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» A une certaine diftance du théâtre de ces dé-
a? vaftations , nous entendons p a r le r à la vé i t é ,
» de combats, de triorqphes > nous favons que
»a les lauriers des vainqueurs ont été arroiès de 1
m. fang,.mais nous fuyons la pénible fenfation que
«> cette idée excite , ou nous cherchons à l’adou-
» cir en difant qu'ils font morts dans Us champs de
sa l'honneur , & qu'ils repofent fur le fein de la gloire.
sa Tandis que nous écoutons les détails d'une fan-
sa glante batail e , fi nous pouvons engourdir les
sa fentimens amers qu'ils produisent par ces fpé-.
»a cieux lénitifs , fi la voix féduifante de la re-
•a nommée , fi ces noms confacréra un fouvenir
•a éternel > peuvent étouffer le cri de la pitié &
»a impofer filence à nos regrets ,,comment appai-
»a ferons nous l ’horreur que fait naître le récit des
•a maux occafionnés par un genre de guerre dont
» nulle gloire n'allège les fouffrances , & où les
sa illufîons de l'héroifme ne nous offrent auctin
» afyle ?
»a Jetons les yeux un moment fur un feul endroit
«> de cette..fcène de calamité , contemplons une
»? courte période de ces neuf années de dépopu-
*> lation, celles où les armées d'Italie , après la
» prife de C o n i, prenant leurs quartiers d'hiver
«a fur les Appennins, protégeoient la ville de Gê-
»? nés , entièrement privée de fecours : cette mal-
»a heureufe armée pafla un hiver rigoureux fur les
»a rochers fauvages qui borneôt la république liguas
rienne j pâle, livide, défiguré <, affamé , n u ,
» chaque foldat paroiffoit un fpeétre : les routes
» étoient couvertes de mourans Sc de morts j ceux
»a qui avoient la force de gagner un hôpital, n’y
=• troiivoient, ni lits , ni nourriture , ni fecours
» d'aucun genre 5 ilsrencontroient feu ement un
» trépas plus prompt, mais plus cruel que-dans les
» camps infectés ou dans les feniiers de ces morts
»a qu'ils avoient abandonnés.
aa L'ennemi, fans faire ufage de fes armes, fe
» bornoit à contempler les .Français renfermés
»a dans le territoire de Gênes, où , dépourvus de
» fecours, ils dévoient périr dans un hiver le plus
•a défaftreux que les annales de la guerre nous
sa offrent.
' »s Si les foldats , avec les moyens de force en
sa leurs mains , font quelquefois expofés à de tels
** malheurs , quel doit être le fort des citoyens
«a fans défenfe? Quel eft celui qui, tombant fur les
». dernières pages de l'hiftoire moderne , pourra
» lire fans horreur la relation de cette partie du
s» blocus de Gênes, qui précède la capitulation? a?
Voici un trait tiré du journal d'un officier qui
fervoit pendant le fiége.
« La ville étoit calme 5 les nouvelles feules de
» la négociation contribuoient à cette tranquil-
sa lité , car les fouffrances étoient affreufes : tous
»a les traits fe trouvoient décompofés, toutes les
» figures portoient l'empreinte d’une profonde
affliction ou d’ un violent défefpoir} les rues re-
»v tentifloient de cris perçans j la mort naultiplioit
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a» fes victimes , & la famine dévorante exerçoît
aa fes ravages de tous côtés. Souvent l ’aube du
»a jour éclairait de nouvelles peintures des mifè.es
aa humaines : on trouvoit des mères mortes de
>a faim, ainfi que leurs enfans pendus encore à
» leurs mamelles. Quel exemple de réfîgnation <k
aa de dévouement ne préfenta pas cette malheu-
aa veufe ville de Gênes ! A peine croira-t-on que
aa cent foixante mille am;-s , fi long-tems la proie
aa de toutes les horreurs de la famine, voyant
aa expirer la vieiliefle & l ’enfance, fe réduifilfent
» à vivre d'herbes, de racines, d'animaux les plus
aa degoutans ou de ceux qui étoient morts de ma-
aa ladie 5 & malgré le déclin rapide de leur propre
»a famé , ces infortunés préféroient fupporter de
>a pareilles calamités , plutôt que de tenter une
» révolte contre les troupes affoiblies par les com-
aa bats , mais plus encore par leur étjit phyfique,
»a & contre lefquelles on les engagea fouvent à fe
a? fouleverj témoignage bien frappant de la force
» de l’inimitié des Génois pouf le gouvernement
aa autrichien.
