ; travaillez donc fans relâche à
porter le patriotifme au plus haut degré dans les
coeurs Français ; faites enforte que tous les
citoyens fe fentent inceffamment fous les yeux
du public, que nul n'avance & ne parvienne
que par la faveur publique, qu’aucun pofte ,
aucun emploi, ne foit rempli que par le voeu
„de la nation, & qu'enfin tous dépendent tellement
de l'eftime publique, qu'on ne puiffe rien
faire, rien acquérir, parvenir à rien fans elle.
De l’effervefcence excitée par cette commune
émulation , naîtra cette ivreffe patriotique qui'
feule fait élever les hommes au-deffus d’eux-
mêmes , & fans laquelle la liberté n'eft qu’un
vain nom, & la légifiation qu'une chimère, il
faut dès qu'un citoyen eft entré dans l’âge du
fervice, qu'il avance ou qu'il foit rebuté avec
improbation ; il faut que dans toute fa conduite ,
vu 8c jugé par fes concitoyens, il fâche que tous
fes pas font fuivis, que toutes fes a étions font
pefées, & qu'on tient du bien 8c du mal un
compte fidele dont l'influencé s'étendra fur tout
le refte de fa vie.
Chez les Grecs & chez les Romains les mêmes
hommes étoient officiers au camp & magiftrats
à la ville. Auparavant tous avoient combattu-
comme Amples foldats. Quelle que foit la place où
la nature a. fait naître un citoyen, il fe doit toujours
à la patrie >. mais plus il eft élevé par les
bienfaits de la fociété dont les avances portent
un intérêt continuellement exigible ,. & plus.il'
a l’obligation étroite de défendre fon pays & fa
conftitution au péril de fies biens, de fa vie 8c
de fa liberté même.
Quelle eft donc la bâ-fe du contrat/ focial ?
c'eft l’affurance des biens de la vie 8c de la liberté
de chaque membre, par la protection de tous.
O r , comment forcer quelques hommes feulement
à défendre la liberté 8c la propriété de
l’un d'entr’eux, fans porter atteinte à la liberté
de tous ? Comment pourvoir privativement au
befoin public fans altérer la propriété particulière
de ceux qu'on force d’y contribuer ? Ainfi
rien ne contribue davantage à augmenter lès
befoïns publics, que la conviction des citoyens,
qu'ils ne font pas tous également intéreffés à la
caufe commune ; dès cet inftant ils ceffent d’être
les défenfeurs de la patrie, 8c les magiftrats
aiment mieux commander à des mercenaires qu'à
des hommes libres, ne fût-ce qu'afin d'employer
en te ms 8c lieu les premiers pour mieux affujettir
les autres; tel fut l'état de Rome fur la fin de
la république : Marius fut le premier qui dans la
guerre de Jugurtha déshonora les légions, en y
inrroduifant des affranchis vagabonds 8c autres
mercenaires.
Devenus les ennemis deS peuples qu’ils s'étoient
charges de rendre heureux, les tyrans établirent
des troupes réglées, en apparence pour contenir
l’étranger, 8c en effet pour comprimer les
citoyens. Pour former ces troupes, il fallut
enlever à la terre des cultivateurs dont le défaut
diminua les denrées, 8c dont l'entretien intro-,
dujfit des impôts qui en augmentèrent le prix.
Ce premier aéfordre fit murmurer les peuples;
il fallut pour les réprimer multiplier les troupes,
8c par conféquent la mifère : d’ un autre côte ces
mercenaires qu'on pouvait eftimer fur le prix !
auxquels ils fe vendo.ient eux-mêmes, fiers de
leur aviliiTement, méprifant les lois dont ils
étoient protégé^, 8c leurs freres dont ils man-
geoient le pain, fë crurent plus honorés d'être
les ïatellites de Céfar, que les défenfeurs de
Rome, 8c dévoués à une obéiffance aveugle j
ils tenoient par étât le poignqrd levé fur leurs
concitoyens, prêts à tout égorger au premier
lignai.
On parle fans celle de nécelfité d’avoir des
troupes réglées. Il vous faut, voué dit-on, une
armé# régulière permanente, 8c qui puiffe être
portée hors des frontières ; comment réfifteroit-
on aux troupes des puiffances étrangères avec de
mjférables bandes de payfans.