. aD Sanscelferde gémir fur les foldats qu'un de-
a» voir cruel obligeoit de mourir , qui peut fou-
aa tenir de pénfer à quinze mille innocentes vic-
aa times, femmes, enfans, vieillards, tous deve-
» nus la proie de la famine ? Lorfque Ugolino &
» fes enfans regardoient la porte de leur prifon
aa fermée pour toujours , que tout efpoir étoit
»a interdit à leur attente , ils ne voyoient d’autre
a« réfuge que la mort ; mais i c i , pendant qu'un
aa père , torturé par la faim , entendoit avec déjà
fefpoir fes enfans lui demandant du pain , que
aa la mère fixoit fes regards éteints fur fon fils ex-
aa pirant, cherchant en vain à lui donner l'aliment
aa maternel dont les fources étoient defiechées,
>a l’horizon laifloit appercevoir des vaifiéaux char-
» gés de vivres , des vaiffeaux portant la vie re-
aa tenus par une flotte ennemie qui leur fermoit
»a le paflage.
»a Gardons-nous de jeter un voile fur ces fcènes
aa lugubres, & que l’horreur qu'elles doivent ex-
aa citer, augmente le^defir & faffe prendre tous
aa les moyens de fie ies plus voir renaître, aa.
Après nous être empreflfés de tranferire les paroles
précieufes d'une femme philofophe contre
la guerre , 8c conféquemment contre l'art militaire
, fans lequel la guerre ne feroit qU'une lutte
momentanée qui auroit peu de fuites fâcheufts,
nous allons nous permettre quelques idées pour
tâcher de prouver combien l'art militaire eft dangereux
dans les républiques.
L'art militaire n’eft qu’un art propre à favorifer
le defpotifme , St qui doit conféquemment être
proferit des républiques.
Du moment où vous érigez la guerre en art,
vous créez un corps d'hommes qui s'en occupent
conftamment, qui l'apprennent, qui l'enfeignent,
St qui conféquemment ne labourent, ne manu-.
facturent
m 1 L
fa&urent ni ne commercent plus 0$ faut donc que
d’autres les nourriffenc. ( Premier mal. )
Quand on poffède cet art:, on en veut faire
ufage pour acquérir de la réputation ou des ri-
chelfes : en conféquence, on aefire la guerre , on
provoque la guerre , Sc les républiques doivent
éviter les guerres, & iurtout l'efprit de la guerre,
( Second mal. )
Quand on ne fait pas ufage de ce fléau au dehors,
c'eft au dedans. ( Troifieme mal. )
Comme les militaires font un corps à part, ils
fe croient au deflhs des autres 5 ils les méprirent,
furcout les citoyens paifibles j le préjugé s'établit ;
il rend les uns infolens Sc avilit les autres. ( Quatrième
mal. )
L'art militaire diminue le vrai courage : il eft
aux nations, ce qu'eft l’efcrime pour les individus
; il fupplée le courage Sc ne le donne point :
o r , c’ eft avec le courage que les républiques
doivent repoufîer les attaques des ennemis extérieurs.
. j
Quand les hommes feront bien pénétrés de l'amour
de la liberté , Sc habitués a l'exercer dans
toute fon étendue , ils auront du courage : avec
lui, le républicain fatigue , dompte fes adverfai-
■ rés j avec lui , il apprend bien vîte cet art militaire
: l'Amérique l’a voit prouvé *, la France vient
de le prouver bien encore davantage. Le defir de ;
conferver la-liberté eft un aiguillon bien plus fort j
que la paye des mercenaires ou même les dif- 1
tinCtions des officiers européens 5 & voilà pourquoi
un ou deux ans d’expérience & deux ou trois
défaites inftruifent plus des républicains , que
vingt ou trente ans ne font pour les fujets des
autres gouvernemens.
Les républicains ne doivent pas plus avoir des
militaires perpétuels, que des magiitrats : la perpétuité
eft la fource de la guerre , de la corruption
, du defpotifme : la France n'aura jamais de
profpérité réelle qu'en rai fon de la diminution de
de la fièvre ardente de la guerre.