Pour fe dévouer à un tel fervice 8c à toutes
les chances qu'il peut offrir, il faut des hommes
qui puilfent 8c qui veuillent perdre de vue leurs
foyers, il faut des hommes qui fe lient par un
contrat volontaire au fervice qu'ils embraffent,
8c qui n'aient ni d'autres fonctions, ni une autre
dette momentanée 8c urgente à remplir envers
la fociété.
Pour que cette armée ait toutes les qualités
qui peuvent affurer les fuccès, il faut qu’elle
foit au plus haut point difeiplinée, inftruite 8c
mnnoeuvrière;; car les armées étrangères pofle-
dent ces avantages, 8c il faut les balancer.
Pour que l’inftruétion 8c la difeipline foient
én vigueur dans l’armée, il faut que l'armée
en faffe fon occupation, fon habitude 8c fa
gloire.
Mais les principes qui fervent de bâfe à la
difeipline, 8c les préjugés qui compofent l'efprit
militairé font néceffairement 8c par leur nature
en oppofition avec tous les principes de l'efprit
citoyen. Les foldats doivent avoir la foif delà
gloire, 8c les citoyens l’amour de la paix ;
l'égalité 8c la liberté font les droits du citoyen ,
la fuborçjination 8c i'obéiffance paffive font les
devoirs des foldats ; les foldats ne peuvent avoir
ni les mêmes tribunaux ni les mêmes peines, ni
les mêmes objets d’émulation que les citoyens :
les ^foldats doivent avoir un efprit de corps &
de profplfion; les citoyens ne doivent avoir qu’un
efprit public 8c national.
Dans l'état a&uel de l'Europe 8c de l’art, militaire
vouloir une armée citoyenne, c’eft donc prétendre
affembler des principes 8c des élémens
hétérogènes , c'eft tenter de faire ce qui n'exifte
chez aucun peuple moderne, & ce que les peuples
anciens les plus amis de la liberté n'ont
jamais entrepris ; une fois que les ckoyens y
étoient enrôlés, claffés, ou mêmepaffagèrement
convoqués fous les drapeaux, l'état 8c le droit
de citoyen étoient fufpendus pour eux; ils pafi-
foient fous le joug de la difeipline militaire, 8c
quelle difeipline auprès de la nôtre !
Il eft aifé de répondre à toutes ces objections
fondées bien plus fur l'habitude que fur la raifon ;
8c d'abord on y répond d'une manière triomphante
par ce qui fe paffe en Europe depuis 1792.,
de la part des Français victorieux partout, 8c
devant les armes defquels .la terre entière eft
reliée dans le lîlence 8c l'étonnement.. . . Au commencement
de cette guerre fi mémorable, la
France comptoir à peine cent mille foldats en
grande partie déforganifés, ayant à fe plaindre
de leurs chefs 8c ne voulant point en reconnoïtre
la fupériorité, ni fe foumettre à leurs ordres :
$çEurope toute entière avoit pris les armes poiir
attaquer la France, 8c fe la partager bientôt âu
nom de la liberté 8c de la patrie ; on appelle
tous les citoyens à la défenfe de l'une 8c de
l'autre, 8c à la troifième campagne, il y avoit
huit cents mille Français fous les armes. Que
devinrent ces hommes lorfqu'jîs furent bi n
commandés 8c bien conduits ? Que dira la pof-
térité de l’armée d’Italie fous le génie de Buona-
parte ? . . . Et fi ces hommes avoient été exercés
dès .l'âge de leur puberté, 8c qu’on leur eût
fait fucer, avec je la it, le befoin d'être les
défenfeurs de leur pays... combien leurs fuccès
n'auroient-ils pas été plus rapides ? EftriKmême
befoin pour faire naître la bravoure , pour la
cônferver, pour la perpétuer, de faire une pro-
féffion particulière des hommes deftinés à défendre
la patrie ? Faut-il leur donner un efprit de
corps ?• N'eft-ce pas affez de foumettre tous les
citoyens à remplir un devoir auffi néceffaire que
glorieux? & ne fuffit-il pas même que tous y
foient fournis pour être affuré de l'importance
que l’on mettra à le remplir? Non, fans doute,
il ne faut pas une armée citoyenne ; mais il faut
des armées compofées uniquement de citoyens....
Chez aucun peuple moderne , dites-vous, on n'a
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