Si toutes les feCtes euffent adopté , comme les
Quakers , cet efprit anti - militaire^ ; fi toutes
avoient voulu prononcer anathème à la guerre,
que feroient devenus nos héros lorfqu'aucun automate
ne le laifferoit plus dreffer à l ’art infernal
de tuer fon femblable ?
Fliangieri demande auffi de fupprimer l'entretien
des troupes fur pied pendant la paix, et fi
l ’on n'a pas encore la fageffe d’adopter des idees
auffi philantropiques , il demande fi l'on ne pour-
roît pas diminuer les dangers Sc l'inutilité des foldats
foudoyés Sc entretenus, en les rendant utiles
aux travaux publics , aux arts, à l'agriculture, &
en ne les retenant pas dans le célibat.
Mais fi l'on ne veut pas adopter l'idée d'une
armée républicaine , dont les foldats paflero ent
neuf ou dix mois chaque année fur leurs foyers,
& dont les officiers & les fous-officiers feroient
feuls plus conftamment aux drapeaux , au mç>ins,
Art. Milit.. Suppl. Tom. I F .
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en ftipendiant des républicains, faudroit-il les
rendre les plus utiles & les moins onéreux poffible
à l'état. Ainfi : • .
Ou l’on adopteroit le fyflème propofé daçs le
Soldat citoyen , des divisons par departement ,
ainfi que des légions militaires Sc agricoles dans
chacun , ou l’on préféreroit , après avoir adopté
un fyftème de conftitution militaire, & avoir pris
une connoiffance exacte de tous les endroits de la
France , où il fe trouveroit des marais à défricher
ou des terreins incultes appartenans à la république
, ou qu’elle pourroit acquérir des propriétaires
,ou des communes , de deftiner ces terreins a
recevoir des colonies militaires, c'eft-à-dire , un
certain nombre de compagnies , bataillons , régi-
: mens d’infanterie , cavalerie, artillerie, &c. pro-
portionnément au terrain à cultiver, ou plutôt à
ce qu'il pourroit produire pour la nourriture Sc
l'entretien des colonies militaires qu'on y place-
roit. Pendant les défrichemens, deffechemens ,
première culture , les troupes feroient barra-
quées , Sc placées-, autant que poffible, dans les
lieux propres à y établir un village. Ce ne pourroit
donc être que fucceffivement qu’elles pour-
roi,ent être logées dans des maifons conft'U'tes
exprès : on diviferoit enfuite les terreins mis en
culture , en fermes de deux, quatre ou iix charrues
au plus, conduites avec des boeufs. On met-
treit à la tête de ces fermes, de bons agriculteurs ,
ou de préférence des officiers ou fous - officiers
de vétérans, qui fe trouveroient avoir des con-
noifîances en agriculture : les foldats feroient les
journaliers employés'à la culture Sc aux arts qui
leur font néceftàires. On fixeroit l ’âge où u,n foldat
pourroit fe marier : dès qu’ il le feroit, il auroit
une maifon, un jardin, & autant que poffible
une vache , pour laquelle M paieroit une certaine
rente : les enfans mâles feroient deftinés au fer-
vice , autant cependant qu’ils y confentiroient 5
les filles feroient inftruites dans des arts utiles à la
colonie : jufqu'a un certain âge des uns & des autres
, le père recevroit chaque mois une fomme
qui feroit fixe , pour l'aider à les élever ; ce feroit
dans ces colonies que l'on prendroit les foldats
pour les garnifons ab fol Liment néceftàires, Sc pour
les travaux publics. On établiroit dans chaque
commune militaire , des maîtres artifans des deux
fexes, qui , autant que poffible , fero:ent pris
parmi L s vétérans; leurs femmes, leurs filles, Scc.
Ces maîtres inftruiroient les enfans de la colonie
dans leur art. Ôfn fentira facilement d’après cette
efquifiTe, combien ces colonies feroient utilement
occupées pour elles & pour la république. On
croit inutile d'entrer ici dans tous les détails né-
ceflaires pour un pareil établiflement j il fuffit d’en
avoir fait appercevoir Futilité & les ^avantages.
On peut auffi lire ( dans ce Supplément ) les mots
F o rc e publique , Jardin , Ma r iag e , Se-
•' m e s t r e , So l d e , T r a v a u x publics , V été-
v RANS | &c.
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